1. Le système de l’administration indigène est défini par le décret du 14 juillet 1952, qui a été décrit en détails au Conseil de tutelle et qui est entré en vigueur le 1eraoût1953.
  2. A l’occasion de la discussion de ce décret, le Gouverneur général a fait remarquer qu’il n’était pas possible de passer sans transition prudente et nuancée d’un régime autocratique à une démocratie pure et simple, et c’était pour cette raison que le décret ne constituait en quelque sorte qu’une étape vers un régime auquel on n’accéderait que par une série d’échelons.
  3. A cet égard, la Mission voudrait brièvement décrire et discuter l’évolution de l’application de ce décret entre 1953 et 1957, les projets de réforme de ce régime, et la question de la dualité du régime européen et indigène.
  4. Le grand fait nouveau depuis la mise en application du décret en 1953, est l’organisation des élections en 1956. Le décret du 14 juillet 1952 avait créé quatre types de conseils : conseils de sous-chefferie, conseils de chefferie, conseils de territoire et conseils supérieurs des pays. Le principe électif avait été introduit avec une extrême prudence, puisque les conseils de chefferie, de territoire et même les conseils supérieurs des pays sont composés en partie de membres de la classe dirigeante traditionnelle (sous-chefs ou chefs) d’office ou sur choix par leurs pairs, et d’autre part de notables désignés par des systèmes variables mais qui s’apparentent en fait surtout au régime de la cooptation. Pour l’article 28 du décret du 14 juillet 1952 stipule :

Les conseils dont question à l’article 27 sont constitués comme suit :

  1. Conseil de sous-chefferie : Ce conseil est présidé par le sous-chef. Il comprend :
  2. a) Le sous-chef;
  3. b) Cinq membres au moins et neuf au plus à raison d’un membre par cinq cents habitants.

Ces membres sont choisis au sein d’un collège électoral. Ce collège est composé des notables dont les noms sont repris dans une liste établie par le sous-chef en tenant compte des préférences des habitants. La liste comprend un nombre de notables au moins double de celui des membres du conseil. Elle doit être approuvée par le chef et agréée par l’administrateur du territoire. Ainsi arrêtée, elle est affichée au chef-lieu de la chefferie et, après proclamation, au chef-lieu de la sous-chefferie.

  1. Conseil de chefferie : Ce conseil est présidé par le chef. Il comprend, outre le chef, dix membres au moins et dix-huit au plus, choisis comme suit :

a)Cinq à neuf sous-chefs élus par leurs pairs;

b)Des notables en nombre égal à celui des sous-chefs. Ces notables sont élus de la façon suivante :

– Chaque conseil de sous-chefferie désigne dans son sein trois notables;

-L’ensemble de ces notables constitue un collège électoral qui élit, parmi ses membres, ceux qui siègent au conseil de chefferie.

  1. Conseil de territoire : Ce conseil comprend les chefs du territoire, un nombre égal de sous-chefs élus par leurs pairs etun nombre de notables égal au total du nombre des chefs et des sous-chefs. Ces notables sont élus de la façon suivante :

-Chaque conseil de chefferie désigne dans son sein trois notables;

-L’ensemble de ces notables constitue un collège électoral qui élit, parmi ses membres, ceux qui siègent au conseil de territoire.

Ce conseil choisit son président et son vice-président parmi les chefs. La durée de leur mandat est d’un an. Ils sont rééligibles.

  1. Conseil supérieur du pays; : Ce conseil est présidé par le Mwami. Il comprend outre le Mwami :

a)Les présidents des conseils de territoire du pays;

b)Six chefs élus par leurs pairs;

c)Un représentant élu par chaque conseil de territoire parmi les notables qui y siègent;

d)Quatre personnes choisies en raison de leur connaissance des problèmes sociaux, économiques, spirituels et culturels du pays;

e)Quatre indigènes porteurs de la carte du mérite civique ou immatriculés, à l’exclusion des chefs et des sous-chefs qui seraient porteurs de cette carte ou immatriculés, le conseil de sous-chefferie, tout au bas de l’échelle on était allé un peu plus loin, puisqu’on avait prévu qu’en plus du sous-chef, les membres (cinq à neuf) seraient choisis par un collège électoral composé de notables « dont les noms sont repris dans une liste établie par le sous-chef en tenant compte des préférences des habitants ». Ce collège électoral pouvait d’ailleurs être extrêmement réduit, puisque la seule limite inférieure était qu’il devait comprendre « un nombre de notables au moins double de celui des membres du conseil », c’est-à-dire un minimum de deux électeurs pour un élu.

