LES FIANÇAILLES ET LES PRÉPARATIFS DU MARIAGE

 

  1. Comment les futurs époux se connaissent. a) Nous avons vu, il y a un instant, que le choix de la jeune fille ne dépend pas seulement de la volonté du jeune homme. Il faut faire intervenir l’oracle divinatoire, établissant que la future épouse sera porte-bonheur pour son mari, et que d’autre part le mukurambere, ou ancêtre titulaire du futur ménage, agrée le choix integrvenu. b) Mais avant d’engager les consultations divinatoires, le jeune homme a commencé par indiquer à ses parents la jeune fille qu’il aime. Il peut arriver que, pour sauvegarder des intérêts familiaux, les parents des deux futurs s’entendent préalablement et mettent les deux jeunes gens devant un fait accompli, sans avoir sollicité leur accord. Mais en réalité, ceci n’est pas la règle générale. Comme l’initiative vient toujours du jeune homme, ses parents attendent que leur enfant manifeste d’abord le désir de se marier, et fasse connaître la jeune fille qu’il aimerait épouser. Le jeune homme ne s’en ouvrira pas directement à ses parents : les règles de la pudeur ne permettent pas aux parents d’aborder pareils sujets avec leurs enfants. Par l’intermédiaire de ses frères et sœurs, de ses oncles, tantes ou amis, les parents sonderont les pensées de leur enfant.
  2.  C’est qu’en effet le jeune homme qui veut se marier en parle à cette catégorie de personnes. C’est aussi en général, par leur intermédiaire qu’il tâchera d’avoir les informations sur sa future fiancée. Surtout ses soeurs seront d’un secours précieux en cette matière, étant les seules à pouvoir se familiariser avec la jeune fille en vue. Elles la fréquenteront, causeront avec elle d’une manière suivie et examineront comment elle s’occupe des affaires du ménage. Elles pourront, mieux que n’importe qui, fournir des informations précises sur son caractère. A défaut des soeurs, toujours à l’insu de la jeune fille, les personnes servant d’intermédiaires tâcheront de gagner des espions mieux placés pour observer et renseigner.
  3.  Ces manoeuvres d’espionnage, lorsqu’elles sont confiées à des parents mâles du jeune homme (chargés de rencontrer, fortuitement en apparence, la jeune fille en question), s’appellent kurambagiza ; c’est-à-dire : espionner une fille dont on voudrait demander la main. Ces espions organiseront de même une rencontre fortuite du futur fiancé avec son élue. Un coup d’œil suffit en se croisant en chemin, car le kurambagiza est destiné à mettre, par surprise, la jeune fille en présence de personnes qui voudraient voir si elle est belle, si elle n’a pas un défaut physique gâtant l’ensemble de ses qualités. On peut aussi rechercher des informations sur des jeunes filles éventuellement intéressantes qu’on ne connaît pas. Les Hamites, en ce cas, peuvent même mobiliser des parents et des amis de régions fort éloignées. Donner ces indications favorables sur une jeune fille inconnue, éventuellement fiançable, se dit kuranga; littéralement : signaler une chose qu’on recherchait.
