1. VI. Mariage célébré chez les parents de la jeune fille.

 

  1. Nous avons raconté longuement les cérémonies du mariage célébré chez les parents du jeune homme. Mais il arrive très souvent que le père de la jeune fille déclare : «Je veux m’accorder l’extrême plaisir de marier mes enfants ici même. Que mon gendre vienne chez moi ! » Ce mariage célébré chez la jeune fille est appelé gutahira. Toutes les phases antérieures au mariage sont exactement les mêmes dans les deux cas. La différence ne commence que la nuit du mariage. Notons que seuls les Hamites grands et moyens pratiquent cette forme du Les autres ne s’y risqueraient pas, parce qu’elle impose des dépenses trop élevées pour le père de la jeune fille. Il faut donc plus que de l’aisance ; les grands éleveurs, chefs ou nantis de richesses bovines respectables, sollicitent cet honneur.
  2.  Au jour convenu, le fiancé arrive accompagné de 4 ou 5 jeunes gens de son âge, et d’un homme jouant le rôle de son oncle. La réception se passe à l’inverse de ce qui a été décrit plus haut : au lieu que les hôtes étaient les compagnons de la mariée, ils sont maintenant ceux du jeune homme. Ils causent en langage feint, mais il n’y a pas les discours dits imisango. On continue ainsi, jusqu’à ce que l’on prie le jeune homme de se lever, et d’aller accomplir les actes symboliques de mariage, par le lait au jus de ‘imbazi’et l’imposition de la momordique à sa fiancée. Les autres cérémonies complémentaires sont exécutées dans le même ordre, et le lendemain les compagnons du jeune marié rentrent chez eux.
  3. La nuit où a lieu la consommation du mariage, les servantes qui en sont chargées viennent faire lever la mariée au premier chant du coq. Elle sera reconduite dans la case nuptiale le lendemain soir. Cette nuit-là encore, on viendra la faire lever au premier chant du coq. La troisième nuit on vient la prendre au deuxième chant du coq. La quatrième nuit, au troisième chant du coq, et le lendemain, à l’heure dite ibikoko byanaga = la cohue des coqs (entre 4 h et 4 h 30 du matin). A la sixième nuit, on vient la faire lever à l’aurore. A la septième nuit, on vient la faire lever le matin et son mari s’y oppose : elle ne quittera le lit que quand il le voudra. La huitième nuit sera la dernière qu’ils passeront ensemble : le lendemain le jeune marié prend congé de ses beaux-parents et rentre chez lui. Pendant tout ce temps passé chez ses beaux-parents, le jeune homme est toujours en compagnie d’un frère de sa femme (ou un frère-cousin) de son âge, qui est chargé de lui rendre le séjour agréable.
  4. Il passera 8 jours chez lui, et reviendra chez ses beaux-parents le 9e jour. Son beau-frère passera la journée avec lui. La nuit, il sera permis à la jeune mariée de manger avec son mari en compagnie du frère dans la case nuptiale pour la première fois. La femme se tiendra cependant dans l’alcôve cubiculaire, restant invisible à son mari. A partir de ce moment, le frère de la mariée est libéré de sa fonction de compagnon inséparable de l’époux. Ce dernier fait à sa femme les cadeaux qu’il lui a apportés, afin qu’elle consente à lui parler, car jusque-là elle ne peut articuler un seul mot devant son mari. Elle va demander à ses parents la permission de causer avec lui, et l’autorisation lui est accordée. C’est à cause de cette permission de causer entre eux, que le marié n’a plus besoin des offices de son beau-frère. A partir de ce moment, le mari peut rester autant de jours qu’il veut auprès de sa femme, et rentrer chez ses parents quand bon lui semble.I1 n’y a que l’époque initiale des 8 et 9 jours qui est réglementée par la coutume.

