Long voyage en zigzag. — Les Missions. — Le passage d’eau de la Xyawarongo. Kigeri le Victorieux. — Le mont Kigali. — Vestiges d’un film. — Le Mwami.

M. P…, directeur du «Bien-Être indigène», m’emme-nait dans une de ses randonnées d’inspections. On allait ainsi, non pour les beautés particulières au pays, mais pour les écoles, les hôpitaux, les dispensaires, les fermes modèles, les élevages de• bétail. Il y en a beaucoup, et tous en expansion.
On roulait, et la ligne droite d’un point à un autre n’était jamais la plus courte. On avait plus vite fait de contourner une grosse butte que de la gravir. Trouver cinq kilomètres d’affilée en ligne droite semblait une illusion…
Pour tracer ces chemins d’apparence capricieuse, on s’est presque toujours inspiré des anciennes pistes indi-gènes. Ils avaient su choisir les passes et les cols les moins abrupts.
Nous avancions donc, comme dans une lente balan-çoire qui oscillerait de droite à gauche et de gauche à droite, puis de bas en haut et de haut en bas. Le réseau des routes créées en trente ans est immense. A les parcourir ainsi, je comprenais non seulement la confi-guration, mais le rythme et le régime du pays. Le début de la saison des pluies rassemblait ou éparpillait les nuages d’une façon imprévisible. Chaque fois que nous émergions d’une vallée, nous pouvions voir des semis d’averses arroser l’une ou l’autre colline, et des arcs-en-ciel se tendre sur des paysages d’ombres et de lumières.
Et nous pensions aux faiseurs de pluie de jadis qui payaient de leur vie une erreur météorologique. M. S… racontait volontiers les mésaventures d’un agent terri-torial dont la visite dans les collines avait plusieurs fois coïncidé avec une averse très, désirée. Le pauvre homme fut très mal reçu et accusé de mauvaise volonté le jour où l’averse manqua au rendez-vous… L’Administration s’efforça ensuite de fixer ses inspections d’après les communiqués météorologiques et les baromètres. Mais au Ruanda le baromètre est fort paresseux. Il parait que c’est une particularité de toute la région équato-riale. Il n’y a qu’une légère « marée » barométrique. L’aiguille varie à peine de quelques dixièmes chaque jour, pas de baisse signalant orage ou tempête. Tout au plus l’aiguille bouge-t-elle un peu au ‘moment où un nuage passe.
Savé, Kabgaye, Rwamagana, Gahiné… en avons-nous visité des Missions ! Chacune a sa physionomie particulière. A Kabgaye, activité, optimisme, bonne humeur. On m’avait envoyée à la menuiserie. J’y fus reçue dans le mugissement des scies mécaniques, par un Père menuisier couvert de copeaux et de sciure de bois. Il présidait aux travaux et formait au métier de menui-sier une quarantaine d’élèves… Dans un autre bâtiment de la Mission, on me montra le Musée d’Art indigène, vingt objets divers, exécutés ici. Vannerie, sculpture,
avail ‘dePivoire arcs.., et les photos vraiment-ma figues. du Père W… Je rencontrais des missionnaires de toutes nationalités : Hollandais, Belges flamands ou WNlons, Italiens, Français… et même un vieil Alle-mand « d’avant quatorze ». Il s’occupait du creusement d’un puits destiné à donner une eau abondante à toute une « colline ». C’était à quelques kilomètres de la Mission. M. P… voulait voir les travaux. DU fond de l’excavation, qui atteignait déjà dix mètres, nous vimes -émerger par les échelles un très vieil homme. Il sem-blait avoir pris la couleur rougeâtre de la terre où il vivait depuis si longtemps. Il expliquait les travaux avec une vivacité étonnante, dans un curieux sabir fait de Kyniaruanda, de bas allemand, de français et de flamand… On le comprenait tout• de même.
Au moment de rentrer à la Mission, il nous fallut nous ranger vivement. -Un jeune Père arrivait en camion, avec un tel élan qu’on craignait de le voir se briser contre la muraille. Mais non, il freina avec adresse, rapidité, sauta de sa voiture et vint, tout rouge, animé et vif; serrer la main à M. P…
Après le tohu-bohu des ateliers et des travaux, visite à Monseigneur. Le calme souriant de l’évêque s’étend autour de lui à tous les objets du bureau où il nous reçoit. Visage rose, barbe blanche, il ressemble à un saint Nicolas qui serait fort intelligent. Dans un bureau voisin de Monseigneur, règne l’abbé Kagamé du clergé indigène. Le plus énigmatique, le plus instruit, le plus remarquable des Batutsi qu’il m’ait été donné de voir. Nous parlons des poèmes dynastiques .et pasto-raux. Nous parlons aussi de ses poèmes personnels : Là Divine Pastorale, cette belle oeuvre était alors sur le point d’être publiée. Il l’a écrite dans sa langue, et il donnera w simultanément la version française. L’abbé -Kagamé connaît admirablement le français;
Mais sur les beautés de son pays, nous ne parlons pas la même langue poétique. Sa conception en est différente de celle que nous avons dans nos pays d’Europe.
La Mission de Rwamagana_se trouve au bord des territoires pauvres de l’Est. Le parc de la Kagera, ses marécages, ses zèbres et ses papyrus ne sont pas loin. Les cultures sont difficiles, la population est pauvre. La Mission est pauvre aussi, elle donne une impression d’ascétisme. Ce- sont des Pères Blancs. École, hôpital, dispensaire. J’ai éprouvé, conime tous ceux qui passent là, le bienfait du candide rayonnement du vieux Père Van… Si l’activité de Kabgaye est magnifique, on sent ici plus de spiritualité. Le pays, depuis Kabgaye, est devenu peu à peu dépouillé et plus grandiose. Nous avons suivi une longue vallée de brousse où nulle culture n’est obtenue d’un sol trop pauvre. C’est là que, parfois, des léopards trottent sur la route, dont ils aiment, vers . le soir, le sable tiède à leurs pattes de velours.
