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  1. Entreprises Coloniales Européennes : Commerciales, Minières Et Agricoles.

 

Ainsi qu’on peut s’en convaincre par ce qui précède, la Belgique gouverne le Ruanda, non précisément pour elle, mais premièrement pour lui et de plus en plus avec lui et par lui. Une poignée de quelque soixante agents, appuyés sur une force publique à effectifs restreints, orientent et manœuvrent une oligarchie héréditaire d’environ mille noirs, qu’ils éduquent et rendent de plus en plus habiles à guider un peuple de deux millions d’âmes dans la voie de la civilisation proprement dite.

C’est qu’en effet le Ruanda n’est pas destiné à devenir une colonie de peuplement pour sa Protectrice. Moins que son climat c’est la densité de sa population qui s’y oppose. Il est déjà un pays surpeuplé, et il devient de jour en jour davantage en raison de sa surabondante natalité. Il peut à peine suffire à nourrir ses habitants et il se voit contraint à déverser son trop-plein sur les terres voisines. En fait de colons blancs il ne peut absorber qu’un contingent numériquement faible de commerçants, d’industriels, de chefs de chantier, de conducteurs de travaux, de gens adonnés aux carrières libérales.

Un simple coup d’œil sur le tableau des professions auxquelles se rattachent les 554 européens recensés au 31 décembre 1938, suffit pour se rendre compte que telle est déjà la situation. Les 196 missionnaires, hommes et femmes, constituent le groupe le plus nombreux, 35 %, les fonctionnaires et agents du gouvernement au nombre de 60 viennent ensuite, 11 %, sous la rubrique « sans profession ou travail » sont comptés les femmes mariées ou célibataires, non religieuses, et les enfants en bas âge, au nombre total de 140. Restent 158 Colons de sexe mâle, dont 4 directeurs de société, 22 employés divers, 14 commerçants et agents commerciaux, 8 agents agricoles et planteurs, 80 ingénieurs, prospecteurs, mineurs, 5 hôteliers, 8 garagistes et mécaniciens, deux maîtres-maçons. Ne sont pas classés parmi les artisans les Frères coadjuteurs des Pères Blancs, qui sont à la fois maîtres -maçons, charpentiers, menuisiers, forgerons, mécaniciens, horlogers, boulangers, charcutiers, etc., véritables chefs d’écoles professionnelles.

Tous les chefs-lieux de territoire sont aujourd’hui pourvus de quelque débit, la plupart d’une factorerie européenne, où l’on trouve à acheter des articles divers d’importation. Les détaillants sont, peut-être en majorité, des employés ou représentants de maisons de commerce, dont le siège est à Usumbura ou même sur la côte ; quelques-uns cependant travaillent pour leur compte personnel. Les négociants asiatiques l’emportant de beaucoup sur les européens par le nombre et même par le volume des affaires. La statistique de 1936 recence 103 Arabes et 84 Hindous, 187 au total, femmes et enfants légitimes compris, commerçants ou gérants de commerce, presque tous sujets britanniques.

Ces Asiatiques blancs, musulmans ou hindouistes, ne pénétrèrent dans le Ruanda qu’avec les Allemands, ainsi qu’il a été dit, les monarques indigènes leur ayant consigné le pays. Ils furent les premiers et pendant longtemps les seuls mercantis. Le producteur indigène vendait bien sur maint marché du territoire vivres, tabac, bétail, peaux, ustensiles et outils, objets de parure, mais il ne montait pas de magasin où les marchandises seraient accumulées pour être revendues. Seuls étaient tolérés parmi les étrangers noirs, des voisins, bahaya, bajinja, basukuma, voire des souahélis, gens du Zanguebar, traitants qui trafiquaient, mais qui se fixaient rarement à demeure. Les premières boutiques stables furent celles des blancs d’outre océan Indien. Leur nombre et leur activité s’accrurent. « Le commerce de détail, lit-on dans le Rapport de 1934, est presque entièrement aux mains des Asiatiques. Ceux-ci géraient en 1932 dans le Territoire entier 133 établissements : en deux ans ce chiffre est monté à 192. » Au moyen de commis indigènes, ils font pénétrer leur marchandise jusque dans les coins les plus reculés du pays.

Les européens, les Belges surtout, gagnent aujourd’hui du terrain sur ces Asiatiques, peu sympathiques aux autochtones. Au début de 1938 sur 382 établissements les Belges en géraient 106 et les Asiatiques 204, ceux-ci moins importants, les 72 autres appartenant aux Grecs, Italiens, Portugais, etc.

