Vie et œuvre de Von GÔTZEN

 

Il était lieutenant aux Uhlans de la Garde impériale lorqu’il fit, en 1891, son premier voyage en Afrique, au cours duquel il réussit l’ascension du Kilimandjaro. En 1892, il accompagna le Major von Diest en Asie Mineure. Mais c’est surtout sa grande expédition transafricaine, entreprise en 1893-1894, avec le Dr von Prittwitz et Kersting, qui le fit connaître.

L’expédition partit de Pangani, sur la côte orientale, en Décembre 1893. Von Götzen était accompagné (en plus de Prittwitz et Kersting) par un corps d’askaris et de nombreux porteurs, en tout 620 personnes. Suivant les traces d’une précédente expédition commandée par le Dr Oscar Baumann, von Götzen commença par traverser la steppe Massaï du SSE au NNW, puis l’Unyamwezi largement au sud du lac Victoria. L’expédition contourna ensuite ce lac par l’ouest pour arriver, au début du mois de mai 1894, à une altitude de 1.330 m, sur la Kagera.

Après avoir traversé la Kagera, large de 200 m et très encombrée par les papyrus, sur le 31° degré de longitude est, von Götzen pénétra dans un royaume qui n’était connu par les Européens que dans sa partie sud et sud-est. Ce royaume c’est le Rwanda. Von Götzen dit que ce pays était habité par un peuple pasteur, dominé par une aristocratie de haute stature, au type nettement étranger. Von Gôtzen présente quelques uns de ces seigneurs féodaux, les Abatutsi, par lesquels il fut assez favorablement accueilli et qui l’aidèrent à traverser leur pays de part en part jusqu’au fossé des Grands lacs où le cadre naturel change brusquement.

 A cet endroit, il se trouva en effet en présence d’une énorme plaine de lave, dévalant en pente douce vers le sud où elle aboutit au lac Kivu. Cette plaine est dominée au nord par deux grands volcans, le Nyamuragira et le Nyiragongo, derniers représentants occidentaux de la chaîne du Birunga (volcans) qui comprend six autres grands volcans : Muhabura, SAbyInyo, Bisoke, Kalisimbi, Gahinga et Mikeno.

Von Gôtzen fut le premier Européen à reconnaître ce tronçon du grand graben où un lac admirable semble gardé par des sentinelles géantes dont les sommets s’étagent entre 3.000 et 4.500 m d’altitude.

Von Gôtzen, arrivé au pied du volcan Nyiragongo, d’où s’échappait un panache de fumée, n’hésita pas à en entreprendre l’ascension. Il parvint, à 3.469 m d’altitude, sur le bord du cratère, après avoir traversé sur le flanc du volcan des zones de végétation étagées passant de la forêt tropicale comprenant d’énormes bambous aux hauts herbages à séneçons. Du sommet, il prit une ample vue sur le Kalisimbi, et au sud, sur le lac Kivu.

Après son ascension du Nyiragongo, von Gôtzen consacra plusieurs jours à l’exploration du lac Kivu et à l’étude de la région riveraine. Il s’est parfaitement rendu compte que si le lac, à 1.485 m d’altitude, s’écoule aujourd’hui par l’intermédiaire de la Ruzizi, dans le lac Tanganyika qu’il domine de 675 m il n’en a pas toujours été ainsi. C’est le barrage formé au nord du lac dans le graben par les déjections volcaniques des Birunga, qui a obligé les eaux à s’amasser et à se déverser vers le bassin du Zaïre, alors qu’autrefois, par l’intermédiaire des lacs Edouard et Albert, elles allaient au Nil.

Après avoir exploré le lac Kivu et ses régions environnantes du Rwanda, von Gôtzen reprit son voyage vers l’ouest. C’était le 22 Juin 1894. Le 4 Décembre de la même année l’expédition arriva à Boma où elle fut reçue par le Gouverneur Wahis. Von Gôtzen venait ainsi de traverser lui aussi l’Afrique noire d’est en ouest.

