Dix ans d’administration militaire : 1916-1926

 A l’issue des opérations militaires du mois de mai 1916, les forces opérationnelles belgo-congolaises avaient été remplacées au Rwanda par des troupes d’occupation. Le pays avait été divisé en quatre Commandements militaires (Gisenyi, Ruhengeri, Nyanza et Cyangugu) dirigés à l’échelon supérieur par un Officier-Résident installé à Kigali.

Après la conquête de Tabora, le Haut-Commandement militaire belge en Afrique Orientale s’était mué en Commissariat Royal, et celui-ci avait reçu pour tâche non seulement de maintenir l’ordre et la sécurité publique sur l’ensemble des territoires occupés, mais encore d’administrer ceux-ci pour le mieux en attendant la fin de la guerre et le futur Traité de Paix.

Le Commissaire Royal établit d’abord ses Services généraux à Kigoma, point stratégique pour d’éventuelles opérations militaires, et s’organisa de façon à disposer au plus tôt de moyens financiers autonomes pour le fonctionnement de son Administration. Il remplaça d’abord, dès 1917, l’ancien impôt général du Protectorat par un impôt nouveau mais semblable, dont le montant fut fixé initialement à 3,5 francs congolais par homme adulte valide. Dans les premiers temps, cet impôt ne donna quetrès peu de recettes, faute d’un recensement systématique des contribuables. Mais une fois celui-ci réalisé, les recettes s’en accrurent d’année en année et, au Rwanda, l’Administration, soucieuse de ne pas écraser les populations déjà accablées par les redevances politiques et de clientèle, s’attacha bientôt à normaliser celles-ci et à les réduire progressivement. A ces rentrées d’impôts, s’ajoutèrent peu après les recettes des postes douaniers établis sur les principales voies du commerce avec l’Afrique de l’Est britannique.

En 1922, le Protectorat allemand de l’Afrique Orientale ayant été démembré, le Commissaire Royal de Kigoma se déplaça avec ses Services administratifs vers Bujumbura au Burundi et, la situation du Rwanda et du Burundi s’étant clarifiée, ces deux pays furent placés sans plus attendre en Union Douanière avec le Congo. A partir de ce moment, les droits d’entrée et de sortie furent perçus uniformément à toute la périphérie de l’Union (ou encore au port maritime d’Anvers) pour être répartis ensuite entre le Rwanda-Burundi et le Congo en fonction de la destination ou de la provenance des marchandises.

A l’égard des différentes subdivisions administratives décentralisées des territoires occupés, le Commissaire Royal suivit les anciennes pratiques du Gouvernement Allemand de Dar-es-Sahara. Ainsi reprit-il, pour le Rwanda et le Burundi, la méthode de l’administration indirecte, et choisit-il de recourir à l’intermédiaire des cadres politiques en place.

L’Officier-Résident belge de Kigali reçut donc dans ses attributions un pouvoir général d’administration indirecte. Il reçut en même temps un pouvoir particulier et direct pour tout ce qui concernait le maintien de l’ordre et la sécurité publique, et chercha dès lors à mettre au point les procédures judiciaires de répression nécessaires au maintien de l’ordre. Et comme la justice répressive relevait toujours au Rwanda des autorités politiques locales, lesquelles non seulement échappaient à tout contrôle mais encore appliquaient par une procédure purement orale un droit coutumier non recensé, le Commissaire Royal décida, en 1917, de créer des tribunaux répressifs nouveaux (Par Ordonnances du 28 avril 1917 et du 30 août 1924, furent institués un Tribunal de Police par Commandement ou Territoire, un Tribunal de Résidence pour le Rwanda à Kigali, puis un Tribunal de Première Instance et un Tribunal d’Appel tous deux pour le Rwanda-Burundi à Bujumbura). Ceux-ci eurent à connaître dorénavant de toutes infractions commises au Rwanda par des Rwandais ou par des étrangers en contravention de la loi pénale écrite du Congo et des ordonnances de police et de sûreté générale des territoires occupés.

Compte tenu de cette décision, qui eut pour effet d’ôter au Mwami son droit de -vie et de mort, et de retirer à l’ensemble des cadres politiques la compétence répressive attribuée aux nouvelles juridictions, la hiérarchie Tutsi continua à exercer ses anciens pouvoirs politiques et juridictionnels

« dans la mesure, toutefois, et de la manière fixées par la coutume et par les instructions du Commissaire Royal » et sous la direction de l’Officier-Résident de Kigali. Les instructions du Commissaire Royal ne pouvant fatalement couvrir, en ces premières années, qu’un domaine assez limité de la vie des territoires occupés, recommandation fut faite aux Officiers et fonctionnaires affectés à leur administration que l’on s’y conformât, en cas de vide légal ou réglementaire, aux règles et traditions établies par l’ancienne autorité allemande.

L’Administration belge au Rwanda, devant recourir à l’intermédiaire des cadres politiques Tutsi, s’efforça par la suite de contrôler ceux-ci autant que possible. Ainsi prit-elle ses dispositions pour que toutes décisions de justice prises par ces cadres puissent donner lieu à réclamation devant l’autorité administrante.

Ayant par ailleurs constaté certains abus couramment pratiqués par les notables Tutsi, le Résident de Kigali veilla à ce qu’ils soient sévèrement réprimés. Dans une circulaire datée de 1917, il prévoyait par exemple que si un Tutsi dépouillait un Hutu de ses récoltes, il devrait être contraint à lui en restituer le double; ou encore, que si un Tutsi faisait paître son troupeau dans les champs d’un Hutu, il devrait l’indemniser du double des dégâts subis…

L’Administration belge abolit également très vite le droit de reprise exercé par les possesseurs des grands domaines pastoraux (Ibikingi) à l’égard des terres qu’ils avaient concédées à des agriculteurs (Isambu). Ce qui n’empêcha toutefois pas lesdits possesseurs d’exercer encore ce droit à l’encontre de clients faibles et peu protégés.

Pour assurer son administration et ses réformes, l’Administration belge fut également amenée à restreindre bientôt le pouvoir discrétionnaire du Mwami à l’égard de ses cadres politiques. Ainsi, à partir de 1923, les Chefs et sous-chefs ne purent-ils plus être nommés ou démis par le Mwami qu’avec l’accord du Résident militaire de Kigali.

Face à ces premières réformes, la réaction du Mwami Musinga et des milieux politiques Tutsi fut – l’on s’en doute- extrêmement négative. Inquiets pour leur autorité et leurs privilèges, ils opposèrent à l’Administration « hostilité, inertie, morgue et faux-fuyants ». Certains Chefs se firent remplacer devant elle par des hommes de paille; et il arriva plus d’une fois que l’Administration ait dû riposter à cette manœuvre en mettant réellement l’homme de paille dans les fonctions du Chef. Il arriva même que certains Chefs, se refusant à envoyer leurs fils dans les écoles créées expressément pour eux, aient préféré y envoyer les fils de leurs clients, de façon à ce que ceux-ci fassent l’expérience et le travail à leur place…

Devant l’attitude hostile de la généralité des cadres Tutsi, l’Administration militaire belge eut pour première réaction de remplacer les plus récalcitrants d’entre eux par les meilleurs éléments Hutu formés par les écoles chrétiennes.