Sur la liste des pays importateurs le Japon vient en tête, non pour le poids mais pour la valeur de ses marchandises. Son commerce est passé de 9 millions de francs en 1934 à 21 millions en 1937 : sur ce dernier chiffre les tissus de coton et de soie entrent pour 15 millions. C’est le Japon surtout qui habille l’indigène, bien que ses ressortissants n’aient guère fait d’apparition dans le pays. Le bon marché de ses articles défie toute concurrence. La Belgique qui vient immédiatement après lui reste bien en arrière : ses importations ont cependant plus que triplé en valeur entre 1934 et 1937 passant de 5 à 18 millions.

La petite et moyenne exploitation agricole, abstraction faite de celle des Missions, ne retenait en 1936 que huit colons européens, qui se partageaient 631 hectares de terre. La grande exploitation, spécialisée dans la culture du café et de l’agave sisal ainsi que dans le traitement des bourres de coton, et localisée presque toute entière dans la vallée tropicale de la Rusizi, est aux mains de dix-sept firmes et sociétés, dont sept principales, possédant au total onze mille hectares, dont les deux tiers sont encore en jachères et pâquis. Leur nombre tend plutôt à diminuer qu’à augmenter. Deux d’entre elles ont cessé toute activité par suite de la crise économique.

Il semble qu’il n’y ait vraiment d’avenir au Ruanda, en fait d’entreprises européennes, que pour l’extraction minière. La Société Générale de Belgique, institut de banque, qui commit en 1927-1928 le regretté chanoine Salée, professeur à l’Université de Louvain, à l’établissement d’une carte géologique du Ruanda-Urundi au 500.000e, commandite ou finance plusieurs sociétés d’exploitation, dont le nombre s’est réduit par fusion en ces dernières années à trois : Minétain, Somuki, CIM. Le produit extrait est principalement la cassitérite, minerai d’étain : il s’y mêle de l’or, de l’argent et du wolfram. Les roches et les terres minéralisées se présentent sous la forme, soit de filons ou veines en contact avec les pegmatites à éléments de muscovite sur le flanc des collines, soit d’éboulis et d’alluvions dans les bas-fonds. Leur teneur moyenne en minerai est la suivante :

Filons stannifères, 7 kilos de cassitérite par tonne.

Alluvions stannifères, 1,5 à 2 kilogrammes de cassitérite par tonne.

Alluvions stannifères, 0,9 kilogrammes de cassitérite par tonne

Alluvions aurifères, 0,6 de métal brut aurifère à la tonne.

C’est en 1927 que le droit de recherche fut concédé aux six premières sociétés pour tout le Territoire sous mandat. Les travaux préparatoires de prospection s’étant prolongé pendant tout un lustre, l’exploitation proprement dite ne débuta qu’en 1932. La Société Minétain, fondée au capital de 50 millions, a prospecté en dix ans 500.000 hectares, foré 20.000 puits dans les alluvions, creusé 820 mètres de galeries dans le flanc des monts descendant jusqu’à une profondeur de 70 mètres, procédé à 130 sondages dans la roche cristalline jusqu’à 7 et. 27 mètres de profondeur. Elle a délimité, en vue d’y exercer un droit exclusif de recherches, une superficie de 110.640 hectares. En 1938 elle employait près de cinquante agents européens et plus de 5.000 travailleurs indigènes, elle avait extrait 3.000 tonnes de cassitérite et 1.700 kilogrammes de métal brut aurifère.

La Société Somuki, constituée en janvier 1933 au capital de dix millions, étendait en 1937 son activité sur 10 mines couvrant 1.884 hectares. Elle employait à cette date 25 européens et 6.516 travailleurs indigènes. Sa production annuelle approche de 1.000 tonnes.

La Société CIM plus récente a terminé en 1936 la prospection générale des terrains dont elle a obtenu la concession, et ouvert différentes mines, notamment celle du Kanyarira en 1939.

Le revenu net des exploitations minières du Ruanda s’est élevé en 1936 à la somme totale de 2.212.965 francs.

 

Les mines contribuent à la prospérité des finances du Territoire. Elles versent au fisc une quotité variant entre 12 et 50% des bénéfices nets. Elles lui fournissent en outre des ressources supplémentaires en droits d’entrée et de sortie et en impôt sur le revenu. La société Minétain a versé à elle seule en 1938 en droits de sortie et en redevances minières plus de sept millions, et a effectué des dépenses générales pour une somme de soixante millions, dont la majeure partie a servi à l’économie du Territoire, à destination de routes, bacs, ports, service médical, habitations, etc.

