VI. Particularités concernant les défunts sans postérité.

43. Si le mort est un enfant, non marié, avant d’envelopper son cadavre dans la natte, on met dans sa main des feuilles d’une plante appelée ishyoza, ainsi que quelques poils de laine prélevés à une brebis. Les deux objets mis dans la main de l’enfant symbolisent la paix entre lui et ses consanguins vivants. Si son esprit revient au milieu d’eux, que ce soit pour les protéger et non pour leur nuire.

44. Le deuil mené pour un enfant, par ses parents, se dit akabi = littéralement : le petit mauvais. On entendra des subalternes prêter serment à leurs patrons : ndakakwifuliza akabi! = que je te souhaite le petit mauvais! ; c’est-à-dire, la perte d’un enfant ! (sous-entendu: si je mens). Après l’enterrement de l’enfant, son père et sa mère accomplissent l’acte conjugal appelé en ce cas kumara akanapfu ; du verbe kumara = finir, mettre un terme à. Et du substantif akanapfu, composé de akana ? = petit enfant et de pfu, radical de uru-pfu la mort. Si bien que la formule kumara akanapfu aurait le sens de boucler le deuil de l’enfant mineur.

45. a) Si l’enfant était encore à la mamelle, ses parents suspendront leurs relations conjugales, jusqu’à la deuxième menstruation qui suivra la mort de l’enfant. Si, en effet, avant cette époque, la mère pouvait concevoir, l’enfant auquel elle donnerait le jour serait un portemalheur ; il est appelé umwana w’amabi = l’enfant du funeste (lait maternel). Le mot amâbi est ici un pronom, remplaçant le substantif amashereka (lait maternel) avec lequel il s’accorde grammaticalement. b) Cet enfant conçu à l’époque où sa mère avait encore un funeste lait dans le corps, devait être abandonné dans un marais et mourir de faim. Cette coutume n’est pas observée chez les Hamites.

46. a) Si le mort était l’un des jumeaux = impanga (chap. X, n° 24, b), le survivant devait s’étendre à l’endroit où son frère allait être exposé, ou dans la fosse où il allait être enterré. Il se relevait ensuite, et la dépouille mortelle de son frère-jumeau l’y remplaçait. b) Chez les Bahuitu, le survivant des jumeaux, à chaque nouvelle lune, devait s’étendre dans une bifurcation de sentiers = amayirabili, pour commémorer le décès de son frère. L’oubli de cette cérémonie mensuelle était censé pouvoir provoquer sa mort prématurée.

47. Si le mort ne l’était qu’en apparence, et reprend connaissance en temps utile, il porte le nom (commun) de muzuka = le ressuscité. Cette circonstance qui se vérifie assez souvent, démontre que certains morts pouvaient être enterrés vivants ; et que d’autre par le rapetissage dont nous avons parlé, n’est pas nécessairement assez brutal pour constituer le coup de grâce asséné aux moribonds.

48. a) La mort d’un adulte, marié. Ici le cérémonial des funérailles change, suivant que le mort laisse au moins un fils ou disparaît sans postérité. Dans le premier cas, il meurt en tant qu’individu, mais il continue à vivre dans sa postérité. Dans le second cas, le défunt est entièrement éteint, il disparaît de la vie sociale pour toujours apfa bucike = il meurt déraciné. b) Pour celui qui meurt déraciné, la veuve fait la toilette du cadavre et on lui met dans la main des feuilles de la plante ishyoza, ainsi que des poils de laine d’une brebis comme dans le cas des enfants non mariés. Mais il y a, en plus, que dans sa main droite on met un charbon éteint, qui signifie qu’il disparaît sans postérité, n’ayant pas remis le feu brûlant de sa vie à un fils qui devait le perpétuer. c) Lorsqu’on va le porter à sa dernière demeure, un homme précède le convoi funèbre, portant en main une torche éteinte.

49. a) Notons que si le mort est un enfant mineur, son cadavre ne sera pas porté à sa dernière demeure en passant par l’entrée principale de l’enclos = irembo. On le fait passer soit par une ouverture secondaire du kraal, soit par-dessus la palissade. b) Seul le cadavre du père de foyer, laissant ou non des enfants, pourra passer par cette entrée principale. Si l’homme en question rend son dernier soupir dans un foyer étranger, son cadavre sera traité comme celui d’un enfant mineur : il ne pourra pas être porté à travers l’entrée principale d’un enclos dont il n’était pas le chef.