VII. Quand la jeune femme parlera et se montrera.

  1. Il s’agit ici de la jeune mariée hamite. Nous venons de voir dans quelles circonstances elle parle à son mari, lorsque le mariage a été célébré sous la forme dite gutahira (chez les parents de la fille). Mais le fait de parler à son mari ne signifie pas qu’elle peut encore se montrer à lui. Ils peuvent, et ils doivent même désormais manger ensemble, mais les plats seront disposés de manière que la femme puisse les atteindre tout en restant dissimulée dans l’alcôve cubiculaire, hors de la vue de son mari. Celui-ci du reste ne cherchera pas à la surprendre : ce serait, de sa part, une grosse indélicatesse.
  2. Dans ce même cadre du gutahira, comment le mari pourra-t-il enfin voir sa femme ? Il en fera la demande à ses beaux-parents. Ceux-ci se feront évidemment un plaisir d’accéder à cette requête. La jeune femme sera alors ornée de ses plus beaux vêtements et parures en rapport avec son rang. On fera venir son mari dans le local destiné à l’exhibition, où il recevra un siège aux côtés de ses beaux-parents, puis la jeune femme, au signe convenu, se présentera. Son mari la contemplera aussi longtemps qu’il voudra, lui fera prendre toutes les attitudes à son goût et la femme obéira gracieusement à tous ses désirs ; puis elle sera priée de se retirer. A partir de ce moment, il n’y a plus mystère entre elle et son mari.
  3. a) Comparons maintenant ce cérémonial, avec le mariage célébré chez les parents du jeune homme. En ce cas, la jeune mariée ne se montre qu’à ses belles-soeurs seulement, et à d’autres jeunes filles ou femmes de service. Elle leur parle aussi. Elle parle également à sa belle-mère, mais elle ne se montre pas à elle. Pour décider la bru à se montrer à elle, la belle-mère devra lui demander expressément cette faveur. A cette occasion, elle donnera à sa bru une vache, pour la remercier d’avoir accordé la faveur sollicitée. b) La jeune femme ne parle pas non plus à son beau-père, ni ne se montre à lui. Il devra en formuler la demande expresse, par l’intermédiaire de la belle-mère. La bru pourra alors parler à son beau-père. Le jour où elle se montrera à lui, il lui donnera également une vache de remerciement. c) Entretemps, le jeune mari aura déjà obtenu la faveur de parler avec sa femme. Il lui aura donné des cadeaux, pour la décider à lui parler. Avant de s’exécuter, la jeune femme en a sollicité l’autorisation à ses beaux-parents. — Le mari sera cependant le dernier à voir sa femme : il en fera la demande à ses parents. Ceux-ci lui présenteront leur bru dans le même décor que chez les propres parents de la femme, dans le cadre du gutahira. Mais ici le mari donnera également une vache à sa femme, pour la remercier d’avoir accepté de se montrer à lui.
  4.  Lorsque le mariage a été célébré chez les parents de la jeune fille, arrive finalement le temps jugé opportun pour la conduire chez son mari. La famille de ce dernier, qui a dû insister pour décider les parents de la bru à la leur envoyer, s’y préparent, avec le concours des parents et amis du foyer. Le cortège accompagnant la femme est composé comme il a été déjà décrit, sauf que, pour cette fois-ci, il n’est plus question des jeunes filles. Le cérémonial des discours imisango a lieu en ce moment, durant la nuit comme toujours, et le lendemain les compagnons de route de la jeune femme rentrent chez eux.

VIII. Mariages en secondes noces.

  1. Epouser une femme en secondes noces se dit gusumbakaza. La femme fiancée et épousée en ces conditions s’appelle umusambakazi. Le cérémonial réglant les fiançailles et la célébration du mariage se déroulent exactement comme il a été décrit au sujet de la jeune fille, y compris les discours dits imisango (durant les séances des fiançailles et des noces). On n’exclut que l’imposition de la momordique et autres cérémonies concernant l’état de virginité chez la femme.
  2. Le mariage d’une veuve doit être envisagé sous deux aspects. Si elle est épousée en secondes noces par un membre de la même famille que son mari défunt, le mariage s’appelle guhungura. Il n’y a alors aucune autre démarche : la famille prend acte de l’accord intervenu entre la veuve et tel homme du groupe, et la cohabitation commence sans autre cérémonie. Si la veuve ne désire pas se marier dans la famille de son mari défunt, et qu’elle est demandée par un homme appartenant à une famille étrangère, alors son mariage sera gusümbakaza comme dans le cas d’une répudiée. Elle aura, en effet, divorcé, en quittant la famille de son mari.

IX. Les formes de mariage que l’opinion désapprouve.

40. Tout ce qui vient d’être raconté concerne le mariage de jeunes filles. Il n’y a malheureusement pas que pareilles unions. Certaines jeunes filles n’étaient pas demandées à leur famille. C’était alors le mariage appelé guterura= littéralement : soulever, emporter, contre le gré de l’intéressée. Ou encore kwiba = voler.

N’entendez pas par là qu’on emportait la jeune fille physiquement. L’homme qui la voulait pour femme la faisait espionner et, avec le concours de quelque ami, la surprenait et lui imposait la momordique sur la tête, arrosait sa tête avec le jus de mbâzi, dont il retenait en bouche des feuilles mâchées. Il déclamait ensuite une ode guerrière, et déclarait : Je t’épouse ! — Etant donné la superstition attachée à cette cérémonie, les parents de la jeune fille étaient contraints d’accepter ce mariage de surprise et conduisaient la jeune fille chez le coupable.