  1. Création D’Un Budget Ruanda-Urundi : Monnaie Congolaise, Dette Publique.

 Un coup d’oeil jeté sur les budgets du Ruanda-Urundi, tels qu’ils sont publiés depuis 1923-1924 dans les Rapports officiels, permet de se rendre compte tant des efforts de la Puissance mandataire au bénéfice des indigènes que de l’aide financière qu’elle a procurée au Territoire, pour son équipement économique et pour son équilibre financier.

Sous le régime allemand le Ruanda-Urundi n’était qu’une province de l’Ostafrika ; il n’avait donc pas de finances propres, de douanes à lui notamment. La monnaie métallique, roupie et heller, avait pénétré, remplaçant, graduellement le troc dans les échanges. L’impôt indigène avait été institué en principe, mais il n’était encore perçu que localement, irrégulièrement, par des collecteurs indigènes et souvent étrangers aux populations, ce qui donnait lieu à des abus. Les Belges ont, dès l’occupation, introduit le franc ; puis ils ont créé en 1920 une monnaie congolaise, ayant cours au Ruanda-Urundi, qui a supplanté les devises antérieures. L’impôt de capitation a été généralisé et une douane particulière a été établie pour le Territoire, soumis en vertu, du mandat à des conditions économiques spéciales.

Les moyens propres du pays ne suffisant pas aux besoins financiers du régime nouveau, la Puissance mandataire a été amenée à faire au Territoire une série de prêts, qui, en 1931, furent arrêtés à un maximum de 200 millions de francs. Ce plafond n’était pas encore atteint en 1936: la dette publique ne monte à cette date qu’à la somme de 165 millions. Dans ce total ne sont pas comprises les assistances éventuelles destinées à équilibrer le budget ordinaire, se chiffrant certaines années à douze millions.

En 1936, pour, la première fois, le budget ordinaire a été équilibré sans aucun secours extérieur. Les recettes se sont élevées à 35 millions, les dépenses à 31.200.000 francs d’assistances extérieures.

Aux recettes de ce budget s’inscrit d’abord pour une somme de 16 millions, presque pour la moitié, l’impôt indigène de la capitation et de la taxe par tête de bétail, auquel ont été incorporées, dès 1932, les redevances en vivres — ikoro, — converties en espèces, dues selon la coutume au mwami et aux chefs, et leur revenant sous forme de ristournes. Les douanes et accises interviennent pour dix autres millions. Les contributions minières fournissent un appoint important, destiné à s’accroître d’année en année.

Au chapitre des dépenses est porté, tout d’abord, l’intérêt de la dette, réduit à 5.400.000 francs. Services administratifs, judiciaires et force publique absorbent une dizaine de millions: Enseignement un million et demi, hygiène publique près de cinq millions, agriculture et service vétérinaire environ quatre millions l’entretien des Travaux publics deux millions, l’assistance aux Cultes un demi-million.

Les sommes provenant des emprunts, dont l’emploi est spécifié au budget extraordinaire, ont servi à l’équipement et à l’outillage économiques du pays : réseau routier dont un programme général établi en 1926 a reçu en 1937 son achèvement d’exécution, construction d’hôpitaux et de dispensaires, installations agricoles, frais de campagnes contre le typhus exanthématique et la peste bovine, etc.

A ces ressources s’ajoutent pour une part importante les prestations coutumières en travail au bénéfice des collectivités indigènes, reboisement, assèchement des marais, aménagement de chemins vicinaux, entretien des routes, dont la contre-valeur en argent n’est pas indiquée au budget.

La monnaie circule aujourd’hui avec abondance. L’indigène épargne, thésaurise, se constitue un pécule, avec lequel il songe à acquérir du bétail et à bâtir une demeure en matériaux durables. Le franc métallique a toute sa faveur. « Pour lui, a-t-on observé, le numéraire est la « bonne monnaie » La réduction progressive des réserves monétaires, tant dans les encaisses de la Banque du Congo Belge que dans celles des différents comptables de l’Administration, est interprétée comme un indice de l’amélioration de la conjoncture économique au bénéfice direct, de l’habitant. Au reste, le phénomène n’est pas si accentué qu’il nécessite de la part de la Belgique une plus abondante expédition de numéraire vers le Territoire.