  4. On se demandera le pourquoi de ces laborieuses manoeuvres autour de la jeune fille. Ne peut-on l’aborder en toute franchise ? Non ; parce que dans la culture traditionnelle du vieux Rwanda, la pudeur interdit aux jeunes filles d’aborder ce sujet de mariage. Il est d’autre part impensable que les jeunes filles et les jeunes gens se mêlent dans la vie quotidienne. Dès que la jeune fille atteint l’âge appelé umwanga-vu, c’est-à-dire : littéralement : ennemie de la cendre (environ 13 à 15 ans), elle doit s’écarter de la compagnie des hommes. Les jeunes gens de son voisinage peuvent certes la rencontrer en chemin, la saluer en passant, lui adresser la parole et lui poser des questions de la vie courante, mais ils ne pourront engager des conversations soutenues avec elle. Elle sortira en groupe avec d’autres jeunes filles, mais jamais dans un groupe de jeunes gens, ni à plus forte raison avec un seul jeune homme. La jeune fille ne restera que dans un groupe de festivités, où femmes et hommes de tout âge sont assemblés. Mais dans les petits groupes où hommes, jeunes gens et femmes devisent en privé, la jeune fille qui se respecte ne viendra pas prendre place. Elle ira travailler chez sa maman ou constituer un groupe à part avec d’autres jeunes filles (chap. X, no 39-41). En agissant autrement, elle se ferait la mauvaise renommée de fille sotte, qui passe son temps à rire avec les jeunes gens et les hommes, et par conséquent de mœurs légères. Cette mauvaise renommée la condamnerait à ne pas trouver un mari, car les informateurs du fiancé éventuel rapporteront toujours qu’elle n’est pas sérieuse, qu’elle n’a pas la pudeur instinctive propre aux jeunes filles, puisqu’elle prend plaisir aux assemblées d’hommes ! De plus, on pourra l’accuser de se mettre en vedette devant les jeunes gens ou les hommes, en vue de leur plaire. Bref, la jeune fille rwandaise n’était jadis accessible qu’aux autres jeunes filles, aux femmes, aux hommes de sa parenté, et aux voisins du domicile paternel. Les étrangers aux cercles mentionnés ne pouvaient l’atteindre et la connaître que difficilement. D’autant plus d’ailleurs que tous ces hommes et femmes qui l’observent sont peut-être des espions de son fiancé éventuel : elle sait que cette manoeuvre existe, car sa maman le lui répète presque chaque jour pour la maintenir dans le droit chemin.
  5. Mais la méfiance de la jeune fille dépassait le degré décrit, lorsqu’elle était de race hamitique. Dans ce cas, en effet, tout en se confinant aux règles que nous venons de rappeler, elle ne pouvait rencontrer aucune personne de son rang social, et consentir à la croiser même sur le chemin. Cette dernière licence était reconnue aux jeunes filles Bahutu. Quant à celles de la noblesse, elles devaient gutinya ; c’est-à-dire craindre = éviter rigoureusement la rencontre de personnes hamites qui ne leur étaient pas connues. Dès qu’elles apercevaient à distance un homme de cette condition, elles quittaient le sentier et prenaient une autre direction ; ou bien si elles ne pouvaient le faire, elles se couvraient la tête et se voilaient le visage, au moyen de l’habit de dessus qu’elles portaient en bandoulière, pendant de l’épaule droite. Cette règle de craindre obligeait également les femmes hamites mariées. Ces dernières, si elles ne pouvaient pas aisément s’écarter, ou se voiler le visage d’une manière décente (car il ne s’agissait pas de se voiler de n’importe quelle façon : il y avait la mode !), elles envoyaient dire à cet inconnu qui s’approchait : Baraguheza ! = On vous demande de ne pas approcher ! Alors le Hamite obéissait et faisait lui-même le détour qui s’imposait, ou bien attendait patiemment pour continuer son chemin, que la femme se soit retirée. Lorsque, dans ces conditions, telle femme n’observait pas cette règle, c’était le signe qu’elle méprisait l’inconnu, le traitant en personnage d’un rang inférieur à celui qu’elle occupait elle-même dans la société.