Cette expérience était évidemment vouée à l’échec, car l’ensemble des milieux politiques Tutsi, unis en l’occurrence comme un seul homme, opposa à ces nouveaux cadres le sabotage le plus soigné. Mais ces mêmes milieux politiques n’en furent pas moins portés à réfléchir sur les risques qu’ils couraient à prolonger une opposition aveugle.

 Organisation de l’Administration du Mandat

Le 20 octobre 1924, fut adoptée par le Parlement belge une loi approuvant la Décision de Mandat prise par la SDN le 20 juillet 1922 et rectifiée par elle le 31 août 1923.

Le Gouvernement de Bruxelles s’attacha dès lors à préparer la mise en application du nouveau statut du Rwanda et du Burundi, et présenta aux Chambres un projet de loi organisant le gouvernement de ces deux pays dans le respect des termes du Mandat. Cette loi, adoptée le 21 août 1925, entra en vigueur le 1er mars 1926. Elle constituait le Rwanda et le Burundi en un seul « Territoire », en une seule entité juridique, dotée d’un patrimoine et d’un budget unique, et les plaçait en Union Administrative avec le Congo.

Le Commissaire Royal fut alors remplacé à Bujumbura par un Gouverneur dépendant administrativement du Gouverneur Général du Congo. Tandis que le Rwanda même acquérait un Résident civil, et que ses quatre Commandements militaires étaient remplacés par dix Territoires confiés à des Administrateurs civils(Kigali; Nyanza; Kamembe, déplacé à Cyangugu en 1932, les bâtiments administratifs ayant été détruits par un violent tremblement de terre; Rubengera, déplacé à Musaho puis à Kibuye, puis supprimé de 1936 à 1953 pour raisons budgétaires; Gisenyi; Kabaya, fusionné avec Gisenyi en 1932; Ruhengeri; Gatsibo, déplacé à Gabiro en 1931, puis supprimé en 1935; Rukira, déplacé à Kibungo en 1931; et Butare, démembré de Nyanza en 1923 sous la dénomination de Territoire de l’Akanyaru en attendant que Butare lui soit choisi comme chef-lieu. Byumba sera créé en 1931).

Le Rwanda et le Burundi ayant perdu le cadre légal et réglementaire qui avait été le leur sous le Protectorat allemand, la loi du 21 août 1925 prévit le moyen de combler ce vide au plus tôt.

Elle précisa tout d’abord les organes disposant du pouvoir législatif et du pouvoir réglementaire au Rwanda-Burundi. Le pouvoir législatif s’exercerait de Bruxelles par voie de lois, ou de décrets royaux; il pourrait, en cas d’urgence, s’exercer à l’initiative du Gouverneur Général du Congo ou du Gouverneur du Rwanda-Burundi eux-mêmes, habilités soit à suspendre les décrets royaux, soit à prendre des ordonnances-lois à durée limitée. Les ordonnances-lois ainsi prises par le Gouverneur général, à moins de porter expressément sur le Rwanda-Burundi, ne pourraient s’appliquer à ce Territoire qu’après y avoir été rendues exécutoires par ordonnance de son Gouverneur. Quant au pouvoir exécutif, il s’exercerait de Bruxelles par voie d’arrêtés royaux, et au niveau du Gouvernement local par voie d’ordonnances et de règlements d’administration.

Immédiatement après l’entrée en vigueur de cette nouvelle organisation, le Gouverneur du Rwanda-Burundi procéda à la signature d’un train de vingt-deux ordonnances rendant exécutoire dans les deux pays une partie importante de la législation en vigueur au Congo.

Le cadre légal de l’administration du Rwanda-Burundi étant ainsi défini, les Belges s’efforcèrent de mettre au point et de rendre progressivement autonome le support financier de cette administration. La législation fiscale congolaise fut étendue avec quelques adaptations au Rwanda-Burundi, qui fut dès lors soumis aux impôts en vigueur au Congo : impôts sur les revenus, puis impôt personnel, et impôt général sur la population. Ce dernier impôt perçu depuis 1917 (et d’un montant initial de 3,5 francs) fut bientôt différencié en fonction du niveau économique de chacun des dix Territoires; son montant fut progressivement élevé, de telle sorte qu’il atteignait 15 francs par homme adulte valide en 1930, 30 francs en 1940, et 46 francs en 1945.

En 1923, fut instauré un impôt particulier au Rwanda-Burundi, frappant le gros bétail. Conçu initialement comme un impôt forfaitaire s’appliquant à tout propriétaire de plus de cinq bêtes, il fut remplacé en 1926 par un impôt de 1 franc par bête. Son montant fut progressivement élevé, de telle sorte qu’il atteignait 3,5 francs en 1930, 7,5 francs en 1940, et 16 francs en 1945.

Au cours de l’année 1926 encore, fut instauré un impôt frappant les femmes de polygames. Et en 1932 enfin, apparut un impôt sur les véhicules automobiles.

Durant les premières années de l’Administration du Mandat, les recettes fiscales et douanières du Rwanda-Burundi furent extrêmement réduites, et la Belgique fut amenée à lui faire chaque année des prêts à 6 % d’intérêt qui, en 1932, déduction faite des remboursements déjà effectués, se montaient à 26 millions de francs. Entre 1929 et 1932, le trésor congolais lui prêta à son tour 50 millions de francs à 2 % d’intérêts pour lui permettre de financer l’aménagement de son réseau routier. En outre, la Belgique et le Congo souscrivirent, entre 1930 et 1932 respectivement à 7 et 42 millions en bons du trésor pour suppléer à l’insuffisance des recettes du Rwanda-Burundi et l’aider à couvrir ses dépenses extraordinaires. L’ensemble de ces différents prêts à court et moyen terme s’élevait, à la fin de 1932, à 130 millions de francs. Afin de mettre au clair la situation financière des deux pays, et prévoyant que de nouveaux prêts seraient encore nécessaires, les Administrations du Rwanda-Burundi, de la Belgique et du Congo signèrent en 1932 une convention permettant l’augmentation des dits prêts, dans les cinq années suivantes, jusqu’à un plafond de 200 millions.

En dehors des prêts ainsi convenus, la Belgique intervint dans le déficit annuel du budget du Rwanda-Burundi, entre 1933 et 1937, par des subventions, non récupérables cette fois, d’un montant total de 38 millions de francs 1.

En 1936, enfin, le budget ordinaire du Rwanda-Burundi fut pour la première fois équilibré sans emprunts extérieurs.

L’entrée en rapport des innombrables plantations individuelles de café et des premières importantes exploitations minières du Rwanda avaient en effet entraîné une forte augmentation à la fois des recettes douanières (qui dépassèrent 10 millions de francs), des perceptions fiscales sur les populations (plus de 16 millions) et sur les sociétés (plus de 2 millions), et des revenus du portefeuille (plus de 2 millions également). D’autre part, l’Administration du Mandat avait entrepris d’abaisser le coût de ses Services administratifs, notamment en remplaçant certains de ses agents expatriés par des agents rwandais et burundais.

Grâce à ce redressement de la situation financière, et grâce à la forte réduction des dépenses du Rwanda-Burundi pendant les cinq ans de la seconde guerre mondiale, le principal de l’emprunt contracté en 1932 sera finalement remboursé à concurrence de 69 millions en 1945 et le solde l’année suivante. Quant au remboursement des intérêts, il sera achevé en 1951, par compensation avec une créance de 48 millions correspondant aux dépenses de souveraineté assumées par le Rwanda-Burundi pendant la guerre.

