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  1. Les Frères De Saint Joseph, Dits Bayozefiti

 A l’ordre sacerdotal séculier, fondement de l’établissement ecclésiastique, les évêques missionnaires ont donné, comme coadjuteurs, des religieux, hommes et femmes, constituant l’ordre monastique indigène. C’est ainsi que les Douze à Jérusalem s’étaient adjoint les sept diacres. Au Ruanda la création des réguliers a suivi de près celle des clercs séculiers. Avant que les premiers prêtres noirs n’eussent été ordonnés, des aspirants se groupaient à Kabgayi en 1913,et des aspirantes à Rwaza en 1914. Mgr Classe, invité à rapporter sur les Congrégations religieuses indigènes à la Conférence plénière de 1932 à Léopoldville, montrait en ces termes que leur collaboration n’est pas radins urgente dans les églises de mission que dans celles des nations civilisées.

« Nos églises de Missions ne sauraient échapper à la règle commune. Pour se perfectionner et parvenir au développement normal qui assurera leur stabilité, elles ont besoin de ces auxiliaires nés que sont les congrégations religieuses de l’un et de l’autre sexe. Le clergé indigène, pour maintenir et développer les oeuvres commencées, le jour où le Saint-Siège le jugera prêt à prendre la direction de ces églises, pour réaliser celles qu’imposeront alors les circonstances et l’organisation de la société chrétienne, n’aura-t-il pas les mêmes besoins que nous et probablement des besoins plus grands ? Nos congrégations européennes resteront-elles à son service ? Si elles restent, répondront-elles suffisamment aux nécessités de l’heure ? Nous devons dire avec le Saint-Père : « Le plus sérieux concours au-delà de toute espérance sera donné à ce clergé indigène surtout par les congrégations indigènes formées à temps.

C’est dans le service de l’enseignement que le concours des Frères et des Soeurs noirs est actuellement le plus recherché. Les Frères sont aussi secrétaires, dactylographes, vaguemestres, sacristains, préchantres, chefs d’atelier à l’imprimerie et à la reliure, à la menuiserie, à la scierie mécanique, etc.

Nous avons dit comment, après l’échec partiel de 1915, ils repartirent en 1929. Aujourd’hui ils sont une cinquantaine à avoir fait des voeux annuels. Un nombre égal de sujets se préparent à les renforcer. Leur maison de formation est à Kabgayi, où ilsont pris la place des grands séminaristes émigrés à Nyakibanda. Leur recrutement suit les mêmes modes que celui des candidats à l’état ecclésiastique. Leur régime est analogue. Au postulat, pendant trois ans, ils sont mis au français et travaillent pour l’obtention d’un diplôme de moniteur. Ils font ensuite un stage de probation pendant deux ou trois autres années dans une école comme sous-maîtres.Il sont alors admis à faire leur noviciat qui dure dix-huit mois. Au terme de ce brassage spirituel, intellectuel et moral, ils émettent des voeux, qu’ils renouvellent chaque année. Le tri est pour eux aussi sévère que pour les prêtres il se poursuit sans limite de temps, puisque jusqu’à présent ils n’ont pas été admis à la profession de voeux perpétuels.

Une même idée a présidé au modelage et à l’animation du type, qu’il s’agisse du Frère ou du Prêtre : susciter la venue quasi naturelle d’un rejeton vivace, qui puise sa sève à même le sol rwandais et se passe dans le plus bref délai possible du tuteur européen. Il sera enté non sur une société monastique étrangère, mais sur le tronc de la hiérarchie épiscopale. Les Bayozefiti sont une congrégation diocésaine de droit épiscopal. C’est le chef de l’Eglise du Ruanda qui les élit, leur donne leur loi, les régit, assigne à chacun sa tâche, subvient à leurs nécessités temporelles et spirituelles.

« Nous voulons d’abord des congrégations indigènes, disait Mgr Classe à Léopoldville, tout comme nous voulons former et avoir un clergé indigène…Pratiquement nous ne voyons aucun avantage, ni pour les oeuvres et le développement du Vicariat, ni pour nos religieux et religieuses indigènes, à leur incorporation dans les congrégations européennes. Evidemment nous n’empêcherons ni Frères ni Soeurs, parvenus au terme du temps de leurs voeux, de solliciter leur admission dans une congrégation européenne, si vraiment ils sont aptes à y entrer; « il serait mal, comme dit le Saint-Père, de les détourner de ce dessein et d’y mettre obstacle ». Mais, dans les conditions présentes, nous préférons « ne pas nous écarter d’une conception plus large des choses», pour employer les expressions du Pape et toutes nos préférences, comme tous nos efforts, vont aux congrégations indigènes, plus adaptées aux circonstances et à la contrée, qui nous donneront les auxiliaires indispensables et nombreux dont nous avons besoin actuellement et dont plus encore le clergé indigène aura besoin dans l’avenir. »

L’insistance du vicaire apostolique du Ruanda est significative. Aussi ne confie-t-il pas la formation de ses Bayozefiti à des frères européens, mais à des prêtres, blancs et noirs. C’est un prêtre aussi, le supérieur de la station, qui préside le soir à la lecture spirituelle dans la communauté.