  1. a) Le décès d’un homme adulte marié pose fatalement d’autres problèmes que ceux auxquels nous venons de faire allusion. Et tout d’abord, la question de succession. La solution en ce domaine, dépend de la nature du fief que détenait le défunt, d’une part, et de la décision qu’aura prise la veuve, d’autre part. Cette dernière peut, en effet, décider de rentrer dans sa famille d’origine ; ou d’accepter les obligations de la loi du lévirat, en épousant un parent de son mari ; ou enfin de rester au foyer en son état de veuvage. b) Si elle épouse un parent de son mari = guhungurwa (chap. VI, n° 39), le fief reste dans le même état qu’auparavant. Le nouvel époux s’acquittera de toutes les obligations inhérentes au fief, aussi bien terrien que bovin. c) Si elle décide de rester en son état de veuvage, elle devient la responsable du fief et s’engage à fournir les prestations convenues, mais adaptées à son état de femme.

Elle jouit, en plus, du privilège de ne pouvoir être jamais destituée, en sa qualité de veuve, devant la coutume.  Elle reste veuve de droit, même si elle introduit chez elle un mari étranger à la famille de son époux défunt (chap. VI, n° 44). d) Si elle décide, au contraire, de rentrer en sa famille d’origine, il en résultera diverses conséquences, aussi bien sur le plan familial que sur le plan successoral. Tout d’abord, les parents de son mari sont fondés à réclamer le montant des gages qu’ils ont payés lors des fiançailles = gukworanura (n° 15). La femme, en effet, refuse de rester au sein de sa famille maritale ; elle ne veut pas accepter un second mari que lui imposait la loi du lévirat, et quitte définitivement son domicile.

  1. a) Si le défunt détenait un fief bovin, une ou plusieurs têtes de gros bétail, et que la veuve abandonne le foyer, le patron du défunt ne prendra pas nécessairement ses vaches ; les parents du disparu diront toujours : « Vous ne pouvez pas nous déposséder, nous destituer, alors que nous vous sommes restés fidèles jusqu’au bout. Nous devons vous donner un autre serviteur qui continuera le service auprès de vous ! » Le patron accepte cette proposition, car agir autrement serait adopter une attitude incorrecte vis-à-vis de ses clients, surtout en cette circonstance douloureuse, où l’on mène le deuil sur le parent disparu. Le contrat de servage sera donc continué par le remplaçant du défunt. b) Si le défunt détenait également des vaches du Roi, relevant conséquemment de l’armée sociale, la succession en est réglée comme nous l’avons décrit ailleurs.

 

  1. a) Dans le cas où le défunt détenait simplement sa propriété foncière, et que sa veuve abandonne le foyer, la succession dépendra de la nature du fief. Était-elle une propriété isambu ? Puisqu’elle est complètement abandonnée, elle devient inkungu, ou propriété dont disposera à son gré le sous-chef de la localité (chap. VIII, n° 12, b; n° 15, b). b) Était-elle une propriété ingobyi ? Les parents du défunt en disposeront, sans l’intervention du sous-chef (chap. VIII, n° 17-18).