 Le ralliement des milieux politiques Tutsi et la destitution du Mwami Musinga

Depuis dix ans que l’Administration belge exerçait son pouvoir et ses premières réformes au Rwanda, le Mwami Musinga et les milieux politiques Tutsi lui avaient opposé une attitude d’hostilité quasiment générale.

Il était très vite devenu évident pour les Belges que la prolongation de cette opposition négative rendrait impossible la réalisation du moindre programme économique ou social dans le pays. Aussi avaient-ils envisagé sérieusement de remplacer leur administration indirecte appuyée sur les cadres politiques Tutsi en confiant les fonctions de Chef à des éléments Hutu.

Sur ces entrefaites, les structures du Mandat conféré à la Belgique par la SDN avaient, en mars 1926, été mises en place. Et durant cette même année, la Belgique avait inauguré une série de nouvelles réformes, faisant apparaître sa ferme détermination d’administrer le pays selon ses vues propres.

Les cadres politiques Tutsi s’aperçurent à ce moment que l’Administration belge était réellement installée pour longtemps, et qu’elle ne céderait pas devant eux. Ils virent que, sans doute possible, une plus longue opposition risquerait d’entraîner l’écroulement de tous leurs privilèges.

C’est ainsi qu’en 1927, à l’initiative, semble-t-il, d’une nouvelle génération sortie des écoles et consciente des perspectives d’avenir s’offrant à elle, s’opéra un revirement complet des milieux Tutsi. Ceux-ci se rallièrent massivement, aussi bien aux nouvelles structures administratives et politiques, que d’ailleurs à la religion chrétienne. Ils trouvèrent un guide et un allié convaincu en la personne du Vicaire Apostolique de cette époque, Mgr Classe. Celui-ci avait effectué, auprès de l’Administration, de pressantes interventions pour que les Tutsi ne soient pas dépouillés de leurs pouvoirs, alors qu’ils pouvaient encore devenir le plus efficace instrument d’une politique de progrès.

Et de fait, comme par enchantement, la hiérarchie Tutsi devint un instrument si souple, si docile, si dévoué que l’Administration ne songea plus à s’en défaire brutalement.

Un seul foyer d’obstruction subsista, mais celui-là de plus en plus virulent, malgré de nombreux efforts de persuasion : le Mwami Musinga et son entourage immédiat. L’obstacle qu’il constituait pour le gouvernement indirect s’avéra bientôt tellement irréductible que l’Administration belge décida de l’écarter du pouvoir.

Le 16 novembre 1931, son fils aîné âgé de 21 ans, Rudahigwa, fut investi comme nouveau Mwami; il reçut pour nom de règne celui de Mutara. Deux jours auparavant, Musinga avait, sous bonne escorte, pris le chemin de Kamembe, au Sud du lac Kivu, où l’attendait une résidence de repos.

Afin d’aider le nouveau Mwami dans sa tâche, l’Administration du Mandat plaça auprès de lui un corps de quatre et plus tard de six notables expérimentés, dont chacun serait, à tour de rôle, son conseiller.

Vers une modernisation de l’encadrement politique

L’ancienne Administration allemande, militaire d’abord et civile ensuite, n’avait entre 1900 et 1916 quasiment rien changé à l’organisation ni aux us et coutumes du pouvoir Tutsi.

Les seules modifications qu’elle y avait apportées étaient tout d’abord l’imposition de la suprématie de l’autorité allemande, ensuite la paix allemande et l’interdiction de toute mobilisation armée ou opération de guerre, ensuite l’interdiction des abus de pouvoir les plus graves et des pratiques les plus barbares, et enfin le bénéfice d’une protection et d’une stabilité qui déjà avait permis au pouvoir Tutsi de se consolider et de s’étendre…

Aussi, lorsqu’en 1917 et surtout à partir de 1926, l’Administration belge entreprit de rationaliser l’organisation des pouvoirs politiques Tutsi pour les besoins de son gouvernement indirect, cette organisation se présentait-elle à peu de choses près telle que nous l’avons vue à la veille de 1900.

Le Mwami exerçait donc son pouvoir essentiellement sur « le Rwanda central, sur une extension orientale, le Gisaka, et sur une zone de « contrôle » qui comportait toute la région occidentale ». Ces territoires se subdivisaient en cinquante-cinq chefferies subdivisées chacune en quinze ou vingt sous-chefferies, et à côté desquelles l’on pouvait dénombrer plusieurs centaines d’enclaves soustraites à la hiérarchie normale et dépendant directement de la personne du Mwami. Les chefferies étaient toujours soumises à l’autorité parallèle des Chefs des Terres Agricoles et des Chefs des Pâturages, subordonnés aux Grands Chefs, et exerçant leur pouvoir à l’échelon local par l’intermédiaire des sous-chefs, leurs subordonnés communs; toutes autorités à l’égard desquelles les populations étaient redevables de prestations superposées. Le défaut majeur de cette ancienne organisation était d’être conçue essentiellement dans un but de domination et d’exploitation. La notion de service public n’y trouvait aucune application, si ce n’est secondaire et accidentelle.

Les mesures de rationalisation et de modernisation entreprises par l’Administration du Mandat à partir de l’année 1926 furent les suivantes. Tout d’abord, le remplacement des trois autorités existant au niveau des chefferies par un Chef unique : cette substitution fut achevée en 1931.

Ensuite, l’extension du réseau des chefferies uniformément à tout le Rwanda et l’installation, à la tête des chefferies nouvelles, de cadres formés dans les écoles pour fils de Chefs : ce qui signifiait, en réalité, l’extension du pouvoir Tutsi à la totalité du pays.

Ensuite, le remplacement des Chefs et sous-chefs reconnus incapables ou sans autorité, ou coupables d’exactions graves et répétées, ou de mauvais vouloir, par des éléments choisis « en plein accord » par le Mwami et l’Administration, et de préférence parmi les anciens élèves lettrés des écoles pour fils de Chefs de Nyanza et de Kigali. Cette politique devait faciliter considérablement les communications entre l’Administration et les cadres locaux. Alors que naguère ces communications ne pouvaient s’effectuer que par le déplacement des uns ou des autres, elles purent bientôt se faire en grande partie par écrit (dans 60 % des cas en 1935).

Une autre mesure de rationalisation prise par l’Administration du Mandat fut d’interdire en général tous cumuls de commandements, et en ce qui concerne les Chefs, de les obliger à résider en personne dans leurs chefferies et à ne plus sacrifier qu’un minimum de temps à leurs devoirs de courtisanerie à Nyanza (Ces devoirs furent limités en 1932 à quinze jours par an; tandis que les séjours de courtisanerie des sous-chefs chez leurs Chefs étaient limités à dix jours).

Une autre mesure enfin, de grande envergure celle-là, fut de regrouper les sous-chefferies trop petites et, de ce fait, invivables, où les contribuables étaient en raison de leur petit nombre astreints par les cadres politiques à des redevances excessivement lourdes. Pour les mêmes raisons, les innombrables petites enclaves furent progressivement supprimées, et rattachées par centaines aux entités territoriales contiguës. Ces regroupements devaient assurer à chaque sous-chefferie un minimum de 200, et plus tard de 300 contribuables. Par la même occasion, les sous-chefferies comportant des terres dispersées furent autant que possible remembrées.