51.L’expérience électorale de 1953 – bien que représentant un tournant dans l’histoire des institutions du Ruanda-Urundi – semble avoir été encore très modeste.

52.En 1956, pour reprendre les termes de l’Administration, « il est apparu, tant aux instances coutumières qu’à l’Autorité administrante que le moment était venu de faire accomplir par la population son premier geste démocratique, et qu’à cette fin les préférences des habitants ne pouvaient mieux s’exprimer que par leurs suffrages. Interprétant le passage de l’article 28 du décret du 14 juillet 1952 où il est stipulé que le « collège électoral des conseils de sous-chefferie est composé de notable dont les noms sont repris dans une liste établie par le sous-chef en tenant compte des préférences des habitants » l’Administration a purement et simplement fait élire ce collège électoral au suffrage universel des hommes de la sous-chefferie. Cette expérience au dire de l’Administration a été un grand succès, et le Conseil de tutelle en a déjà félicité l’Autorité administrante à sa dix-neuvième session.

Le Gouverneur du Ruanda-Urundi a souligné la participation électorale élevée (75 pour 100 des électeurs inscrits), l’accueil très favorable réservé à la notion de scrutin secret, le mécanisme ingénieux qui a permis aux illettrés de consigner sur leurs -bulletins plusieurs noms de leur choix, l’extrême dignité des opérations, la grande dispersion des voix. La Mission de visite, qui a eu l’occasion de voir dans le Territoire un film sur les opérations électorales de 1956, tient à ajouter ses félicitations à celles du Conseil de tutelle.

  1. A l’appui d’une thèse déjà énoncée à plusieurs reprises dans les chapitres ci-dessus, à savoir que la hardiesse et la rapidité des réformes politiques sont souvent la politique la plus sage, elle tient à citer le commentaire suivant sur les élections de 1956 :

« J’ai l’impression que si le législateur de 1952, qui a organisé les actuels conseils du Ruanda-Urundi, avait eu suffisamment de foi dans la nécessaire croissance de la démocratie dans nos territoires sous tutelle, et s’il n’avait pas, surtout, voulu improviser une solution de façade pour l’opinion intérieure et mondiale, il aurait préconisé dès le début ce que le Vice-Gouverneur général Harroy a eu le courage et le cran de faire tout récemment, en organisant des élections au Ruanda-Urundi. Alors que le législateur de 1952 estimait que le développement devait être très lent, le gouvernement responsable a dû constater, trois ans plus tard, que la sagesse n’était pas dans la temporisation, mais dans l’action et il a usé d’une fissure des textes légaux, pour introduire le suffrage universel au niveau de la sous-chefferie ».

  1. Eu égard à l’intérêt grandissant dans le pays au sujet de la question des Bahutu et des Batutsi, la Mission s’est intéressée à certains détails des résultats des élections. Le tableau ci-dessous donne le pourcentage? » des Batutsi, Bahutu et Batwa dans les Collèges électoraux des sous-chefferies; dans les conseils des sous-chefferies, et parmi les membres élus (donc à l’exclusion des sous-chefs et chefs élus par leurs pairs) des conseils de chefferie et de territoire.

 

 

Collège électoral                                          Conseils de                     Conseils de

De                                  Conseils de             chefferie                         territoire

Sous-chefferie                  sous chefferie         (membres élus)             (membres élus)

1953 R. U. R-U R. U. R-U R. U. R-U R. U. R-U
Batutsi 41.4 34.6 39  52.3 40 46.3 76 65     71 81 67 75
Bahutu 58.4 65.4 60.9 47.65 60 53.68 24 35 29 19 33 25
Batwa 0.2 0.1 0.05 0.02
1956
Batutsi 34.5 22.3 24.6 45.4 42.6 44 70 73 71 77 77 77
Bahutu 65.49 77.69 75.39 54.5 57.4 55.95 30 27 29 23 23 23
Batwa 0.01 0.0.01 0.01 0.1 0.05

 

  1. Bien que par rapport aux élections de1953, il y ait un progrès sérieux dans la participation des Bahutu aux collèges électoraux des conseils de sous-chefferie (de 60,9 pour 100 en 1953 à 75,39 pour 100 en 1956), ce même progrès se reflète à peine dans les conseils de sous-chefferie eux-mêmes (53,68 pour 100 et 55,95 pour 100) et est inexistant parmi les membres élus des conseils de chefferie et de territoire (29 et 29 pour 100; 25 et 23 pour 100). ‘Le rapport annuel pour 1956 donne le commentaire suivant de ce phénomène :