VII. Testament d’un homme qui laisse des enfants

  1. Nous avons déjà fait allusion à la désignation du chef de famille et du chef de parentèle (chap. III, n° 45 sq.). Pareille désignation pouvait se faire à n’importe quelle époque de la vie, alors que le testateur ne songe même pas à sa mort prochaine. Rappelons que chaque chef de foyer qui a plusieurs enfants, lègue son autorité paternelle à l’un d’entre eux, même si le fief à gérer n’est pas indépendant, et se trouve placé sous la surveillance d’un parent responsable. L’autorité paternelle léguée en ces conditions constitue ainsi une espèce de vice-chefferie de parentèle (chap. III, n° 49).
  2. a) Il peut arriver qu’un père de foyer meure intestat. Nous savons déjà qu’alors ses supérieurs compétents désigneront eux-mêmes son successeur (ibid., n° 48). Ces cas sont cependant très rares. Pour l’ordinaire, lorsque le chef de foyer est gravement malade, et que l’issue fatale n’est plus guère douteuse, il convoque ses enfants les plus âgés ; c’est-à-dire ayant dépassé environ les 18 ans. Quant aux petits, on les tient à l’écart, étant donné qu’ils ne peuvent pas saisir toute la gravité de la circonstance. Si les enfants sont tous jeunes, le malade détaillera son testament à des parents et à des amis intimes, surtout à ses frères de pacte du sang, qui seront ses témoins. Si le malade est polygame, ses femmes assisteront à la scène, chacune pour ses enfants ou pour son propre compte. En toute hypothèse, les parents et amis intimes seront présents, comme témoins et exécuteurs testamentaires. b) Faire connaître son testament se dit : kuraga ; et les obligations testamentaires se disent umurage. — Le testateur = umuraga ; l’héritier = umuragwa.
  3. a) En cette circonstance, le mourant donnera le nom de son successeur patriarcal, qui sera le responsable des fiefs détenus. Il pourrait aussi déclarer à l’assistance : « Le nom de mon successeur patriarcal sera communiqué par mon chef compétent : je le lui ai dit ! » Rappelons que cette dignité était conférée au fils désigné par oracles divinatoires. b) Cette autorité peut être léguée à l’un des petits-fils du mourant. Dans ce cas, le jeune favorisé, sur le plan politico-familial, devient le chef de son propre père et de ses oncles, qui devront lui obéir scrupuleusement.
  4. a) La question du chef patriarcal étant arrangée, le mourant recommandera à son successeur les enfants mineurs pour lesquels il devra être, non plus un grand-frère, mais un vrai père. b) Il indiquera les dettes bovines ou autres qu’il n’avait pas encore payées : « Mon fils Untel règlera telle dette, et l’autre, Untel, réglera telle autre dette. » c) « D’autre part, le nommé X, habitant telle localité, me doit une vache (ou autre objet) ; les témoins qui pourraient au besoin être appelés, en cas de contestation, sont M, N, etc. Que le montant de ce remboursement soit donné à mon fils Untel ».
  5. a) « Je recommande à mes enfants de se montrer toujours fidèles aux fils de Y, qui me sauva la vie dans des circonstances désespérées, au danger de sa propre vie)) (chap. X, n° 53-54). b) « Je recommande également mes serviteurs Untel et Untel ; même s’il arrivait qu’ils résilient leur contrat, ne les poursuivez pas en justice, car mon père me les a légués avec la même recommandation, comme mon grand-père lui avait légué leurs pères dans les mêmes conditions. Ce sont des serviteurs de temps immémorial, de génération en génération : il faudra les traiter comme des parents ». c) « Vous veillerez à telle vache d’une manière spéciale, et vous retiendrez toujours sa descendance parmi vos troupeaux : elle remonte à la bête donnée en dot au lointain ancêtre éponyme de notre famille, lorsqu’il épousa Unetelle, mère-fondatrice de notre famille ».
  6. Il arrive parfois que le mourant ait une fille qu’il aime tendrement et à laquelle il voudrait laisser un signe particulier de sa paternelle sollicitude. Il s’adresse alors à l’un de ses fils, à celui dont il a éprouvé la noblesse de sentiments, et lui dit : « Toi, mon fils, je te lègue ma fille Unetelle. Quand elle sera fiancée, tu prendras la vache (le montant des gages), et tu te chargeras de la doter comme je l’aurais fait moi-même. Lorsqu’elle reviendra rendre visite à la famille, qu’elle se rende chez toi principalement comme elle se serait rendue chez moi en personne. Si jamais elle était séparée de son mari, veuve ou répudiée, qu’elle vienne chez toi, comme à son propre père, et à sa propre mère. Sois son père à ma place et si tu manques à ce devoir, tu sais que je saurai t’en punir rigoureusement ! »
  7. a) Il peut arriver également que le mourant désigne l’une de ses filles comme son successeur patriarcal. Le fait était courant dans les milieux hamitiques très proches de la Cour. Une jeune fille placée auprès de la Reine-Mère peut avoir conquis les faveurs de la toutepuissante Souveraine. En ce cas, la jeune favorite devient le personnage le plus important du foyer paternel. La stabilité de la fortune familiale peut trouver en elle le facteur le plus certain. En ce cas, elle sera préférée à ses frères, qui deviendront ses inférieurs sur le plan politicofamilial. b) Si elle se marie, il y aura d’office séparation de biens : son mari ne pourra pas disposer des fiefs que sa femme gère en tant que chef-patriarcal de sa famille d’origine. Elle léguera cette autorité à l’un de ses neveux, fils de son frère, choisi par elle-même. Quant aux biens détenus, elle les laissera en héritage à qui elle voudra, soit à l’un de sa famille d’origine, soit à l’un de ses propres enfants. c) Mais dans ce dernier cas, l’enfant héritant de ces fiefs ne pourra jamais faire fusionner ces biens avec l’héritage qu’il obtiendra de son père. Un fief officiellement taxé de prestations ne peut jamais être englobé dans un autre de ressort différent.
  1. a) Si le mourant n’avait qu’une fille unique, elle sera son héritière dans les mêmes conditions de séparation des biens. Elle sera considérée comme un homme investi du fief que jadis détenait son père, avec le privilège de ne pouvoir être destituée, en sa qualité d’orpheline (L’orphelin ne peut être dépossédé de ses fiefs ; cf. ibid., art. 4, p. 18 ; avec cette différence, évidemment, que pareille orpheline restera en cette qualité à perpétuité, sans les modalités des art. 5-6,)

