LES CEREMONIES DU MARIAGE

I. Le cortège de la fiancée et sa réception chez le jeune homme.

  1. Les cérémonies du mariage se célèbrent la nuit. La fiancée arrive dans sa future demeure le soir, entre 7 et 8 heures, et même plus tard. Tout cela dépend surtout de la distance que le cortège doit couvrir. Les Bahutu (race Bantu) cherchent en général leurs fiancées dans un rayon raisonnable. De la sorte, le cortège nuptial peut parcourir la distance dans une après-midi et arriver le soir chez le fiancé. La jeune fille est alors escortée d’un assez fort groupe de ses compagnes, amies ou jeunes filles habitant la même localité.
  2. Le cortège comprendra deux sections : celle des jeunes filles s’avançant au rythme de chants populaires. Cette section au milieu de laquelle marche la fiancée, évitera en général les sentiers battus, pour que l’héroïne du jour ne risque pas d’enjamber quelque objet maléfique posé par un malveillant. Les femmes invitées par

 

la maman de la fiancée se joignent à ce groupe. La deuxième section est formée par les hommes et jeunes gens invités par la famille. Ils marchent, eux, dans le sentier à une faible distance du groupe féminin. Toutes ces personnes accompagnant la jeune fille sont appelées abakwe = les composants du cortège nuptial ; ou bien abaherekeza = les compagnons de route.