Quant aux femmes Bahutu, cette coutume de craindre ne les concernait pas. Celle d’entre elles qui s’avisait de l’observer, devenait la risée de tout le monde.

Les démarches préliminaires et la cérémonie officielle des fiançailles.

6.Les fiançailles s’amorcent d’abord oralement, soit par le père du jeune homme, soit par son chef patriarcal, avec le père de la jeune fille. L’assurance du consentement, ici aussi après entente avec sa propre famille (Umulyango) est signifiée par ce dernier au père du jeune homme, en privé également. Dès lors on fixe la date à laquelle le père du fiancé demandera officiellement la main de la jeune fille. Il n’ira pas lui-même à cette cérémonie : il y enverra un frère, un ami intime, ou, s’il s’agit d’un Hamite, un serviteur de la même race que lui. Au jour convenu, le père de la jeune fille invitera les membres de sa famille (Umulyango) et autres amis qui peuvent venir aisément. Si son chef patriarcal est présent, c’est à lui que l’on s’adressera, car le père de la jeune fille est son sujet.

7.La cérémonie des fiançailles chez les Bahutu (race Bantu), revêt moins de solennités que chez les Hamites (Batutsi). Nous allons décrire le rite traditionnel que suivent ces derniers, puis nous indiquerons les points qui manquent chez les Bahutu, et même chez les Batwa (Céramistes — Pygmées). Pour ne pas rester dans le vague, nous maintiendrons nos personnages connus : le jeune homme est notre TEGERA fils de MUKORE. La jeune fille est Hirwa, fille de MUTWA

8.Le délégué est accompagné : 1° D’une cruche de bière, de très bonne qualité ; c’est-à-dire dans la fabrication de laquelle on a employé une certaine quantité de miel. La cruche est portée dans un panier d’osier, fermé d’un couvercle. 2° D’une houe neuve = isuka, au pluriel amasuka, forgée au Rwanda, et de minerai rwandais. On exclut en cette matière toute houe importée, ou forgée en de vieilles houes de provenance étrangère, et n’appartenant par conséquent pas à la culture rwandaise, qui a créé le cérémonial en question. Ladite houe est portée dans un panier spécial. 3° A cette houe est attachée, dans le sens de la longueur, la plante grimpante appelée umwishywa, au pluriel imyishywa = la momordique. La tige doit avoir été débarrassée de ses crampons, mais de manière à laisser intact son bourgeon terminal. 4° Une belle vache laitière (avec son veau) ou bien une grande génisse. Les porteurs des deux paniers doivent marcher en avant et la vache les suivre.

9.a) Lorsque le jeune fiancé appartient au clan dynastique, celui des Basindi (totem grue-couronnée = umusambi), on doit ajouter un cinquième objet ; à savoir un bâtonnet bident dit isando, au pluriel amasando. Le bident est préparé en une branche de l’arbuste umucyuro, au pluriel imicyuro ou bien du ficus = Umuvumu, au pluriel imivimu, mais de l’espèce appelée umutaba, au pluriel imitaba. Ce bident isando enfermé dans le même panier que la houe et la momordique, a été maintenu par la tradition comme institution propre à la culture pré-rwandaise de la présente dynastie.

b) Une note importante : le roi ne se fiance pas suivant le rite du commun que nous décrivons : on lui amène toute jeune fille que ses émissaires secrets lui ont indiquée comme étant exceptionnellement belle. Elle vient à la Cour et on engage les consultations divinatoires à son sujet (voir chap. VI, no 17, c). Si elle avait été fiancée à un autre, ce dernier doit de droit cder devant son souverain. L’axiome le déclare ainsi : Umwami akûra Umututsi = le roi supplante le noble. Mais l’axiome ne joue pas en faveur d’un noble plus puissant : en ce dernier cas, ce sont les convenances qui décident le premier fiancé à se désister, s’il le veut ainsi.

10.Arrivé à la résidence du père de la jeune fille, le délégué du fiancé reste à la cour extérieure et se fait annoncer, suivant la coutume entre Hamites. Comme on sait qu’il arrive avec une vache, on allume le foyer pastoral (igicaniro) suivant les règles concernant la réception de vaches. Un homme d’entre les invités est envoyé de l’intérieur pour dire à l’hôte qu’il peut entrer. La mère du foyer avec sa fille, ainsi que les femmes et filles amies, sont assises dans les parties privées de la case principale, où l’hôte doit être reçu. Les hommes occupent les places accessibles au public.

11.Dès que le délégué entre dans la case, il salue d’abord le plus digne de l’assemblée, qui occupe le siège d’honneur, c’est-à-dire le patriarche de la famille (Umulyango), ou en son absence, le père du foyer. Il salue ensuite les invités, puis passe à l’intérieur pour saluer la mère du foyer, et les invitées que cette dernière lui présentera. Il revient sur ses pas, et il prend place sur le siège qui lui est réservé, à côté du plus digne auquel il va s’adresser.