Ces différentes mesures de rationalisation, conjuguées avec la mise en œuvre des premiers grands programmes économiques, eurent très vite pour résultat de transformer les postes politiques, de sinécures avantageuses, en charges d’utilité et de responsabilité publiques. De telle sorte que certains notables, estimant que leurs avantages matériels n’étaient plus en proportion de leurs charges, préférèrent démissionner de leurs fonctions.

Le meilleur fonctionnement des chefferies, obtenu par une dizaine d’années de cette politique de réforme, amena l’Administration du Mandat à créer en 1937 pour chacune d’elles une Caisse administrative. Ces Caisses, alimentées par des centimes additionnels perçus en même temps que l’impôt général, par les recettes judiciaires et par les recettes des éventuelles exploitations en régie, devaient permettre aux chefferies de financer dorénavant elles-mêmes certaines dépenses décentralisées d’administration intérieure et de développement économique : construction de tribunaux, dépenses des greffes, jetons de présence des juges; construction de dispensaires médicaux; rémunération des moniteurs de l’enseignement; achat en gros d’outils agricoles et de semences destinées à être revendus aux populations au prix de revient, etc…

La gestion de chaque Caisse devait en principe être assurée par le Chef de la chefferie assisté d’un Conseil composé de quatre sous-chefs agréés par l’Administrateur de Territoire. Cette tâche fut toutefois confiée transitoirement à l’Administrateur lui-même qui, agissant en collaboration avec Chef et Conseil, fut chargé de familiariser ceux-ci avec leurs nouvelles responsabilités.

En 1941, une Caisse semblable fut créée au niveau du Pays, et sa gestion fut confiée au Mwami assisté de son Conseil de Chefs et conseillé par l’Administrateur local.

L’organisation de l’encadrement politique, telle qu’elle avait été peu à peu réformée depuis une quinzaine d’années, devait être consacrée légalement en 1943. Deux ans plus tard, elle fut encore complétée par l’institution, au sein du Conseil des Chefs et de chaque Conseil de chefferie, d’un bureau permanent destiné à assister l’action des cadres politiques au jour le jour.

Résultat de ces efforts de rationalisation, le rôle d’utilité et de responsabilité publique des cadres politiques, leurs droits et leurs devoirs, et les limites de leur pouvoir, furent de mieux en mieux perçus par les populations. Ces cadres s’efforçaient bien de combiner encore les devoirs de leurs charges avec leurs anciennes pratiques de domination et d’exploitation, mais, ainsi que le signalait l’Administration du Mandat dans son rapport sur l’évolution du Rwanda pendant la guerre de 40-45, les populations n’hésitaient plus à discuter et critiquer les mesures prises à leur égard… Et un certain nombre de Hutu commençaient à réclamer la réforme profonde ou l’abolition de la hiérarchie socio-politique Tutsi et l’égalité de tous devant l’Administration.

 Persistance mais allègement des redevances politiques

La méthode du gouvernement indirect choisie par les Allemands puis par les Belges eut pour effet de juxtaposer deux cadres administratifs hétérogènes rémunérés l’un, suivant la pratique ancienne, par des redevances populaires en nature et en travail, et l’autre par le moyen des impôts et des taxes.

Les redevances populaires, déjà fort lourdes pour les populations avant 1900, leur seraient devenues intolérables si l’Administration du Mandat, en instaurant puis en augmentant progressivement son impôt général, n’avait veillé à les réduire et à les normaliser en conséquence.

En 1924, non seulement elle avait supprimé les présents d’investiture dus aux autorités politiques et les prélèvements de régimes dans chaque bananeraie; mais elle avait encore réduit les redevances en travail, dues par chaque famille à ces autorités, de 2 jours sur 5 à 2 jours sur 7. En 1927, elle avait réduit encore ces redevances à 1 jour sur 7.

En 1932, lorsque le Mwami Musinga eut été remplacé à Nyanza par le Mwami Mutara, de nouveaux allègements purent être apportés aux redevances politiques. Tout d’abord, la part de ces redevances due (en nature et en travail) au Mwami fut remplacée par un impôt forfaitaire de 1 franc (rajusté à 0,75 franc en 1934) incorporé dans l’impôt général. Ensuite, la part de ces redevances due aux Chefs et sous-chefs fut réduite et normalisée : les prestations en nature furent limitées à 1 kg de pois ou haricots et 2 kg de sorgho pour le Chef, et au double pour le sous-chef; tandis que les prestations en travail étaient réduites à treize jours par homme adulte valide et par an (3 jours pour le Chef, 10 pour le sous-chef).

En 1933, les contribuables eurent la faculté de remplacer leurs redevances en nature aux Chefs et sous-chefs par un impôt forfaitaire de 1 franc pour les premiers et de 2 F pour les seconds (rajusté à 1,30 F et 3,60 F en 1934) incorporé dans l’impôt général. Cette incorporation présentait, pour le budget du Rwanda-Burundi, l’avantage d’intéresser directement les autorités politiques à la bonne exécution des obligations fiscales des populations.

Quant au remplacement facultatif des redevances en travail dues aux Chefs et sous-chefs par un impôt forfaitaire, il fut accepté à partir de 1939 pour certains contribuables : agents de l’Administration, travailleurs sous contrat, catéchistes, éleveurs possédant plus de dix têtes de bétail… Ce remplacement facultatif fut, en 1945, autorisé à tous les contribuables, et immédiatement pratiqué par la grande majorité d’entre eux. De facultatif, il devait devenir obligatoire en 1949.

A cette époque, les redevances aux cadres politiques, quoique transformées peu à peu en un impôt en espèces, restaient toujours versées directement entre les mains de ces autorités. En 1933, un membre de la Commission Permanente des Mandats de la SDN avait bien suggéré que l’ensemble de ces redevances (aussi bien en nature qu’en travail) soit remplacé par un traitement fixe, payé par une trésorerie spéciale. Mais cette suggestion n’avait pas été suivie car, pensait-on, elle aurait risqué de briser la notion de dépendance des populations à l’égard des autorités politiques… Et l’efficacité du gouvernement indirect en eût été minée.

En 1944, un rajustement de la rémunération des cadres politiques s’étant avéré nécessaire, l’Administration du Mandat décida d’ajouter aux redevances perçues par ces cadres une indemnité mensuelle complémentaire comprenant une partie fixe calculée d’après le nombre de contribuables et une partie mobile consistant en ristournes sur les impôts perçus.

Maintien mais déforcement des juges-politiques

L’institution de nouveaux tribunaux répressifs au Rwanda en 1917 avait eu pour effet de retirer aux autorités politiques locales toute compétence dans le domaine pénal réservé à ces tribunaux. Les infractions dûment sanctionnées de par la loi congolaise et de par les ordonnances de police et de sûreté générale des territoires occupés ne tombaient désormais plus sous la répression des juges-politiques, ceux-ci ne conservant dès lors qu’une compétence répressive restreinte, correspondant aux us et coutumes propres à la société rwandaise de cette époque. Dans ce domaine résiduaire, leur compétence fut également peu à peu limitée dans la suite, tant en ce qui concerne les infractions punissables qu’en ce qui concerne les peines applicables(Les peines applicables par cesautorités furent limitées en 1929 à la servitude pénale, à l’amende, à la confiscation, et an fouet lorsqu’il était prévu par la coutume.

Cette dernière peine fut progressivement limitée, pour être finalement supprimée en 1951).

