Le Laïcat Apôtre
{:fr}Les Inama, Les Chefs Catholiques
Évêque, Prêtres, Frères, Sœurs, ce sont les cadres réguliers et ordinaires de l’Église autochtone catholique. Les autres sont moins stables mais plus nombreux, et atteignant où ceux-là ne vont pas encore. Nous avons parlé de ces quelque quinze cents catéchistes et moniteurs, laïques mariés ou sur le point de s’établir, qui occupent les postes avancés des succursales ou chapelles-écoles. De longtemps ils seront les principaux instruments de la pénétration et de la conquête. Mais eux-mêmes ils ne sont pas l’extrême pointe de l’armée en marche. L’avant-garde, les éclaireurs, les vigies, ce sont les chefs- abakuru — de l’action catholique, des inama. Ensemble ils forment une sorte de hiérarchie d’apostolat laïque, équipe volante, aile marchante, articulée à la hiérarchie de gouvernement et d’enseignement, formation régulière, cléricale et monastique, d’organisation stable et permanente.
L’inama, littéralement « le conseil », le club, c’est la cellule active et organisée du corps catholique, correspondant au clan de la société civile patriarcale. C’est le groupement chrétien élémentaire. Il comprend une section de vingt-cinq chefs de famille au plus, et en outre les jeunes gens adultes, ceux notamment dont les parents sont encore païens ou adhérant à une confession dissidente. C’est un cercle catholique d’hommes, les femmes et jeunes filles en étant absolument exclues. Il contrôle directement ou indirectement une centaine de baptisés, fraction distincte du troupeau paroissial. Il peut y en avoir plusieurs sur une même colline, dans une même commune, au cas où le peuplement chrétien y atteint une forte densité. Si, au contraire, les croyants sont encore clairsemés, sporadiques, plusieurs collines seront requises pour constituer un inama. Au point de départ, c’est le catéchiste qui est le pâtre, quand la bergerie locale à ses débuts ne réunit encore que quelques têtes. Plus tard il s’efface pour faire place à un chef élu.
Tout chrétien, mâle et adulte, fait partie de l’inama de sa localité, de droit et par devoir. Celui qui s’en tient systématiquement éloigné témoigne par là qu’il veut rester hors de l’Eglise. L’inama n’est donc pas un cénacle, ni une confrérie, ni un Tiers-Ordre, ni une élite quelconque, ou, s’il est une élite, il se confond avec le pusillus grex des croyants. Il n’impose aucune cotisation statutaire, et son chef remplit gratuitement ses fonctions.
Son originalité tient à ceci qu’il choisit lui-même son président, son mukuru. Dans la communauté catholique, contrairement aux constitutions des consistoires calvinistes, le ministre, curé ou vicaire, le catéchiste et le maître d’école, ne doivent rien à l’élection ; ils sont les mandataires de l’évêque qui, lui-même, est le vicaire du pape. Ils ne sont donc jugés ou contrôlés que par lui. Le chef de l’inama est, au contraire, un échevin, que les suffrages de ses pairs ont commis pour l’exécution d’un mandat, celle qu’a statué l’autorité supérieure. Au surplus, son élection n’est valable qu’après ratification du pasteur de la paroisse.
Il est élu sans limite de temps, mais il peut être démis pour raison sérieuse par ses commettants ou par le curé. C’est généralement un notable de l’endroit, non le chef de la colline, sinon occasionnellement quand sa personnalité s’impose, un homme de bon renom, modèle de ses coreligionnaires, jouissant d’un certain bien-être et disposant ainsi d’abondants loisirs.
Dans une paroisse excédant trente mille baptisés, comme celle de Kabgayi, et s’étendant sur un périmètre de cent kilomètres et plus, il y aura, en chiffres ronds, quatre cent présidents inama contre cent catéchistes et cinquante chefs et sous-chefs, fonctionnaires féodaux, abatware. Au total ces bakuru formeront pour tout le Ruanda une armée de huit mille militants. Au demeurant, ils ne sont pas fédérés. Ils ne reconnaissent d’autre grand maître que le vicaire apostolique, auquel ils se relient par le canal de leur curé. Ils ne forment donc pas une Eglise dans l’Eglise. Ils ne sont que des auxiliaires bénévoles au service de la communauté paroissiale.