Elle léguera le fief à l’un de ses enfants, qui ne le fera pas fusionner avec l’héritage paternel. b) Il est à remarquer, en effet, que la fille unique n’hérite pas exactement dans les mêmes conditions que la désignée chef-patriarcal. La fille unique succède à sonpère, mais elle est soumise au chef de la parentèle, duquel relevait le père défunt. Il se fait ainsi que ce chef de ladite parentèle ne perdra pas de vue le fief dévolu à la fille unique, lors même que cette dernière l’aura légué à l’un de ses enfants.

VIII. Le deuil mené à la mort du père de foyer.

  1. a) Dès que le père de foyer a rendu le dernier soupir, on procède à la toilette du corps, et au rapetissage habituel. La veuve et le successeur patriarcal exécutent ensuite la cérémonie dite gusiga = enduire de beurre, embaumer. Si le défunt était polygame, ce sera en général la première de ses épouses qui effectuera cette cérémonie, à moins qu’elle ne soit empêchée. Si le successeur patriarcal n’est pas encore connu, ce sera en général l’aîné qui prendra part à la cérémonie. b) Ceci nous rappelle clairement que le droit d’aînesse est inconnu de la coutume rwandaise : le chef patriarcal est désigné toujours, indépendamment de l’ordre chronologique de sa naissance.
  2. La veuve désignée frotte la jambe droite de son mari, au moyen d’une poignée de bouse de vache. En même temps, l’enfant désigné comme successeur patriarcal de son père, frotte la jambe gauche avec la même matière. C’est à cette pratique symbolique qu’est réduit l’embaumement.
  3. a) Ensuite, le fils désigné comme chef par son père, accomplit la cérémonie de la traite : gukamira se = traire pour son père. En plus de la plante ishyoza, avec de la laine d’une brebis, que l’on place dans la main gauche, on amène une vache assez âgée,du pis de laquelle le successeur patriarcal arrache quelques poils. Ces poils sont ensuite placés dans la main droite du mort. C’est cette cérémonie qu’on appellegukamira = traire pour. b) Le symbolisme de ce geste, quoique non précisé explicitement, n’échappe pas à celui qui connaît la mentalité pastorale de nos Hamites. Il s’agit d’affirmer d’abord que par sa main droite, le défunt a acquis de nombreuses vaches. Ensuite, que son esprit doit les protéger sans trève : il doit veiller sur elles, comme sur un objet qu’il tient entre les mains.
  4. La vache qui a servi pour cette cérémonie devient un objet précieux pour le foyer du défunt. S’il s’agit de grands Hamites, le lendemain la vache sera abattue ; les enfants, les parents et les amis du défunt, ainsi que ses serviteurs, mangeront la viande le même jour, sans que rien ne sorte de l’enclos. Tout ce qu’il sera impossible de consommer le même jour, ainsi que les os et le sang de la bête, seront enterrés dans une fosse creusée dans la cour intérieure du kraal. Si le mort était de fortune moyenne, la vache pourra survivre quelque temps encore, si on espère qu’elle pourra mettre bas. Mais le jour où elle crèvera, on la consommera comme il vient d’être décrit.
  5. Chez les grands Hamites, où la vache est abattue sans retard, on prélève une lanière au contours de la peau, et le successeur patriarcal s’en servira comme de ceinture durant le deuil ; cette lanière est appelée umugangu, dont le pluriel imigangu est inusité. La peau de ladite vache, qu’elle soit abattue immédiatement ou qu’elle crève ultérieurement, sera tannée et gardée dans le même foyer, sans qu’il soit possible de l’aliéner.
  6. Si la mort a frappé la femme, selon qu’elle est mère ou non, elle sera traitée d’après le cérémonial réservé aux hommes qui laissent ou non un descendant mâle.
