C. La signification étymologique du nom Muhutu.

30.Que signifie le terme Muhutu, au pluriel Bahutu ?

On a tantôt abordé ce sujet, et on s’est promis d’y revenir en cet endroit de l’exposé. Je dois avouer que la langue du Rwanda ne peut nous venir en aide, de quelque façon que l’on sache. Il faut donc recourir aux langues étrangères, pour tâcher d’obtenir une réponse au moins plausible ! On sait, en effet, que les langues dites Bantu ont un fond commun de mots à portée plus générale (cf. L. B. DE BOECK) ; elles peuvent ainsi s’éclairer mutuellement dans un cas comme celui qui nous occupe. On sait, par exemple, que certains mots de nos vieux poèmes dynastiques, ont disparu de la langue actuelle du Rwanda. Leur signification est connue par les commentaires des aèdes qui se la transmettaient de génération en génération. Or il suffit de trouver quelques lexiques bien faits de langues bantu, pour y trouver confirmation du sens traditionnellement attaché à ces termes rwandais.

31.Pouvons-nous dès lors rapprocher notre mot Muhutu (Bahutu), de Mputu en usage par exemple dans le Kikongo ? Ce mot Mputu signifie : manant, roturier. La question serait alors de découvrir la règle linguistique suivant laquelle la lettre -h- de Muhutu a été transformée en lettre -p- de Mputu. Il s’agit, en effet, de découvrir une règle générale, applicable à tous les termes rwandais comportant la lettre h. Procéder autrement serait un jeu fantaisiste. Or, en comparant nos termes avec quelques autres langues bantu, on constate que notre parler rwandais adopte le h, à la place de p ! Nous devons donner ici quelques exemples :

KISWAHILI  KINYARWANDA  FRANCAIS
kupa              guha                           donner
kupita           guhita                         passer
kuponda      guhonda                     broyer
kulipa           kuliha                       rembourser
kupeta         guheta                         plier
pembe, etc. ihembe, etc.          corne

CILUBA        KIN YARWANDA          FRANCAIS
kupela             guhera                             moudre
kupola            guhora                     être tranquille, se taire
apa                 aha                                    ici
kubipisha     kubihisha                      rendre aigre
bupole          ubuhoro                             la paix
mapassa      amahasha                          jumeaux
panshi          hasi                              à terre, en bas
nsapo, etc. isaho, etc.                       gibecière, etc

KIBEMBA           KINYARWANDA          FRANCAIS
mupini              umuhini                    manche (de houe)
mpali               amahali                      polygamie
mpepo            imbeho                       froid
kupanga         guhanga                      faire (invention)
kukalipila       gukalihira               réprimander
kulipila           kulihira                   payer (pour un autre)
kupusa          guhusha                    manquer le but (flèche)
kupala           guhara                     écorcher, éplucher
pakati           hagati                       au milieu de, entre
panse, etc.   hanze, etc.                  dehors

KISANGA          KINYARWANDA           FRANCAIS
kwapa                ukwaha                               aisselle
kuapa                kwaha                                   cueillir
kupela               guhera                                 aboutir
kubipa, etc.     kubiha, etc.               être mauvais (au goût) etc

32. Ces exemples sont pris dans les langues parlées en zones très distantes du Rwanda. Il s’agit d’une règle vraiment générale, en ce qui concerne les langues consultées. Personne n’hésitera dès lors à mettre en étroite relation les deux termes Muhutu-Mputu. La lettre p du dernier terme ayant été, par euphonie, transformée en h dans la langue du Rwanda. Pour exprimer le concept en substantif, le Kinyarwanda exige que pour les êtres de la 1ère Classe, le radical (en ce cas hutu), soit précédé de Mu- ; tandis que si la forme mputu (mhutu) demeure, alors ce n’est plus un substantif, mais un adjectif :
Mputu Mhutu = propre aux Bahutu, provenant de Bahutu.
Muhutu = un homme appartenant à la race des Bahutu.

33. Concluons : grâce à une étude comparative entre quelques langues bantu et la langue du Rwanda, il nous est possible de trouver une signification étymologique, linguistiquement établie jusqu’à un certain point, applicable au terme Muhutu (Bahutu). Or cette signification (manant, roturier), fait pendant à celle que nous avons déjà attribuée au terme Mutusi (Batutsi):

Mututsi = riche ; suzerain ; immigré.
Muhutu = manant (paysan, roturier).