Il n’y a pas loin de Rwamagana à Gahiné, Mission anglaise située à l’extrémité est du lac Mohasi. Un raidillon se détache. de la route principale et monte vers les bâtiments. Là aussi, immense bonne volonté, là aussi on construit des dispensaires, et le « Bien-Être indigène » y contribue aux entreprises bienfaisantes.
Mais dès qu’il a quitté la voiture, dès le moment où il met le pied sur le doux et vert gazon, le visiteur est transporté en Angleterre. Curieux contraste avec Kabgaye-l’Européenne… La maison où le docteur X…, missionnaire protestant, nous reçoit cordialement, est fort modeste, presque sommaire, et pourtant on y respire l’Angleterre. Une douce dame, bien ladylike, offre un
c .merveilleux. accompagné dé muffins. Aux, murs, quelques watercolours.- Un jardin bien dessiné; avec ce . beau gazon pie les Anglais tireraient du désert même. 1:Tilw grue couronnée, apprivoisée, entre d’un pas noble et ‘«Vient happer. les miette.s des muffins. La dame parle parfaitement le kymaruanda. Le français lui est resté impénétrable. Nous nous comprenions tout de même, grâce nu peu d’anglais que je sais. Elle est toute charité et douceur. Elle me raconte une mésaventure curieuse de ses débuts. Elle avait invité à un tea de bienvenue les chefs Batutsi des alentours. Pas un n’était venu! Toute triste, elle crut d’abord à de l’hostilité. Alors seulement on lui révéla la répugnance des Batutsi à prendre de la nourriture en présence d’autrui.
Du parloir, où je cause avec cette dame, pendant que les messieurs visitent les bâtiments d’un nouvel hôpital, la vue donne sur le lac Mohasi. Il est aussi différent du lac Kivu qu’une, grappe de lilas peut l’être d’une rose. L’eau du Mohasi repose dans les mille replis des collines et .offre une floraison de lumière mauve.
Déjà M. P… revenait ; il fallut partir, visiter une autre école en construction, et ‘plus loin, une ferme modèle, et plus loin, une école encore… et plus loin…
Oh! je voulais revoir le Mohasi, avant de quitter l’Afrique. J’irai loger à Kigali, et j’y trouverai bien quelqu’un pour m’amener jusqu’ici…
M. P… m’a dit que plus il voyageait à travers le Ruanda, plus il s’attachait aux Mille collines et aux gens qui les habitaient.
.A Kigali, M. R…, après l’heure de fermeture :des bureaux, .me fit voir et franchir le passage d’eau de la -Nyawarongo.
« Au delà, disait-il, c’est la pleine brousse, les collines y reçoivent si peu de pluie que les incligène.s les ont délaissées. Pas d’habitants. »
La route n’était guère qu’une piste élargie. Elle s’affaissait sur la rive, comme si à la tombée du jour elle se sentait très lasse. On la voyait sortir de l’eau de l’autre côté de la rivière. Elle semblait avoir plongé sous le courant chargé de sédiments rouges. Le ciel de cinq heures y mêlait des reflets de cuivre terni. La Nyawa-roue avait l’air d’une très vieille rivière lourde d’expé-rience. A côté de la route, sur un renflement de terrain, les huttes des passeurs fumaient. C’était l’heure où l’on cuisait les repas à l’intérieur de ces demeures de paille. Point de cheminée. Chaque hutte était transformée en cassolette. La fumée s’échappait par les toitures ovales, ainsi la paille séchera et la vermine périra. On préparait le sorgho, les haricots, l’éleusine, et peut-être ici, près de la rivière, du poisson. Les femmes accroupies, immo-biles au seuil des huttes, semblaient rêver. Les enfants jouaient et se culbutaient en silence. Le paysage, gagné par la nuit, avait une sérénité presque douloureuse à force d’intensité. Les choses et les gens, sur le point d’être engloutis par l’obscurité, semblaient ignorer qu’ils renaîtraient à l’aube de cinq heures.
« Je voudrais, dit M. R…, je voudrais passer la nuit dans un de ces nids d’êtres humains, à même le sol, dans Mais nous n’y résisterions pas. Huit jours de vie dans cette hutte sur la berge de la Nya.warongo et les mous-tiques nous donneraient la malaria ; les poux, le typhus. -us Y Prendrions des -tiques, .des ulcères, des parasites intestinaux… Je suis -souvent vexé par l’obligation de -s’enfermer dans une ‘tour d’ivoire de prophylapies, de baignoires, d’antiseptiques, d’eaux bouillies et filtrées, de quinine, de viandes trop cuites… Nous restons,. sous peine de mort, isolés de tolite la vie humaine d’ici. Nous ne touchons les animaux que par un coup de fusil, les gens que par le truchement de notre autorité et de leur méfiance. Ils vont, ce soir, s’endormir comme on meurt, dans ces tas de foin, pour renaître avec le jour, et je voudrais mourir dans le sommeil avec eux et
renaître avec eux, à l’aube… »
L’aube, je ne la connaissais que de la fenêtre de ma chambre d’Européenne, à Astrida. Mais même ainsi, l’aube était un miracle au Ruanda. Une latitude équa-toriale combinée avec une altitude qui, en Europe, touche aux neiges éternelles… Et ici, au bord de cette vieille rivière si fatiguée le soir, elle devait être -ùne émouvante merveille.