  1. Chez le jeune homme, les invités sont appelés abasangwa = les expectants, ou les trouvés à domicile. Ils sont en général hommes et jeunes gens. Les femmes et jeunes filles éventuellement invitées par la maman du marié sont avec elle au service des hôtes, mais elles ne figurent pas au rang des invités. Que pourraient-elles faire autour de la fiancée qui, en général du moins, leur est inconnue ? Elles pourront assister aux fêtes du lendemain au milieu des spectateurs, tandis que les fêtes nocturnes leur sont inaccessibles.
  2. Lorsque la jeune fille est une Hamite, soit de haut rang, soit de condition moyenne, le cortège ne se forme pas de la même manière. Et tout d’abord, qu’elle vienne de près ou de loin, elle est toujours portée en litière. Quel groupe de jeunes filles l’accompagnerait ? Celles de sa condition sociale ne sont certainement pas légion dans la même localité ! Y seraient-elles nombreuses, qu’elles ne pourraient jamais l’escorter, puisqu’elles sont tenues à la coutume du gutinya (craindre) : elles n’iraient pas s’exposer à la vue des invités ! Quant aux filles des Bahutu, elles ne sauraient évidemment pas rehausser des solennités dans un cercle social où elles n’ont pas accès. Bref, il n’y a que les jeunes filles Bahutu et Batutsi sans fortune qui puissent se rendre chez le fiancé, entourées du groupe chantant de leurs compagnes ; d’autant plus d’ailleurs qu’elles sont les seules à faire le trajet à pied.
  3. La jeune fille hamite de haut rang est accompagnée d’une femme de même condition, portée également en litière. Elle est en général sa tante paternelle = nyirasenge. A défaut de cette dernière, on choisit une autre qui porte le titre de umuherekeza = la compagne de route. Le cortège comprend, en plus, au moins une jeune fille et une autre femme âgée. Ce sont les servantes = abaja, au singulier umuja, aux ordres de la fiancée. Elles l’aideront à tenir son ménage, en lui rendant les services qu’elle aurait dû demander à des personnes encore inconnues d’elle. Les deux servantes sont très richement habillées. Parmi les compagnons de la fiancée, on doit compter au moins 5 ou 6 personnes Batutsi, parmi lesquels l’oncle de la fiancée. A défaut de ce dernier, la famille a désigné un homme respectable qui représentera le père de la jeune fille et sera son porte-parole dans les cérémonies.
  4. Dès que le cortège arrive dans le voisinage (nous en sommes toujours au mariage entre Hamites), on lui montre une maison aménagée à cet effet, afin que les hôtes s’y reposent avant de faire l’entrée solennelle chez le fiancé. Cette station est de règle : le cortège ne peut pas venir d’un trait et se présenter au lieu destiné aux cérémonies. Ils sont traités, cela s’entend, comme des princes. La famille du fiancé envoie enfin un homme respectable, qui invite les hôtes à faire leur entrée.
  5. L’une des deux vaches données au père de la jeune fille accompagne le cortège, car elle doit être remise à la famille qui l’avait envoyée (chap. V, no 21 et 28). La litière de la fiancée entre dans l’enclos la première. Mais arrivés en plein dans l’entrée, les porteurs de la litière s’arrêtent. L’un des invités de la famille coupe une petite branche pendant de l’un des ficus qui forment les battants et la dépose dans la litière. Ce premier contact symbolique effectué entre la fiancée et sa nouvelle famille, les porteurs de la litière s’avancent. Dès qu’ils sont arrivés au centre de la cour intérieure, ils doivent de nouveau s’arrêter. On leur fait exécuter un mouvement de volte-face, de manière que la jeune fille ait les yeux tournés vers l’extérieur. Elle est aspergée de l’eau lustrale = icyuhagiro, mais de composition dite : chasse-maléfices = gusênda. Cette cérémonie est destinée à débarrasser la fiancée de toute influence maléfique éventuellement contractée en cours de route et étrangère aux heureuses relations que le monde supra-sensible entretient avec la famille du fiancé (A propos du cyuhagiro = l’eau lustrale, qu’il suffise ici de signaler l’existence de cette cérémonie d’aspersion, durant certaines pratiques du culte. L’eau lustrale était préparée différemment, selon que le cyuhagiro était chassemaléfice, gusenda, ou bien de l’eau pacifique (cy’âmazi meza).
  6. En ce moment, un siège a été déposé dans l’entrée de la case de réception = i kambere, qui est la principale du foyer, et dans laquelle les hôtes vont passer les festivités nocturnes des noces. Le père du fiancé a pris place sur le siège. Les porteurs de la litière la posent sur ses genoux et il la touche de ses mains. Par ce geste symbolique, la famille du fiancé porte sur les genoux celle qui vient faire partie du même groupe social, du même sang en un sens. La litière de la fiancée et celle de sa tante sont ensuite dirigées vers les cours situées derrière la case de réception. Tous les compagnons de la fiancée s’y rendent en groupe ; dès que cette dernière et ses compagnes sont installées dans la case préparée à cet effet, les hommes reviennent sur leurs pas et sont introduits dans la grande case de réception. Le porte-parole du groupe, celui qui remplace le père de la fiancée, reçoit seul un siège. Il s’assied à côté du plus digne des expectants (dans le cas, c’est notre MUKORE).