Les anciens juges-politiques se trouvaient donc dépouillés d’une part importante de leur arbitraire en même temps que de leurs revenus. Ce dont ils éprouvèrent un très vif mécontentement.

Pour les populations par contre, l’objectivité et l’efficacité des tribunaux nouvellement créés apportèrent un sensible soulagement. Selon les Ordonnances qui les instituaient, ces juridictions devaient normalement être présidées par des magistrats de carrière, le ministère public étant assuré par les cadres administratifs territoriaux. Dans la pratique, toutefois, en raison de la pénurie de personnel de l’Administration belge, les rôles de juge et de ministère public furent cumulés par les cadres territoriaux. Ce défaut de structure resta en réalité très théorique et n’enleva rien à l’effet bienfaisant des changements intervenus.

En 1925, l’Administration apporta une nouvelle modification à l’organisation judiciaire rwandaise : elle imposa tout d’abord au tribunal du Mwami et aux tribunaux de chefferie la présence de ses agents; ensuite, elle confia à ceux-ci un rôle quasi-judiciaire visant notamment les litiges entre plaideurs de chefferies différentes et les palabres contre les Chefs et les sous-chefs. Cette nouvelle activité des cadres de l’Administration, qui s’exerça bientôt partout où ils se déplaçaient, rencontra l’hostilité véhémente des autorités politiques qui non seulement perdaient une part nouvelle de leurs compétences, mais qui en outre se sentaient devenir vulnérables, face à leurs administrés. En 1926, le rôle quasi-judiciaire des agents de l’Administration fut remplacé par l’institution de Tribunaux de Territoire composés d’un juge — l’Administrateur de Territoire — et de quatre assesseurs. Ces nouveaux Tribunaux s’intercalèrent dans l’organisation politico-judiciaire entre les tribunaux de chefferie, dont ils devinrent notamment l’instance d’appel, et le tribunal du Mwami. En outre, à l’égard de chacune de ces juridictions, le Résident civil eut le droit non seulement d’y siéger mais encore d’en réviser d’office les jugements dans les trois mois de leur prononcé.

Dans les années 30, s’effectua une nouvelle réforme, réellement très importante, de l’organisation politico-judiciaire : des greffiers furent progressivement attachés à tous les tribunaux. Les affaires furent dès lors inscrites dans des registres; les justiciables reçurent minute des décisions prises; les recours devant juridiction supérieure devinrent aisés; les jugements purent être systématiquement contrôlés; les frais de justice purent être tarifés; et enfin, le droit coutumier fut amené à s’uniformiser peu à peu, et à s’adapter le cas échéant aux principes universels.

L’organisation, la compétence et la procédure des juridictions civiles rwandaises, telles qu’elles avaient été peu à peu réformées depuis 25 ans, firent l’objet d’une synthèse légale en 1943. En cette occasion, une compétence pénale restreinte leur fut rendue. Et dans certaines agglomérations (Kigali, Butare, Nyanza…) furent institués des tribunaux de centre, équivalents en milieu urbain des tribunaux de chefferie; ainsi que des tribunaux de révision, équivalents des tribunaux de territoire.

A l’issue de la période du Mandat, l’on pouvait constater une grande amélioration de l’organisation judiciaire rwandaise. Celle-ci gardait toutefois, dans la mesure où elle restait entre les mains des autorités politiques, le défaut grave de la confusion des pouvoirs; dans cette mesure, elle restait pour ces autorités un parfait instrument de domination.

A côté des juridictions civiles et répressives générales, la Belgique avait constitué dès 1925 des juridictions spéciales ayant pour compétence de régler sur la base d’une législation écrite les litiges civils et commerciaux des étrangers et en général les litiges dits « d’économie moderne » (Il s’agissait du Tribunal de Première Instance et du Tribunal d’Appel (chambre vile) siégeant à Bujumbura pour le Rwanda-Burundi, et qui avaient parallèlement une compétence répressive).

 Le nouveau programme des communications

Lorsqu’en 1922 et 1926 le Rwanda, le Burundi et le Congo furent placés en Union Douanière d’abord et en Union Administrative ensuite, l’Administration belge s’appliqua à mettre progressivement au point un dispositif de communications commun aux trois pays.

La région des Grands Lacs Kivu et Tanganyika, centre du continent, disposait de trois principales voies de transport vers L’extérieur. La voie ferrée de Kigoma à Dar-es-Salaam d’abord, sur laquelle les trois pays avaient obtenu depuis 1921 des facilités exceptionnelles : non seulement le transit en franchise (qui pouvait s’effectuer librement à travers l’ensemble de l’Afrique de l’Est Britannique), mais encore des tarifs de faveur, la faculté d’utiliser les wagons plombés, d’une façon générale le traitement le plus favorable accordé au trafic britannique lui-même, et enfin le « bail ) perpétuel » contre loyer symbolique de 1 franc par an d’emplacements réservés dans les ports de Kigoma et de Dar-es-Salaam. Cette première voie étant la plus courte et la plus avantageuse, l’Administration belge fit au plus tôt raccorder les deux emplacements portuaires au chemin de fer et y fit construire des entrepôts et des quais d’accostage convenablement équipés.

La seconde voie internationale de transport, intéressante seulement pour le centre et l’Est du Rwanda, était celle de Bukoba, sur la rive Nord-Ouest du lac Victoria. Cette voie connut une certaine relance en 1931 lors de l’entrée en activité de Port-Kagera sur la rive du lac; mais le trafic rwandais y resta modeste (quelques entames de tonnes).

La troisième voie était celle du fleuve Congo, de loin la plus longue et, par conséquent, initialement délaissée par le Rwanda t le Burundi. Des tarifs spéciaux furent toutefois mis bientôt en application sur le réseau congolais pour tenter d’orienter autantque possible vers cette voie une part du trafic empruntant les voies de l’Est.

Quant au réseau intérieur du Rwanda et du Burundi, il devait selon les conceptions de l’Administration belge être centré, comme celui du Kivu congolais, sur les lacs Kivu et Tanganyika, leurs grands collecteurs et distributeurs naturels. Les premiers efforts officiels visèrent donc à assurer une interconnexion aussi efficace que possible entre ces deux Grands Lacs.

A côté de la route existant déjà en territoire congolais entre Uvira au Nord du lac Tanganyika et Bukavu au Sud du lac Kivu, l’Administration entreprit la construction d’une seconde route sur un parcours moins accidenté situé en territoire du Rwanda-Burundi. Peu après, elle tenta d’ajouter à cette double liaison routière une liaison ferroviaire, confiante de pouvoir lui faire franchir les 700 mètres de dénivellation existant entre les deux lacs; cette confiance fut malheureusement déçue, car les rails ne purent aller plus loin que Kamanyola, pied des escarpements qui forment le seuil du lac Kivu.

Dans l’immédiat, l’interconnexion réalisée entre les deux Grands Lacs ne pouvait desservir au Rwanda-Burundi que les régions, relativement restreintes, situées à l’Ouest des hautes montagnes boisées de la crête Congo-Nil.

L’Administration s’efforça par conséquent d’améliorer, à l’Est de ces montagnes, ce qui devait devenir l’axe principal des communications du Rwanda-Burundi, reliant Kigali à Bujumbura, via Kabgayi, Nyanza et, durant les premières années, Ngozi et Kitega. Afin d’éviter ce grand détour par Kitega, localité située 70 km à l’Est et légèrement au Sud de Bujumbura, une voie plus directe fut tracée non sans peine à travers la crête Congo-Nil droit vers Muramvya et Nyanza.