12. Un moment d’après, les deux porteurs des paniers s’introduisent. Le porteur de la cruche de bière dépose le panier devant le délégué et enlève le couvercle. Il détache la feuille verte de bananier qui fermait la cruche. Un homme de la maison présente au délégué deux chalumeaux. Ce dernier en passe l’un au porteur, qui goûte à la bière et relève le chalumeau aussitôt, en aspirant vivement le contenu, de manière qu’aucune goutte n’en rentre dans la cruche. Cette cérémonie est de règle pour prouver que la boisson n’est pas empoisonnée, même lorsque, comme c’est le cas, le soupçon n’entre pas en ligne de compte. Ce chalumeau que le porteur (de race Bantu) a mis en bouche, est repris par le même homme de la maison, car les nobles présents ne pourraient pas s’en servir. Le délégué, à son tour goûte à la cruche de la même manière, avec le chalumeau qu’il avait retenu. Il le présente au plus digne, qui le plonge dans la cruche, avale quelques gorgées et déclare : « La bière est vraiment bonne ! elle est même excellente ! » Il doit le dire ainsi, ou en d’autres mots : c’est la règle. Tous les invités emploient le même chalumeau à tour de rôle, et ne manquent pas de souligner la qualité excellente de la boisson. La cruche est ensuite portée à la mère du foyer qui en goûte, ainsi que ses amies. La cruche revient ensuite devant le plus digne et on l’y dépose sur un coussinet, artistement orné de dessins, comme il convient en pareils cercles. C’est la mère de foyer qui, entre-temps, l’y a fait déposer. L’autre panier, contenant la houe (et le bâtonnet bident isando, si c’est le cas), a été déposé là également, à portée de main du délégué.

13. Entre-temps, la vache a fait son entrée dans la cour intérieure, devant la case où se donne la réception. L’arrivée du bovidé a été délicatement signalée à la mère de la jeune fille. Elle a fait signe à son enfant de pousser, à voix basse bien entendu, l’acclamation de joie (kuvuza impundu), que la coutume réserve aux seules femmes et filles dans les circonstances solennelles de réjouissance publique ou de triomphe. C’est, en effet, le moment le plus solennel qui fixe l’avenir de l’enfant. La vache ne pourra pas quitter la cour intérieure, avant d’y avoir lâché de la bouse ou bien du purin. Le symbolisme qu’on attache à ce fait, est que la vache payée en gage d’alliance, signe ainsi sa consécration au foyer, et par ricochet la stabilité, chez son mari, de la femme qu’elle vient chercher.

14. Jusqu’ici l’hôte cause avec les invités sur un ton de fiction complète : on ne sait pas pourquoi il est venu. La vache qui se trouve là, en présence de tout le monde, personne ne la voit. Le plus digne de la famille se répand en admiration pour la générosité du voyageur qui, entrant chez lui, fait cadeau d’une si excellente boisson, alors que d’ordinaire les hôtes reçoivent plutôt, de ceux qu’ils visitent, pareilles attentions.

15.Le délégué qui a commencé par se prêter au jeu de cette fiction, veut renchérir et ouvre l’autre panier. Il en retire la houe ornée de la momordique umwishywa, et la présente au plus digne, en disant : je ne vous ai pas apporté seulement de quoi étancher la soif ! Voici également un précieux instrument de travail, qui vous permettra de cultiver et de récolter abondamment ! Et puis, ouvrez donc les yeux : voilà une belle vache qui accompagne mes généreux cadeaux ! — En ce moment on observe enfin la présence de la vache. Mais on ne l’admire pas trop, car nous allons en comprendre tantôt le motif. On écarte la cloison centrale (urugi rwo hagati) de celles qui séparent la case en compartiments privés et publics, afin que la mère de foyer et ses amies puissent voir la vache. Elles ne doivent pas craindre, en effet, puisque les assistants sont de la famille, et que l’hôte, s’il est inconnu des femmes, ne pourra jamais satisfaire sa curiosité en cette circonstance : il tiendra ses yeux tournés ostensiblement ailleurs.

  1. S’adressant ensuite au président de la famille, l’hôte s’exprime à peu près en ces termes : « Mettons fin aux fictions ! J’ai une parole sérieuse à dire ! » A ce signal, tout le monde garde le silence le plus profond. Le chef de la famille écoute le discours, tenant la houe, par le bout effilé, sur ses genoux. Le délégué parle à peu près en ces termes à celui qui préside la réception : « C’est à vous que je m’adresse, ô MUTWA ! MUKORE m’a chargé d’un message pour vous. Voilà la bière, la houe et la vache qu’il m’a chargé de vous remettre. Vous êtes frères, et cela n’a pas commencé par vous : c’est un enchevêtrement de relations traditionnellement conservées entre les deux clans. Je ne parle du reste pas de la sorte en tant que simple délégué : il m’a confié le message au sujet de faits qui me sont depuis longtemps familiers. Le clan des Bagesera a donné tant d’épouses au vôtre, et les épouses de votre clan qui ont été mères de familles entières de Bagesera ne sauraient être comptées. Aussi m’envoie-t-il renouveler le geste qui ne surprendra personne : il vous demande une autre épouse ! »