Cependant, le paRgeur avait fait disposer les planches d’accès au bac transbordeur. Quand la voiture s’en-gagea lentement sur la berge, il ôta gravement son vieux feutre troué, pour montrer qu’on était dans la bonne voie. « Oui, les roues sont bien placées, elles ne quitteront pas les planches… » Le bac fut halé à force de bras sur la rive gauche de la Nyawarongo, où les piétons ne s’engagent qu’armés d’arcs et de lances, et les gens en auto, munis de leur carabine. Des ibis noirs rega-gnaient la forêt; ils avaient des silhouettes hérissées et anguleuses d’oiseaux de la tentation de saint Antoine, dans un tableau de Iliéronimus Bosch… Les aigrettes blanches semblaient émettre de la clarté, chacune était comme une petite lune blanche posée au bord de l’eau. Deux toucans gauches, lourds, efflanqués, le cou tendu et prolongé par l’énorme bec, volaient vers le couchant, à la queue leu leu, comme s’ils avaient été enfilés à la même ficelle.
La forêt allait s’endormir, chargée confusément d’oiseaux et d’animaux, les plantes s’apaiseraient, et les
huttes protégeraient le sommeil humain. Seule la
rivière devait continuer son travail, toujours, et toujours,
avec ses crocodiles et ses moustiques, et toujours, et toujours charrier les sédiments arrachés au sol. De là vient la détresse des crépuscules au bord de l’eau. Point de repos pour l’eau, ni pour la mer, ni pour les cascades. La Rutshuru continuerait à gronder et à se précipiter du haut de ses rochers, et la Nya.warongo poursuivrait sa course éternelle, coulant, s’étalant dans les marécages de l’est, se jetant dans la Kagera, l’accom-pagnant au lac Victoria, et de là…
La nuit était complète. M. R… arrêta soudain sa voiture. Il avait vu, dans les fourrés, le reflet des phares s’allumer dans les yeux d’un grand fauve.
« Un léopard », me souffla-t-il.
Il mit le moteur en sourdine, se fixa une lampe au front et prit sa carabine. Puis il ferma les vitres de la voiture « Parce qu’on ne sait jamais… », et je me trouvai seule à suivre des yeux le point lumineux de la lampe, dans la quête au léopard de mon compagnon.
La petite lueur s’arrêtait parfois, puis repartait, et faisait un détour, parfois je ne voyais qu’un. léger faisceau lumineux, puis je la perdis tout à fait de vue, et j’éprouvai la grandeur de l’obscurité. Cependant, la lumière reparut, revint e léopard, coulé dans les broussailles, avait édlappe.
n peu après nous avons repris le bac. Nous ne distinguions même plus les huttes sur la berge, et, jusqu’à Kigali, aucun .regard humain ni animal ne refléta plus nos phares.
Quand nous aperçûmes, de loin, de la lumière, ce. fut non pas celle de l’ogre, mais celle du poste des blancs.
Avant d’aller au Mohasi, je revis encore la Nyawa-rongo. Le docteur G…, de passage à Kigali, disposait d’une heure de loisir. Il me mena à un endroit singulier où la rivière traverse une brousse incohérente. L’eau gaspilleuse n’y rendait pas fertile la vallée. Nous avions contourné l’énorme mont Kigali pour y arriver. Ce fut un mont royal, sorte de bastion de la puissance des rois Batutsi…
Près d’une crique formant abreuvoir, un troupeau
de petits cochons noirs, sous la garde d’un berger à
houlette et en haillons, s’abreuvait goulûment. Je
pensai au voyageur harassé du camp de la Ruindi : « Si un crocodile saisit un buffle au mufle…» Eh ! que ferait-il d’un de ces petits cochons grassouillets !
La colline de Gasabo est située à l’ouest du lac Mohasi. La légende dit que c’est là que le dieu Imana suscita les premières vaches. Elles descendirent du ciel, et il les donna aux enfants du héros Gasani.
Il semble certain que ce soit à cet endroit que les pasteurs hamites s’arrêtèrent après une migration sécu-laire, et peut-être millénaire. L’eau du Mohasi, dépourvu de crocodiles, plaisait au bétail, et les berges dente ees – rendaient facile l’accès des abreuvoirs. Les pâi rages aux abords du lac, savoureux et doux de pentes, résistaient aux saisons sèches.
Gihanga, nommé « Le Fondateur », le premier des rois légendaire de la dynastie du Ruanda, s’y fixa une époque que les historiens actuels font dater du xje siècle. De là, les Batutsi conquirent peu à peu tout le pays, composé alors de nombreux petits royaumes. A Rutare, près de la colline de Gasabo, j’ai pu voir les vestiges d’une sépulture royale… des arbres, des arbres inusités, que l’on ne coupe jamais, ficus et euphorbes terminées par la grande touffe feuillue, comme ceux où perchaient les vautours dans la savane du lac Édouard. Les rois Batutsi furent très tôt maîtres de Kigali et de sa montagne imposante. Le premier des « modernes » historiquement connu, Ruganzu, y régnait déjà à la fin du xve siècle. –
Pour aller de Kigali au Mohasi, on roule dans un pays plus âpre qu’aux abords d’Astrida ou de Nyariza… C’est la Buganza, et l’on passe dans cette longue vallée sauvage qui mène à la Mission de Rvvarnagana. Le petit royaume de l’Est, le Gisaka, où se trouve aujour-d’hui le poste administratif de Kibungu, fut rudement défendu par ses princes. Il fallut aux rois du Ruanda sept expéditions pour s’en rendre maîtres. Et le Gisaka ne fut subjugué qu’en 1853. Alors seulement les tam-bours royaux des souverains de l’est tombèrent aux mains de Mutara II. M. A. d’Arianoff 1 cite à ce sujet une curieuse circonstance :
« Quand les Biru du Ruanda ouvrirent en grande
r. Histoire des Bagesera, souverains dzt Gisaka, Institut royal colonial belge, 1952.
