Discours Prononcé Par Le Président KAYIBANDA Le 22 Avril 1963, A Gisenyi, Lors De L’Ouverture De La Conférence Economique Entre Le Gouvernement Du Rwanda Et Le Gouvernement Du Burundi.
Messieurs les Ministres.
Monsieur le Préfet.
Monsieur le Représentant du Bureau de l’Assistance Technique des Nations-Unies,
Mesdames, Messieurs,
Hier c’était Addis-Abeba qui abritait les conversations fraternelles entre le Rwanda et le Burundi et qui solennellement enregistrait nos Accords de coopération, consacrait les Services Communs au Rwanda et au Burundi, en soumettant cependant leur avenir et leur durabilité (ides études techniques ultérieures à réaliser par des experts des Nations-Unies.
Aujourd’hui c’est Gisenyi, le site enchanteur et favori des touristes, la plus belle cité rwandaise sur le lac Kivu, qui va être le témoin des prises de positions et des conclusions plus conformes aux réalités définitives, au sujet des Services de coopération technique et économique, jusqu’ici communs au Burundi et au Rwanda.
C’est pour le Président du Rwanda un bonheur indescriptible de pouvoir rappeler devant les Honorables Représentants des Gouvernements des deux Pays la situation actuelle, d’évoquer les utilités et aussi les grandes difficultés de nos Services Communs et d’esquisser la ligne suggérée à vos délibérations, par le bon sens, une liberté réaliste, dans la période actuelle et pour l’avenir heureux, prospère et fraternel de nos deux Etats.
Qu’il me soit permis cependant de souhaiter d’abord la bienvenue à leurs Excellences les Ministres qui composent la Délégation du Royaume du Burundi. La République Rwandaise est heureuse d’accueillir Monsieur le Ministre de l’Economie et ses collègues et leur souhaite un séjour fructueux.
La composition des deux délégations augure d’ailleurs déjà de la bonne conduite et de la bonne fin de la Conférence, car ce n’est pas pour la première fois que les Chefs des deux délégations, Son Excellence Monsieur Katikati et notre Ministre des Finances et de la Fonction Publique, Son Excellence Monsieur Cyimana qui présidera la Délégation Rwandaise, se rencontrent pour des échanges de vues d’une importance exceptionnelle pour nos deux Pays, et particulièrement au sujet du problème des Services Communs qui vont faire l’objet de vos délibérations.
J’ai eu moi-même l’occasion de constater la hauteur de leurs compétences et leur honnêteté dans la négociation, soit à l’occasion de la rédaction du Protocole de Bruxelles, soit lors de discussions qui ont donné naissance à l’Accord d’Addis-Abeba. La situation actuelle des Services Communs qui vont faire l’objet des délibérations de Gisenyi peut se caractériser schématiquement comme suit :
— certains, comme la Banque d’Emission, jouissent d’une certaine stabilité et procurent aux deux Etats une utilité réelle : c’est un instrument, qui, avec les ajustements qui s’imposent, est toujours apte à concourir au développement du Burundi et du Rwanda;
— d’autres se caractérisent par une instabilité qui empêche leur plein rendement : ils peuvent devenir une source de conflits inutiles et constituer un handicap non seulement aux bonnes relations mais aussi au fonctionnement normal de tout l’appareil du Progrès National;
— tous ont fait l’objet d’un examen attentif par des commissions techniques paritaires; les études de ces commissions éclaireront chacun de vos pas tout au long de la Conférence. Je prends occasion pour remercier vivement le groupe des Experts des Nations-Unies et tout particulièrement Monsieur Laurentie dont nous avons eu l’occasion en plusieurs circonstances de constater le zèle, la compétence, et l’honnêteté à l’égard du problème des Services Communs;
— tous posent le problème important de l’adaptation aux politiques publiques qui ne sont pas toujours identiques de chacun des Etats, et celui non moins réel de l’administration, du financement et du personnel;
— tous se trouvent soumis au fait que chacun des deux Etats exige la justice : c’est-à-dire, un service égal pour tous les deux, des facilités égales pour tous les usagers, et qu’il doit pouvoir être immédiatement construit de façon à répondre à ces impératifs ;
— tous sont, de leur nature, d’une teneur technique telle que ne disposant pas encore de techniciens nationaux en nombre suffisant, les deux Etats doivent recourir à l’emploi pendant un temps encore, du personnel étranger.