17.« Le message est de fait assez sérieux ! » répond MUTWA. Ce que vous venez de rappeler est très exact : les relations entre notre clan et celui des Bagesera remontent à des époques très anciennes, et nombreuses sont les familles qui, de part et d’autre, ont eu leurs mères échangées entre les deux parties. Toutefois je suis au regret, pour cette fois-ci, de devoir avouer que la requête ne peut être retenue ! Notre famille (Umulyango) a certes de nombreuses jeunes filles, mais elles ont été toutes fiancées ! MUKORE, qui est mon frère, ne voudra certainement pas que je m’attire des inimitiés en déboutant tel ou tel autre noble auquel j’avais déjà donné ma parole !»

18. « Nous ne demandons la main d’aucune jeune fille fiancée, réplique le délégué ; la nôtre est certainement libre, nous sommes bien renseignés. » — « A laquelle faites-vous allusion ? » demande MUTWA. — « C’est de Hirwa qu’il s’agit ! » répond le délégué. — « Oh ! celle-là ? demande MUTWA d’un air surpris ; excusez-moi, je n’y pouvais penser ! Mais c’est une enfant d’hier ! Elle n’est pas en âge de se marier et c’est pour cela que, en vous donnant ma réponse, je ne songeais même pas à elle ! » — « Cela n’est rien, réplique le délégué. Vous jugez qu’elle n’est pas encore en âge de se marier ; quant à nous, qui nous y intéressons davantage que vous, nous sommes certains qu’elle nous convient et nous ne désirerions pas la voir autrement qu’elle n’est actuellement ! »

19. « Eh bien ! acquiesce MUTWA, puisque vous la désirez tant, je vous l’accorde ! » En ce moment les invités présents se lèvent, sortent de la case en courant, arrachent des feuilles de ficus dominant la palissade de l’enclos. Ils rentrent en déclamant des odes guerrières et déposent les feuilles aux pieds de MUTWA. C’est ainsi qu’on exprime la reconnaissance en style rwandais. Les assistants remercient le père de la jeune fille, au nom du délégué, pour le don qu’il vient de faire à MUKORE, de l’épouse demandée (chap. XI, no 11).

20. Dès que la scène de remerciements a pris fin, MUTWA reprend :«Il est entendu, l’épouse demandée est accordée. Mais la famille de MUKORE est assez nombreuse. L’a-t-il demandée pour lui-même ou en faveur de l’un ou l’autre de la famille ? Je voudrais connaître le nom de mon gendre ! » —«Il l’a demandée pour son fils TEGERA !» répond le délégué. — « C’est merveilleux ! commente MUTWA. Ce jeune homme, je l’aimais tant, sans savoir qu’il devait devenir mon fils ! Que ne ferais-je pas désormais ! Je vous demande de faire savoir à MUKORE que j’accepte avec une joie d’autant plus grande, qu’il s’agit d’un tel gendre ».

21.« Je me vois toutefois acculé à vous déclarer conclut MUTWA, que si je suis content de la bière et de la houe, je ne le suis pas autant de la vache de mauvaise qualité qui m’a été envoyée. Je ne l’accepte pas, celle-là ». — « Nous sommes heureux du don que vous venez de nous faire, répond le délégué. Quant à la vache dont vous n’êtes pas content, ne vous en inquiétez pas : nous allons la remplacer très prochainement par une autre, la plus belle de nos troupeaux (n° 28). Nous ne devons du reste pas tant tarder, car nous sommes pressés. » L’assistance approuve ostensiblement les propos qui viennent d’être échangés. On cause encore quelques moments, puis le délégué prend congé et se rend chez MUKORE auquel il fait un rapport circonstancié de la mission qu’il lui avait confiée.