  7. On cause dans un style de complète fiction, comme au jour des fiançailles. Les hôtes sont d’un côté, vers l’entrée de la case, et les invités de la famille, vers le fond. — « Vous nous arrivez à l’improviste ! » déclare MUKORE d’un air sérieux. « D’où venez-vous et où allezvous ? » — « Nous venons d’une région très lointaine ! répond le remplaçant de MUTWA (père de la fiancée) ; comme la nuit nous a surpris dans les environs d’ici, nous avons eu peur de rencontrer des bêtes sauvages, et nous avons décidé de venir vous demander l’hospitalité ! » — « Alors c’est par nécessité, et non pas par amitié que vous venez demander l’hospitalité ? » réplique l’autre. — « Entendons-nous ! répond le délégué de MUTWA ; j’aurais dû commencer par tout expliquer, puisque vous voulez immédiatement entrer dans les détails! Vous comptez parmi les grands amis que nous devions visiter. Seulement, il était entendu que la journée de demain devait nous amener ici ! La nuit nous a obligés à intervertir l’ordre du programme ! » La conversation continue longtemps sur ce ton de fiction. Ceux qui prennent la parole doivent se montrer fins et amusants, sans accepter aucun propos dans le sens sérieux. C’est pour cela que l’on invite, pour ces circonstances les gens réputés les plus fins de la région.
  8. On apporte une cruche de bière à présenter aux hôtes. Le père du fiancé, MUKORE, en goûte et déclare : « La boisson est excellente ! » Il en fait les honneurs au porte-parole de MUTWA. L’hôte en avale quelques gorgées et invite ses compagnons à faire de même. Mais il commente d’un air moqueur :«Il paraît qu’elle est excellente ! » Chacun de ses compagnons, au fur et à mesure qu’il en avale quelques gorgées, fronce les sourcils et répète la même phrase ou une autre analogue. Finalement l’un des cinq nobles dit ouvertement: «Je pense que cette boisson n’est pas bonne ! Du moins pour les voyageurs ! » — C’est le rite : on doit refuser la première cruche qui est présentée.
  1. Les familiers de MUKORE reprennent la cruche en disant : « On va essayer de vous en chercher une autre de meilleure qualité ». — On arrive bientôt avec une autre cruche. Celle-ci doit être acceptée : c’est la cérémonie. Mais il arrive, et c’est presque la règle, que la première cruche soit de la meilleure qualité possible, et que la deuxième cruche contienne une boisson impotable ! On le fait pour s’amuser un peu, en voyant les hôtes déclarer : « Ah ! voici au moins une bonne, une excellente boisson ! » Mais les familiers ont vite fait de leur enlever cette soi-disant « excellente bière », en disant : « C’est magnifique ! Puisqu’elle est excellente, on va la poser pour la fin de votre séjour ! Vous l’aurez comme provision de route ! Il vous faut une qualité inférieure à celleci ! » Et on reprend la cruche, pour rapporter la première qui avait été refusée par pure cérémonie. Les porteurs des deux litières, et des bagages formant le trousseau, ont également été installés dans un local préparé à cette fin et ont reçu tout le nécessaire.
  2. Il est interdit aux hôtes officiels, les Hamites reçus dans la grande case, de sortir isolément. Dès que l’un d’entre eux veut sortir, tous ses compagnons se lèvent en même temps et le suivent dehors, pour rentrer en groupe. Un moment donné, le porte-parole se lève et ses compagnons le suivent dehors. Les familiers de MUKORE ont remarqué pour cette fois-là que le signal de sortir a été donné par le plus digne. En cet instant, les propos de fiction vont prendre fin. Dès que les hôtes rentrent dans la case, MUKORE et ses invités leur adressent en choeur le souhait : Nimukaze ! = Soyez les bienvenus ! — Et les hôtes répondent également en chœur : Nimugasangwe! = littéralement : Soyez les bien visités !
  3. Les hôtes reprennent leurs places et le porte-parole de MUTWA s’adresse à MUKORE. Ce discours s’appelle Imisango dont le sens étymologique (dérivé du verbe gusanga = trouver, aller vers, serait : rencontre, jonction. On y affirme, en effet, les relations d’amitié. Le porte-parole s’exprime à peu près en ces termes: «MUKORE, j’ai reçu de MUTWA un message pour vous. Il m’a chargé de vous remettre l’épouse que vous lui avez demandée. Vous êtes frères, m’a-t-il rappelé. Ce n’est pas la première épouse que son clan donne au vôtre ; celle-ci vient y succéder à ses tantes, à ses grandtantes, et à ses arrières-grand-tantes des générations antérieures. Elle ne sera pas non plus la dernière : toutes les fois que vous aurez besoin d’épouses, il se montrera aussi généreux que par le passé. Il n’ignore pas de son côté, que s’il vient en solliciter chez vous, sa requête sera favorablement accueillie. Prends soin de l’enfant qu’il vous confie. Si elle se montre femme forte, sachant gérer les affaires de son foyer, conservez-là. Si au contraire elle se montrait peu habile dans la gestion des affaires de sa maison, ou une femme dénuée de bonsens, renvoyez-la lui en toute discrétion et avec honneur, de la même manière qu’il vous l’envoie maintenant. En ce cas, cette éventualité ne pourra en rien nuire aux bonnes relations existantes entre les deux familles ! — Voilà le message qu’il m’a confié ! Je n’ai plus rien à ajouter ! »