D’où il appert que les deux dénominations expriment une idée de différence sociale, et indirectement celle de races. On s’explique dès lors les dispositions du Droit politique traditionnel, qui considère comme Mututsi toute personne détenant un grand nombre de vaches, sans faire attention au fait qu’il serait de race Muhutu. Du moment qu’il a accédé à la richesse bovine, il est politiquement Mututsi, tout en restant racialement
Muhutu.

D. Annexe sur l’étymologie du nom Mututsi.

34.Passons en revue ce qui a été avancé jusqu’ici pour expliquer, étymologiquement, le terme Mututsi (Batutsi). Je transcris les passages visés auxquels j’ajouterai des remarques rectificatives ou autres.

1. OPINION DU R. P. SCHUMACHER.

Le R. P. Dr Peter SCHUMACHER, étant donné son opinion sur les Galla en leur rapport avec les Batutsi, déclare ceci :
« Il ne serait pas impossible que nous fassions dériver le nom originaire des Batutsi tout droit de chez les Galla ; dans la langue du Ruanda on ne trouve pas d’explication étymologique de ce mot. Seulement nous avons chez les Galla la tribu des Arussi. En dehors du Ruanda, on dit Batussi pour Batutsi, ainsi de même dans la forme swahilisée Watussi. Dans l’ouest du Kivu, il n’y a pas de t, cette explosive y devient la palatale r : umurhima au lieu de umutima (coeur) ; aussi Barhussi au lieu de Batutsi. La syllabe A dans Arussi devient le préfixe Ba-, comme on appelle aussi les « Deutschen » Badaki ou Badachi (Dr Peter SCHUMACHER, Die hamitische Wahrsagerei in Ruanda, dans la rev. Anthropos, vol. XXXIV, 1939, pp. 130-206. Ce passage se trouve en note, p. 201)

35. Dans la suite, le même auteur a précisé sa pensée dans un livre encore inédit intitulé Landeskunde und Geschichte. Le passage qui intéresse notre matière nous est connu par un autre auteur qui le tient du Dr Peter SCHUMACHER lui-même. Or, ce dernier a fait une recension élogieuse de l’ouvrage auquel nous faisons allusion. Comme il n’a modifié en rien la citation le concernant, il en a ainsi reconnu l’autthenticité, et nous pouvons nous en servir en conséquence. Voici le passage en question :
« Quant au terme de Batutsi, cet auteur (Dr P.SCHUMACHER)…le fait procéder du vocable « arhs », lequel servait à désigner les Gallas du sud de l’Éthiopie, et dont la trace se retrouve dans l’appellation que se donnent encore des éléments hamites du Buhunde, et surtout du Bushi (notamment le clan dominateur des banyawesha en se dénommant « Barhusi ». Or, on sait que ces Hamites du Kivu ignorent la lettre « t », et prononcent dès lors « murhima » (coeur) pour « mutima », comme « murhusi ». Le R. P. Schumacher en déduit logiquement que l’appellation de « batutsi » conviendrait à tous les Hamites descendus de l’Éthiopie vers l’Équateur »

Remarques.

36. Les deux textes mis ensemble nous montrent clairement que l’auteur cité veut résoudre deux problèmes:
1° le changement de A- dans Arussi, en Ba- de Batutsi.
2° la transposition du r dans Arussi, en t dans Batutsi.

Or, en ce qui concerne le 1°, le Ba- n’intéresse pas les Batutsi du Rwanda seulement ; il s’agit d’une particule propre aux langues Bantu en général, au singulier mu, au pluriel ba. Placée devant un radical, cette particule indique que le mot appartient à la première classe, et désigne un être raisonnable. La preuve devrait donc consister en ceci : établir une loi linguistique générale, d’après laquelle les mots des langues Galla commençant par A-, changent cette lettre initiale en Ba- lorsqu’ils passent dans le système des langues Bantu.
En d’autres mots : démontrer que, dans les langues Galla, la lettre initiale A- est l’équivalent de la particle Mu (Ba-) des langues Bantu. On voudra bien noter que je n’affirme pas plus qu’il n’est nécessaire : je ne dis que ceci : a) le changement de A- en Ba- n’intéresse pas le cas des Batutsi seulement, mais le système général des langues Bantu de nos régions. Qu’en conséquence, il faut déplacer le problème des Arussi- Batutsi, et le mettre à sa véritable place ; à savoir entre les deux systèmes des langues Galla-Bantu. b) J’affirme, en plus, que l’on ne peut rien avancer sur le terrain scientifique, sans partir d’un principe établi fermement auquel les résultats doivent se référer, comme à un critère de contrôle, de vérification.