Pour rentrer en Europe, von Gôtzen se rendit par caboteur de Boma à Cabinda, d’où un bateau- portugais le conduisit à Lisbonne. Il débarqua dans cette ville le 8 Janvier 1895.

De 1896 à 1898, von Götzen remplit les fonctions d’attaché militaire à Washington. En 1901, il fut nommé Gouverneur civil de l’Afrique Orientale Allemande et un peu après, il reçut le commandement en chef de troupes qui y étaient stationnées. En 1906 il rentra en Europe et résida à Hambourg comme Ministre de l’Empire auprès des villes hanséatiques, charge surtout honorifique. Il mourut à Berlin le 1er Décembre 1910, à l’âge de 50 ans.

Une de ses publications intéresse le Rwanda, il s’agit de : Durch Afrika von Ostafrikanischen Ost nach West. Resultate und Begebenheiten einer Reise von der Deutsch-Ostafrikanischen küste bis zu kongomündung in den Jahren 1893-1894. Berlin, Dietrich Reiner, 1899

 Le comte Von Gôtzen, premier Européen reçu par le souverain du Rwanda

 Après avoir traversé la Kagera le 2 Mai 1894, le comte Von Gôtzen et sa caravane s’engagèrent à l’intérieur du royaume du Rwanda. C’était la première fois dans l’histoire de ce pays que des Européens osaient y pénétrer. Ils se reposèrent d’abord à Sakara, dans la province du Gihunya, dans l’ancien royaume du Gisaka devenu terre rwandaise depuis le règne de Mutara II Rwogera. Puis du 4 au 7 Mai 1894, la caravane campa à Rukira ; elle arriva à Rwamagana le 12 du même mois. Là, Von Gôtzen trouva le prince Sharangabo, propre fils de Kigeli IV Rwabugili, qu’il détermina sans difficulté à le guider vers l’endroit où il rencontra le roi.

Que Sharangabo ait accepté de servir de guide à un étranger, c’est signe qu’au Rwanda on était dans l’attente imminente de l’arrivée, chez le roi, des Européens qui étaient installés déjà dans le Karagwe et dont le Mukama Rumanyika avait annoncé les valeurs guerrières. Le roi du Karagwe avait même déconseillé à son homologue du Rwanda de provoquer des accrochages armés avec les Européens car il risquerait de perdre fatalement ses hommes et son pays. D’où à l’arrivée de Von Gôtzen, les Européens étaient considérés comme des étrangers d’une catégorie spéciale.

 « On ne s’imaginerait pas autrement, dans le Rwanda d’alors, un étranger qui eût déterminé, et encore autoritairement, un fils du Roi à lui servir de guide. On ne se figurerait pas non plus le Roi se déplaçant d’urgence pour aller recevoir cet étranger dans une localité désignée par les oracles divinatoires, au lieu de le laisser venir tout simplement là où la Cour se trouverait. Tout ce comportement inhabituel était donc concerté d’avance, et on ne serait pas loin de la vérité en supposant que le prince Sharangabo résidait habituellement à l’Est du pays pour y attendre l’arrivée des Européens qui, on le savait, viendrait de ce côté de la frontière. On voit du reste Sharangabo diriger la caravane vers Kageyo sans aucune hésitation, de même qu’au reçu de son messager le Roi s’y rendit aussitôt».

Sharangabo, von Gôtzen et sa suite mirent 16 jours pour se rendre de Rwamagana à Kageyo, dans l’ancienne province du Kingogo (préfecture actuelle de Gisenyi) où se trouvait à ce moment la résidence royale de Kigeli IV Rwabugili. Le 29 Mai 1894, jour historique dans les annales du Rwanda, la caravane traversa la rivière Satinsyi et se mit à escalader le massif du Kageyo, couronné par la résidence royale. Le prince Sharangabo qui s’était pressé pour aviser son père, le roi, de l’arrivée des Européens à la cour, revint vers la caravane pour annoncer au comte von Gôtzen que le roi ne pouvait pas le recevoir ce jour-là et qu’il devait en conséquence fixer son camp sur les flancs du Kageyo, en attendant qu’on vînt les inviter à l’audience.