C’est en fonction de cet axe médian du Rwanda-Burundi que le nouveau Gouvernement civil du Mandat, institué en 1926, rechercha où il situerait le futur siège de ses Services administratifs. Dès 1927, il porta son choix sur l’emplacement de Butare, situé sur cet axe dans le Sud du Rwanda, à mi-chemin de Kigali et de Bujumbura, et projeta d’en faire dès que possible le carrefour des communications des deux pays. En vertu de ce choix, Butare fut l’année suivante rebaptisée Astrida(En l’honneur de la Princesse Astrid, future Reine des Belges, épouse du Prince héritier de Belgique, le futur Roi Léopold III), tout comme la capitale administrative du Congo avait été en son temps rebaptisée Léopoldville.

A côté de l’aménagement des grands axes, l’Administration porta son effort sur un important réseau de pistes principales et secondaires.

Dès 1925, un grand nombre de ces pistes avaient été rendues moto-cyclables. Puis, comme la quasi-totalité des transports s’effectuaient encore par portage, le Résident civil du Rwanda adopta un règlement destiné à faciliter la subsistance des porteurs lors de leur trafic par ces pistes : des cultures vivrières de supplément furent rendues obligatoires dans une zone de 6 km de part et d’autre des pistes principales (5 ares par foyer) et de 3 km de part et d’autre des pistes secondaires (3 ares par foyer). Le prix de vente de ces vivres fut fixé dans chaque région par des mercuriales officielles.

1929 fut l’année d’un grand effort financier dans le domaine des travaux publics : le Gouvernement du Rwanda-Burundi emprunta 50 millions de francs au trésor congolais pour financer un important programme d’aménagement et d’empierrement de son réseau routier. Il s’agissait en effet de rendre les routes et certaines pistes principales mieux accessibles aux voitures et aux camions qui avaient fait leur première apparition depuis 3 ou 4 ans.

Le programme de constructions routières envisagé en 1929, prévoyait comme axes principaux (devant être élargis à 6 mètres et empierrés sur une largeur de 4 mètres) d’abord l’axe Bujumbura-Muramvya Astrida Butare – Kigali – Rwamagana – Gatsibu – Nyagatare Uganda, avec un embranchement vers Rukira ; ensuite l’axe Bujumbura – Cyangugu – Bukavu, et l’axe Bujumbura – Uvira; et enfin un axe Bukavu – Cyangugu – Astrida.

Quant aux axes secondaires (devant être élargis à 4 mètres et empierrés dans les courbes), il s’agissait au Rwanda, notamment de deux routes franchissant la crête Congo-Nil et donnant accès au lac Kivu : Kabgayi – Kabaya – Ruhengeri Gisenyi, et Kabgayi – Musaho ; et d’une route reliant le Nord au centre et à l’Est du pays : Ruhengeri – Rulindo – Kigali et Rulindo – Kiziguru.

A côté de ce programme entrepris par l’Administration, d’autres constructions routières furent également entamées à partir de 1929, par les chefferies d’une part, qui disposaient grâce aux redevances politiques d’une main-d’œuvre abondante, et par les sociétés minières d’autre part, qui commençaient à ce moment leurs premiers grands chantiers d’extraction au Rwanda.

Enfin, à côté de ce réseau routier proprement dit, l’on pouvait compter au Rwanda au début des années 30 plus de 2 000 km de pistes cyclables.

L’ensemble de ce réseau de communications présentait des caractéristiques appropriées au relief montagneux du pays : suivant de préférence le sommet des collines, il cherchait à éviter le trop grand nombre d’ouvrages qu’auraient impliqué des tracés en fond de vallée. Ce réseau fut aussi bordé progressivement d’un écran de dizaines de millions de pins et d’eucalyptus.

Au milieu de ce réseau, la localité d’Astrida /Butare, conserva une vocation centrale : plusieurs établissements scolaires et scientifiques communs aux deux pays y furent bientôt installés. Mais elle perdit par contre la vocation première de siège du Gouvernement du Rwanda-Burundi. L’Administration du Mandat dut, en effet, postposer son projet en attendant que l’aménagement de l’axe Bujumbura-Astrida permette de transporter par camion et non par portage les grandes quantités d’équipements et de matériaux nécessaires au premier établissement du siège gouvernemental. Entre-temps, l’axe Bukavu – Cyangugu – Astrida à travers la forêt de crête s’avéra par trop difficile à réaliser dans l’immédiat, ce qui empêcha Astrida de devenir un véritable carrefour de communications… Et finalement Bujumbura, qui avait peu à peu centralisé les entrepôts et les implantations commerciales des deux pays, resta définitivement le siège de leur Administration centrale.

Grâce à la réalisation du grand programme routier inauguré en 1929, le camion se substitua de plus en plus au portage et réduisit du tout au tout les délais et les coûts du transport, donnant au marché économique des deux pays une dimension et une vitalité nouvelle. Il facilita et rendit de plus en plus économique la collecte des productions agricoles vivrières et industrielles, le drainage des nouvelles productions minières, et l’approvisionnement de tout le pays en marchandises diverses…

Ce grand programme routier eut aussi d’importantes répercussions sur le plan social : les relations humaines se multiplièrent et s’accélérèrent peu à peu, les esprits s’ouvrirent à un monde élargi, les idées et le progrès de chacun commencèrent à rayonner à travers l’ensemble de la communauté…

Grâce à ce programme enfin, les activités et les projets de l’Administration du Mandat se trouvèrent sensiblement accélérés, mieux coordonnés et mieux contrôlés; de même que ses interventions de police et de secours public.

Peu de temps avant la seconde guerre mondiale, en 1937, le dispositif des transports du Rwanda et du Burundi se compléta par l’inauguration d’un aérodrome à Bujumbura et l’ouverture par la Compagnie belge Sabena d’une ligne aérienne vers Bruxelles. Cette même année, fut aussi aménagé, en territoire rwandais, l’aérodrome de Kamembe, destiné à la desserte de Bukavu, et qui fut exploité à partir de 1939 par la Sabena et par une compagnie britannique, les « Imperial Airways ».

 Le progrès des productions rurales

 Dès le début des années 1920, était intervenue au Rwanda une certaine amélioration de l’outillage et des pratiques culturales. Les houes d’importation, d’un format supérieur aux houes traditionnelles, apportèrent vers 1923 aux populations une aide presque révolutionnaire pour le défrichage et le défoncement des brousses et des jachères. En 1925, dans l’intérêt de la communauté, fut instaurée l’obligation pour chaque cultivateur de veiller à l’échenillage de toute l’étendue de ses plantations.

Mais c’est à partir de 1926, que la nouvelle Administration civile du Mandat entreprit des programmes agricoles de grande envergure. Elle commença par mettre en place un Service de l’Agriculture, et une dizaine d’agronomes furent répartis dans les dix Territoires. Pendant de nombreuses années, ce Service fonctionna avec un personnel réduit auquel vint s’ajouter du personnel rwandais formé peu à peu sur le tas. Mais c’est avec l’entrée en fonctionnement, dix à quinze ans plus tard, de la section agricole du Groupe Scolaire d’Astrida/Butare que ses cadres purent s’étoffer rapidement d’éléments rwandais réellement qualifiés.