« Cette dérobade des Bahutu était inévitable dans un pays qui a vécu jusqu’à notre arrivée sous un régime de protection personnelle et où la masse de la population obéissait passivement à une oligarchie dirigeante. Le contrat de la suzeraineté pastorale est en cours de suppression mais son esprit influencera encore longtemps les conceptions de la génération actuelle. Aussi est-il compréhensible Que si, au premier degré des élections, les Bahutu ont généralement choisi dans leurs rangs leurs représentants au collège électoral, ceux-ci renoncèrent à élire des individus sans personnalité sociale et abandonnèrent aux Batutsi le soin des affaires publiques. Une meilleure discipline électorale des Batutsi a encore renforcé localement ces résultats ».

 

56.La Mission estime qu’il faut cependant y ajouter la considération que l’économie générale du Décret du 14 juillet 1952 n’est pas favorable à la représentation des groupes ethniques proportionnellement à leur importance numérique. En effet, au fur et à mesure que l’un s’élève dans la pyramide des conseils, il y a d’office une majorité de Batutsi. En effet au conseil de chefferie, le président est un chef, et il y a au moins autant de sous-chefs élus par leurs pairs que de notables élus indirectement par les conseils de sous-chefferie; au conseil de territoire il y a au moins autant de chefs et de sous-chefs que de notables élus, et ces notables sont élus indirectement par les conseils de chefferie, où nous venons de souligner que les Batutsi doivent être en majorité; de plus le président et le vice-président du conseil de territoire sont choisis parmi les chefs. La démonstration n’est pas à faire pour les conseils supérieurs du pays, où à cause du régime de cooptation, aucun Muhutu ne siège au Ruanda (sur trente-trois membres) et trois seulement dans l’Urundi (sur trente et un membres).

57.Mais d’autres problèmes plus généraux se posent déjà en ce qui concerne la formation et la composition des conseils indigènes. Le Gouverneur du Ruanda-Urundi a attiré l’attention du Conseil général sur le caractère encore incomplet de la consultation de 1956, qui même à l’échelon de la sous-chefferie, n’a pas encore désigné de conseillers, mais a seulement composé les collèges électoraux. Il a ajouté : « il peut être envisagé que de nouveaux pas en avant soient réalisés; un jour viendra où les conseillers de sous-chefferie seront élus au suffrage direct ». Et il a même indiqué à la Mission qu’il espérait qu’en 1959 la possibilité serait légalement donnée de procéder à cette élection directe.

58.La Mission ne peut qu’approuver ce voeu et rappelle à cet égard les recommandations du Conseil de tutelle que l’Autorité administrante instaure au plus tôt un système d’élections directes, au suffrage universel qui pourrait être progressivement étendu à tous les conseils du Territoire.

  1. La possibilité d’aller de l’avant dans ce domaine semble trouver une confirmation dans les progrès rapides accomplis, en cinq ans. Il suffit en effet de comparer la situation de 1956 à celle de 1951. La Mission de visite de 1951, rapportait que l’Administration avait essayé, pour la première fois, dans les centres extra-coutumiers d’Usumbura en 1948 et de Rumonge en 1950 de procéder à des élections de conseillers. Le rapport annuel de 1951 relatait en détail le piètre résultat d’une nouvelle élection au centre extra-coutumier d’Usumbura, malgré des préparations détaillées et minutieuses. Il signalait qu’une lettre portant six signatures avait violemment critiqué le principe des élections, taxant d’enfantines les prétentions du gouvernement, précisant que la plupart des habitants des centres n’avaient pas atteint une maturité suffisante pour participer à des élections; et concluait que les conseillers devaient être désignés purement et simplement par l’Administration. Ce document, ajoutait l’Autorité administrante, paraissait bien révéler assez exactement le sentiment de la majorité des habitants. On peut d’autant mieux mesurer le chemin parcouru si l’on tient compte du fait que le milieu extra-coutumier est généralement plus évolué et plus réceptif aux idées nouvelles que le milieu coutumier.
  2. Un autre aspect des élections de 1956 que la Mission désirerait commenter est le fuit que dans certaines sous-chefferies les habitants avaient spontanément désigné des colons européens pour siéger avec eux dans les conseils.

