{:fr}Les Troubles Anti-dynastiques Au Nord Du Ruanda :

 Tandis que s’ébauchait une administration européenne, l’œuvre de la pacification se poursuivait, énergiquement conduite par les militaires, désormais exclus de la politique pure.

C’est aux approches de 1912 que la tranquillité fut le plus troublée, dans le nord du pays seulement, sans danger néanmoins pour le protectorat, le mouvement insurrectionnel étant dirigé cette fois non contre les européens, mais contre la personne de Musinga.

Le prince noir, qui approchait maintenant de la trentaine et gouvernait personnellement, était de plus en plus mal conseillé et faiblement appuyé par son entourage. Kabale étant mort, Ruhinankiko disgracié, Rwidegembya, déchu de son rang de généralissime, métamorphosé en augure, Musinga se trouvait plus que jamais captif, des ensorcellements de sa mère, farouchement conservatrice. Au lieu de progresser et d’aller de l’avant, il se, rejetait en désespéré sur des positions d’arrière. La Cour était maintenant la proie de griots grands seigneurs, qui exploitaient sans scrupule et par dérision l’invraisemblable et dégradante crédulité du monarque et de la reine.

C’est le moment que choisit pour soulever le pays un certain Ndungutse, soi-disant fils de Rutalindwa, sauvé par miracle de la catastrophe de Rucunshu, par conséquent héritier légitime de Kalinga, son oncle Musinga n’étant qu’un criminel usurpateur. Haut de taille, noblede traits, racé de visage et de prestance, il n’eut pas de peine à rallier des partisans et à se faire proclamer mwami dans les provinces peu soumises du Mulera et du Buberuka.

Croyant fortifier sa position, le prétendant accepta le concours de deux brigands d’envergure, qui dans la contrée depuis plusieurs années défiaient l’autorité de Musinga et réussissaient à déconfire les guerriers batutsi lancés contre eux. L’un nommé Rukara, homme de bon lignage, chevalier bandit, qui avait gagné la brousse pour se soustraire au châtiment de ses mortelles vendettas, avait acquis à ce point considération et puissance que Musinga s’était résigné à composer avec lui. Recourant aux bons offices des Pères Blancs, dont l’autorité morale était universellement révérée, l’autocrate pria le supérieur de la station de Rwaza, le P. Loupias, de s’entremettre et de moyenner entre les parties une honnête transaction. Le missionnaire, très versé dans les arcanes de la politique indigène, ne refusa point un tel service, et put amener l’outlaw à consentir à une palabre. Rendez-vous fut pris, le premier avril 1910, en rase campagne au pied de Muhabura, à quinze kilomètres de Rwaza. C’était de la part de Rukara un guet-apens. Le plénipotentiaire bénévole de Musinga fut lardé de coups de sagaie au cours de l’entretien. Le perfide, qui avait d’un clignement d’yeux donné à ses suivants le signala de l’assassinat, gagna le large, et, comptant par- là se soustraire aux vindictes de la justice européenne, se jeta dans les bras de l’insurgé.

Le second allié de Ndungutse était un bélitre mutwa du nom de Basebya, mugaragu et preux du général Rwidegembya, chef de routiers, vivant de rapines, qui s’était retranché dans les marais mouvants du Buberuka, comme dans un réduit inexpugnable, trompant non seulement la police de Musinga mais encore celle du résident, avisé qu’il était secrètement des pièges qu’on lui tendait par son seigneur et maître Rwidegembya, traître au devoir et à son prince. Ndungutse, faisant flèche de tout bois, racolant à son service les gens sans aveu, clients de ces hommes tarés, était parvenu à se faire proclamer mwami du Ruanda au Mulera, au Bukonya, au Kibali, au Buberuka et dans une partie du Bumbogo, il se préparait à marcher triomphalement sur Nyanza.

Jamais Musinga n’avait vu d’aussi lourds nuages s’amonceler sur sa tête. Il se croyait frappé par les mânes vengeurs de ses frères Karara, Burabyo, immolés à la suite de la révolution qui lui avait valu le trône. C’est alors qu’il lança ses Bakongori, devins et aruspices, sous la conduite de Rwidegembya, à travers tout le domaine royal pour se mettre en rapport avec ses frères par le canal des victimes, ainsi qu’il a été narré précédemment. En désespoir de cause il invoqua le secours de ses protecteurs étrangers, gardiens de l’ordre.

La Résidence était alors gérée par le lieutenant Gudowius, le titulaire étant en congé. L’officier rassembla ses askaris et convoqua les milices indigènes à l’effectif de deux ou trois mille combattants. Seuls les cent cinquante hommes de la 11e Compagnie étaient pourvus d’arme à feu.