Elle créa ensuite, à Rubona et Ndendezi en 1927, deux stations de sélection, d’expérimentation et d’acclimatation agricoles grâce auxquelles purent être introduites des cultures industrielles et vivrières nouvelles (froment, seigle, sarrazin, orge, pommes de terre, maïs « hickory king ») et des espèces vivrières plus productives (haricots, patates douces, etc.). La station de Ndendezi, trop peu représentative du milieu agricole général, fut toutefois supprimée en 1929.

Enfin, l’Administration compléta ce dispositif en développant peu à peu à travers tout le pays, avec l’aide des Paroisses chrétiennes, un réseau d’information météorologique destiné à l’étude de l’année agricole rwandaise (de septembre à août). En 1924, l’on comptait cinq pluviomètres dans le pays, et en 1930 déjà l’on pouvait y dénombrer 30 postes d’enregistrement météo.

Le premier effort de l’Administration porta ensuite sur la régularisation des productions de vivres agricoles. La fertilité des terres du Rwanda devait lui permettre en temps normal, c’est-à-dire dans les années de bonnes pluies, des excédents de vivres relativement importants, disponibles pour l’exportation. La région la plus productive était en ce cas celle du Mulera. Le Rwanda, comme le Burundi d’ailleurs, furent donc considérés par l’Administration belge comme des fournisseurs de vivres tout désignés pour les grandes entreprises du Katanga; ainsi y exportèrent-ils plus de 4 000 tonnes de vivres durant l’année 1937.

Mais cette vocation était essentiellement irrégulière; et la fertilité des terres ne servait à rien dans le cas de pluies insuffisantes ou excessives. Alors, le Rwanda et le Burundi connaissaient au contraire le terrible fléau des famines

Cela avait été le cas notamment depuis le début du siècle : en 1900, en 1902, en 1905, 6 et 8, en 1916 (en raison des opérations militaires), en 1918, 1921, 25, 26 et 28…

Ce fléau, qui frappait périodiquement le pays, avait deux causes principales. La première était l’insuffisance des terres disponibles pour les populations agricoles, jugulées dans leur expansion naturelle par les limites des vastes domaines d’herbage appropriés un siècle plus tôt par les pasteurs. Le régime politico-social de cette époque imposait en effet aux populations agricoles la priorité de la vache, moyen essentiel de subsistance des pasteurs Tutsi. C’est ainsi que, dès son Rapport annuel de Mandat pour l’année 1926, l’Administration belge signalait : « dans certaines régions, les jeunes gens désireux de contracter mariage ne parviennent pas à obtenir les terres indispensables à leur établissement ». La seconde cause du fléau des famines était, elle, une cause naturelle :l’irrégularité des pluies saisonnières; irrégularité qui pouvait donner lieu assez fréquemment soit à la sécheresse dans les régions de moyenne ou de basse altitude (Est, Sud et Centre du Rwanda), soit au contraire à l’excès des pluies dans les régions d’altitude élevée (Ouest et Nord). Si la grande saison pluvieuse (de février à mai) était ainsi affectée, il en résultait immanquablement une insuffisance des réserves agricoles pour l’année entière, car la petite saison des pluies (octobre-novembre-mi-décembre) ne permettait qu’une récolte limitée.

Pour les populations, il existait bien un secours « in extremis » dans les régions non atteintes par la famine, les régions basses pouvant compter sur la solidarité des régions d’altitude et inversement; mais cette solidarité aboutissait à entraîner dans la famine même les régions primitivement non atteintes.

En face de cette situation, l’Administration belge prit dès 1925 et 1927 une série de dispositions qui eurent sur la vie des populations du Rwanda un effet immédiatement bénéfique. Elle rendit d’abord obligatoire la mise en culture de nouvelles terres. Celles-ci furent récupérées sur les énormes étendues réservées soit sur les collines, soit dans les marais, au pâturage du gros bétail. Les pasteurs obligés à ces concessions furent en contrepartie autorisés à percevoir les redevances en nature représentant leur loyer coutumier; il leur fut par contre interdit, par dérogation à la coutume de l’époque, de requérir en cette occasion le présent d’investiture normalement dû lors de l’entrée en possession d’une nouvelle terre. Sur les superficies mises ainsi à leur disposition, les cultivateurs furent obligés par un Règlement du Résident de Kigali, daté du 31 décembre 19251, de mettre en culture, en plus de leurs champs ordinaires, chacun dix ares de manioc ou de patates douces selon les prédispositions de chaque région. La libération de ces terres par les pasteurs Tutsi ne se fit évidemment pas sans résistance de la part des autorités politiques; bon nombre de Chefs et sous-chefs ayant fait de l’obstruction durent être démis et remplacés.

Dès 1925, ceux-ci avaient d’ailleurs été avertis qu’à la première famine leur bétail serait abattu ou vendu pour secourir les affamés; et en 1926, une disette s’étant déclarée au Burundi, 700 têtes de bétail appartenant aux Chefs négligents avaient en conséquence été abattues ou vendues. La leçon n’avait pas manqué de porter ses fruits.

Une seconde mesure adoptée par l’Administration pour lutter contre la menace permanente des famines, fut d’introduire au Rwanda-Burundi la culture du manioc, plante nouvelle pour les populations et dont la racine farineuse résistait aux sécheresses et persistait des années dans le sol. L’on estimait en 1932 à 24 000 ha les superficies nouvelles plantées de manioc dans les deux pays.

Une troisième mesure prise fut le drainage de nombreux marais inondés. En 1937, cette mesure avait permis de récupérer une superficie totale estimée à 41 000 ha dans les deux pays.

Une quatrième mesure, inaugurée à partir de 1937, fut la lutte anti-érosive par l’aménagement de terrasses et la plantation de haies suivant les courbes de niveau.

Une autre mesure encore, prise pour lutter contre l’insuffisance alimentaire, fut d’étudier puis d’encourager la culture de plantes oléagineuses susceptibles de remédier à la carence générale des matières grasses. Ainsi furent encouragées la culture de l’arachide, dans les régions de moins de 1600 mètres d’altitude; et la culture du soja, qui se contente de terres légères, fut bientôt préconisée dans tout le pays.

Une dernière mesure enfin, fut d’organiser l’émigration de certains surplus de population vers le Congo. En 1930, un premier essai visant cent familles volontaires fut tenté vers les hauts plateaux de Marungu au Katanga, région fort semblable au Rwanda. Organisée avec le concours de l’Administration du Congo et du Comité Spécial du Katanga, cette émigration-pilote s’était accompagnée d’une préparation médicale, et de la fourniture non seulement de terres, mais de semences, d’outils, d’ustensiles de ménage, de vêtements, et d’une aide à la construction des habitations. Un animateur agricole et un médecin avaient été mis à la disposition des émigrés, et ceux-ci avaient été en outre exonérés d’impôt durant la période de leur installation.En 1937, une émigration plus importante fut organisée cette fois vers le Gishari dans le Nord-Kivu, où 37 000 ha de terres fertiles en haute altitude furent mis à la disposition des émigrants rwandais. Dix ans plus tard, le nombre de ceux-ci y atteignait 25 000.

Les nombreuses mesures prises ainsi par l’Administration ne purent malheureusement pas déraciner complètement le fléau des famines. Celui-ci réapparut, particulièrement meurtrier, en 1943 : près de 300 000 personnes périrent de faim ou quittèrent le pays. Douze mille tonnes de vivres secs durent être envoyées d’urgence du Congo, tandis que l’on abattait sur place des milliers de têtes de bétail pour la boucherie.