Ces élections n’avaient pas été validées parce que le décret du 1er  juillet 1952 stipule en son article 29 que « seuls les ressortissants du pays, peuvent être membres des conseils (indigènes) ». Le Gouverneur du Ruanda-Urundi a exprimé l’espoir que la lettre de la législation puisse être modifiée de manière à permettre la présence dans ces conseils élus de non autochtones que les électeurs souhaiteraient y voir siéger pour leurs qualités techniques ou leur sens social. Cette façon de voir est aussi adoptée dans le manifeste des Bahutu. De nombreux Européens y sont également favorables.

61.La Mission enregistre avec plaisir ce signe de bonne cohabitation interraciale. Néanmoins, il lui parait qu’une modification de ce genre ne peut qu’aller de pair avec une refonte complète du système, qui transformerait les conseils indigènes en conseils locaux dont la compétence dépasserait le cadre du milieu et des problèmes de la vie indigène. Cette réforme fondamentale marquerait la fin de la dualité entre l’administration indigène et l’administration européenne et ferait prévaloir une conception qui pour le moment n’est admise que pour le Conseil général. Il serait peut-être possible immédiatement, à titre transitoire, en modifiant quelques clauses du décret existant, d’introduire dans les conseils de sous-chefferie, de chefferie, de territoire et les conseils supérieurs de pays, des non autochtones élus, à titre de « membres consultatifs ».

62.Les conseils indigènes, et particulièrement les conseils supérieurs des pays exercent une influence indiscutable sur le pays. Les conseils supérieurs de pays se sont révélés des organismes vivants et constructifs. Le Conseil du Ruanda a tenu onze sessions depuis sa création, le Conseil de l’Urundi, sept. Ces conseils ont formulé depuis quelque 300 voeux, auxquels le Gouvernement estime qu’il a donné satisfaction dans la mesure du possible, et dont il déclare avoir tiré le plus grand profit pour son information. Ces conseils se sont attaqués aux problèmes de 1’abolition du contrat de bail à cheptel (ubuhake en Ruanda, ubugabire en Urundi) et à la réforme du régime foncier. La Mission de visite a eu l’occasion de rencontrer certains de ses membres, et de voir des conseils au travail. Elle a été très favorablement impressionnée tant par les capacités des conseillers que par leur sérieux, leur courtoisie et leur conscience.

63.Néanmoins, il y a déjà en l’air une atmosphère d’expectation pour des réformes plus radicales de la structure indigène. D’une part, la « mise au point » du Conseil supérieur du Ruanda exige que la participation des indigènes au gouvernement du pays soit plus étendue, et que des responsabilités réelles soient données aux autorités autochtones. Il y est dit que le Conseil supérieur du pays n’est actuellement nanti que d’attributions fort limitées, et que même son caractère consultatif n’est parfois qu’illusoire. Cette idée réapparaît dans nombre de communications reçues par la Mission, et elle a été exprimée au cours de certaines conversations, sous des formes variées. Les motifs de cette revendication varient. Ils vont du souci général de l’évolution du pays, au dépit particulier sur un point de détail; à titre d’exemple, il semble que certains Barundi soient vexés que le voeu du Conseil supérieur de l’Urundi d’instaurer une fête nationale du pays soit resté sans effet, et qu’ils soient d’autre part très soucieux que la région d’Usumbura n’échappe à la juridiction des autorités de l’Urundi. D’autres sont convaincus que toute la politique belge n’est qu’une sombre machination pour neutraliser les autorités indigènes.

64.Mais l’idée générale qu’il faut faire participer davantage les autochtones à l’administration du pays commence à se faire sentir partout, et la Mission recommande à l’Autorité administrante d’en tenir le plus grand compte.

65.La Mission a été informée qu’à l’échelon de la chefferie, deux expériences étaient en cours visant à charger les autorités coutumières de responsabilités assumées jusqu’ici par des agents de l’administration belge. D’une part des chefs d’élite se sont vu confier la tâche de l’exécution du budget et de la gestion journalière des fonds de lu chefferie. D’autre part dans plusieurs chefferies, la conduite des campagnes vivrières a été entièrement confiée aux autorités locales. Au niveau de la chefferie, l’administration déclare qu’elle essaie de placer de plus en plus de pouvoirs entre les mains des conseils inférieurs, en relations avec des préoccupations typiquement paysannes, c’est-à-dire dans un domaine que le peuple connaît bien et où l’Administration a le plus grand profit à connaître ses réactions, et à recevoir son aide et son adhésion. C’est ainsi qui il a été décidé au Ruanda de confier aux seuls conseils de sous-chefferie le pouvoir d’attribuer des tenures d’une superficie inférieure à deux hectares.

