Lecture des Poèmes: Le Poème N° 172
9° POÈME N° 172
Les aînés des héros.
Les aînés des héros sont dignes de leurs pères,
0 défenseur du Tambour, descendance de Mutabazi, fils de Nsoro !
Le Karinga ne sera jamais mécontent d’eux !
Leur départ pour la guerre est une réjouissance,
Et leur retour triomphal est notre satisfaction !
Oh! qu’ils sont chéris des hommes ! puissent-ils se perpétuer !
Personne ne serait l’Héritier d’un Roi
Et se comporterait en craintif, ô le Très-Rapide fils du Marcheur
Vos gestes à tous sont admirés.
Moi j’avais cru qu’il partait sans désigner un successeur,
Le Vacher en chef, fils de Matama ! (Il s’agit de Yuhi II Gahima II, que l’Aède prend ici comme « homonyme de Yuhi V Musinga).
La bataille lugubre et catastrophique nous ayant tous foudroyés,
Tu te hâtas d’en annuler les effets par tes tambours !
Ce jour allait nous être semblable à celui de Bwimba :
Il s’en allait sans laisser même une fille,
Cet Aimable, fils du Pasteur, descendance du Héros,
Partant en guerre sans engendrer un héritier de la royauté !
Même ce jour lugubre qui, à nous, s’imposa alors,
Cette nuit sans chant de coq ne passa-t-elle pas,
Avant l’avènement du Karinga dans le Rwanda ?
Il était encore alors au Busfgi, (Allusion au proverbe : «Même les nuits sans chant du coq prennent fin !» C.-à-d. « Les épreuves ne durent pas éternellement ; elles passent, alors même que rien ne présageait leur fin ! « Employée en ce passage, l’allusion signifie ceci : « A la mort de Ndahiro, alors que le Rwanda n’avait guère l’espoir de voir la restauration de la Dynastie légitime, c’était la plus grosse épreuve que le pays ait jamais connue! Mais la providence agit en faveur du Rwanda. C’était à l’époque où aux destinées du pays présidait le Rwoga, auquel devait succéder plus tard le Karinga actuel, dont la confection eut lieu au Busigi. « Avions-nous raison de nous inquiéter tant, au sujet de la déposition de Yuhi V Musinga, en croyant qu’il n’aurait pas de successeur) ?
Ce Tambour d’écarlate, héritage de Cyllima,
Attendant le moment de mettre ses baguettes en action,
Être privé de Roi serait la pire calamité au Rwanda ;
0 le Connaisseur, qui t’en indiquerait de comparable ?
Les victoires, — je le jure, — s’attacheront à tes pas.
0 hommes, je ne raconte pas des histoires inventées ;
Vous savez comment le fils de Ndahiro
Vint des confins du pays,
Au moment où nous, ses sujets, étions à l’extrémité.
Ce Ranimateur fils de Cyllima, le Généreux, postérité de Mutabazi,
Nous remonta et nous rendit la vie.
Ce Refuge qui, chez nous, s’est présenté comme un hôte,
En un jour pareil à celui qui nous vit atterrés ! (Le jour de la déposition de Yuhi V Musinga ).
Nous n’avions plus la force de proférer une parole,
Lorsque le Maître des Tambours, devant nous se présenta
Moi je demande une vache qui consacre mon servage,
Ou, à son défaut, une laitière à traire temporairement !
On est toujours heureux d’en recevoir une, compensant les pertes !
Prends soin de moi pour le métier de compositeur,
Donne-moi un bovin, ô Refuge, et tu auras deux choses :
Je te remercierai et t’offrirai mes présents
Je te signalerai aussi un gué patriarcal de tes aïeux ;
Vous savez que je n’oserais tromper les Souverains de Gasabo.
Prête l’oreille je suis un envoyé des Rois ;
J’ai un message spécial de ton père.
Je ne l’ai pas trop retardé en route, je l’apporte d’urgence !
Un Dieu m’a confié un message pour un autre Dieu,
Lequel est descendant de Ndabarasa et du Miséricordieux,
Pour prendre conseil en son nom ;
Il m’a confié cette parole uniquement.
Je passai la nuit inquiet, croyant avoir trop tardé !
0 sauveur fils de Mutabazi
Je ne pris même pas de provisions !
Une raison sérieuse me le suggérait ainsi
Je pensais à votre race,
Et ma crainte respectueuse me fit dévorer le chemin !