A côté de l’effort considérable entrepris dans le domaine de l’alimentation des populations, l’Administration du Mandat s’appliqua à élever leur niveau de vie en leur assurant par le moyen des cultures industrielles des ressources monétaires nouvelles.

L’essentiel de son effort porta sur la culture du café. En 1925, tous les Chefs et sous-chefs avaient reçu l’obligation de planter et d’entretenir un demi-hectare de cultures industrielles (café, arachides, sésame ou piment…). Mais ces plantations, réalisées sans grand soin, furent bientôt remplacées, en même temps que s’effectua une propagande générale du Service de l’Agriculture auprès des populations. En 1937, le nombre de plants de caféiers mis en terre au Rwanda et au Burundi se montait à 21 000 000. Sur ce nombre, 500 000 appartenaient aux Chefs, 700 000 aux sous-chefs, et 19 800 000 aux paysans. Dès cette année, ils furent quatre cent mille paysans à posséder une source indépendante de revenus monétaires, c’est-à-dire un moyen de capitalisation échappant à l’emprise des autorités politiques et des patrons terriens ou pastoraux. Ils furent quatre cent mille à posséder des cultures pérennes, c’est-à-dire des terres dont ils n’accepteraient pas aisément d’être dépossédés, que ce soit par les autorités politiques ou par les patrons fonciers quels qu’ils soient… Cette ouverture vers une certaine émancipation économique contribua fortement à entraîner la société rwandaise sur la voie de sa future libération sociale et politique.

La production de café se chiffra cette année 1937 à 2 000 tonnes. Dix ans plus tôt elle n’atteignait qu’une quarantaine de milliers de kilos. En 1945, elle se monta à 4 800 tonnes.

D’autres cultures industrielles firent aussi leur apparition au Rwanda : au début des années 1930, le coton, planté par les agriculteurs de la vallée de la Rusizi; quelques années après, le pyrèthre, mis en culture en Territoires de Ruhengeri et de Gisenyi, soit par des planteurs étrangers, soit par des régies locales patronnées à partir de 1937 par les nouvelles Caisses Administratives de chefferies; et encore le quinquina, le tabac, le fourcroya, certaines plantes à essences et parfums…

A côté de ses programmes visant l’agriculture, l’Administration du Mandat prit diverses mesures pour améliorer le riche potentiel pastoral du pays. Ce potentiel apparaissait comme particulièrement digne d’intérêt, car il représentait pour le Rwanda de cette époque la production d’exportation (peaux et bétail sur pied) la plus importante; ce qu’elle resta jusqu’à l’entrée en production des premières mines d’étain en 1929.

L’Administration veilla d’abord à protéger le bétail contre les épizooties (notamment la peste bovine qui le ravageait périodiquement, la tripanosomiase, la fièvre aphteuse, le charbon, etc.), en instaurant une police sanitaire générale. Dès 1926, elle créa à Gisenyi un laboratoire vétérinaire chargé de fabriquer de grandes quantités de vaccins, et un laboratoire volant basé à Nyagatare dans le Mutara. Lors des épizooties de peste bovine de 1929, 1934 et 1944 dans l’Est du pays, elle expérimenta un dispositif de protection comprenant notamment un cordon sanitaire en bordure de la frontière de l’Uganda. A partir de 1940, le Service de l’Élevage mit sur chantier un réseau de dispensaires vétérinaires ruraux; huit de ceux-ci étaient en activité en 1945, et six étaient sur le point d’être achevés.

L’Administration entreprit aussi un programme de sélection du gros bétail. Une ferme de sélection fut créée à Nyamiyaga-Songa ; et par ailleurs de nombreux taureaux et taurillons mal formés furent systématiquement réformés (de 15 à 20 000 entre 1939 et 45). Vers 1930, l’Administration introduisit aussi dans le pays l’élevage des porcs « large blacks » et de moutons à laine.

A partir de cette époque, elle entreprit de répandre diverses variétés de plantes fourragères, et notamment une graminée particulièrement adaptée et résistante à la sécheresse, le pennisétum; si bien que l’on considère aujourd’hui les herbages du Rwanda parmi les meilleurs de l’Afrique équatoriale. Elle tenta aussi, mais alors sans succès, d’introduire des cultures fourragères systématiques et la pratique du fauchage et des meules…

En 1939, elle instaura encore, dans chaque chefferie, une ou plusieurs installations pour l’écharnage et le séchage des peaux, de façon à valoriser ce produit de l’élevage.

A côté des programmes qu’elle entreprenait dans les domaines de l’agriculture et de l’élevage, l’Administration du Mandat entreprit encore une action remarquable et socialement très bénéfique dans le domaine forestier. Cette action avait commencé modestement en 1925, par l’adoption d’un règlement rendant obligatoires des plantations d’arbres par les paysans autour des centres administratifs, et par les Chefs et sous-chefs dans leurs circonscriptions (au moins 1 ha) et auprès de leur habitation. En 1930, les boisements ainsi obtenus au Rwanda ne dépassaient pas 180 ha aux abords des centres, et 600 ha dans les chefferies et sous-chefferies.

 

Mais en 1930, l’Administration décida d’entreprendre une étude scientifique de ce secteur de la production rurale. Et cette étude mit en évidence la gravité du problème du déboisement dans un pays de plus en plus peuplé et dont les besoins en bois croissaient d’année en année : besoins sociaux d’abord, pour la cuisson des aliments, le chauffage, la charpente des habitations et la fabrication de briques et de tuiles; besoins économiques ensuite, pour les constructions de génie civil, les bois de mine, etc.; et besoins climatiques enfin, pour la régularisation des pluies (mais si l’on envisageait une action en ce domaine, il faudrait la faire porter sur des dizaines de milliers d’hectares).

Dès 1931, dans le cadre de l’étude entreprise, un arboretum fut commencé à Astrida par le Service Forestier, qui s’appliqua à choisir les espèces les plus appropriées aux aptitudes et aux besoins de l’ensemble du pays. Son choix porta sur l’eucalyptus, le black-wattle, le grévilléa et le cyprès, toutes essences frugales et de croissance rapide. En 1934, comme résultat des études faites, fut lancé un important programme de reboisement : chaque chefferie reçut l’obligation de planter annuellement un hectare de boisement par 300 contribuables. Ce programme ne représentait pour chaque homme adulte valide qu’un travail de deux jours par an, mais il n’en eut pas moins des résultats assez remarquables : en 1936, le total des boisements ainsi réalisés atteignait près de 7 000 ha, et 12 300 ha en 1941.

A côté de ses programmes agricoles, pastoraux et forestiers, l’Administration du Mandat entama encore un programme digne d’intérêt dans le domaine de la pisciculture. En 1935, elle entreprit d’empoissonner les lacs Muhazi, Bulera et Luhondo qui n’étaient peuplés jusqu’alors que de silures et de quelques poissons peu comestibles : elle y introduisit d’abord des alevins de tilapia nigra originaires du lac Bunyoni (Uganda), puis l’année suivante des

alevins de tilapia nilotica originaires des lacs du Nord-Kivu. Le résultat de ces mesures ne fut pas négligeable : vers 1945, l’on estimait déjà que la pêche au seul lac Muhazi pouvait donner annuellement quelque 300 tonnes de poissons; et en 1949, l’on en pécha effectivement 460 tonnes.