Toutes ces considérations se retrouveront à chacun des chapitres de cette Conférence. Elles vous aideront à juger avec réalisme de l’utilité réellement commune des Services techniques ou économiques dont vous penserez décider le maintien.
Et ici je désire exprimer clairement, surtout à l’intention de nos frères du Burundi, la position Rwandaise au sujet des Services jusqu’ici communs à nos deux Etats.
La politique de mon Gouvernement vise à contribuer par tous les moyens honnêtes à ce qui favorise entre les Nations la paix, la justice, la coopération en tous les domaines du progrès humain.
Et pour nous, cette coopération internationale doit elle-même servir également l’objectif de notre politique intérieure : à savoir le relèvement démocratique des niveaux de vie des masses populaires de la République.
C’est dans ce cadre et dans cette perspective que le Gouvernement Rwandais participe à la recherche des nouvelles voies de l’Economie en cette seconde moitié du 20ème siècle ; apprécie l’importance de telle ou telle politique économique, monétaire et financière; juge, sollicite ou accepte les offres d’assistance extérieure.
C’est dans cette perspective que la Délégation rwandaise examinera le problème des Services constitués communs par notre ancien colonisateur.
Aussi les leaders de la Conférence de Gisenyi devront avoir un esprit à la fois réaliste et réellement prudent, perspicace et révolutionnaire au sens élevé du mot, afin de mettre la technique, la finance et la coopération au service de l’homme et de l’homme du peuple : « inutile de répéter que c’est là la vraie démocratie que réclame, à juste titre, le monde de cette seconde moitié du 20ème siècle, cette période autrement difficile parce qu’elle peut être considérée comme la plus difficile de transition que l’Histoire de l’Humanité ait enregistrée.
Dirigez vos compétences par cet esprit réaliste, perspicace et révolutionnaire dont je parlais tout à l’heure. Et surtout soyez pratiques: sachez que les Chefs d’Etat, vos Gouvernements, vos Peuples attendent de cette conférence dont l’objet est si important, des conclusions nettes pour chacun des points inscrits à l’ordre du jour de votre Conférence. Tout le monde considère la période d’expérience et d’essai comme amplement suffisante.
Cette Conférence aura été plus historique que les précédentes si à sa clôture vous pouvez dire aux Rwandais et Barundi au sujet de chacun des Services Communs : de celui-ci on a décidé le maintien définitif et en voici le statut, de tel autre on a décidé la liquidation comme service commun et voici les délais et les modalités de cette liquidation ainsi que la proposition concrète de la structuration dans chacun des Etats des services séparés. Prenez votre temps : le temps a-t-on dit, n’épargne pas ce que l’on fait sans lui.
Pour le Gouvernement et le Peuple Rwandais les débats de la Conférence de Gisenyi doivent donc aboutir à :
— supprimer tout service commun qui n’est que source de fatigue et de conflits, ou simplement le refuge d’un néo-colonialisme aveugle, inhumain, d’ailleurs dépassé, ou constituerait un frein à un progrès plus important de l’un des partenaires.
La Conférence de Gisenyi doit cependant être guidée par un esprit fondamentalement positif, constructif. Ses débats doivent aboutir à maintenir et à réorganiser en conséquence tout service commun :
— dont l’utilité est réellement commune aux deux Gouvernements;
— que la Conférence pourra doter d’un statut qui fasse justice à tous les citoyens des deux Etats et dont le fonctionnement ne soit pas au départ de nos indépendances nationales ni une source automatique de conflits, ni un refuge facile pour des coloniaux attardés, démunis des compétences requises, ni un handicap dans cette partie du continent au renouvellement du régime économique.
Vos délibérations auront la lourde responsabilité d’apprécier les handicaps et de préciser les modalités et les dates de liquidations éventuelles ainsi que de déterminer quels sont les services qui remplissent les conditions élémentaires d’utilité et de viabilité, de les organiser avec précision et de donner ainsi à nos deux Etats les bases solides d’une coopération libre, démocratique et efficace.
Je déclare ouverte la Conférence de Gisenyi.
Kigali, le 22 avril 1 963,
Grégoire KAYIBANDA.