L’inama tient conseil sur sa colline, une fois par semaine, généralement l’après-midi, dans le kraal d’un sociétaire, tantôt chez l’un, tantôt chez l’autre. On fume, mais on ne boit pas. La palabre s’ouvre et se clôt par la prière, telle une Conférence de Saint Vincent de Paul. On cause, on délibère, on juge, sous la direction du mukuru modérateur. Les questions agitées, politique militante et procès judiciaires exclus, ont uniquement trait à l’avancement du royaume de Dieu, avec référence aux directives récemment reçues du pasteur de la paroisse. L’action du groupe a un double aspect, statique et dynamique. Elle vise d’abord à la conservation et à la préservation du petit troupeau, c’est-à-dire à la paix et à la stabilité des unions conjugales, à la bonne éducation des enfants, aux inimitiés personnelles et de clans, à l’assistance des infirmes et des indigents, à la pratique religieuse, au relèvement d’un négligent ou d’un failli. L’inama procède ici parfois à la façon d’un tribunal d’arbitrage, comme la chrétienté primitive de Corinthe organisée par saint Paul.
L’autre aspect est celui de la conquête, du prosélytisme à exercer auprès d’un parent, d’un voisin, entre autre moyen de propagande, on s’occupe de la diffusion du Kinyamateka, périodique mensuel imprimé à Kabgayi lancé le premier septembre 1933, tiré à 5.000 exemplaires, avec ses deux suppléments, le Kinyamateka des enfants et le Nyongezo.
Dans l’intervalle des réunions hebdomadaires, le mukuru se dépense comme un père auprès de ses commettants, les visitant à domicile et les secourant. Il veille surtout à ce qu’un chrétien moribond ne s’en aille pas sans sacrements, un catéchumène sans baptême. C’est lui qui prévient la paroisse s’il y a un malade à visiter.
Il se tient en liaison étroite avec son curé. Si la distance n’y met pas obstacle, il se rend aux offices à l’église, le dimanche et même dans la semaine, donnant l’exemple, d’une piété assidue. Une fois dans le mois il prend part à l’assemblée des présidents, réunis secteur par secteur à la station, et s’y rencontre avec ses collègues. C’est là que le pasteur donne ses directives, après s’être informe de l’état moral et spirituel de chaque région. Des cas généraux y sont résolus. Les cas particuliers, le plus souvent relatifs à des différends entre époux, sont traités en petit comité après la séance. Pas besoin de dire que les indigènes, passionnés de palabres, s’abstiennent rarement de répondre à de telles convocations.
C’est par les bakuru et les catéchistes que le missionnaire tient en main sa paroisse, parfois immense. Lorsque, dans ses tournées périodiques, il visite les succursales d’un secteur, c’est le mukuru prévenu qui prépare les gens àle recevoir, dispose son installation passagère, fait apporter des vivres, en accord avec le catéchiste. Les présidents élus des inama, grâce à l’investiture officielle qu’ils ont reçu du supérieur de la station, au lieu de craindre d’empiéter par leurs initiatives sur le ministère du missionnaire, sont incités par lui à fournir un effort Maximum d’apostolat dans un esprit de charitable et confiante collaboration.
Après avoir, dans la circulaire du 10 janvier 1933, prescrit aux supérieurs de station d’établir des inama partout dans leur ressort, Mgr Classe, leur rappelant les paroles de Pie XI : « L’action catholique doit embrasser l’homme tout entier, dans la vie privée et dans la vie publique, en promouvant la meilleure formation religieuse et civile », conclut:
« Il ne serait pas inutile, parce que nous avons un très grand nombre de chefs chrétiens, pour arriver à l’instauration de la société chrétienne, d’organiser aussi des réunions privées, réservées uniquement aux chefs chrétiens, pour leur expliquer leurs devoirs, surtout dans l’ordre la charité et de la justice, mais en s’abstenant absolument de toute question de politique ; puis encore de leur donner annuellement une retraite fermée, comme cela doit se faire pour les catéchistes. Autant que ces derniers, et plus peut-être, ils ont besoin de ce secours spirituel puissant pour être à la hauteur de leur devoir et pour ne vouloir que le bien et le progrès du pays. »
On ne saurait s’étonner, en effet, que, dissimulé dernière la profession de catholicisme, le vieil absolutisme païen fermente dans ces âmes de chefs, avec sa dureté, ses abus de pouvoir, ses exactions, ses habitudes de corruption judiciaire, son libertinage sans frein au frais des épouses de bagaragu. L’esprit de saint Louis ne l’emporte que chez un petit nombre mais ceux-ci sont les plus influents et donnent le ton aux autres. Rudahigwa met tout le poids de son autorité de leur côté.
Ces conférences ont lieu dans toutes les stations une fois par mois, à l’issue de la grand’messe. Elles groupent de vingt à quarante chefs et sous-chefs autour du curé, elles l’informent de ce qu’il doit savoir des difficultés civiques de leurs ouailles, elles inclinent les subordonnés à consentir bénévolement aux inspirations et ordonnances réformatrices des autorités suprêmes.
Catéchiste, président de cercles, chef civil de colline, tels sont les trois agents laïques, groupés en faisceau, collaborant avec le curé de la paroisse, grâce auxquels l’action catholique s’évertue sur place à christianiser les institutions et les mœurs. Funiculus triplex difficile rumpitur.
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