Mgr Classe veut que ses religieux soient autonomes et jouissent d’un self government. Il les installe par groupes d’au moins cinq sujets dans un couvent fermé, compris dans l’enclos de la station. Ils ont leur supérieur, leur assistant, leur économe, leur budget, leur bananeraie, leur porcherie, leurs domestiques. Ils couchent en dortoir, chacun dans son alcôve. Ils travaillent en commun dans une salle, qui sert, le cas échéant, de parloir. Ils ont leur oratoire, où ils se livrent à leurs exercices spirituels et entendent la messe. Une communauté européenne n’a pas plus d’indépendance ni de responsabilités. Ils n’ont pas de vacances à proprement parler, pas plus que les prêtres noirs, encore que l’interruption normale des classes leur vaille une détente. Mais ils se réunissent tous, une fois par an, de tous les coins du Ruanda à leur maison-mère pour une retraite fermée et silencieuse d’une semaine, prêchée par un missionnaire.

Ils sont déjà répartis entre quatre postes. Un jour viendra, on y compte, où chaque station aura son corps de Frères instituteurs diplômés, remplaçant les moniteurs laïques.

Les Bayozefiti jouissent d’une grande considération auprès de la société et du peuple. Ils sont les éducateurs de la génération montante. Ils ont le prestige du savoir et de l’esprit. Ils ont même celui de la naissance et du rang. On pourrait presque dire qu’ils forment un « chapitre noble », tels ceux des anciens Chevaliers du Temple ou de Malte. Ils en portent la croix cousue sur leur- tunique. Dans la proportion des quatre cinquièmes, sinon plus, ils sont recrutés par la caste des batutsi. Cela tient à des circonstances de temps. Ils sont nés à l’époque où la haute classe entrait par groupes dans l’Eglise. Des vocations à la vie parfaite germaient dans le coeur de néophytes adultes. Leur âge était un obstacle à leur admission au petit séminaire, à leur assimilation facile des disciplines classiques. Ils se rabattirent sur un institut qui n’imposait pas de limite d’âge et n’exigeait pas un effort mental aussi sévère. Ce premier noyau de jeunes gens d’extraction noble, et pour une part princière, fut un pôle d’attraction pour les contribules, sans toutefois qu’aucune exclusive ne fût prononcée. Une fraternelle égalité règne dans les communautés de Bayozefiti entre gens que dressaient jadis les uns contre les autres des sentiments de morgue hautaine, d’une part, de jalousie haineuse, de l’autre. On voit des communautés où le supérieur est précisément l’unique roturier du groupe. L’ordre et la paix n’en souffrent en aucune façon. L’esprit et la pratique de la perfection chrétienne ont aboli, ici comme dans le clergé, les préjugés de sang et de race.

  1. Les Filles De La Vierge, Dites Benebikira

 Les sœurs noires, elles aussi, forment une congrégation autonome et se recrutent en bon nombre dans la caste des batutsi. Au point de vue de l’ancienneté, du nombre, de la situation canonique, elles l’emportent sur les Frères. Nées en 1914, elles n’ont pas, comme eux, pâti d’une suspension temporaire en cours de carrière. Elles sont en 1939 soixante-dix-huit professes et environ autant de postulantes et novices. Le 25 juin 1935, leurs Règles, rédigées par Mgr Classe, ayant été approuvées par Rome, elles furent autorisées à prononcer des voeux perpétuels, ce qui eut lieu pour la première fois en octobre 1937. Congrégation diocésaine canoniquement érigée, elles n’ont rien à envier à une congrégation similaire d’Europe. Elles s’intitulent « Filles de la Vierge ), Benebikira en runyarwanda. Elles portent le voile et l’uniforme bleu de ciel : elles vont nus pieds, à l’indigène.