  4. a) Les invités de MUKORE approuvent le discours par des exclamations de joie et d’admiration : «Il a vraiment bien parlé ! Le message est ce qu’il y a de plus amical ! » — « Ce qui m’a le plus frappé, déclare l’un des invités, c’est l’assurance que les bonnes relations entre les deux familles ne sauraient être mises en cause par l’événement en soi le plus grave qui se produirait ! » MUKORE impose silence à ces bruyants commentaires et répond au représentant de MUTWA, dans le même sens, en soulignant les relations traditionnelles d’amitié, et en déclarant que l’enfant qui lui est confiée sera traitée comme elle le mérite. « Si elle ne sait pas gérer les affaires de la maison, précise-t-il, je ne la renverrai pas chez MUTWA. Je lui apprendrai patiemment comment elle doit s’y prendre. Et si elle ne m’écoutait pas, alors j’appellerai MUTWA au secours, pour qu’il m’aide à mettre l’enfant dans le bon chemin ! Elle ne pourra pas embarrasser deux hommes qui savent ce qu’ils veulent atteindre ! Si cependant entre les deux enfants surgissaient des différends indépendants de mes possibilités, et de celles même de MUTWA, alors nous nous mettrons d’accord pour sévir, s’il le faut ! Oui, même s’il est nécessaire d’employer le fouet pour faire entendre raison, nous nous y résoudrons ! Vous rapporterez mon message à MUTWA, et vous le remercierez de ma part pour ce qu’il vous a confié à mon adresse. Je n’ai plus rien à ajouter ». — Les hôtes alors, de leur côté, approuvent le discours de MUKORE. Les familiers de ce dernier s’y joignent également, car ces paroles sont du nouveau pour toute l’assemblée. b) A partir de ce moment, les propos de fiction ont pris fin : les deux groupes se mêlent et causent normalement. La nuit se passe en déclamations d’odes guerrières et de veillées de hauts faits, qui n’intéressent plus spécifiquement le cérémonial du mariage.II. L’essentiel du mariage rwandais.
  5. Nous arrivons à la partie de la cérémonie qu’il faut souligner spécialement, puisqu’elle forme l’essentiel du contrat matrimonial dans la culture rwandaise. Trois objets concourent à composer le signe symbolique du mariage : imbazi, umwishywa, du lait. a) Imbazi, au singulier urubazi, est une petite plante au jus amer, qui pousse en sol peu profond. Les feuilles dont on aura fait le jus ont été cueillies par un jeune garcon inviolé = isugi ; c’est-à-dire : dont le père et la mère sont encore en vie. b) Umwishywa est la momordique ; nous avons vu qu’elle sert également dans la célébration des fiançailles. La plante doit être arrachée par un jeune garçon inviolé. En plus, étant donné que la plante est rampante, on aura choisi la tige se propageant couchée au sol, et non celle qui se serait entrelacée à un arbre. c) Le lait =- amata, doit être d’une vache également inviolée, c’est-à-dire, en ce dernier cas, dont tous les veaux sont en vie. d) Ce lait a été posé dans un pot en bois (inkongoro), également inviolé ; c’est-à-dire : sans fêlure ni brèche de quelque sorte que ce soit. Les feuilles pilées des imbâzi ont été mélangées avec ce lait.
  6. Avant le premier chant du coq, l’un des hôtes est invité à guider le fiancé dans l’accomplissement de la cérémonie importante. Tous deux se rendent dans la case où se trouvent la fiancée et ses compagnes. Mais le jeune homme évite de faire remarquer sa présence. En prévision de cet instant unique, le feu allumé dans la case a été voilé ; c’est-à-dire qu’on a momentanément cessé d’en attiser la flamme : il faut que l’arrivée du fiancé ne soit pas remarquée. Le guide de ce dernier entre dans la case en parlant à haute voix, et en demandant la tante de la fiancée, sous prétexte de lui parler. La tante (ou la compagne de route) qui se tenait dans la pièce cubiculaire (ku bulili), invite l’homme à passer par la place dite haruguru où elle va le rencontrer. Or la fiancée et les autres jeunes filles de son escorte se trouvent en cet endroit : elles ne peuvent pas, en cette circonstance, se tenir dans la partie cubiculaire réservée aux femmes.
  7. a) L’homme s’avance, tenant par la main le fiancé dont la présence est toujours insoupçonnée. Ce dernier tient en sa main droite la momordique (umwishywa), dont la tige a été entrelacée en forme de couronne. Il a en bouche une gorgée du lait au jus des imbazi. Tandis que la tante s’avance soi-disant pour parler avec l’homme qui l’a appelée, elle écarte les jeunes filles et arrive à côté de la fiancée. D’un geste en apparence inconscient, elle pose sa main sur la tête de la jeune fille et fait semblant de tendre l’oreille à son interlocuteur qui voudrait parler à voix basse. Le geste de la tante a désigné exactement la fiancée : l’homme avance sa main, à laquelle s’est accolée celle du fiancé. Dès que sa main est entrée en contact avec la tête de son élue, le jeune homme en arrose le sommet avec le lait qu’il avait en bouche. Il déclare à haute voix :«Je t’épouse, moi le… » (Il déclame une brève ode guerrière). b) Puis, de la momordique, il ceint la tête de celle qui, désormais, est sa femme et se retire avec son compagnon. c) Une remarque importante : le roi ne se marie pas de la même façon. Lorsque l’oracle divinatoire a été favorable concernant telle jeune fille, il introduit sa fiancée et consomme le mariage sans aucune autre cérémonie. Une batterie de tambour annonce le joyeux événement de la Cour, durant le moment où le mariage est consommé. En ce moment tout est fini : aucune cérémonie ne s’ensuit chez les parents de la mariée (voir chap. V, n° 9, b).
  8. Il peut arriver (en dehors de la Cour, évidemment), que la mariée éclate en sanglots ! Que l’émotion soit cependant réelle ou feinte, la cérémonie exige qu’elle pleure la perte de sa qualité de jeune fille. S’en dispenser serait considéré comme si elle faisait peu de cas de la virginité rigoureusement exigée de la jeune fille. Aussi le cérémonial a-t-il prévu que les jeunes filles qui entourent la mariée se mettent à chanter. Ces chansons populaires sont appelées guhôza = consoler. Elles sont destinées à couvrir la voix de la mariée, pour que personne ne l’entende sangloter (on trouvera dans l’art. du R. P. PAGES, Mariage au Ruanda, dans Anthropos, t. XX, 1925, de nombreux échantillons de ces chansons du guhoza.)