  1. Le motif de ce vol reposait principalement dans la crainte de se voir refuser son élue, si on allait la demander suivant les coutumes. On voulait ainsi mettre les parents devant un fait accompli. Mais le voleur devait faire attention à une chose : la jeune fille devait être vraiment de son rang social. Si un homme de condition quelconque tentait de voler une jeune fille de grande famille, l’acte serait considéré comme une pure folie. Le coupable s’exposerait à de terribles châtiments, suivant l’axiome : ihene ntibangulïrwa intama= le bouc ne peut monter la brebis. C’est-à-dire : la race caprine (symbole de race ou de rang social inférieur), ne peut prendre ses femelles chez la race ovine (symbole de race ou de rang social supérieur). En d’autres mots : les actes symboliques de mariage ne sont valides qu’à situations analogues dans la société.
  2. A conditions sociales égales, il existe un moyen d’annuler les effets tant redoutés, considérés comme attachés à la momordique et aux mbazi : l’intervention du Muse, opérateur dont l’influence est reconnue en ces matières (chap. IX, n° 7). Au lieu d’être livrée à son coupable agresseur, la jeune fille passerait la nuit en la maison dudit fonctionnaire. Durant cette nuit même, les parents de la jeune fille accompliraient l’acte conjugal, annulant l’influence de la momordique et libérant leur enfant. C’est pourquoi lorsque cette intervention du Muse est à craindre, le coupable s’arrange de manière à surprendre la jeune fille chez des complices, qui sortiront de leur habitation, permettant ainsi à l’homme de contraindre immédiatement sa victime à la consommation du mariage. Pareille violence n’est cependant pas concevable chez les Hamites : elle est employée par les Bahutu. Ceci change les choses, car le mariage consommé ne permet plus à la fille d’être considérée comme non mariée. Ne croyez cependant pas que pareils mariages seraient nécessairement peu viables : ils réussissent dans la même proportion que les autres, d’autant plus que l’homme s’y résout par peur de ne pas obtenir la main de la fille convoitée.
  3. Il faut noter aussi le cas de jeunes filles qui se rendaient d’elles-mêmes chez l’homme de leur choix. Ce cas s’appelle kwishyingira = se faire épouser. Cet incident, car cela en était un, se produisait rarement certes, mais il avait lieu et il a été consacré par un terme technique indéniablement authentique. La cérémonie du mariage coutumier n’était pas alors observée : la vie commune commençait dès que la jeune fille entrait chez l’homme qu’elle aimait. Cela devenait évidemment dans toute la région un sujet de risées aux dépens de la fille sans pudeur. Les jeunes filles ne savaient plus où cacher leur honte, car en cette matière précise de pudeur et de chasteté, l’axiome résume ainsi les commentaires dont leur état devient l’objet : umukwôbwa aba umwe agatukisha bose ! = Une jeune fille, agissant pour elle seule, fait retomber le blâme sur toutes les autres ! — Mais après quelque temps, tout se tasse ! Les parents des deux parties régularisent la situation, en stabilisant l’union par l’échange de la dot et des gages coutumiers.
  4. Ajoutons le mariage entre un homme et une veuve qui reste dans le foyer de son mari défunt. Ceci est tout à fait spécial : la femme n’a pas divorcé, puisqu’elle reste en possession des biens de son mari. Elle a en principe au moins un enfant, dont elle est tutrice. Si un étranger consent à la trouver chez elle, au lieu de la conduire chez lui, ce mariage s’appelle kwinjira = entrer ; pénétrer dans. Comme cet homme n’appartient pas à la famille du premier mari, il n’a rien à dire au foyer : les biens de la maison ne lui appartiennent pas. C’est un homme pauvre qui a trouvé une femme désireuse de cohabiter avec un quelconque du pays. En conséquence, les enfants qui naîtront de cette union appartiendront à la famille du mari défunt, exactement comme si la veuve s’était méconduite avec des inconnus (chap. X, no 35 sq.).