L’Allemand dut ne pas certainement comprendre la portée des propos que lui exprimait le prince Sharangabo car il crut qu’il s’agissait d’attendre quelques instants. Voici comment il en parle :

« Une fois sur le sommet, je décidai encore une fois de faire une halte parce que Sharangabo venait à notre rencontre et me faisait savoir que son père n’était pas encore prêt à nous recevoir. Cela ne m’était pas désagréable. Finalement le temps nous devenait trop long ; je demandai à Prittwitz et Kersting de me suivre. Je plaçai en tête deux formations de soldats et à la suite du timbalier on alla jusqu’à une place libre, devant l’enclos principal qui était précédé d’une entrée sans porte».

Le chef Nkwaya vint devant les Européens pour leur intimer l’ordre de s’arrêter. Mais le comte von Gôtzen « chevaucha » sur son mulet en direction de Nkwaya qui prit peur de l’animal dont il ignorait les mœurs. Cependant, fort de l’ordre reçu du souverain, il tenta de faire face à la situation et il enfonça son bâton pointu dans le cou de l’animal menaçant. Alors von Gôtzen sauta prestement du mulet et, armé de sa cravache, il en administra un coup sec au chef et le coup se déploya au dos d’une extrémité de l’épaule à l’autre. Geste inouï ! On n’avait jamais vu cela, le chef étant sevré de coups depuis son adolescence. Il pouvait être blessé sur le champ de bataille, et même y laisser sa vie, mais être cravaché surtout par un étranger qui arrivait en hôte à la cour, c’était une aventure grave qui pouvait provoquer des incidents incontrôlables. Comme la cour ne devait pas combattre les Européens, elle tut l’incident et le roi reçut quand même le comte von Gôtzen. Celui-ci décrit la réception en ces termes :

« Après un certain moment, apparurent plusieurs dignités sortant de l’intérieur de la case, et finalement apparut Kigeli lui-même, courbé à cause de la hauteur assez réduite de l’entrée voûtée, hésitant et timide en jetant le regard sur nous. Un siège bas, complètement orné de perles de verroterie roses et blanches, fut déposé. devant lui, et le géant s’y installa lourdement. Sharangabo s’accroupit à sa droite et Tofik, dont l’embarras certain ne pouvait plus se cacher aujourd’hui, s’assit à sa gauche sur le sol couvert d’une natte. Tandis qu’une petite cruche de pombe était convenablement déposée devant le Kigeii, nous avons le loisir de le considérer de près, lui et son entourage. Rwabugili et ses parents sont sûrement les plus grands hommes à payer en sus, qu’il y a sous le soleil et qui, transportés en Europe, provoqueraient une sensation extraordinaire ».

Les Européens s’entretinrent avec le roi et, accédant à la demande de celui-ci, von Gôtzen fit manœuvrer sa troupe et commanda des salves. Les vaches et le petit bétail de boucherie donnés aux hôtes furent abattus par tir à grande distance. Toutes ces démonstrations, visant sans doute à faire prévaloir la supériorité militaire des Européens, purent certes satisfaire la curiosité du roi et de son entourage.

Mais la démonstration la plus spectaculaire fut le lancement du feu d’artifice. Les éclatements en cascades et la variété des couleurs que le projectile étala dans le ciel du Kageyo firent pousser des hurlements de terreur d’abord, d’admiration ensuite chez les Rwandais témoins de ce phénomène.

L’explorateur allemand resta à Kageyo du 29 Mai au 1er Juin 1894. De la Cour, la caravane se dirigea vers l’ouest, vers le lac Kivu.