Ndungutse se sentit perdu. Il implora la médiation des Pères Missionnaires de Rwaza. Il lui fut répondu qu’on n’acceptait pas d’entrer en rapports avec le receleur de l’assassin du P. Loupias. Spontanément, à la surprise de tous, il expédia aux Allemands Rukara enchaîné. Ce gage ne suffit pas à le sauver. Gudowius le surprit dans son camp au matin du 13 avril 1912. Abandonnant sa smala, il se sauva dans l’Uganda, où les Anglais l’internèrent à Jinja. Ses partisans se débandèrent.

L’orage dissipé, Gudowius régla son compte au meurtrier du P. Loupias. Le bandit comparut au plaid de Ruhengeri devant la justice allemande, puisqu’il s’agissait d’un cas réservé. Il fut convaincu par ses complices, condamné et exécuté sur l’heure. Tandis qu’on le conduisait au supplice, la corde au cou et les mains liées, encadré par quatre askaris, il tira brusquement du fourreau le coutelas que le sous-officier, marchant devant lui, portait à son ceinturon et le lui plongea entre les épaules jusqu’à la poignée. Puis il tomba sous les balles. Pour avoir ainsi chèrement vendu sa vie et vengé par avance sa mort, il fut monté en épingle et tenu pour un héros par le populaire.

Enfin l’officier s’attaqua à l’insaisissable Basebya. Où la force avait échoué, un stratagème de police réussit. Il chargea le mwega Rwubusisi d’attirer le barbare dans un piège hors de son îlot. Il lui donnait comme comparses deux askaris déguisés en marchands, qui dissimuleraient sous leur accoutrement des armes à feu. L’ilote, alléché par de fallacieuses promesses, accepta la proposition d’une palabre, ses gens devant l’entourer et veiller sur lui. Tandis qu’il humait l’hydromel à l’amphore du seigneur policier, il fut solidement ligoté. Sa troupe, tenue en respect par les mausers des faux marchands, se dispersa. Il fut exécuté incontinent par prudence sur la suggestion de Rwubusisi, de peur qu’il ne fût secouru par ses batwa. C’était le 15 mai 1912.

Musinga dut reconnaître que l’astuce de ses fidèles protecteurs était plus efficace pour consolider son trône que les artifices usés de ses Tirésias.

L’Appel Du Résident A La Collaboration Politique Des Pères Blancs.

Les opérations de police, le déploiement de forces militaires, entraînant inévitablement déprédations et rancœurs dans la zone traversée par la troupe, n’étaient pas dans la manière du Dr Kandt, plus enclin à la mise en jeu des forces de paix. C’est ce qui le porta dès son retour en 1913 à écrire à Mgr Hirth la singulière épître suivante.

Monseigneur,

« Les missions que vous avez fondées au nord du Ruanda contribuent pour une grande part à la pacification de ce district. Elles facilitent grandement la tâche du gouvernement. L’influence de vos missionnaires nous a épargné la nécessité d’y entreprendre des expéditions militaires. Le district du Bushiru est resté insoumis jusqu’à ce jour. Le chef n’est pas en mesure d’y faire valoir son autorité. Le gouvernement voudrait éviter une expédition punitive… En son nom je prie la mission Catholique d’y établir un poste de mission. Sans aucun doute et en fort peu de temps les missionnaires auront gagné la confiance de cette population énergique et rendu ainsi à la civilisation un service très appréciable. »

Lui qui, dix ans auparavant, avait cru devoir dénoncer les prétendues intrigues des missionnaires trop influents, voici que maintenant, au gouvernail, il recourait à leur ascendant si redouté pour faire l’économie d’une épreuve de force ; c’est lui qui bravement s’exposait au reproche de mettre la religion au service de la politique. Son réalisme lui faisait surmonter ses préjugés nationaux et idéologiques, voire ses répugnances personnelles. Ce n’était pas aux ministres allemands de sa confession qu’il faisait appel, mais à ceux parmi les apôtres blancs dont le nom était le plus prestigieux, quel que fût leur parler ou leur Credo.

Mgr Hirth ne pouvait se refuser à une collaboration qui, pour être politique dans l’esprit de celui qui la sollicitait, n’en était pas moins en soi d’essence purement religieuse. Au reste il s’agissait d’une mission dangereuse et le péril attirait les disciples de Lavigerie loin de les rendre perplexes. Aussi le prélat alsacien créa-t-il sans tarder en plein Bushiru, à l’altitude de 2.400 m., la station de Rambura, qui maintenue pendant la guerre coloniale à la requête des autorités allemandes, abandonnée à la paix faute de personnel, reprise depuis, réalisa tous les espoirs que Kandt avait fondés sur elle.

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