  1. Le Bilan De L’Action Civilisatrice De La Belgique.

 L’impression générale que l’on recueille au spectacle de l’oeuvre régénératrice accomplie par la Belgique au Ruanda est celle d’un contraste frappant entre l’ampleur des résultats obtenus et la proportion réduite tant des moyens que des délais employés. Si le lecteur se reporte à ce qui a été exposé précédemment au sujet de l’action civilisatrice allemande, il n’aura pas de peine à se convaincre que celle de la Belgique la surpasse singulièrement. Dans les diverses, branches de l’Administration aujourd’hui en pleine prospérité : Service territorial, Travaux publics, Education, Hygiène, Agriculture et Elevage, Commerce, Industrie minière, Finances, l’initiative des premiers occupants avait été nulle, ou bien elle en était restée à la période des tâtonnements et des essais « Politique d’attente », avait-on dit L’activité novatrice des Missions avait seule suppléé à leurs déficiences ou à leurs atermoiements. Le pays au moment de leur retraite était encore à peu près dans son état primitif d’inorganisation et de barbarie économiques.

La transformation matérielle du Ruanda sous la conduite de la Puissance mandataire tient du prodige, non moins que son ascension spirituelle, et l’absence de préjugés, l’empressement avec lesquels les indigènes, leurs chefs en tête, entrent dans la voie des progrès modernes, n’est pas un des moindres étonnements que l’on éprouve en face d’elle. La diligence des disciplines a pleinement répondu au zèle des maîtres. « Partout sur les collines, lit-on dans le Rapport de 1933, le « travail du blanc » est devenu le sujet habituel de la conversation des indigènes, qui a plus spécialement pour objet la religion, le café, les routes, les mines, le reboisement, la lutte contre le pian. A les entendre, on sent que le pays est en pleine évolution et que ses communautés font confiance à ceux qui ont assumé la tâche de les mener vers un avenir meilleur. » A la création de ce climat de confiance et de bon esprit a contribué dans la plus large mesure l’action religieuse des missions, articulée à celle du gouvernement, vu notamment la communion des protégés et des protecteurs à la même foi et aux mêmes mystères. Le prince héritier de Belgique fut frappé de cette entente générale lorsqu’il visita de nouveau le Territoire à Pâques 1933, en compagnie, cette fois, de la future reine Astrid. Les augustes voyageurs, venant d’Usumbura, prirent gîte à l’Ecole d’Astrida, saluèrent le mwami à Nyanza, Son Excellence le vicaire apostolique à Kabgayi, et poursuivirent leur route vers le Congo Belge, en faisant le crochet du Parc national de la Kagera.

Néanmoins — et ce n’est diminuer en rien le mérite des organisateurs de le reconnaître — ce qui a été fait jusqu’à présent, depuis 1925 surtout, n’est qu’un amorçage, un prélude, une entrée de jeu. La mise en valeur du pays est loin d’être terminée, la période de rendement s’ouvre à peine.

Il reste encore des routes à construire et à empierrer, quantité de cours d’eau et de marais à ponter. La navigation sur les rivières et les lacs intérieurs en est encore à l’indigente batellerie des pirogues. Les forces hydrauliques si multipliées ne sont nulle part captées, ou presque. Pas d’énergie électrique ni pour l’éclairage ni pour les transports ni pour les machines. Le service postal n’est qu’à ses débuts : un seul bureau, pas de télégraphie avec ou sans fil, pas de téléphonie, pas de messageries sinon d’ordre privé. Point de chemin de fer, ni même de services d’autobus ou autocars.

L’adduction des eaux dans les agglomérations, pas plus que leur emmagasinage dans les campagnes, n’est encore entreprise, bien que la nécessité s’en fasse vivement sentir en saison sèche. La valeur nutritive des pâturages reste piteuse, cependant que l’extension des cultures provoque une contraction de leur superficie.

On pourrait aisément allonger la liste des aménagements techniques qui font défaut à ce pays, le plus dépourvu qui fût sur la terre, il y a seulement cinquante ans. La Puissance mandataire n’ignore rien du chemin qu’il lui reste à parcourir. Elle a ouvert les voies, créé les méthodes, engagé le mouvement. Elle n’a besoin que du temps pour l’amener à son terme. Les présentes réussites sont le gage de celles de demain. Chaque jour, amène un progrès nouveau. Chaque année renforce d’une nouvelle équipe l’armée de collaborateurs indigènes qui, s’attèlent à la besogne et s’entraînent à aider, à suppléer dans une mesure toujours croissante, leurs bénévoles instructeurs.

 

 

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