66.La Mission a également été informée de ce que le Conseil supérieur du Ruanda avait étudié la création de quatre services centraux : administration générale, justice, finances, ressources naturelles, destinés à constituer aux côtés du Mwami, les premiers rouages administratifs différenciés du Secrétariat du Centre du pays. La création de ces services, dont le décret du 14 juillet 1952 laissait l’initiative au Mwami, moyennant l’avis conforme du Conseil supérieur du pays, a donné lieu à l’emploi – qualifié d’abusif – du terme « ministère ». Ces services vont poser des problèmes de recrutement de personnel. Mais de l’avis de l’administration locale, il n’est pas douteux que la mise en activité de ces rouages, auxquels l’Autorité administrante s’apprête à donner toute l’assistance souhaitable en leur laissant les responsabilités qui leur incombent, va constituer une étape de la plus grande importance dans la participation des Banyaruanda à la gestion de leurs intérêts publics, et il est à prévoir que l’Urundi s’engagera prochainement dans la même voie.

67.Il y a même des idées plus précises, plus originales et plus radicales en ce qui concerne l’organisation politique du Ruanda-Urundi. Peu avant le départ de la Mission, le Gouverneur du Ruanda-Urundi a remis à ses membres une « note sur l’aspect politique de la double administration à la fois européenne et indigène au Ruanda-Urundi », rédigée par M. Joseph Habyarimana, industriel à Astrida, et membre du Conseil général. C’est à la demande de son auteur que cette note a été transmise par le Gouverneur du Ruanda-Urundi aux membres du Conseil général et aux membres de la Mission de visite. Dans sa lettre datée du 26 septembre 1957 au Gouverneur, M. Habyarimana signale que la note a été rédigée par lui en collaboration avec quelques Bahutu, dont la plupart appartiennent au groupe des rédacteurs du « Manifeste des Bahutu ». Cette note, précise-t-il, comme la précédente « a été édictée non par un esprit de chimérique innovation ou d’insurrection quelconque, ou d’une idéologie sotte tendant à une autonomie prématurée et unilatérale, mais par un sentiment d’une confiance franche à l’égard de l’autorité tutélaire belge ». La note exprime le souhait de « voir cette autorité tutélaire s’occuper d’une façon plus positivement immédiate de l’éducation sociale de la population du Ruanda, en vue d’une émancipation intégrale » et dans ce but il est recommandé :

  1. a) De mettre fin au dualisme de l’administration du Ruanda-Urundi – européenne et indigène. On ne peut prétendre démocratiser le Ruanda-Urundi et lui maintenir la structure actuelle de l’administration indigène, « qui verse tellement dans notre féodalité ancestrale ». L’administration indirecte est nocive, parce que toutes les décisions du pouvoir central doivent passer par des « organes de nature ou d’esprit limité ». La nomination des chefs ou sous-chefs bahutu ne changerait rien au problème;
  2. b) De réformer à fond le cadre actuel des chefs et des sous-chefs. M. Habyarimana propose de remplacer les sous-chefs par des « chefs communaux » ou bourgmestres, élus au suffrage universel des contribuables de la commune ou du canton, et dont le rôle serait de « superviser certains services précis et différenciés dont son canton serait muni : par exemple, agriculture, travaux communaux, notariat, recensement ». Le cadre des chefs actuels serait supprimé. Au-dessus de l’échelon communal il y aurait l’autorité provinciale (c’est-à-dire le « territoire » actuel); la résidence et le gouvernement central. Chaque service serait renforcé en personnel indigène dont les membres ne seraient plus des intermédiaires subalternes, mais des adjoints indigènes, et ceci mettrait fin à « l’exercice juxtaposé de deux administrations à la fois européenne et indigène »
  3. 68.De tout ce qui précède la Mission croit qu’elle peut conclure que bien que l’organisation politique actuelle du Ruanda-Urundi soit de date récente, et n’ait fonctionné que depuis peu d’années; bien que d’autre part, certaines modifications aient déjà été introduites ou envisagées; il n’est pas prématuré d’étudier la refonte progressive mais complète du régime. C’est d’ailleurs ce que fait l’administration belge, et le seul but de la Mission de visite est simplement de souligner qu’il ne faut pas relâcher l’effort dans ce domaine.
  4. 69.En ce qui concerne le contenu des réformes à introduire, la Mission fait également confiance à l’Autorité administrante qui est expérimentée et progressiste, et à la population du Ruanda-Urundi qui commence à faire preuve de ses capacités à exprimer des idées générales en matière d’organisation politique moderne, et à les discuter. La Mission espère qu’elle rencontrera l’adhésion de tous en recommandant que les réformes à intervenir continuent à s’orienter dans les directions suivantes : utilisation accrue d’élections au suffrage universel; augmentation des responsabilités des autorités et des conseils locaux; intégration progressive de l’administration européenne et indigène.

