Les Bazimu, Les Femmes Et Les Enfants.
Les Bazimu et les femmes.
I. Situation de la femme mariée vis-à-vis des bazimu de sa propre famille et de celle de son mari.
La position de la femme mariée vis-à-vis des bazimu est plus compliquée que celle de l’homme parce que, à l’occasion, elle doit faire face non seulement à ceux de sa famille mais aussi à ceux de son mari.
1° La femme mariée et les bazimu de sa famille.
Le jour de son mariage, au moment de quitter ses parents, la fiancée est conduite, suivie d’une brebis, devant les édicules dédiés aux mânes qu’honore sa famille. Omettre cette visite d’adieux à ses ancêtres serait s’exposer à leur courroux, ils pourraient la poursuivre jusque dans sa nouvelle demeure.
D’ailleurs, quoiqu’elle fasse, ils viendront tôt ou tard se rappeler à son souvenir en venant la frapper (Gutera: poursuivre, attaquer) d’une façon ou d’une autre. Ainsi, qu’elle devienne enceinte et qu’elle souffre de quelques malaises, on aura vite recours aux lumières d’un devin. La femme peut elle-même le consulter mais, de préférence, ce sera son mari et il aura soin d’emporter un peu de la salive de son épouse (La salive joue un rôle important dans la divination). Souvent le mupfumu imputera les malaises de celle-ci à la malveillance d’un muzimu de sa parenté, « ni uw’iwabo : un de chez elle » qu’on surnomme inkurura (celui qui attire), et il prescrira, en conséquence, quelque offrande pour l’apaiser ; ce sera parfois le sacrifice d’une chèvre : C’est le « kumarira umugore: apaiser les bazimu pour sa femme ».
Le mari ira accomplir ce rite chez ses beaux-parents, puisque c’est chez eux que se trouve les édicules dédiés aux bazimu de la parenté de son épouse. D’ailleurs, tout cela avait été prévu lors du mariage et il avait alors laissé chez eux « en dépôt » un mouton destiné ad hoc: intama yo guterekera: le mouton pour honorer les bazimu », ou encore « Intama y’inshyingikano: la brebis mise en dépôt ». C’est avec les petits de ce mouton que l’on se procurera la chèvre réclamée, mais cette chèvre ne sera en fait qu’un jeune bouc.
2° La femme mariée et les Bazimu de la famille de son mari.
a) Aussi longtemps qu’une femme n’a pas d’enfant, elle ne s’occupe ordinairement que du muzimu w’Umukurambere, tutélaire et protecteur de son foyer et dont elle est en quelque sorte l’épouse mystique puisque, selon l’expression fréquemment usitée, il est celui pour lequel elle a été demandée en mariage et ensuite épousée : « Uwo yashakiwe ». La chapelle (indaro) de ce muzimu par excellence est la hutte même qu’elle habite. A lui seul elle peut s’adresser et faire des offrandes directement, c’est-à-dire sans l’intermédiaire de son mari. Si, de l’avis du devin, elle est poursuivie par un autre muzimu de sa belle-famille, elle devra recourir à son mari pour lui faire un présent puisqu’elle n’est pour lui qu’une étrangère.
b) Mais il en va autrement si elle a des enfants, car dans ce cas, surtout en l’absence de son mari, elle pourra toujours faire en leurs noms des offrandes aux mânes familiaux.
Pratiquement cependant, elle laissera presque toujours à son mari le soin de s’en occuper ; comme d’ailleurs aussi celui de consulter les sorts (kuraguza).
Il n’en est pas autrement des enfants, même s’ils sont adultes ; aussi bon nombre d’entre eux ne commencent à exercer les pratiques du culte dû aux mânes des ancêtres qu’après leur mariage.
Quand le père vient à mourir, c’est la mère qui s’en charge, à moins qu’elle n’ait parmi ses enfants un garçon d’au moins 15 ou 16 ans. Parfois elle aura recours à l’un de ses beaux-frères.
II. Épouses «mystiques» des Bazimu.
A) Épouses mystiques des bazimu familiaux.