Étant impotent des jambes,
Je me gardai bien d’entrer dans la demeure
Qui ne me paie pas la peine de l’avoir construite !
Je me dirigeai vers la résidence du Très-grand
Celle dont l’entrée est sans défaut :
A laquelle les Tambours conviennent merveilleusement !
Je courus communiquer le message De l’Archer, fils du Miséricordieux,
Afin que tu me répondes, ô Pasteur-attitré,
Dussé-je t’écouter des nuits entières, je serais patient !
Puisque dans ton coeur, il a passé des nuits,
Ce Sagittaire tout de vivacité, fils de Cyllima,
Ce Souverain fils du Tambourineur,
Lui qu’on réveillait au son des Tambours,
Et qui, par d’heureux présages, terminait son repos !
Lorsque je me plonge dans mes réflexions,
Mon coeur est réchauffé par ton amabilité !
On t’appelle une créature.
Tandis que je reconnais en toi un créateur !
0 l’Invincible, fils de Mutabazi,
Tu as créé les hommes d’une façon variée !
Heureux est le sein qui t’a allaité,
Ainsi que celui qui a allaité Jésus-Christ ; (L’Aède est mort baptisé).
Aussi t’a-t-il donné une intelligence au-dessus des humains !
Heureux fut le berceau de l’Épouse de Yuhi,
Ainsi que celui de la Sainte Vierge,
Eux qui ont éduqué pour les nations !
En voilà deux Mères à la maternité inviolée
Deux Reines résidant en lieux Refuges ;
Elles n’ont besoin d’aucune intercession ! (Chacune évidemment dans la zone respective du commandement de son fils ! Je corrige pour l’Aède, supposant qu’il en aurait fait autant si…)
0 toi le Bienfaiteur, fils de Cyilima Elles ont les bénédictions à satiété !
Heureuse la jeunesse de ce règne, Qui a grandi avec Dieu,
Recevant les Sacrements !
Heureuses les mères de cette époque,
Dont les enfants ont été préservés des armes meurtrières,
De sorte que par elles les hommes ont été multipliés.
Les femmes ont acquis leurs pleins droits,
Elles se préparent à entrer dans le paradis.
Le Souverain adresse à Dieu des prières à leurs intentions.
C’est un Roi qui ne les trompe pas :
Pour elles, il adresse à Dieu des supplications !
Eh quoi ! dès le début du combat tu terrasses l’ennemi ?
Encore taurillon, ta corne est vigoureuse ?
Tu grandis avec une imposante majesté,
Capable, comme le Réparateur, de batailler à longueur de la journée,
O le Foudroyant, du Bumbogo on t’envoie les salutations ! Bumbogo : ici il s’agit de la province de ce nom. — Bukomya : province au Territoire de Ruhengeri. Nos Mémorialistes ne possèdent plus de récit de l’événement auquel l’Aède fait ici allusion. — Nyakiyaga : nom de famille de Nyiracyilima I, mère de Cyllima I Rugwe. Murama : l’une des subdivisions du Mont Rutare, dans la province du Buganza-nord, au Territoire de Kiga1i, cimetière royal réservé aux titulaires des noms dynastiques de Kigeli, Mutra et Cyilima, ainsi qu’aux Reines Mères et leurs épouses. Kayanga : localité dans la province du Bwanacyambwe, ancienne capitale, non loin de Rutunga et de Gasabo).
O le défenseur de ton père au Bukonya !
Fils de Nyakayaga et de la Miséricordieuse,
Tous tes aïeux te souhaitent d’être victorieux.
La faveur qui m’est témoignée ici me rendrait-elle flatteur ?
O le fidèle Serviteur, rejeton de Gahima,
Un fils bien né devrait être irréprochable comme tu l’es !
Cette nouvelle-là a été transmise à Mwulire
Chez l’Ailé, ce rejeton de Cyilima,
On m’assure que j’aurai audience au Murama.
On raconte de toi tant de gestes,
ô Maître de Tanda : Ils te connaissent bien les gens originaires de Kayanga,
Les vivants domiciliés à Gasabo, ô Mutara,
Tandis que Monsieur le Gouverneur t’aidera à porter la Royauté ! (Ce vers est l’indice d’une profonde évolution, en ce qui regarde les appréciations populaires dont le Poète est ici le porte-parole. En arriver à associer le pouvoir royal à l’Autorité Belge représentée par le Gouverneur, c’est un formidable pas au point de vue traditionnel ! Ruyenzi : région de la province du Rukoma, immédiatement sise le long de la Nyabarongo et traversée par la grand’route qui aboutit au pont de la rivière, (au gué appelé Nyaruteja).