 

  1. Ces deux actes : arrosage de la tête et imposition de la momordique, ont fait passer la mariée de l’état de jeune fille à celui de femme (voir chap. VII, no 16 et 18). Elle en a été si consacrée à son époux, que personne ne saurait la prendre si jamais TEGERA, — le nouveau marié, — mourait avant la consommation du mariage.  Il en serait de même d’ailleurs, s’il mourait durant la première année de leur union. On dirait en ce cas que la jeune femme a un front funeste = afite uruhanga rubi ; parce qu’elle aurait fait mourir prématurément son époux= yakenye umugabo we.
  2. Quelques remarques concernant les jeunes filles, qui forment le cortège de la mariée : a) Elles évitent soigneusement tout contact avec le lait nuptial que le fiancé déverse sur la tête de son épouse. Si une seule goutte touchait l’une d’entre elles, au jour de ces propres noces, son fiancé ne pourrait pas s’en servir. Elle serait simplement épousée au moyen de la seule momordique. b) Il en est de même de la momordique : si le jeune homme, sous le coup de l’émotion, se trompait de tête et déposait cette couronne sur une autre fille, celle-ci n’aurait plus les possibilités d’en être couronnée par son propre fiancé. Dans le cas où les deux accidents tomberaient sur une jeune fille, ce serait une véritable catastrophe pour elle ! Elle serait ainsi privée des deux cérémonies dont une jeune fiancée doit faire cadeau à son époux. c) D’autre part, il est nécessaire que la jeune fille ainsi désavantagée dise en toute sincérité à ses parents l’accident survenu. Agir autrement, serait s’exposer soit à mourir prématurément dès son mariage consommé, soit à provoquer la mort prématurée de son futur époux ; ce qui revient à dire qu’elle serait classée comme femme au front funeste.