  7. Le cercueil d’un père de foyer qui laisse une postérité mâle sera précédé de l’un de ses fils, ou d’un remplaçant, tenant en main une torche allumée, symbolisant que le feu de la vie qui brûlait en ce défunt, fut transmis à un fils qui le perpétue.
  8. a) Dès le lendemain de l’enterrement du père, on exécute le cérémonial dit : gucana igiti= brûler le bois. Vers le soir on apporte un bois dit umuko = erythrina et on le met dans l’âtre. On l’allume et on le fait brûler très lentement, jusqu’à l’aurore. b) En ce moment, tous les enfants capables d’y prendre part, partent en compagnie d’un serviteur très dévoué, et vont enfouir le tison restant de ce bois. C’est ce qu’on appelle guta igiti = jeter le bois. On l’enterre dans un marais assez éloigné, ou bien assez mal situé, dont l’eau restera inaccessible aux enfants du défunt. Si jamais l’un d’entre eux pouvait se servir de l’eau de ce marais, du ruisseau qui le traverse, il contracterait des impuretés mortelles. Sur le chemin du retour, ils rencontrent un autre serviteur qui leur présente de l’eau pour se laver les mains et se purifier du contact du bois mortuaire.
  9. a) Alors commence le deuil proprement dit : personne d’entre les enfants, ni la veuve, leur mère ou non, ne peut se permettre les relations sexuelles. De plus, tous se font raser complètement (chap. VIII, n° 36, a-b). Ils doivent porter les vêtements de couleur noire, et éviter de toucher le kaolin ou tout objet oint de kaolin, dont le blanc clair est un symbole de joie. b) On mène, durant deux mois, le deuil pour son père et sa mère. Si cependant la mort avait frappé la mère de foyer, son mari ne mènera le deuil de deux mois que s’il était monogame. Dans le cas où il serait polygame, il ne prendrait part au deuil que durant un mois, car la deuxième femme ne doit pas mener le deuil. c) Si cependant la femme morte était sans enfant, le mari ne s’astreindrait pas au deuil : il ne s’y soumet qu’en s’associant à ses enfants. d) Il est évident que dans le cas d’un polygame, telle femme qui meurt n’impose le deuil qu’à ses propres enfants, mais pas aux enfants des autres femmes de son mari.
  10. a) Si la mort a frappé l’un des parents de la mère de foyer, celle-ci n’est point tenue à mener le deuil, car ce serait l’imposer aussi à son mari qui n’a aucune relation du sang avec ses beaux-parents. b) Dès que la nouvelle du décès parvient chez la fille mariée, son fils aîné reçoit une houe et va piocher rituellement. c) Ce geste semble inexplicable en lui-même. Nous savons, en effet, que l’on ne peut cultiver lorsqu’il y a eu un mort dans la localité, ou lorsqu’on apprend la mort d’un ami, d’un chef dont on dépend. Or voici que l’enfant va cultiver rituellement à la nouvelle du décès de ses grands-parents maternels. La signification symbolique de ce rite semble affirmer que « les enfants ne sont tenus à aucune forme de deuil touchant la famille de leur mère ».
  11. a) Une femme qui meurt enceinte, ne peut être enterrée sans plus. On l’ouvre sur le lieu de la sépulture et on retire de son sein le cadavre de son enfant. A celui-ci on impose un nom et on enterre séparément les deux. Le motif en est que l’enfant non encore né est un homme comme un autre. Son esprit pouvait en conséquence venir attaquer les vivants de la famille. Comment découvrir son nom, par la divination, s’il reste ikiburazina = le dépourvu-de-nom ! b) Parfois, lorsque l’état de grossesse était très avancé, on ouvrait la mère au moment de son agonie et on retirait l’enfant vivant et viable. C’est ce qu’on appelle kuraha. L’idée en aurait été inspirée par la même intervention concernant les vaches.