cérémonie le: Tambour Rukurura, ils trouvèrent sous sa
-peau tin rameau de l’arbre umugertge et quelques feuilles ,
:ad tabac. L’uniugenge était un arbre maléfique, le tabac
représentait l’exthiction de la _vie : cendre ‘et -fumée. .Les Biru de Gisaka -avaient donc eu le temps de substi-tuer aux talismans que .recélait Originairement le Rukunira, des symboles présageant sa fin (tabac) et les malédictions du Gisa.ka à ses vainqueurs (umugenge). » On sait qu’au Ruanda, le tambour royal équivaut au trône, à la couronne, et au sceptre d’Occident. -Après Rwarnagana, le pays redevient essentiellement pastoral. Ce beau dimanche où R… m’emmena au Mohasi, le soleil était déjà haut, la vue portait loin, et les troupeaux, de plus en plus nombreux à mesure que nous nous rapprochions du lac, bougeaient peu. Les vaches aux cornes immenses, immobiles dans la chaleur, avaient déjà recueilli leur ombre sous elles. Dans cette ombre, . dormaient, réfugiés, les quelques moutons adjoints à toute assemblée de vaches.
Or nul, sauf les Batwa infâmes, ne mangerait du mouton. Animal inutile et méprisé, il n’a qu’une seule raison d’être dans les troupeaux. Il attirera sur lui les coups de tonnerre, afin que la foudre épargne leurs Seigneuries les Vaches. Une entente s’est doucement établie entre les animaux, comme entre le sébuja et son vassal. Ainsi la vache permet-elle au mouton de se blottir dans son ombre, aux heures où le soleil est dur. En cas d’orage, le mouton offrira sa vie. Les gardiens de bétail le savent. Chaque vache a aussi à son service une demi-douzaine d’oiseaux pique-boeufs. Perchés sur ses flancs, sa tête, son dos, ils picorent, de leur bec rouge-sang, les parasites dont souffre la vache honorée. D’autres oiseaux aussi sont des amis, Les gardes beufs, tout blanc, de taille d’un vanneau, fouillent sous les .sabots de la vache l’herbe remuee, leur piétinement et arrachée- par leur mufle. Ils se nourrissent des insectes dérangés par le Seigneur Rumi-nant. Le jour s’écoule lentement, dans la paix et l’en-tente parfaite des vaches, des -moutons, des pique-boeufs et des gardes-boeuf… La nuit les retrouvera calmes au bord du sommeil, à moins qu’un léopard ou un lion ne se mette en chasse. Mais, dès la tombée
du jour, les appels des pâtres se répondent de colline en colline, les huttes se transforment en cassolettes, les troupeau X seront à l’abri dans les rugos, clôturés par l’euphorbe et fleuris par l’érythrine, d’où les feux des bergers écarteront les fauves.
Le lac Mohasi ne naquit pas, comme le Tanganyika, d’une faille géologique… Les vallées inondées lui donnent sa forme dentelée. Vu sur une carte, il res-semble à une feuille de fougère. Il atteint, dans sa plus grande longueur, une quarantaine de kilomètres.., ce que l’on nomme ici « un petit lac». S… avait passé plu-sieurs années dans la région du Mohasi, qui restait pour lui le plus attachant des lieux. C’est là, dans un de ces golfes minuscules, qu’il vit un jour danser trente couples de grues…
Nous avions contourné le lac par le nord;dépassant la
•Mission de Gahiné, ses hôpitaux, ses gazons verts, ainsi étions-nous parvenus au « guest-house » de M. X…
•Il habitait le Mohasi depuis dix ans… mais, comme je lui en vantais la beauté et la séduction, il soupira et me dit:
« Oui, le Mohasi n’est pas mal… Mais que n’avez-vous vu les lacs de l’est I Le Mugesséra, l’Uléma… et cette formidable région de marécages et de papyrus… Ici, quand je veux voir des zèbres, il me faut faire de nombreux kilomètres; et ‘figurez-vous ,qu’il n’ y a plus eu de lion par ici depuis deux ans ! »

n.si, dans l’enchantement der. MOhasi M. X… était esté fidèle aux marécages de l’Est, et, dans la douceur des collines cultivées d’Astrida., S… avait gardé son amour au. Mohasi…
M. ancien prospecteur, chasse maintenant,
pêche, élève de la volaille et des porcs, et tient cet hôtel i
familial dont l préside la table avec sa fille. Près de Mlle aux boucles blondes, voici une jolie jeune mulâtresse, Léa. M. X… l’a recueillie et élevée à la mort de son père. Elle et Mlle X… font un contraste romanesque… Mais où Mlle- X… a-t-elle ainsi cultivé ses goûts ? Sa collection de disques la démontre bonne musicienne, des reproductions de tableaux modernes bien choisis ornent les murs, et elle me parle de livres comme quelqu’un qui a beaucoup — et bien — lu. Je vois sur les rayons de sa petite bibliothèque Gide Claudel, Malra.ux, et des fascicules de la Table Ronde. Élevée dans cette solitude, elle est plus européenne que bien des jeunes femmes d’ingé-nieurs ou de fonctionnaires venues tout droit des vieux pays… Et pourtant, lorsqu’elle nous conduira dans son bac motorisé, à travers le lac, tête nue, manoeuvrant gouvernail et moteur avec une adresse virile, lorsqu’elle sautera à l’eau sans souci de sa robe de coton, pour mieux amarrer l’embarcation, je comprendrai que; toute cultivée soit-elle, c’est la seule jeune fille blanche vraiment « Ruandaise» que j’aie rencontrée. Vivant ici, ne pensant point que l’on pût vivre ailleurs, elle était aussi vraie, dans ce paysage, que les oiseaux et que le lac. La jeune mulâtresse, dix-sept ans, captivait le regard par une allure agreste d’antilope.