III. Cérémonies complémentaires.

  1. Au premier chant du coq, le jeune marié, sa femme et le frère (ou le cousin faisant fonction de frère), sont invités à mettre le lait dans la baratte = kubuganiza

Ils accomplissent cet acte tous les trois ensemble, de manière que ce soit un geste inséparable, exécuté comme s’il se fût agi d’un seul opérateur. De la même manière ils font le geste de baratter, les trois en même temps. Quand ils ont balancé la baratte deux ou trois fois, ils se retirent et une servante de la maison continue jusqu’à ce que le beurre soit complètement préparé. On les invite de nouveau, ils viennent à trois verser le lait de la baratte en une jarre en bois destiné à cette fin. Ils accomplissent alors le geste dit kwavura = séparer le beurre. Après le premier geste symbolique, ils se retirent et les servantes achèvent la tâche. C’est ainsi que la jeune mariée est symboliquement investie par son mari, de la fonction primordiale chez un peuple pasteur : toucher la baratte, préparer le beurre.

  1. La deuxième cérémonie complémentaire est celle de kwgera hasi = se coucher sommairement. Les trois sont invités ensemble à se rendre dans la partie cubiculaire de la case destinée au jeune couple. La jeune mariée va occuper la partie du lit proche de la paroi, tandis que son mari se place à l’entrée de l’alcôve. Le frère de la mariée se met entre les deux. Au signal donné, les trois se posent en même temps sur le lit. Après un moment assez court, de nouveau au signal donné, les trois se lèvent en même temps, de manière que personne d’entre eux ne se redresse ni avant, ni après les deux autres. C’est la première fois, nous l’avons rappelé tantôt, que la jeune mariée est entrée dans une pièce cubiculaire. Cette cérémonie consacre, pour elle, la fonction de connaître le lit de son époux, et symbolise la licence de reposer désormais en compagnie d’un homme. Ce dernier acte symbolique se fait à l’aurore.

 IV. La clôture des cérémonies

  1. De bon matin s’organisent les fêtes publiques, mais auxquelles nous ne pouvons nous arrêter, vu qu’elles ne sont pas spécifiquement liées au mariage. Les réjouissances populaires accompagnent, en effet, tout événement rare et digne d’occuper l’attention générale. Chez les jeunes mariés Bahutu ou Batutsi, le lendemain des noces est toujours célébré par le concours de foules en liesse. Chez les Batutsi, en plus, il y a le kubyukurutsa = faire défiler les vaches. Les troupeaux de la famille, ceux des amis ou autres sympathisants du voisinage, les bovidés même des Bahutu et petits Batutsi de la localité, sont tous assemblés et défilent interminablement devant les hôtes. Ne pas participer à ce défilé joyeux, serait un geste inamical que les témoins oculaires jugeront sévèrement de la part d’un voisin.
  2. Après le défilé des bovidés, on trait quelques vaches, et leur lait arrive en même temps que les cadeaux de bienvenue = amazimano ; à savoir deux génisses et un jeune taureau. Ce dernier est la ration de viande donnée aux porteurs des deux litières ; quant aux génisses, l’une est destinée à la tante, l’autre au frère de la mariée. La famille du jeune homme ne fait cependant pas le partage, ni ne précise ce qui revient à telle ou à telle personne. Les trois bêtes sont conduites ainsi et présentées plus tard au père de la jeune fille. C’est à lui qu’il appartient de faire le partage, et de mettre chacun en possession de ce qui lui revient.
  3. En ce moment les hôtes, aidés des servantes qui ont accompagné la mariée, étalent tous les objets composant le trousseau, et les dénombrent devant le père du jeune homme. C’est la cérémonie : il doit compter avec les hôtes et vérifier si tout y est, y compris les objets de cuisine, propres à la culture Bantu, et dont le Hamite de haute classe ne saurait même se servir, personnellement. Le dénombrement du trousseau achevé, les hôtes prennent congé de la famille du marié et rentrent chez eux. Les familiers de ce foyer les escortent, comme le demande la coutume, et ne se séparent d’eux qu’à une distance raisonable de la maison. Si les hôtes viennent d’une région lointaine, par exemple lorsqu’ils devraient effectuer le trajet durant deux jours et plus, on leur donne un logement, pour qu’ils se reposent avant de reprendre ce long voyage.