  5. Mentionnons enfin les unions en soi instables. Il s’agit de femmes reconnues comme incapables de tenir un ménage, de se lier, en principe, définitivement à un homme. Dans les régions montagnardes du Nord, cette catégorie de femmes porte un nom aussi pittoresque qu’intraduisible : ibinyaruka, au singulier ikinyaruka dont le sens général est : en-vitesse. Ces femmes-envitesse ne sont évidemment pas demandées en mariage par le cérémonial des fiançailles. Lorsque l’une ou l’autre d’entre elles plaît à tel individu, il la prend sans s’embarrasser de dépenses inutiles que lui occasionnerait le cérémonial des fiançailles et des noces. L’acte de prendre une femme en ces conditions, se dit gucyura = introduire chez soi. Le terme peut cependant s’appliquer, en général, aux unions contractées avec n’importe quelle femme mariée, par opposition au mariage avec une jeune fille. Il devient toutefois spécial concernant ces femmes en-vitesse, auxquelles ne convient aucun terme technique des formes diverses ayant trait aux unions en principe stables.
  6. Il importe de souligner, du reste, que l’intéressé, au lieu de recourir à la famille de cette femme, s’adressera directement à elle, soit personnellement, soit par l’intermédiaire d’un ami. Engager les pourparlers en cette affaire, se dit kureshya = tendre l’appât. L’homme qui introduit chez lui la femme-en-vitesse, sait bien qu’un concurrent viendra un jour ou l’autre tendre l’appât à son tour. Aussi semble-t-il plus juste de considérer pareille cohabitation, en soi temporaire, comme ne constituant pas une forme de mariage au vrai sens du mot. X. Les noms que la femme ne pourra pas prononcer.
  7. a) Du fait de son mariage, la femme doit se plier à une interdiction spéciale, concernant certains noms propres de sa nouvelle famille. Peu importe donc qu’elle s’unisse à son époux actuel comme jeune fille ou comme femme déjà mariée, sous l’une ou l’autre forme de mariage que nous avons tantôt décrite. Elle ne peut plus prononcer le nom de son beau-père, de sa belle-mère et de tous leurs consanguins du même degré généalogique. Prenons, en exemple, l’arbre généalogique des Bahigo : la femme qui épousera NTWALI, ne prononcera pas les noms de Bugabo, de Rugira, de leurs femmes (D + Z), de leurs soeurs Hirwa et Gakima (chap. IV, no 20). Elle évitera également les noms de tous les Bahigo de la 5e génération ; à savoir Ruvuga, Ruvugwa, etc., (chap. III, no 3 et 32), parce que tous les hommes appartenant à cette génération sont frères de Bugabo ; ils sont les mon-père-notre de Ntwali. Elle ne prononcera pas, non plus, les noms de leurs femmes, car elles sont sur le même pied que D + Z; ni ceux de leurs soeurs (à savoir les femmes Bahigo de sang, de la 5e génération), parce qu’elles sont exactement dans le même cas que Hirwa et Gakima. b) Par contre, elle peut prononcer tous les autres noms des Bahigo, de la 4e génération et au-delà, et tous ceux de la 6e génération à laquelle appartient son époux.
  8. Cette interdiction se dit gutsinda = désigner certaines personnes par des noms imagés. La femme déploie une ingéniosité extrême pour observer cette règle. Toutes les personnes qu’elle ne peut nommer, bénéficient, de sa part, d’appellations symboliques ; la plupart du temps, les titres des odes guerrières lui viendront en aide : ainsi le mot initial de telle ode guerrière de Bugabo servira de nom propre grâce auquel elle le désignera. b) La plus grosse difficulté sera constituée des noms communs du langage courant, dans lesquels se retrouve, en tout ou en partie, le nom propre de telle personne qu’elle ne peut désigner directement. Ainsi le nom de Bugabo signifie courage (dont le radical est Gabo). Les femmes qui évitent de le nommer, ne pourront pas prononcer les mots comme umugabo (homme ; témoin), ingabo (bouclier) ; imigabo (le dessein ou décision personnelle). Pourquoi ? Parce que tous ces termes renferment le radical Gabo, qui se trouve dans le nom de Bugabo. L’entourage immédiat connaît certes tous les symboles par lesquels la femme désigne les hommes et les choses, en ce domaine. Mais un étranger aura souvent besoin d’un interprète.
  9. L’affaire se complique encore davantage, lorsque la femme a épousé un cousin-mubyara (chap. IV, no 54). Dans ce cas, en effet, elle ne peut plus prononcer le nom de sa propre mère, puisqu’elle est la sœur de son beaupère. Ceci serait le cas, si la femme en question était Humura, épouse de Ntwali (chap. IV, no 20). Elle ne peut pas prononcer le nom de Gakima, puisque celle-ci est sœur de Bugabo, lequel est devenu le beau-père de Humura. b) Non seulement elle ne peut plus prononcer le nom de Gakima (sa propre mère), mais encore elle ne peut prononcer celui de Ngabo, son propre père, et ceci pour deux raisons : 1° ce nom renferme le radical Gabo, qui est le même que celui de Bugabo. 2° Parce que Ngabo est mari de Gakima, femme dont le nom propre tombe sous l’interdiction. c) Notons cependant que l’interdiction ne concerne pas les noms des personnes non encore mariées. La femme peut prononcer les noms propres des individus qu’elle ne pourrait pas désigner directement s’ils étaient adultes (voir chap. X, no 25, b).