 

70.La Mission accueille avec intérêt la déclaration faite par le Gouverneur du Ruanda-Urundi que « dans la ligne d’évolution naturelle qui doit conduire les Banyaruanda et les Barundi à assumer sous le couvert d’institutions de structure réellement démocratiques, des responsabilités, toujours plus grandes et plus nombreuses dans la gestion des intérêts de leur pays, des transformations aussi décisives que celles requises par le secteur économique sont attendues sur le plan politique et social. Beaucoup de ces transformations sont d’ores et déjà amorcées. D’autres font l’objet de travaux juridiques préparatoires activement poussés à Usumbura, Léopoldville ou à Bruxelles ».

 Le Conseil général du Ruanda-Urundi

 

71.L’arrêté royal du 26 mars 1957 a remplacé le Conseil de Vice-Gouvernement Général, organe consultatif supérieur du Ruanda-Urundi par un Conseil général de quarante-cinq membres :

  1. a) Sept membres de droit, hauts fonctionnaires (Le Gouverneur du Ruanda-Urundi, le Procureur du Roi, les commissaires provinciaux, le secrétaire provincial, et les résidents du Ruanda et de l’Urundi);
  2. b) Deux membres de droit : les Bami;

c)Quatre membres choisis en leur sein, deux par le Conseil supérieur du Ruanda, deux par le Conseil supérieur de l’Urundi;

d)Trente-deux membres nommés par le Gouverneur du Ruanda-Urundi :

 

  1. Six représentants des entreprises de capitaux, désignés sur présentation des associations industrielles et des chambres de commerce (en 1957, c’étaient tous des Européens, directeurs de compagnies commerciales ou minières);

 

  1. Six représentants des classes moyennes indépendantes, désignés sur présentation des groupements de classes moyennes, y compris les chambres de commerce groupant les entreprises de personnes (en 1957 c’étaient tous des Européens : avocats, colons, entrepreneurs);

3.Sixreprésentants de l’emploi, dont cinq désignés sur présentation des associations professionnelles des travailleurs et employés des secteurs privé et public, et un sur présentation des représentants des travailleurs des commissions de travail et du progrès social indigène (en 1957, il y avait quatre fonctionnaires européens et deux commis autochtones);

  1. Six notables, choisis en raison de leur compétence générale et de leur indépendance d’esprit (en 1957, il y avait un chef indigène, un colon européen, un commerçant européen, un vicaire apostolique européen, un commerçant asiatique, un abbé autochtone);
  2. Quatre représentants des milieux extra-ruraux (en 1957, il y avait un Européen administrateur de société et trois autochtones, dont le chef du centre extra-coutumier d’Usumbura, un assistant médical et un commis);
  3. Quatrepersonnes n’appartenant ni à l’administration générale, ni à l’administration indigène (en 1957, il y avait un vicaire apostolique autochtone, un missionnaire Protestant européen, un industriel autochtone, un employé de commerce autochtone).

72.Les conseillers des Bami siègent également au Conseil général, mais sans voix délibérative.

73.En juillet 1957, sur quarante-trois membres présents, il y avait en fait vingt-six Européens, seize Africains, et un Asiatique. Mais il n’y a pas de composition raciale fixe, étant donné que les membres sont nommés non pas à cause de leur race, mais compte tenu de leurs fonctions. De plus il y a des fluctuations possibles en cours de session; c’est ainsi qu’en juillet 1957, lorsque le suppléant du vicaire apostolique européen, à savoir un chef autochtone a siégé, la proportion est devenue de 25-17-1.