V. Le cérémonial de la momordique.

  1. Nous avons vu que le mariage a été accompli par l’imposition de la momordique sur la tête de la jeune fille. Immédiatement après la cérémonie, les parents du jeune homme ont fait reprendre la couronne nuptiale. Ils l’ont glissée autour d’un goulot d’une gourde pleine de bière. A cette gourde engagée dans le cercle de la momordique, ils ont goûté et avalé quelques gorgées. Ils se sont ensuite retirés et accompli l’acte conjugal, appelé kwakira = agréer. La gourde a été immédiatement confiée à deux hommes ou plus, car c’est en pleine nuit ; elle doit parvenir aux parents de la jeune fille dans le plus bref délai possible. Les deux goûteront mêmement à la boisson envoyée, en cette même gourde entourée de la momordique qui a servi à consacrer leur fille à son époux. Ils accompliront ensuite l’acte conjugal d’agréation.
  2. Lorsqu’on est certain que l’acte d’agréation a été accompli des deux côtés, alors et alors seulement, le jeune homme peut être autorisé à consommer le mariage.

Dans les cas ordinaires, c’est-à-dire si les parents des deux mariés habitent dans la même région, le jeune couple sera libre la nuit qui suit celle des noces. Mais si l’un des foyers habitent dans une région lointaine, le frère de la jeune mariée (ou son frère-cousin), restera inséparablement accolé à son beau-frère. Ce dernier ne pourra pas sortir de la case, se retirer quelque part, sans avoir à ses côtés l’inévitable compagnon, qui dormira sur la même couche que lui. Le jeune marié peut ainsi passer quelques jours en ces conditions, sans que la coutume lui permette de rencontrer sa femme.

  1. Au jour convenu, où il est certain que l’acte d’agréation a été accompli, la mariée est conduite dans la case réservée à son mari. Ce dernier y entre avec le frère de la mariée. Les trois vont se coucher ensemble, le frère entre les deux mariés. Cette cérémonie est appelée guca hagati = passer entre deux. Elle trouve son explication dans le fait que la jeune mariée n’accepterait pas de se rendre sur la couche nuptiale, si elle n’était pas accompagnée de son frère, protecteur de sa virginité. La présence de son frère la rassure, en quelque sorte : elle n’a rien à craindre en sa compagnie. Ce n’est que pure cérémonie, évidemment. Les trois s’étendent donc sur le lit, occupant les mêmes places que lors du coucher sommaire vu plus haut.
  2. Puis, brusquement, le frère se dégage de sa place, saute au bas du lit, et quitte la case. Toujours pour les mêmes raisons du grand prix que la jeune fille attache à son état de virginité, elle est obligée de lutter contre son époux. La consommation du mariage sera, de la sorte, non pas l’effet de sa volonté, mais de la faiblesse reconnue aux forces physiques chez la femme.