22. Si la vache donnée en gage est laitière, on la trait ; MUTWA et sa femme goûtent à son lait. Ils accomplissent ensuite l’acte conjugal, cérémonie qui en la circonstance s’appelle kwakira = agréer. L’acte d’agréation est nécessaire pour la première fille fiancée ou pour le premier garçon qui se fiance. Pour les jeunes frères et soeurs éventuels, les parents peuvent accomplir la cérémonie s’ils le veulent, mais n’y sont plus strictement obligés. Il en est de même si l’enfant contracte un autre mariage, soit par suite de divorce, soit à la mort de son conjoint : ses parents ne sont pas obligés à cet acte rituel.

23. La célébration que nous venons de décrire des fiançailles concerne la race des Batutsi (Hamites). La différence n’est pas bien grande, lorsque la cérémonie est entre Bahutu (race Bantu). Au lieu de la vache, la seule houe suffira pour solliciter le consentement officiel du père de la jeune fille. Bref, l’essentiel des fiançailles est identique dans les deux cas ; la différence n’est que degré de solennités, dépendant de la fortune. — La même remarque vaut pour les fiançailles entre Batwa.

24.Nous avons dit plus haut que la jeune fille de race Bahutu n’est pas astreinte à la coutume du gutinya (craindre), et qu’elle peut croiser en chemin n’importe quel homme de son rang social, assister à des fêtes populaires, à condition d’être réservée, de garder l’attitude que les règles de la pudeur imposent aux personnes de sa condition. Désormais, à partir de ses fiançailles, la règle du gutinya lui est imposée vis-à-vis de son fiancé. Dès qu’elle l’apercevra à distance, elle prendra une autre direction pour ne pas le rencontrer. Le fiancé lui-même marquera sa déférence en s’écartant le premier, pour ne pas gêner son élue. Celle-ci agira de même à l’égard des personnes mâles adultes de la parenté du fiancé, qui, de leur côté, se garderont de manquer à la courtoisie de règle.

25.Les fiançailles des filles du roi suivent un cérémonial tout à fait à part. Personne ne demande leur main : c’est leur père qui, de son propre mouvement, en faif fief au jeune homme de son choix. Il appellera le père de ce dernier ou son chef patriarcal, et lui fera savoir qu’en signe d’une faveur marquée, il donne en fief la princesse Une-telle, qu’épousera tel jeune homme déterminé. Le roi peut agir mêmement à l’égard des filles de ses frères. Ces dernières cependant peuvent être demandées en mariage suivant le rite traditionnel que nous venons de décrire.

 

  1. Le favori du roi, investi du fief-fiancée, du clan des Basindi, ou non, offrira à son futur beau-père le bâton bident isando. C’est le seul gage présentable au Roi. Mais en ce cas, c’est bien un bâton et non plus un bâtonnet. Le bident sera, en la circonstance, ou bien en fer forgé, ou bien en beau bois de dombeya (en Kinyarwanda = umukore), artistement taillé.

III. Les préparatifs immédiats du mariage.

27. Les préparatifs du mariage s’activent de part et d’autre. Les parents du fiancé, chez les Hamites, ne sont pas strictement astreints à des visites et présents à faire au foyer de la jeune fille. Par contre, les fiancés Bahutu enverront des cruches de bière à plusieurs reprises, pour serrer davantage les relations entre les deux familles. Dans les régions du Rwanda fortement hamitisées, les parents de la jeune fille recevront ses présents sans se préoccuper du nombre des cruches. Tandis que dans les régions où prédomine l’élément de la culture Bantu, surtout dans le Nord, on recevra ces présents et on gardera précieusement les coussinets ingâta, dont les porteurs se sont servi. Par ce moyen, le nombre exact des présents offerts sera connu (chap. XII, no 16). En toute hypothèse, les cruches de bière apportées par les parents du fiancé seront consommées en commun par la famille (Umulyango) de la jeune fille. Le mariage est une question, en effet, qui concerne la famille en tant que telle, et le foyer de la fille ne saurait s’approprier pareils présents. A chaque nouvel arrivage, les membres de la famille, qu’il est possible d’atteindre, sont invités à la réception des hôtes annoncés.