 

IX. La purification.

72. Au temps marqué pour clore le deuil, on procède au cérémonial de purification : Kwera = se blanchir. Chez les Bahutu, le cérémonial est très simple. On prépare beaucoup de boissons, en vue des festivités qui doivent se dérouler à l’occasion de cette cérémonie. Puis, durant la nuit déterminée à l’avance, l’essentiel du rite se déroule à l’intérieur de la case dans laquelle le disparu a rendu le dernier soupir. C’est-à-dire que sa veuve s’accouple avec l’un de ses beaux-frères ou avec le Muse (chap. IX, n° 4 sq.), selon la décision des oracles divinatoires. Dans une autre case, les enfants mâles mariés accomplissent ledit acte avec leurs femmes respectives. Les enfants mâles, en âge de se marier, dans certains cas, peuvent le faire également, avec une femme désignée par les oracles divinatoires. L’habitation est aspergée de kaolin, ainsi du reste que les purifiés qui en portent les marques, spécialement sur le front. On se rase : les hommes, les jeunes gens et les jeunes filles se font arranger à nouveau la chevelure en huppes (chap. VIII, n° 36).

73. Ce cérémonial, dans ses parties essentielles, se pratique aussi chez les Hamites. Ils y ajoutent cependant d’autres variantes ou compléments que voici : tout d’abord, dans la nuit qui précède le cérémonial principal, les fils du défunt s’en vont enfouir, en un lieu secret, la lanière umugangu (n° 65). Ils doivent le faire dans le plus grand secret, parce que si un malveillant les observait et pouvait reprendre cette lanière pour la rapporter au foyer des intéressés, ce serait une catastrophe sans remède.

74. a) Ensuite, en vue du cérémonial, on a fait tailler des pots à lait = inkongoro, dont on se sert pour boire, et une petite jarre = agacuba, au pluriel uducuba, destinée à puiser de l’eau pour les abreuvoirs. Ces récipients sont en bois d’erythrina = b) On prépare également un fagot de bois de chauffage, de l’arbre appelé umurama, au pluriel imirama, dont la signification étymologique est : le vivace. On se munit, de même, d’un fagot de bois umwanzuranya, au pluriel imyanzuranya, signifiant étymologiquement interrupteur. Le murama symbolise la vie perpétuellement continuée par voie de génération, tandis que l’interrupteur symbolise l’intervention tutélaire des agents supra-sensibles qui interrompront les deuils au sein de la famille. c) Avant de commencer le cérémonial d’accouplement purificateur, on met ces bois dans l’âtre ; le feu étant déjà allumé, la cérémonie commence. d) Tandis que les frères accomplissent l’acte purificateur, une de leurs soeurs désignée à cet effet pousse l’acclamation d’allégresse = kuvuza impundu. Comme ils doivent se purifier l’un après l’autre, leur soeur émet l’acclamation d’allégresse pour chacun successivement.

75. Intervient également une servante = umuja, désignée pour le cérémonial ; elle porte ici le titre de umuyora-vu, au pluriel abayora-vu = chargée de la propreté ; littéralement : ramasseuse de cendre. Elle doit ramasser la cendre se trouvant au foyer antérieurement à la cérémonie de purification, ainsi que la bouse lâchée par les vaches dans le kraal avant d’aller pâturer. Elle doit aller les jeter à l’extérieur de l’enclos.

76. a) A l’aurore, la veuve fait sortir les barattes et les place dans la cour intérieure, précédant la case principale. Ses brus y mettent du lait et barattent. b) En ce moment, les fils du défunt s’en vont à l’endroit des abreuvoirs ; ils y sont accompagnés de leur oncle venu pour présider le cérémonial de purification. On y mène quelques vaches, parmi lesquelles un seul taureau. On porte également la jarre d’erythrina dont il a été question plus haut (n° 74, a). c) L’oncle entre le premier dans le puits et prend la jarre, l’emplit d’eau et va la verser dans l’abreuvoir. Il donne la jarre aux fils du défunt qui puisent chacun à son tour et verse dans l’abreuvoir le contenu de la jarre. d) Durant cette cérémonie, les participants sont habillés de feuilles vertes de bananiers = ibicocero, qu’ils portent en bandoulière = guhagatira. Ces feuilles vertes de bananiers sont le costume ordinaire des abreuveurs de bovidés. On fait venir les vaches avec le taureau et on leur fait goûter à l’eau versée dans l’abreuvoir, puis on rentre à la maison.