ousvoguitms donc sur ce Mohasilégeridair de ces collines si doucement -déroulées .est Gasabo ? Laquelle de ces criques celle où s’abreuvèrent avec tant• de joie les vaches de-Gihanga? Les troupeaux bougeaient• sur les collines en pente. L’oeil ne se lassait point de ces lentes ondulations, ni de ces doux pâturages, ni de ces longs troupeaux. Je me plaisais à répéter mentalement quelques-uns des vingt-deux termes qui désignent les robes des vaches et que je rn’étnis amusée à apprendre par coeur : Ikihagi-brun-foncé, Igaju-brun-clair, Ikijugu-gris.., les joyaux, les bijoux chers aux gens du Ruanda… sans doute ce troupeau-là, aux très belles cornes, rentrera-t-il ce soir pour là coutume Intarama de Gutarama„ la traite chez un ‘grand chef… Et ces ber-gers-là chanteront-ils autour des feux l’un ou l’autre des beaux poèmes pastoraux recueillis par Kagarné… et les pâtres se querelleront longuement sur les mérites respectifs des reines de leurs troupeaux… Les chefs envoient ici leurs plus belles vaches, leur richesse, qui leur permet de vêtir de crêpe de Chine et de souples pagnes mauves et blancs leurs fragiles, douces et dis-crètes épouses aux grands yeux, au cou de cygne, à la
•démarche élégamment bovine…
Autour de notre embarcation, effrayés par le bruit du moteur, des oiseaux se lèvent, volent, et vont se cacher dans les hautes herbes des rives. Ibis, canards, sarcelles, et ces lourdes oies du Nil, et tant et tant d’hirondelles qui brodent l’air de leurs crochets. La loutre de rivière
•aussi habite le Mohasi. La douceur de l’air sur cet immense étang me ravissait. Le parfum d’une vaste,
•pure et tiède eau douce… Ce n’était pas loin de là que les deux frères -Batutsi narguèrent par leur danse le lion couché sur une génisse morte…
En rentrant, à l’heure du thé, an guest-house, nous trouvâmes plusieurs hôtes qui venaient d’y arriver Un ingénieur de la mine voisine, un prospecteur, aCCOM-iIené.s de leurs jeunes femmes fort élégantes: J’entendis nidn compagnon demander à l’une d’elles, récemment venue d’Europe : « Vous plaisez-vous en Afrique, madame ? » La- belle enfant répondit : « Oh ! oui, monsieur, quand les boys ne rn’em… pas trop…». –
Cependant le phono de Mlle X… nous offrait un Concerto brandebourgeois, et la petite mulâtresse Léa servait le thé avec un joli raffinement de gestes. Le soleil baissait de l’autre côté de la nappe d’eau. Le.
lac se mit à scintiller, changer de couleur, puis il réprima toutes les vaguelettes, toutes les petites rides, jusqu’à n’être plus qu’un pur miroir de lumière.
On me dit que là-bas, dans la direction de l’Ouest, subsistaient encore d’anciennes hypogées, et que cer-tains jours, à l’aube, les pâtres y venaient danser et suspendre des fleurs.
Au retour vers Kigali, je demandai à M. R… de s’arrêter un moment à un endroit où la route frôle le lac… et je pus ainsi imaginer la nuit des guetteurs de lion. Ntaré nom royal…, puis la lune monta.
A mi-chemin de Kigali, R. R… ralentit. Il m’in-diqua du doigt, dans l’ombre, une colline abrupte :
« La demeure de la sorcière capturée jadis par le résident S…, dit-il. Vous a-t-il raconté l’histoire, lors de votre première visite ? »
… Bien qu’il y eût longtemps de cela, l’étrange his-toire était restée présente dans ma mémoire, jusque dans ses détails. je revoyais le lieu même où M. S… me l’avait racontée.: le patio des Bernardines où le soleil déclinant derrière le -Mont Kigali envoyait de grandes ombres et -de grandes lumières. Je me souvenais du visage énergique et bien dessiné du narrateur, de sa pipe, du mouvement de ses lèvres d’où naissait le, sur7 _prenant récit
A l’origine, il y_ eut une femme nommée Billéko. Six ou sept générations avaient vécu depuis sa mort, mais elle était devenue l’objet d’un culte, se réincar-nait dans ses prêtresses et leur a.ecordait le don de pro-phétie. L’une de ces pythonisses, Nya Nyabikii, avait acquis, voici une vingtaine d’années, un tel prestige que sa tyrannie s’étendait au loin. Dès qu’un malheur s’abattait sur une colline : mort d’enfants, maladie des parents, peste bovine, ou la pire de toutes les cala-mités, naissance d’un veau difforme, la sorcière Nyabiki était consultée.
En paiement de ses médicaments et de ses oracles, elle exigeait qu’on lui livrât des adolescents. Les filles devenues sa propriété elle les vendait, nubiles, au prix
1\
d’une vache. Ainsi propriété, en vint-elle à posséder de
grandes richesses, c’est-à-dire de nombreux troupeaux dont les jeunes garçons, réduits en servitude, prenaient soin, tout en cultivant ses champs de sorgho ou d’éleu-sine. Ce trafic de jeunesse prit de telles proportions que l’Administration décida d’y- mettre fin. Il fallait arrêter la sorcière. Opération dangereuse, car le repaire était gardé- et défendu par les nombreux serfs de Nya-biki, et l’accès de la demeure, malaisé. Cependant, M. S…, alors tout jeune lieutenant, réussit, et délivra, sans que le sang coulât, trente jeunes gens et jeunes filles livrés par leurs parents. La ‘ sorcière fut emmenée à Kigali. Agée apparemment de plus de quatre-vingts ans, et se voyant ainsi bravée dans sa puissance, elle fut
rise de transes de colère -et mourut en cours de route, étouffée :dans ses imprécations.