37. En ce qui concerne le 2°, à savoir la transposition du r dans Arussi, en t de Batutsi, je dois faire remarquer que l’auteur cité a interverti la marche logique de son raisonnement. Au lieu de prouver comment le r de Arussi est devenu le t de Batutsi, il a tenté d’expliquer l’inverse : comment le t se change en r. La nuance qu’introduit cette interversion a une très grande importance. Il est aussi bien certes de procéder par une argumentation a priori qu’a posteriori, mais à condition que l’aboutissement des deux méthodes, au sujet d’un même problème, soit équivalent ou même identique. Or, ce n’est pas le cas ici. Je m’explique :
L’argumentation a priori, dans le cas précis des Batutsi, serait d’établir une règle générale suivant laquelle les mots Galla, comportant la lettre r, transposent cette lettre en t, lorsqu’ils passent dans le système des langues Bantu, ou du moins dans celle du Rwanda. Or ce travail n’a pas été fait, et d’autre part le processus adopté par le Dr Peter SCHUMACHER n’y aboutit pas.

38. L’argumentation a postoriori, qu’a employé l’auteur cité, tente de démontrer que le t de Batutsi se transmute en r des Arussi. Or, cette voie n’atteint pas le but poursuivi, et je m’expplique :

a) La forme Arhs que l’auteur a naguère introduite, pour faire écho à ce rh des langues Mashi, n’a pas été accompagnée de quelque référence ! Nous ne pouvons donc consulter et vérifier cette source où l’auteur l’a puisée. En tous les cas, les Galla consultés à cet effet, m’ont déclaré ceci : C’est une forme incompatible avec nos langues, car les deux lettres du milieu (arhs) ne peuvent être prononcées sans voyelles. La réponse a été la même du côté des Abyssins auxquels la même question avait été posée. D’autre part, chez les auteurs, aucune trace de cette forme arhs. En conclusion: le rh des Bashi doit être interprété comme un phénomène linguistique régional.

b) La présence de ce rh s’explique justement par l’absence de la lettre t qu’il doit remplacer dans la langue envisagée. Ceci trouve son explication dans la loi linguistique générale suivante : Tous les mots de la langue du Rwanda comportant la lettre t, changent cette dernière en rh lorsqu’ils passent dans les langues des Bashi, et apparentés :

KINYARWANDA MASHI
umUTIMA (coeur) omurhima
ubutare (minerai de fer) oburhare
umututsi (hamite) omurhusi
imbuto (semence) emburho
amata (lait) amarha
ubwato (barque), etc. obwarho.
Je ne puis que renvoyer à l’ouvrage du Dr SCHUMACHER, Die Physische und Soziale Umwelt der Kivu-Pygmâen, Bruxelles, 1949, vol. I, pp. 374-435, où l’on trouvera un recueil de mots Kinyarwanda, Gihunde, Mashi et Matembo en colonnes parallèles.

Comme une autre loi linguistique veut que tous les mots kinyarwânda comportant la lettre h, la changent en w lorsqu’ils entrent dans la langue du Buganda (Ainsi les mots umuhungu (garçon), guhanuka (tomber d’un plan supérieur) etc., deviendront en Kiganda : umuwungu, Kuwanuka. Je ne veux pas dire que tous les mots ainsi transposables se trouvent effectivement en la langue du Buganda, mais qu’ils deviennent tels toutes les fois qu’un Muganda tentera de les prononcer, même lorsqu’il parle le Kinyarwanda. Les Baganda n’ont pas la lettre h, et en général ils n’arrivent pas à la prononcer.)
Comme une autre loi dispose que tous les mots kinyarwanda comportant la lettre y, la transforment en j lorsqu’ils passent dans le Gihima, parlé dans les régions situées au nord-est du Rwanda (Ainsi par exemple, les noms propres communs aux deux zones : le Kinyarwanda portera Kavuga, Buvumo, Kavuma, Kavugiro, où le Gihima transposera en Kajuga, Bujumo, Kajuma, Kajugiro, etc.)