74.La composition de ce Conseil général représente un progrès sur celui de l’ancien Conseil de Vice-Gouvernement Général qui ne comprenait que vingt-deux membres, dont cinq seulement en 1956 étaient des Africains. Mais le principe électif n’est pas encore utilisé pour sa composition, et son caractère représentatif n’est dès lors pas encore complet.

75. Conme l’ancien Conseil de Vice-Gouvernement Général, le Conseil général est exclusivement consultatif. Il examine les propositions budgétaires, délibère sur toutes les questions que lui soumet le Gouverneur du Ruanda-Urundi et est autorisé à adresser des vœux au Gouvernement.

76.Le Conseil général a siégé pour la première fois du 29 juillet au 3 août 1957. À en juger par les procès-verbaux, il a fait preuve d’une grande activité, et les membres africains semblent avoir pleinement participé à ses travaux. L’ordre du jour de la session comptait six points : l’examen du projet de code de l’organisation et de la compétence judiciaire, l’examen du projet de décret sur les juridictions indigènes, l’examen de l’application au Ruanda-Urundi du décret sur le statut des villes, l’examen des budgets pour 1958, l’examen de la suite réservée aux vœux émis lors de la session de 1956 du Conseil de Vice-Gouvernement général et l’examen des vœux qui seraient déposés à la session du Conseil général. Dès le premier jour, les membres proposaient l’addition de quelque vingt-cinq points supplémentaires dont certains, portaient sur des questions très générales. Le Conseil décida de se réunir pour quelques jours en une deuxième session, au mois de novembre, et de confier à une commission le soin de déterminer l’ordre de priorité des points à inscrire à l’ordre du jour.

77.La Mission a été informée que certains milieux européens avaient été hostiles à la création du Conseil général. Ces milieux avaient toujours préconisé une union plus étroite entre le Ruanda-Urundi et le Congo belge et estimaient que le Ruanda-Urundi devait être représenté au Conseil de Gouvernement à Léopoldville et à la députation permanente, où étaient traitées les questions générales, alors que le Conseil de Vice-Gouvernement général du Ruanda-Urundi, ainsi que les conseils de province du Congo belge traitaient les questions locales.

« A sa session de 1956, le Conseil de Vice-Gouvernement général avait émis le voeu que le Ruanda-Urundi puisse envoyer au Conseil de Gouvernement à Léopoldville et à sa députation permanente des observateurs ayant droit de parole, mais non voix délibérative lors des votes, et pouvant assister à toutes réunions, recevant toute documentation et occupant une place spéciale au Conseil ou à la Députation.

L’Administration a fait observer que le Gouverneur général peut appeler chaque fois que le Conseil de Gouvernement ou la Députation permanente ont à traiter des questions de leur compétence, les fonctionnaires ou des chefs d’établissements publics qu’il désire. C’est donc au Gouverneur général qu’est laissée l’initiative d’appeler ou non au Conseil de Gouvernement des fonctionnaires ou chefs d’établissements publics du Ruanda-Urundi.

La Mission a appris par la suite que le Gouverneur du Ruanda-Urundi assisterait à la prochaine session du Conseil de Gouvernement du Congo belge ».

De l’avis de ces personnes, la création du Conseil général du Ruanda-Urundi consacre la séparation du Congo belge et du Ruanda-Urundi. Elles estiment dès lors que le Conseil général du Ruanda-Urundi doit désormais se consacrer aux questions générales intéressant le Territoire sous tutelle; être doté d’une députation permanente; et être obligatoirement consulté au sujet de toute nouvelle législation. Elles ont aussi souligné, avec regret, que si le Conseil de Gouvernement à Léopoldville, organe consultatif, a reçu le pouvoir d’arrêter le budget de la Colonie, le Conseil général du Ruanda-Urundi, lui, n’a pas ce pouvoir pour le Ruanda-Urundi et ne peut qu’examiner les propositions budgétaires.

78.Au cours de la première session de juillet 1957, divers vœux ont été présentés au sujet du fonctionnement du Conseil général. L’un notamment émanant de deux conseillers européens et trois conseillers africains proposait la création au sein du Conseil d’une députation permanente que le Gouverneur du Ruanda-Urundi consulterait préalablement à la signature de toutes les ordonnances ou instructions de portée générale et à l’occasion de l’élaboration de projets, études ou négociations. Il a été proposé que cette députation permanente se composât de trois membres africains (deux désignés par les Conseils supérieurs des Pays, et un par le Gouverneur) et trois membres européens (deux désignés par le Conseil général et un par le Gouverneur) et que la députation permanente élise son propre président. Lorsque ce vœu fut discuté au Conseil général, le Gouverneur suggéra au Conseil d’attendre la session suivante pour discuter l’éventuelle création d’une délégation permanente, et entretemps il s’engagea à faire étudier la question et à en discuter avec certains membres à la lumière des expériences nées du fonctionnement de la commission de l’enseignement récemment créée. Sa suggestion fut acceptée.