Leur postulat-noviciat est à Isavi, au berceau de l’Eglise du Ruanda. C’est un établissement de vastes dimensions, fait pour héberger cent pensionnaires. Leur formation est confiée aux Soeurs Blanches du cardinal Lavigerie, jusqu’à ce que de leur sein puisse surgir une maîtresse des novices. Destinées principalement à l’enseignement des filles et des tout petits, elles poursuivent leurs études pendant le postulat, qui dure trois ans, et concourent pour le diplôme de monitrices. Au surplus elles sont prêtes à toute tâche honnête qui leur serait proposée. Elles sont cultivatrices, couturières, blanchisseuses, ménagères, infirmières, à volonté. Pour débroussailler le cerveau des petits enfants, leur inculquer la piété, la tenue, l’hygiène, la propreté, les rudiments du savoir, elles n’ont pas leurs pareilles. « La majorité des Soeurs indigènes, déclarait l’inspecteur provincial de l’Enseignement, M. en 1931, se montrent excellentes institutrices. C’est le résultat de longues années de préparation. Ce qui prouve une fois de plus la nécessité première, pour obtenir de bons résultats, d’avoir un personnel enseignant stable. » Une préparation de quinze années ;la stabilité d’une institution authentiquement nationale l’excellence d’une action de congénère à congénère, de noire à noire, de femme à enfant.

Elles occupent déjà neuf postes, tous situés auprès d’un couvent de religieuses européennes, qu’elles déchargent du soin de l’enseignement. On les voudrait, elles aussi, dans toutes les stations. L’avenir de l’instruction des filles, comme celui du relèvement de la femme leurs mains.

Elles débutent comme aspirantes, groupées par huit à dix sous la garde et la direction d’une communauté européenne, déjà nubiles, tête rasée, vêtues d’un simple pagne bleu marine, noué sous les aisselles. Elles passent là deux ou trois années d’épreuves, rompues aux plus rudes et plus humbles travaux, porteuses d’eau, laveuses, jardinières, patriciennes et plébéiennes confondues, écolières entre-temps, mises en demeure de témoigner de leur modestie, de leur bon esprit, de leur ardeur au travail, de leur constance, et aussi de leur robustesse. Parmi elles, des filles de chefs, de grandes perches issues des clans princiers, Banyiginya, Bega, Bagesera. Toutes attendent en patience l’heure bénie qui leur ouvrira les portes de l’Eden d’Isavi.

A Dieu ne plaise qu’il vienne à l’idée de personne de regarder les Benebikira comme des soeurs tourières de communautés blanches, ni même comme des Oblates d’une congrégation européenne. Elles sont, à l’instar des Frères, une branche directement greffée sur l’arbre du Vicariat. Partout où elles oeuvrent, elles vivent séparées, en un petit moutier bien à elles, avec dortoir, réfectoire, parloir, cour intérieure, enclos, jardin, verger, chien de garde.Elles ont leur supérieure noire, nommée par l’évêque, leur chapelle, leur messe de temps à autre, leur supérieur ecclésiastique, un Père Blanc, leur confesseur extraordinaire. Leur logis est tenu avec un soin méticuleux. Tout respire chez elles exactitude et propreté.

Le peuple raffole d’elles. Il les nomme « Nos Sœurs », comme il dit « Nos Frères), « Nos prêtres ». Ce sont pour lui des « dames », hautes et nobles. Il est fier de constater que, hier prisonnières de la hutte, secrètes et inaccessibles, serves de la glèbe ou choses de leurs maris, objet de transaction de famille à famille, estimées seulement à raison de leur fécondité maternelle, elles sont aujourd’hui des personnes, libres de leur corps et de leur âme, affranchies des pensées de la chair, lettrées et enseignant les autres, participant au respect chevaleresque dont la femme est l’objet en Europe occidentale.

Pour elles c’est avec un enthousiasme joyeux qu’elles s’adonnent à leur rude tâche, confuses des hommages qu’elles reçoivent, s’oubliant dans les plus humbles offices, regardant leur modèle, la Vierge Marie, honneur de leur sexe. Parmi les institutions étonnantes du moderne Ruanda il n’en est probablement pas qui soit à la fois plus révolutionnaire et plus gracieuse.

L’heure venue, elles auront leur supérieure générale, elles chausseront leurs pieds, afin de n’être pas dédaignées par les matrones, lorsque les modes d’Occident auront achevé de discréditer les anciens usages.

Frères et Soeurs noirs ne sont encore qu’à l’aube de leur carrière. Ils ne se comptent aujourd’hui que par douzaines ; demain ils seront cent, plus tôt que les prêtres. Ils sont les seuls noyaux de cristallisation des vocations religieuses, en attendant que la variété de l’ascétisme chrétien, importé d’Occident, éclose à son tour sur ce sol privilégié.

 

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