39. De la sorte, le changement de la lettre t du kinyarwanda en rh du Mashi, n’intéresse pas le mot Mututsi seul ; c’est un phénomène linguistique général pour tous les mots de la langue du Rwanda, comportant la lettre t. S’il en était autrement, c’est-à-dire si le rh avait quelque relation avec l’inexistant Arhs, alors tous les termes du kinyarwanda comportant un t, seraient par le fait même identifiés comme étant d’origine Galla, puisque passant au Mashi, ils changeraient automatiquement leur t en la fameuse lettre rh. Ou bien, si nous voulions formuler la même conséquence en partant d’un point différent: chaque fois qu’en Mâshi et autres langues apparentées, nous trouverons un mot comportant le rh, nous serons en présence d’un mot dont la clef serait à chercher chez les Galla. On ne peut pas, en effet, scientifiquement choisir le seul mot Murhusi et lui imposer une détermination qui n’affecterait en rien les autres termes répondant aux constatations linguistiques identiques.

40.Conclusion : aucune loi linguistique connue à ce jour ne peut nous autoriser à établir une relation quelconque entre le terme Mututsi et le nom de la tribu Arussi. D’autre part, un ensemble cohérent de principes linguistiques exclut toute possibilité d’établir quelque relation que ce soit entre Arussi-Batutsi, en se servant des seules langues Bantu du centre africain. On ne peut dès lors recourir aux langues Bashi, Bahunde et autres, avant d’avoir prouvé au préalable que telle ou telle forme de leurs termes trouve une équivalence scientifiquement relevée au sein des langues Galla.

41. Le nom Batutsi conviendrait-il à tous les Hamites descendus de l’Éthiopie vers l’Équateur ? — Je pense que la réponse est évidente : on ne peut pas décider d’imposer une dénomination que les intéressés ne portent pas en réalité. Chaque nom est vraiment un document. Si nous ne pouvons pas le comprendre exactement, du moins nous savons qu’il sert à délimiter les groupes, à nous indiquer les individus appartenant à telle catégorie. En plus, chaque nom délimite les cultures : un Mututsi, cela signifie un Hamite du Rwanda et du Burundi (dont l’économie est basée aussi bien sur la vache que sur la houe), définitivement gagné à la vie sédentaire ; parlant une langue déterminée, ayant élaboré son système monarchique de gouvernement, etc., etc. Un Muhima au contraire, est un Hamite semi-nomade, de l’aire comprise entre le Rwanda, le Karagwe, le Buganda et la forêt congolaise, dont l’économie est à peu près pastorale exclusivement, ayant sa langue à lui, ses traditions, etc. »

Si vous dites à un Mututsi qu’il est Muhirna, il vous comprendra par analogie ; vous aurez voulu dire, à ses yeux, qu’il est de race hamitique comme le Muhima ; qu’il est éleveur de gros bétail comme le Muhima. Mais en dehors de cette analogie, la différence entre Mututsi et Muhima est considérable. Ainsi chaque dénomination a s valeur, non seulement au point de vue politique tribale, mais aussi et peut-être surtout au point de vue ethnologique.

2. OPINION DE MGR J. GORJU.

42. Une autre explication fut présentée par Mgr J. GoRju. Se basant sur le fait qu’il existe, dans le Bwera- Mawogola, au Buganda, sur les confins du Nkole, une région dénommée Ntusi, l’auteur cité déclare :
« Nos Batutsi sont des Ba-ntusi… ils sont tous du nom de leur dernier centre, des Ba-ntusi ou Batutsi. Ajoutons que les Bahima du Nkole, n’ayant guère pratiquement quitté ce centre, et n’ayant, pour ce point de raison de s’appeler Ba-ntusi, s’appellent Bahima, nom générique, et Bahinda nom spécifique, soit de la Dynastie régnante. Leurs princes sont banyiginya, nom générique, et nous estimons que les banyiginya du Ruanda sont moins une tribu que la lignée princière qui n’y régna pas. Le pouvoir est là aux mains des Bega» (Mgr J. GORJU, Face au royaume hamite du Ruanda, Bruxelles, 1938, pp. 19-20. En ce qui concerne l’allusion aux Banyiginya du Rwanda, l’auteur avait été mal informé. C’est leur dynastie qui règne depuis des siècles. Quand au clan des Bega, ses membres ne peuvent accéder au pouvoir que dans le cas où le Roi les investit. Autre chose est le cas des Reines Mères, évidemment ; qu’elles soient des Bega ou autres, elles règnent avec leurs fils. Notons que le Prof. VAN BULCK, Les recherches linguistiques au Congo belge, Bruxelles, 1948, pp. 242-243, a repris ce passage de Mgr GORJU. Rappelons, en plus, que la dénomination de Banyiginya, propre au Rwanda et aux Bahima du Nkole, signifie : richesse actuelle, jointe à une noblesse très ancienne, dans le clan dynastique. Les autres membres du clan, sans grande fortune, sont appelés Abasindi, du nom de Musindi, fondateur éponyme du groupe).