28. Lorsque l’habitation du futur ménage est déjà construite et qu’on veut procéder aux préparatifs immédiats du mariage, les parents du jeune homme en avisent ceux de la fiancée, par le cérémonial appelé gutebutsa = hâter l’arrivée. Chez les Hamites, ce sera un messager de leur rang social, d’ordinaire le même qui a amorcé les fiançailles. Il arrivera avec une cruche de bière, et la vache que le futur beau-père avait exigée (no 21). Il est entendu que la première vache jugée inacceptable, ne l’avait été que par pure cérémonie. C’était en réalité la plus belle, qui devait être définitivement retenue. Dans la nouvelle cérémonie, la deuxième vache est acceptée, mais également par pure forme rituelle. C’est elle qu’on renverra chez le fiancé. Le messager déclare que les préparatifs du mariage sont au point, et qu’on voudrait recevoir l’épouse promise. Le père de la jeune fille précise le nombre de jours qui lui sont nécessaires pour mettre, de son côté, les préparatifs au point, et conclut : Comptez tant de jours. Une fois qu’ils seront révolus, le lendemain soir vous aurez votre épouse ! Le cérémonial, en ses phases essentielles, est identique pour toutes nos races.

29. Les parents de la fiancée chez les Bahutu se procurent le trousseau, appelé ibyambarwa, c’est-à-dire : l’habillement. Il s’agit, non seulement des vêtements proprement dits, mais aussi de tous les objets de modes féminines propres à la région et à la condition sociale des deux parties. On y ajoute Ibirângôranywa = tous les ustensiles de ménage et une ou deux nattes pour literie. Le trousseau n’est du reste pas constitué aux frais du seul foyer paternel : les membres de la famille y concourent pour l’ordinaire, et les amis apportent leur quotepart. Il s’agit, en effet, d’une dépense extraordinaire qui intéresse tout le groupe et que chacun des cotisants recevra en retour en des circonstances analogues. Chaque membre de la famille n’avait-il pas du reste droit à la consommation des cruches de boisson offertes par le fiancé ?