77. a) A leur arrivée, ils enlèvent les feuilles de bananiers qu’ils portaient encore en bandoulière, et les déposent sur le foyer pastoral =igicaniro, allumé en l’honneur des bovidés qui ont pris part à la cérémonie de l’abreuvoir. b) En ce moment, le lait que l’on a baratté est à point : on sépare le beurre. Puis on apporte les pots-à-lait = inkongoro taillés en bois d’erythrina (n° 74, a) et on y verse le petit-lait. c) Une jeune fille appartenant au clan Muse des intéressés (chap. IX, n° 2 sq.) prend ces pots-à-lait et les présente aux enfants du défunt, qui en boivent. La jeune fille en question qui prend ainsi part au cérémonial pour leur donner du lait = kubaha amata, doit recevoir un cadeau de remerciement, proportionné à la fortune du foyer purifié. La cérémonie de purification se termine ainsi.

X. L’annonce à la Cour du décès survenu.

78. Si cependant le défunt était un serviteur immédiat de la Cour, une cérémonie supplémentaire s’impose. Il faut annoncer officiellement au Roi le décès de son serviteur. Cette démarche ne peut cependant s’accomplir avant la cérémonie de purification, car il est interdit aux hommes frappés de deuil d’entrer en contact avec le Roi. Il est entendu que le Roi a appris la mort de son serviteur dès les premiers jours du décès ; mais ce ne fut là qu’une information officieuse, qui doit être confirmée rituellement.

79. Dès que les enfants ont été purifiés, ils se mettent en route pour la Cour, en compagnie de leur oncle qui a présidé le cérémonial. Ils amènent avec eux un jeune taurillon, et une vache improductive : soit qu’elle ait mis bas pour la dernière fois et qu’on est certain qu’elle ne vêlera plus jamais = incura; soit une grande génisse reconnue comme impropre à la reproduction =urubereli.

80. Le premier jour à la Cour, la vache improductive est amenée et stationne toute la journée aux abords de la place-du-peuple = ku Karubanda. Les orphelins et leur oncle restent à côté de cette vache, et ne peuvent pas entrer dans les cours intérieures de la capitale. Mais, par l’intermédiaire de leurs amis, le Roi est averti du stationnement de la vache et de ses propriétaires. Ce stationnement s’appelle : kurunguruka= regarder furtivement (surtout par curiosité). Vers le soir se présente un Mutwa de la Cour, auquel le Roi a accordé la vache en fief. Il l’emmène et les orphelins se retirent, avec leur oncle, à leur logement.

81. Le lendemain matin ils reviennent à la Cour ; dès que le tambour des audiences = Indamutsa, a retenti pour marquer que le Roi commence sa tâche publique, nos hommes font leur entrée dans la Cour intérieure sur laquelle donne la grande case des réceptions ; ils sont précédés du taurillon (n° 79). Ils viennent s’asseoir au pied de l’arbre-mémorial = imana, planté dans cette cour. En ce moment le Roi envoie chercher du lait au quartier des Bozi = fonctionnaires-laitiers. On apporte un pot-à-lait plein. Le Roi vient lui-même le présenter à l’oncle qui en avale quelques gorgées, puis le passe au successeur patriarcal qui en fait autant ; suivi des autres enfants.

82. Cette cérémonie du Roi se dit : kubaha amata =- leur donner du lait. Le symbolisme est évident : la vache étant la richesse tout court chez un peuple pasteur, et le lait étant le symbole du bien-être en toute sa totalité, la cérémonie devient un souhait de tout cet ensemble que le souverain adresse à ces orphelins, qui vont désormais attendre de lui la réalisation de tous leurs rêves.

83. Si on pense à tout ce que nous venons de voir, aussi bien dans les chapitres antérieurs que dans celui-ci, on ne peut s’empêcher de comprendre la mélancolie du Rwandais qui craint de mourir sans postérité. Philosophiquement parlant, la vie présente, en notre culture, ne s’explique que par la transmission de la vie ; elle ne trouve son explication totale que dans la perspective de durer perpétuellement en sa postérité