Remarques.

43. a) Tout d’abord, il est curieux que les Bahima qui habitent en cette région du Ntusi, ne soient pas appelés Ba-ntusi. L’auteur trouve que leur présence en cette contrée les dispense d’en porter le nom. C’est une logique surprenante.

b) Les deux mots Batutsi et Ntusi appartiennent au système des langues Bantu. Bien plus, le terme Batutsi, nous l’avons vu haut, se rattache à un verbe disparu de notre langue correcte, mais encore en usage au Buganda. Or, le Bwera-Mawogola sont deux provinces de ce pays. Tout nous invite donc à admettre a priori une parenté de forme et de signification étymologique, qu’on ne saurait valablement mettre en doute, à moins de prouver le contraire.

c) La région se trouve sur la route que les Banyiginya du Rwanda ont suivie pour atteindre leur habitat actuel. Le nom Rwanda qui leur servait de talisman jalonne leurs étapes, dont l’une est le Rwanda près Gashara dans le Nkole non loin du Bwera-Mawogola. Mais à l’époque où les Banyiginya s’acheminaient ainsi vers leur futur domaine, les Batutsi les y avaient depuis longtemps précédés.

44. Si leur dénomination a été empruntée à la contrée de Ntusi, ou bien s’ils ont donné lieu à cette dénomination attachée à la région, cela prouverait la haute antiquité de l’émigration hamitique qui s’établit au Rwanda. Cette conclusion découle d’un raisonnement très simple : la région conserve son appellation, qui n’a pas de relation avec les Hamites Bahima actuellement autochtones. Comme ils ne sont pas Batutsi, l’appellation doit se rattacher à un groupe qui y séjourna à une époque antérieure. Donc, si le Ntusi se rattache àux Batutsi, c’est une preuve qu’ils ont séjourné en cette contrée à une époque plus ancienne que les Bahima.

45. Rappelons cependant une règle linguistique qui semble s’opposer au fait que les Batutsi aient été ainsi dénommés, parce qu’originaires de Ntusi. Pour indiquer les nationalités, on doit classer les pays en deux catégories :

1° Ceux dont le nom commence par la particule bu-
2° Ceux dont le nom commence par les particules gi, ka, n, ru.

Dans le premier cas, les habitants sont dénommés en changeant bu en ba (pluriel de mu). Ainsi avons-nous :

Burundi = habitants : Barundi.
Buganda = habitants : Baganda.
Bushi = habitants : Bashi, etc.

Dans le second cas, la particule initiale reste intacte, mais on la fait précéder de la formule Banya (au singulier Munya). Ainsi avons-nous :

Gisaka = habitants : Banyagisaka.
Gitara = habitants : Banyagitara.
Karagwe = habitants : Banyakaragwe.
Nkole = habitants : Banyankole.
Rwanda = habitants : Banyanyanda.

D’où il faut conclure que les habitants du Ntusi, s’ils en portaient de fait l’appellation, seraient Banyantusi et non Batutsi. Cette dernière dénomination ne s’expliquerait naturellement que dans le cas où la contrée aurait été Bututsi.

46. Conclusions : les noms Ntusi et Batutsi semblent avoir un apparentement de signification étymologique. Autre chose cependant est la signification étymologique, autre la signification réelle, de deux ou plusieurs termes, Ils peuvent comporter des sens notablement différents, malgré leur commune origine d’étymologie. On ne saurait, par exemple, confondre concours et concurrence, — contentieux et contention, ni complexe et complice, ou compétition et compétence.

47. Si les règles linguistiques de la contrée qui nous occupe, n’ont rien qui s’y oppose, Ntusi signifierait : lieu d’immigration. Cette dénomination accolée uniquement à cette région laisserait soupçonner, à la base, un fait historique du passé, dont nous tiendrions ainsi le témoignage. Mais les Batutsi du Rwanda y séjournèrent-ils en fait ? C’est bien possible ! Mais d’autre part, tout ce qui est possible n’est pas nécessairement arrivé dans le passé. En d’autres mots, il serait excessif de l’affirmer ou de le nier, sans nouances.