Je serais présent lors de ton passage par le gué du Ruyenzi,
O ondée vivifiante et réchauffante,
Descendance de Mutabazi, je te laisserai passer.
Kigali de déclarer : « C’est moi le vivant de Nyakayaga, ( Le Poème qui était ikobyo jusqu’ici adopte la catégorie des morceaux à ibyanzu. Il fut le père de Ngoga ; celui-ci épousa Mageni, (fille de Gikàli fils de Nsoro I Bihembe) qui accompagna Nyanguge la future mère de Kigeli I Mukobanya. De l’union de Ngoga et de Mageni naquit Nyabadaha, Reine Mère de Mibambwe I. Nzaratsi, c’est là que résidait Yuhi II Gahima II, lorsque les Armées du Rwanda attaquèrent Cyubaha, fils de Nyabikezi, qui résidait aux Mironko près Nyagasiga. — Le Sera : Tambour Dynastique de la Maison des Bazigaba, représentée alors par Cyubaka . — Rubengera : l’actuelle mission protestante dans la province du Bwishaza, localité intronisée comme capitale par Kigeli IV Rwabugili en 1874; l’expédition lancée contre l’ile Ijwi et à laquelle l’Aède fait ici allusion, est de 1875, année qui suivit la Comète de Coggia 1874).
J’ai présidé au voyage (de Cyilima) au Bugesera.
Il s’y trouvait alors Nyirakigeli et l’épouse de Gihinira,
Il s’y rendit pour que nous fut gagnée Nyanguge,
Laquelle devait enfanter le Porte-secours,
Destiné à nous préserver de Mun-fi-Ida!
Et Nzaratsi de répliquer : « C’est moi le Trépignant,
Qui ai présidé au départ des héros qui attaquèrent les Mironko,
Pour en ramener le Séra en butin.
Et Rubengera d’interpeller : «O le Très-Rapide,
Je fixe ma lance en terre, brûlant de narrer mes hauts faits
Il y eut une femme que je privai de son mari
Le Mushi Kabego qui s’était retranché dans son îlot !
0 le Très-Rapide, deux fois j’ai attendu ton arrivée :
Pourquoi ton messager ne m’en avertit-il pas encore ?
Annonce-toi, qu’il me soit donné de te narrer
Les prouesses que, au service de ton père, j’ai déployées !
C’est moi qui présidais jadis aux expéditions,
Faisant qu’elles rentrassent avec un riche butin !
Et Nyanza de répliquer : « C’est moi que le Nduga
Met en avant pour déclamer ses hauts faits :
L’avènement de cet Irréprochable a démontré ma prouesse I
J’ai sauvé les vaches que vous détenez.
J’ai donné du lait à la Mère du Roi,
Jamais l’indolence n’affaiblit mes bras !
Lorsque le Roi prit le chemin d’au-delà,
Voulant que ses sujets ne soient abandonnés
Ni son Tambour ne souffrît quelque humiliation,
Je suis resté l’objet d’hommages,
Du fait que le Maître demeurait chez moi.
Le Rukali où demeure le Redoutable, y plaça son mot,
Disant : « Lorsque les largesses du Roi favorisent quelqu’un en prémices,
Le Roi ne peut plus dès lors lui préférer un autre foyer !
Sois pour moi une mère :
Tu as été désigné, et moi je suis siège ;
De la sorte nos patriarches nous régiront :
C’est cela posséder les bénédictions à nous révolues.
N’amoindrissez pas mon droit, s’écrie Mwîma ;
Je suis la capitale patriarcale de l’Intrépide,
Aux sagaies aiguisées, le Hardi sans reproche 1
C’est à moi qu’il revient d’étayer vos dires :
Vous savez que je suis la favorite des Rois ;
Même le jour où je vengeais ton père,
Le Trône était installé dans ma maison !
Il va parler Nyamagana, aux vieux arbres vénérés :
« Je suis, dit-il, capitale du Roi colossal :
Le dragon qui engloutit les insoumis est sous mes pieds ! »
Et Mwulire d’ajouter : « Ne me disputez pas mon droit,
D’être habitation du Souverain !
Du reste les Tambours me conviennent admirablement !