79.Au cours de ses discussions avec la Mission, le Gouverneur a cependant fait remarquer qu’il serait dangereux qu’une délégation permanente fût créée qui pût inconsidérément s’adresser aux services du Gouvernement et leur demande de faire une série de travaux. Le rôle fondamental d’un organe exécutif est d’agir, et il ne doit raisonnablement devoir consacrer qu’environ un quart de son temps à se soumettre à des contrôles. Il a ajouté néanmoins qu’il avait admis la création de mécanismes nouveaux permettant sur certains points importants une meilleure information du Conseil général.

80.Un autre voeu déposé par trois membres européens et adopté par le Conseil général était libellé comme suit :

« Considérant que les populations du Ruanda-Urundi doivent, au moins à l’égard de celles du Congo belge, participer à l’élaboration des lois qui les régissent, le Conseil général souhaite que soit ajoutée à l’arrêté royal du 26 mars 1957 instituant le Conseil général du Ruanda-Urundi la disposition contenue dans l’article 58 de l’arrêté royal du 1erjuillet 1947 modifié par l’arrêté royal du 21 janvier 1957 concernant le Congo belge, à savoir ‘Le Conseil est, sauf urgence, consulté en dernier ressort avant le Conseil colonial sur tous les projets de décrets constituant une législation générale et permanente ».

81.Pour apprécier la portée de ce voeu, il faut se souvenir que la législation normale et ordinaire pour le Congo belge et le Ruanda-Urundi (outre les lois qui peuvent être adoptées par le Parlement belge) se présente sous forme de décrets pris par le Roi, après avis du Conseil colonial (qui est un organe siégeant en Belgique). Ces décrets (ainsi que les ordonnances législatives prises en cas d’urgence par le Gouverneur général du Congo belge) peuvent spécifier qu’ils sont applicables au Congo belge et au Ruanda-Urundi, auquel cas ils s’appliquent de droit au Territoire sous tutelle, à moins qu’en cas d’urgence le Gouverneur du Ruanda-Urundi n’en suspende l’exécution pour six mois.’ S’ils ne mentionnent pas le Ruanda-Urundi, ils ne sont applicables dans le Territoire sous tutelle qu’après avoir été rendus expressément exécutoires par le Gouverneur du Ruanda-Urundi. En général, les décrets applicables au Ruanda-Urundi ne sont pris qu’après consultation, soit du Conseil général (ou anciennement le Conseil de Vice-Gouvernement Général), soit de l’Administration du Ruanda-Urundi, mais il y a eu des cas, d’après le Gouverneur, sont très exceptionnels.

82.Le Gouverneur a expliqué au Conseil général que le système permettait une certaine souplesse. Ce qui importait c’était que les autorités du Ruanda-Urundi fussent tenues au courant des projets en préparation. Dans certains cas, il suffirait d’un examen dans les services administratifs du Ruanda-Urundi, dans d’autres le Gouverneur pourrait consulter, à titre d’information, quelques membres du Conseil, particulièrement compétents dans la nature traitée par le projet et dont l’opinion lui paraîtrait représentative de celle du Conseil. Enfin, dans les cas les plus importants, il prendrait l’initiative soit de réunir le Conseil général en session extraordinaire, soit de demander au Ministre des colonies de tenir le projet en suspens jusqu’à ce que le Conseil général ait délibéré.

83.La mission note avec intérêt le désir du Conseil général de participer plus étroitement à l’élaboration de la législation applicable dans le Territoire. Elle tient à rappeler que le Conseil de tutelle, à sa dix-neuvième session, avait noté avec satisfaction les mesures prises par l’Autorité administrante pour élargir la représentation africaine au sein du Conseil de Vice-Gouvernement général (devenu maintenant le Conseil général) et avait exprimé l’espoir que cette représentation serait progressivement élargie de façon que les pouvoirs de ce Conseil puissent être étendus de manière à en faire dans un bref délai un organe législatif propre au Territoire. La mission espère que l’Autorité administrante ne perdra pas de vue cet objectif.