  1. Le trousseau est beaucoup plus considérable chez les Hamites, surtout de la haute noblesse. Le montant peut atteindre le prix de deux vaches. Les ibyâmbarwa, vêtements proprement dits, sont d’au moins deux paires. On tient à déployer tout le faste possible, pour démontrer que l’épouse obtenue vient d’une famille puissante. On n’épargne vraiment rien en ce sens.
  2.  Quant aux ustensiles de ménage, Ibirôngôranywa, ils sont réglementés par la coutume : 30 paniers ibiseke, destinés à remiser tous les objets du ménage. — 20 pots à lait = ibyansi, au singulier icyansi, qui doivent s’étaler sur l’étagère = uruhimbi, où l’on conserve le blanc et précieux liquide de la gent bovine. — 2 injôme = petits pots en bois, à goulot étroit, destinés à servir du lait aux gens respectables. L’un est pour le mari, l’autre pour sa femme. — 2 bâtonnets dits imitôzo, au singulier umutôzo, dont se servira la femme pour battre le lait caillé. L’un des bâtonnets est plus grand pour le lait conservé dans les 20 pots de l’étagère = uruhimbi. Le plus petit est proportionné aux injôme. — 2 étuis dits udutana, au singulier agatâna, dont l’un renferme les 2 bâtonnets imitôzo, et l’autre deux chalumeaux imiheha, au singulier umuheha, servant à boire de la bière. — 2 couteaux élégants = ingongo, dont on se sert pour tailler, préparer les chalumeaux. — 4 impindu, au singulier uruhindu, dont se servent les femmes pour les travaux de vannerie. —4 aiguilles = inshinge, au singulier urushinge, destinées au raccommodage des vêtements. — 2 petits couteaux destinés à se tailler les ongles. — 1 grande étoffe préparée avec l’écorce de ficus, et dite impuzu ; cette pièce a été parfumée. — 1 peigne – urusokozo, au pluriel insokozo. — 1 peau tannée de vache, préparée pour servir d’habillement à la femme = inkanda. Elle doit avoir été également parfumée. — 1 autre étoffe en écorce de ficus, mais non parfumée — ikirôndo, destinée à être taillée en essuie-mains. — 3 ou 4 pots en courge = amacwende, au singulier icwende, contenant du beurre parfumé = amadahâno. — 2 pots en bois = imikôndo, au singulier umukondo, dont l’un contient du beurre frais = ikimuli. L’autre, qui est vide, servira à mélanger le beurre ordinaire au beurre parfumé avant de s’en oindre le corps. — 1 petite cuiller en bois, servant à puiser, de son récipient, le beurre parfumé = amadahano. — 1 baratte = igisabo, au pluriel ibisabo, enfermée dans son injishi, fait en forme de filet, en ficelles de ficus umutaba. Pour cette cérémonie, il est nécessaire que le filet soit de l’espèce dite nyabinyâtsi (à mailles très serrées), car cette forme est la seule rwandaise. Quant à la forme dite nyambo, (à mailles plus larges), elle a été imitée des Hamites Bahima, semi-nomades du Nkole, et n’est pas admise en ces cérémonies propres à la culture des Hamites rwandais.
  1.  Passons maintenant aux ustensiles ayant trait à la cuisine : 1 pot à cuire la pâte = ïnkono-ivuga, au pluriel inkono-zivuga. 1 pilon à pâte = umwuko, au pluriel imyuko, destinée à préparer justement cet aliment en farine de sorgho ou d’éleusine. — 1 pierre à moudre = urusyo, au pluriel insyo, et son brisegrain = ingasire. — 1 van = intara, qui servira à trier ou à vanner les denrées alimentaires nécessaires au ménage. Les préparatifs sont au point : on peut conduire la fiancé chez son futur.
  2. La liberté de la jeune fille.
  3. Disons pourtant en cet endroit, un mot sur la liberté de la jeune fille, en cet événement important de sa vie. Nous avons fait allusion, en un autre passage, aux faits qui limitaient le choix du jeune homme. Ces obstacles une fois écartés, la jeune tille était-elle condamnée à subir la décision de ses parents ? Répondons qu’en principe la jeune fille pouvait refuser le fiancé accepté par la famille. Ce refus est consacré par un terme technique universellement connu : kubenga. La jeune fille pouvait exprimer son refus de façons variées. Ou bien elle composait, avec ses compagnes de groupe local, une chanson contre le fiancé. La satire se répandait dans la région et le fiancé ne pouvait plus se présenter, honteux qu’il était de devenir l’objet d’une chanson satirique. Ou bien la jeune fille, durant le cérémonial des fiançailles, au lieu de pratiquer la coutume du gutinya, traversait le groupe des invités en présence de ceux qui étaient venus demander sa main. Ce geste signifiait:«Je vous méprise »
  4. Mais en pratique, lorsque le fiancé appartenait à une famille trop puissante, la jeune fille s’y prenait autrement ; au lieu d’attirer des difficultés à ses parents, elle se laissait faire jusqu’au mariage. Elle donnait ainsi à son fiancé les chances d’avenir annoncées par l’oracle divinatoire. Puis elle divorçait dès les premiers mois, et refusait absolument de retourner chez le mari dont elle ne voulait pas. En ce cas, les deux familles restaient en bons rapports, car on disait alors : « Nous n’y sommes pour rien ! Le conflit survenu entre les deux enfants est indépendant de nous ! »
  5.  La plupart du temps, les jeunes filles adoptaient ce dernier moyen. Le refus exprimé avant le mariage pouvait, en effet, comporter de gros risques. Les jeunes gens craignaient de se présenter, redoutant d’être également refusés comme le premier fiancé. Toutefois le risque n’existait plus, lorsque le fiancé refusé l’avait été à cause d’un défaut reconnu, ou d’une situation sociale équivoque.
  6. Il pouvait se faire, dans la plupart des cas, que la jeune fille ait été discrètement informée, par l’une ou l’autre de ses compagnes, que tel jeune homme plus intéressant aurait voulu se fiancer à elle, si le concurrent n’avait été socialement trop puissant. En e cas, le divorce hâtif devient l’expression de ce choix de la mariée : après avoir mis sa famille à couvert, elle se sépare de celui qu’elle n’aime pas, pour se marier en secondes noces avec son préféré. On ne peut donc affirmer qu’au Rwanda ancien, la jeune fille n’ait pas disposé
  7. Notons que les mêmes moyens étaient employés également par le jeune homme, auxquels les parents imposaient une fiancée par suite d’intérêts familiaux. Il pouvait la refuser avant le mariage (kubenga), ou l’accepter pour ne pas provoquer de haines entre les deux groupes, puis la répudier dès les premiers mois de vie conjugale. Ce moyen plus diplomatique repose sur le fait que la coutume ignorait l’indissolubilité du lien matrimonial.