Je les ai enlevés du palais de Mutaga,
Je n’ai pas laissé sa tête en chemin : je l’ai apportée ! »
Elle parle, cette foudre des capitales, Gisanze :
« Vous savez, dit-elle, que j’ai toujours un prestige à sauvegarder !
Il y eut un Roi étranger que j’ai privé de succès,
Et le Murûndi auquel j’ai enlevé une fiancée.
O Roi des Bovins, pasteur en chef,
A la vue de mes prédispositions aux triomphes,
On me nomma l’Ouvrière aux entreprises achevées ! »
Et Nymirundi : « C’est moi, dit-il, le héros des cas redoutés,
Habitation du Roi svelte, qui passait par-dessus les obstacles !
J’ai accompli des faits merveilleux, présidant aux flottilles victorieuses.
J’ai bataillé pour Kigeli et lui ai montré ma hardiesse. »
L’Irréprochable comprit que les capitales de ses ancêtres
Venaient de rivaliser en affirmant la vérité ;
Il s’adressa à ses Tambourineurs,
Afin que les Dépositaires du Secret l’entendissent aussi :
« Avez-vous entendu ces capitales
Qui étalent la bravoure et la solidité, invitant à les habiter
Ces résidences-là, je les parcourrai toutes !
J’aime ces capitales qui soupirent après mon arrivée :
Attisez le foyer des Armées,
Car j’ai un Trône qui sera établi sur leurs sommets ! »
Gihinira s’est acquis la place suprême qu’il ne quittera plus : (Gihinira: c.-à-d. le clan des Bêga, dont il est l’un des patriarches des temps les plus reculés. — Makara : autre patriarche du même clan, qui vivait sous Yuhi III Mazimpaka et sous ‘Cyilima II Rujugira; les Reines Mères des Rois Mibambwe III, Yuhi IV, Mutara II, Yuhi V et de ce Mutara IIII, —c.-à-d. 5 sur 6 dernières de la Lignée, — descendent de ce Makara. — Nyiratunga : mère de Yuhi IV Gahindiro. — Nyiramavugo : nom de règne de toutes les Mères des Rois Mutara).
Les siens donnent désormais une épouse descendant de Makara
Lorsque l’une a trépassé, une autre est investie de la royauté.
J’exalte ainsi Nyiratunga devant vous par reconnaissance :
Aucune autre ne peut être candidate à côté d’elle et de Nyiramavugo
Qui également, de Mibambwe, protège les Bovidés.
Que dire de celui qui reçoit la dignité royale,
Puisque même celui qui reçoit une vache doit remercier ?
Je réclame moi, un bovin, comme prix de service signalé !
Je me trouvais de veillée dans la case principale,
Lorsque j’entendis cette nouvelle ; (L’Aède n’admet pas que Mutara ait été désigné par l’Autorité Belge qui, à ses yeux, n’aurait agi que par délégation, publiant la décision de Yuhi V Musinga )
Je courus en informer le Sans-rival,
« Sois excellent pour ton père qui l’a été pour toi!
Tu es le favorisé de tous parmi les Rois,
Aucun ne dépassera ta bravoure
Pas étonnant que ce Tambour te soit donné par reconnaissance !
Nous prendrons le chemin qu’a pris Kibogo, ô fils de Kimanuka ! (Kibogo : c.-à-d. « nous irons au ciel, où fut envoyé Kibogo, Libérateur qui nous obtient la pluie ». Nous devons dire que l’histoire légendaire de ce prince est bien plus simple lorsqu’on la considère du point de vue du Code Ésotérique. Il fut en réalité étranglé et son cadavre fut brûlé dans le Kadasaya, non loin de Ngoma et Kamonyi. Il fut ainsi envoyé au Ciel sous forme de fumée. Notons enfin que cette conclusion fut ajoutée au morceau en 1943 finissant, lors du Baptême du Roi, tandis que l’Aède se préparait à déclamer son oeuvre à la Cour).
Je sais, moi, que tu as des connaissances dans le firmament.
Ce Baptême que tu as reçu
T’a donné une vie de longue durée,
Afin que tu restes longtemps parmi nos Bovins.
Demeure avec nous, personne n’aura assez de toi !
Nous sommes tous ton inaliénable propriété !
Fasse Dieu que tu vois toujours le soleil et nous avec toi, ô Roi :
Sont le prix de tes mérites les vaches que tu as héritées.