  10. Les brus du roi ne peuvent pas prononcer son nom de famille, mais elles peuvent le désigner par le nom de règne, parce que celui-ci n’est pas coutumier. Ses femmes peuvent de même désigner la Reine Mère par son nom dynastique XI. La conception rwandaise sur l’idée du mariage.
  11. Nous venons de décrire les cérémonies du mariage et les diverses formes sous lesquelles il pouvait être conclu. Un aspect assez particulier de cette description aura pu échapper à l’un ou l’autre lecteur. Aussi me reprocherais-je de ne pas y attirer son attention. Les coutumes racontées sous les n°8 15-20 de ce chapitre ont été groupées sous le titre de : l’Essentiel du mariage rwandais. Si l’imposition de la momordique et l’arrosage du jus de mbazi constitue l’essentiel du mariage, que devons-nous penser des mariages en secondes noces ? Sont-ils invalides, du fait que la cérémonie soi-disant essentielle n’y figure pas ? — Voilà la grande objection que le lecteur aurait fini par poser, même si à la première lecture, l’évidence ne s’en était pas encore cristallisée.
  12. a) Disons tout d’abord qu’il s’agit ici d’une simple analyse des institutions coutumières, d’un raisonnement déductif, et non d’une tradition déclarative, formellement reconnue comme telle. Cette déclaration préliminaire étant posée, je puis avancer ce qui suit : b) Aux yeux de la coutume rwandaise, il n’y a, en réalité, qu’un seul mariage : celui de la jeune fille, exprimé par le verbe kurongora = épouser une jeune fille. Une fois qu’elle est devenue femme-mariée et que, veuve ou divorcée, elle s’unit à un autre homme, on ne lui appliquera pas le verbe kurongora (épouser) ; mais on dira yatashye mu nzu = elle est entrée dans une maison. Posez la question au mari : Waramurongoye ? = L’as-tu épousée ? — Il répondra : Sinamurongoye, naramucyuye = « Je ne l’ai pas épousée, je l’ai fait entrer chez moi ! » C’est-àdire : « Ce n’est pas moi qui l’ai fait passé de l’état de jeune fille à celui de femme, mais je l’ai prise après qu’elle avait été épousée par un autre.)
  13. a) Je prie le lecteur de ne pas examiner le fait sous l’emprise de la conception occidentale sur le sujet. La coutume rwandaise ignorait le lien indissoluble du mariage (chap. V, no 37). De plus, les Rwandais ne pouvaient avoir les principes que nous avons actuellement acquis par le contact intime établi avec la loi du Christianisme. Rien ne pouvait donc venir s’opposer à cette conception particulière, liant l’essence du mariage au grandiose cérémonial durant lequel la jeune fille passait de l’état de vierge à celle de femme. On remarquera, en effet, que dans notre structure du Rwanda hamite, une jeune fille n’est pas une femme, et qu’on ne peut pas lui appliquer ce vocable comme on agit concernant les filles dans la culture occidentale. b) Il s’ensuit que le mariage, dans le sens de cohabitation stable des époux, ne devrait pas se traduire en kinyarwanda par le verbe kurôngora, mais par le verbe gushaka. Ce dernier verbe s’applique indifféremment au mariage d’une jeune fille et au mariage en secondes noces, et comporte, en plus, l’idée de cohabitation stable. Le lecteur se demandera sans doute pourquoi je n’ai pas employé plutôt ce verbe de gushaka, lorsque je décrivais les cérémonies du mariage. Je lui rappellerai que mon rôle était justement de décrire ce qui est, et non d’introduire un sens plus conforme à la pensée occidentale. Lorsqu’il s’agit de ce que l’on appelle, en français, les cérémonies du mariage, le verbe usité est kurongora = épouser une jeune fille. Il importait cependant de replacer l’idée du mariage rwandais sur le plan d’une union stable, et c’est la raison de cette conclusion. Même dans le mariage chrétien, on a adopté la terminologie usuelle : on dit kurongora. Dans la pensée traditionnelle cependant, on peut kurongora sans avoir l’intention de cohabiter d’une manière stable avec la jeune fille épousée. On pouvait, en effet, kurongora par pure cérémonie, par exemple en l’honneur de tel ancêtre, puis abandonner la jeune épousée une fois le rite achevé. Tandis que le verbe gushaka umugore, littéralement : chercher une femme, suppose l’idée d’une union en principe stable.