Or l’effroi -qu’elle avait inspiré était tel que les parents des petits prisonniers n’osèrent pas reprendre !durs enfants. M. S.,, connaissait la mère de l’une des jeunes filles, et il la vit renier son enfant, affirmant que cette fille ne lui appartenait point…
Les captifs de la. sorcière restèrent plusieurs mois à la charge de l’Administration, fort embarrassée de les loger… Pas un clan, pas une colline n’eût osé les accueil-lir… A la longue, en voyant les captifs et les vainqueurs de Nyabiki rester en bonne santé, et constatant que nulle calamité et nulle absence de pluie ne châtiait le pays, les parents reprirent un à un, timidement, leurs enfants.
Pendant le trajet en avion d’Athènes au Caire, l’air-hostess a soin de prévenir les passagers au moment où l’on survole l’île de Crète. Chacun alors se penche aux hublots. On la reconnaissait bien, cette forme dentelée, étalée dans la mer, entourée du fin liséré blanc des bri-sants… Elle dormait ainsi dans nos mémoires avec les atlas refermés depuis le temps de l’école. La Crète et le Minotaure, auquel il fallait payer chaque année un tribut de sept jeunes hommes et de sept jeunes filles. Thésée pénétra dans le labyrinthe, abattit le monstre et délivra les captifs. Mais les parents des jeunes Athé-niens libérés ne .refusèrent point de reconnaître leurs enfants.
Le Ruanda n’était pas aisé à habiter, il. y a vingt ans. J’ai vu, chez le Résident D…, la photo d’un grand python, tué au seuil de la tente où dormait Mme D…
Heureusement, depuis novembre 1931, lorsque le roi Musinga perdit le trône, les empoisonneurs de la haute Ruzizi perdirent tout pouvoir à la cour

Une piste permet d’accéder en voiture au sommet du mont Kigali. Le juge et ,Mme S… m’y ont. -menée. Il faut un chauffeur prudent et. habile. Y monter au soleil couchant, et – regarder le vaste panorama. Nous’ voici bien au centre du royaume, peu à peu agrandi depuis que Gihanga, le premier des dix-neuf rois légen-daires, habitait la colline Gasabo

C’est ici, sur ce mont Kigali, que se fixa le Mwarni Mukobanya, surnommé Ki géri le Victorieux. Il avait détruit les hordes Banyoro qui détruisaient tout, « dévorant jusqu’aux feuilles des bananiers, et jusqu’aux rameaux verts des arbustes ». Cela se passait dans cette vallée hirsute où m’avait “menée le docteur G… Kigeri consolida sa victoire en assimilant les survivants Banyoro, qui devinrent ainsi eux-mêmes les défenseurs des terri-toires appartenant au Mwami du Ruanda- L’abbé Kagamé indique la date approximative de 1460 à ce fait d’armes célébré dans la poésie dynastique du Ruanda :

Mukobanya est trop fameux,
je ne saurais lui barrer le passage…
… commence, le défenseur des vaches
Déjà du vivant de son père…
… Il se leva pour le combat nocturne,
Il est le batailleur armé de la javeline
Dont il transperça le sauvage du Bugoyi…

Le fils de Kigéri, Mibambwé, semble avoir été le héros et le preux de ces combats. Or le voisin et allié de Kigéri, Mashira, magicien réputé, avait une fille
nommée Bzira .«.1a. Beauté ». STJ. j, .le fils du roi chassant l’aperçut et la désira. Il fit la demande en
adage, mais la jeune fille lui fut refiisée, comme étant ttéjà promise à un chef habitant le nord du lac Kivu. Mibambwé, en fureur, franchit la Nyawarango, dont nous pouvions voir briller – les méandres du haut du Kigali… L’art et la magie de Mashira cédèrent devant la violence du jeune homme. L’amour fut victorieux et Mibarabwe s’installa dans les huttes princières de Ma.shira avec sa chère •Beauté. Le magicien s’était
•donné la mort en se précipitant sur sa lance fichée en terre.
La poésie dynastique apostrophe ainsi le héros Mabarnbwé
Le salut providentiel du royaume, le grand lutteur Qu’il commence, le héros au teint ensanglanté
•A la cicatrice au front, ouvrier du relèvement Qui porte à la figure l’abreuvoir des bovins ; Le Victorieux dont les sourcils devinrent notre arme magique.
Le grand vivant, l’insondable, l’imbattable Qui lutte pour les vaches de son père.
– La grêle les avait surprises au pâturage, Mais sa vue s’obscurcit pour les sauver; Ce front-arrosé-de-sang, Roi héros
Vantez son courage. Que sa désignation au trône soit une
{récompense.
Lors de l’invasion qui nous arriva,
.11 a lutté pour le tambour souverain…
A nos pieds, la Nyawarango s’obscurcissait déjà. L’un de ses coudes est réservé exclusivement comme
abreuvoir-a- une partie du bétail royal dé Mutara Charles Ruclahig-wa, fixé en sa résidence ‘cle Nyanza.
Des présences royales de jadis, au sommet du mont• Kigali, rien ne reste, que les arbres des sépultures. En ce mois de mars où la saison des pluies débutait et char-geait l’atmosphère de Mouillure, le rougeoiement solaire dans le ciel de six heures s’étendit jusqu’au zénith et embrasa les trois quarts de l’horizon. A l’est, il se réver-béra dans l’accumulation des nuées. Ce soir-là, où nous parlions de rois et des combats de jadis au sommet du Kigali, l’illumination s’éteignit lentement et finit par quatre immenses rayons roses projetés dans le ciel nettoyé de nuages et d’un bleu d’aigue-marine. J’aperçus plusieurs fois de tels rayons, d’une régularité géométrique, à Kigali, et ne saurais les expliquer. Peut-être proviennent-ils de l’ombre opposée au soleil, déjà sous l’horizon, par des collines de forme conique, comme il en est tant…
Déjà Vénus flottait au fil de la clarté fuyante. J’au-rais voulu que Vénus fût nommée ici Bzira, la Beauté, comme la princesse conquise par le prince Mabambwé. Mais, au Ruanda, elle n’est que la vassale de la lune, Urriugaragu.
***
En revenant de Kigali, aux approches de la moderne Astrida, M. A…, directeur de la Régie des Eaux, m’expliqua que presque tous les points où l’eau pouvait être atteinte aisément avaient été trouvés par les indi-gènes. On s’occupait maintenant à transformer ces sources en fontaines aménagées… Malheureusement, les bords en étaient aussitôt salis, pollués… et le débit, souvent ne subissait pas (à compléter page 226)
reste des décors construits pour le film des Mines du roi Salomon ? C’est ici.., des vestiges royaux,..»-
Une large route construite par les cinéastes améri-cains s’embranche à la route d’Astrida. Voie royale, déjà rongée par une érosion qui dénote plusieurs saisons des pluies, sans entretien. Elle aboutit à une grosse bâtisse en briques, sorte de gîte, où l’on avait garé les accessoires. Un sentier la contourne, et l’on trouve un système complet de huttes royales, bien plus impor-tantes, plus étendues que la hutte de luxe de la « Dame au Zébricorne ». Le plan en est le même : grands cercles greffés de cercles plus petits dans lesquels s’incurvent d’autres cercles encore. On retrouverait le plan de cet ensemble dans une eau calme où tomberaient des gouttes de pluie de grandeurs diverses.
Pour construire de telles paillotes, on a dû faire venir des bâtisseurs du Nord, où l’art d’édifier des demeures royales n’est pas encore oublié. Ceux d’ici ne sauraient comment s’y prendre. Les huttes des cinéastes ont la même forme, la même disposition que la hutte de luxe de Murambi, elles sont aussi plus vastes, mais quant au travail… Il y avait entre ces deux demeures la même différence qu’entre un coffret ciselé et une caisse d’emballage, entre un palais et un décor représentant un palais. Seuls la colline, le paysage, la lumière res-taient vrais. Pour le film, l’effet était donc obtenu. Mais ici, pas de fins plafonds de vannerie, ni de panneaux « de haute lisse », ni d’âtre de fin argile, ni de lit majes-tueux pour le chef.
Le combat qui termine le film s’est déroulé dans le
clos. L’oncle usurpateuret le de ccliii qu’il a-détrôné avaient -été-bien choisis, pur e parmi les. Batutsi. S’ils mimèrent à. mira
ment et combat à mort, c’est qu’ils gardaient en eux l’héritage des attitudes nobles -et des défis Princiers. Ils ressemblaient trait pour trait aux deux ‘frères qui défièrent un lion dans les collines du Mohasi, et firent reculer le fauve sous leurs insultes incantatoires.
Les huttes qui figurèrent les huttes royales se dégradent déjà. La paille s’effrite, la toiture fléchit, les insectes rongent les piliers de bois. La proximité d’une auto de blancs avait attiré des gamins et un infirme qui se traînait sur deux bâtons. Ils mendièrent.
Ces huttes ont été photographiées des ‘milliers de fois. Le film leur a pris en même temps leur âme et elles en sont mortes. Ainsi est prouvée la croyance des Banya-ruanda que l’image des objets, comme leur ombre, leur appartient, et qu’on ne peut la leur dérober sans leur
nuire.
Le mont Kigali, résidence de Kigéri le Victorieux et de tant de ses successeurs a gardé des arbres, ficus nobles, euphorbes mystérieuses. Ici, de la superbe fiction, ne restent que des haillons poussiéreux, et sans doute le film lui-même est-il déjà tombé dans l’oubli.
Ni passé, ni fiction, Nyanza est la résidence du Mwami actuel Mutara III Charles Rudahigwa.
Non loin de Nyanza, au tournant de la graneroute bâtie par les blancs, ombragée par les eucalyptus qu’ils ont plantés, une échappée montre l’un de ces magni-fiques paysages où les collines se déroulent à l’infini.
Au bord même de la, route, ,on volt des, roches .une nature particulière. Non pas friables et -1a.térisées, mais un roc dur, verdà’tre. Ces pierres, dont l’une est couchée
_que horizontalement, ressemblent un peu à un autel druidique. –
Mon compagnon a arrêté la voiture : « – La fameuse pierre des supplices, dit-il. On mettait à mort ici les ennemis du roi, condamnés par lui. Toute grande famille Mututsi se souvient de cette terreur-là. — Dans ma famille, m’a dit l’abbé Kagamé, trente de mes ascendants, oncles et cousins, périrent dans les supplices… Non, nous ne l’avons pas oublié. » L’auteur de la Divine Pastorale, en disant cela, gardait pourtant le sourire secret dont nous ne devinerons jamais la vraie signification.
Une fois, le condamné fut sauvé. Le récit en est fait par Louis de Lacger. Le Mwami en voulait à l’un de ses seigneurs. Il ordonna qu’il fût mis à mort d’une manière particulièrement cruelle. La pierre du supplice serait à l’aide d’un feu ardent rendue brûlante, comme on fait pour cuire les pains. Le condamné y serait alors couché nu et tourné et retourné jusqu’à ce qu’il mourût Au moment du supplice, une soudaine révolte secoua les exécuteurs. Ils s’emparèrent du Mwami, et le couchèrent, lui, sur la pierre préparée pour brûler son ennemi…
Aujourd’hui un magnifique et paisible paysage… De légers lézards étaient posés sur la pierre du supplice, comme la pie sur le gibet dans le tableau de Breughel.
Le Mwami habite une agréable demeure dont le salon d’accueil, ouvert sur une terrasse, est correcte-ment et solidement meublé de fauteuils clubs et de quelques armoires basses, sur lesquelles sont posés des ivoires sculptés. Au mur, en panoplie, les cinquant ances historiques ,dont seul l’aveugle Kayihura put trouver la signification.
Mwarni est un homme d’une quarantaine d nets: Il mesure plus de deux mètres. :Cette stature, les yeux laies, la tête ovale, la denture proéminente, l’ai sance des mouvements, la distinction d’allure, la voix un peu sourde, tout en lui appartient à la pure race des Batutsi. Il ressemble à, ses ancêtres, comme les Habs-bourg ressemblent à Charles-Quint. Le visage de
Mutara, III est couvert d’un voile de mélancolie; ou d.e douceur, ou bien serait-ce une sorte de barrière qu’il met entre lui et les Européens? Devant cet homme, que l’on devine fort intelligent, on se demande s’il livre jamais
rien de sa personnalité aux étrangers. Je lui pose des questions sur ses admirables troupeaux Inyambo – et sur ses danseurs magnifiques. Il répond avec modération et précision que les frais occasionnés par l’entretien de ces deux institutions d’art national sont- devenus immenses. Les vols de vaches atteignent un montant de cinq cent mille francs par an… Il faudra bien chan-ger le système des troupeaux donnés en fiefs… La tran-sition sera malaisée…
L’épouse du Mwami, Dame Rosalie, est présente, gra-cieusement drapée de pagnes élégants, sur la chemise ronde en crêpe de Chine blanc. Elle est coiffée à l’égyp-tienne, et ses beaux yeux de génisse ont le regard très pur. On sert des rafraîchissements…
Le Mwarni se lève poliment pour reconduire ses visi-teurs. Nous voici sur la terrasse de son petit palais, devant une esplanade d’où la vue plonge au loin dans le Pays des Mille Collines. Ce jour-là, le ciel nettoyé par la pluie montrait, durement dessinés sur l’horizon,
De Vaht le palais circulaient les grands de la cour Certalta vetus de ( à compléter page 230)
de pagnes flottants comme’ des toges romaines et portant en main leur haute lance. Point de femmes parmi eux: On apercevait sur la gauche, parmi ‘les eucalyptus, un édifice en briques rouges. Le tribunal indigène et la salle des conseils du Mwami et des seigneurs qui lui servent de ministres. Li bâtisse était entourée d’une foule qui se répandait des parvis jusque sur le terre-
plein. Mais les foules, ici, ne bourdonnent pas comme en Europe. Elles attendent. Elles n’attendent même pas. Elles existent et se déplacent avec le temps qui passe.
Cependant, Mutara III avait les yeux fixés- sur le
grand paysage. D’un geste de la main, il me le montra
et dit :
C’est beau, n’est-ce pas ?
— Oui, Mwarni. »
Ainsi, le voile qui le sépare de ses interlocuteurs fut levé un moment. Il avait certes deviné que je m’étais mise à aimer son pays. Lui, le paysage qui se déroulait sous nos yeux l’émouvait. Peut-être avait-il pris cons- cience de sa beauté à cause de son voyage en Europe. Bien des choses surprenantes y sollicitent l’attention. Mais il restait le souverain d’un pays pastoral où les aèdes récitent en son honneur de beaux poèmes :

Le souverain que voici a bu le lait trait par Dieu
Et nous buvons celui qu’a, son tour il trait pour nous.
A Rwaniik, le lait s’étale abondant,
Une seule vache qui vêle en sa demeure est gage de félicité.
Qu’ils soient remerciés ici ceux qui m’ont aidée à connaître le Rwanda.
Mes enfants, Jean et Antoinette Sehuermaris, sant’leSqù Ce livre 12i:tirait- Pu être .écrit. MM. le commissaire provincial du ‘Ruanda-Urundi De Ryck; le commissaire de district, Marcel Des:saint.; G. San-
Résident à Kigali en ,1948; Léon Brunee,l, POtraco; l’administrateur Labiau, à Ki.senyi; l’administra-teur Antonissen, à ‘Astrida; M. Dryversi conseiller du-
Ceux qui ont bien voulu m’emmener dans leur voiture et me faire voir diverses régions du – Ruanda et de PUrun.cli, tout en m’expliquant bien des choses MM. les docteurs Laurent, Ducuroir, Panier et Gceyevaerts, méde-cins au Ruanda; le R. P. Gesché, supérieur à la Mission de Kigali; M. J.-J. Maquet, chef du Centre de PI. R. S. A. C. à Astrida; le docteur jean Hiernaux, anthropo-logue à R. S. A. C., à qui je dois bien des notions sur les habitants du Ruanda; le docteur Raymond Laurent, zoologue à PI. R. S. A. C.; M. Robert de Wilde d’Estmael, de R. S. A. C.; MM. Pleitinx, directeur du Fonds du Bien-Être indigène; Le Jeune, directeur du Jardin d’Essai de Rubona; Gilet, directeur de l’Arboretum d’Astrida; Robert Régnier, administrateur à Kigali; le Juge et Mme Sacré, à Kigali; le directeur de Minétain et Mme Olbreehts, d’Astrida; le juge I..hamy, à Kitega; MM. Alaerts, directeur de la Régie des Eaux, à Usum-bura; le sculpteur Minne, de Bukavu; la baronne de Witte, artiste peintre à Bukavu; M. Génote, libraire à Usum-bura.
Ceux dont les indications et les conversations me furent utiles et instructives : MM. l’abbé Alexis Kagamé, du clergé indigène; l’abbé Jacques Burije, du clergé indigèen,MM Calixte Rusharaza et Albert Gakwandi.