Au Rwanda, quand un jeune homme se marie, il fonde toujours son foyer sous l’égide d’un muzimu qui devient, par le fait même, pour lui et les siens, le muzimu tutélaire par excellence. On l’appelle Maître, Gardien, Protecteur du logis, muzimu du foyer principal. C’est le Mukurambere. C’est pour lui, en son nom, que le jeune homme prend femme ; il est le « uwo yashakiwe»: celui pour qui elle a été recherchée ». Cette femme devient ainsi une sorte d’épouse mystique de ce muzimu; la hutte qu’elle occupe est son indaro, sa chapelle familiale. C’est dans cette hutte, près du foyer (mu kirambi), qu’on lui fera désormais les offrandes rituelles. Si, plus tard, l’homme devient polygame, il épousera ses autres femmes au nom d’autres bazimu familiaux, désignés par le devin, et chacune aura sa case et son foyer propre, indaro du muzimu pour lequel elle a été épousée ((1) Au Rwanda, les femmes d’un polygame ont leurs huttes propres construites habituellement à une certaine distance les unes des autres de telle sorte que chacune a vraiment son chez soi). Mais le foyer de la case de la première femme, auquel est réservé le nom de ijabiro, restera le foyer principal parce que cette case est la chapelle du Mukurambere, le plus important des bazimu familiaux. D’où l’appellation de muzimu w’ijabiro qui lui est également donnée (Le muzimu w’ijabiro est censé se loger dans la partie supérieure du plafond (igisenge). La clé de voûte de ce plafond qui a la forme d’un dôme est appelée ipfundo ry’igisenge = le noeud de la toiture. Chez les Batutsi, lors de la prise de possession d’une nouvelle hutte, on blanchit ce « noeud » avec du kaolin délayé dans de l’eau. Ce liquide est de l’eau lustrale fréquemment employée dans diverses cérémonies, par exemple, à l’occasion d’un mariage, de la clôture d’un deuil, d’un sacrifice, etc., elle est censée purifier ce tout qui a été souillé, personnes et choses).
Quant aux épouses supplémentaires des polygames (ordinairement une ou deux) elles deviennent, habituellement, par désignation du devin, les épouses mystiques d’autres bazimu familiaux ; celui de la seconde prendra le nom d’igisonga cy’Umukurambere, c’est-à-dire le lieutenant du muzimu w’Umukurambere
(La majorité des Bahutu est monogame de fait, et les polygames ont rarement plus de deux ou trois femmes. On devient polygame pour diverses raisons :
1° parce qu’a la mort d’un père ou d’un frère, on hérite de la veuve (ou des veuves) ;
2° parce que, riche propriétaire terrien, on a besoin de bras pour les travaux des champs ;
3° parce que l’épouse, infirme ou maladive, ne peut plus suffire aux travaux et aux soins domestiques ;
4° parce qu’elle est stérile et qu’on ne peut donc attendre d’elles le garçon qui perpétuerait la famille et assurerait le culte des ancêtres, etc.
Il n’est pas rare dans ces cas d’infirmité ou de stérilité que la femme pousse elle-même son mari à prendre une seconde épouse.
On pourrait encore énumérer d’autres causes de polygamie et en particulier la volonté des bazimu qui réclament des épouses « mystiques ».
C’est au Rukiga qu’on rencontre le plus de polygames. La raison en est que les Bahutu de cette région montagneuse sont gens aisés, possesseurs de vastes terrains de cultures, de beaucoup de petit bétail et parfois de quelques vaches qu’ils possèdent en propre. Dans la province du Bushiru, ils acquièrent ces vaches en échange de greniers de sorgho, de petits pois ou de haricots qu’ils cèdent aux pasteurs hamites du Rwankeri).
Lorsqu’un père de famille veut marier son fils, il commence toujours par consulter le devin pour savoir quel sera, des bazimu familiaux ou plus exactement des bazimu b’abakurambere, celui pour qui et en l’honneur de qui son fils épousera la jeune fille qu’il convoite ; pour savoir aussi si elle leur plaît et s’il y a des chances qu’elle ait des enfants, des garçons surtout.
D’autre part, le jour même du mariage (du moins au Rukiga des environs de Byumba), lorsque la fiancée arrive chez ses beaux-parents, on la couche un instant sur un lit d’herbes, recouvert d’une natte, aménagé devant l’édicule (indaro) provisoire construit en l’honneur du muzimu dont elle va devenir l’épouse ; on le place devant l’entrée (irembo) de la cour (urugo) qui précède toute hutte indigène. Survient alors le fiancé. S’adressant à son Mukurambere, il lui dit : « Voici la femme tienne que je t’ai apportée (ou cherchée) : Dore umugore wawe nkuzaniye (ngushakiye) ». Et le lendemain soir, au moment où la jeune fille est conduite dans la case nuptiale, son beau-père l’y précède pour annoncer au Mukurantbere son arrivée : « Réjouis-toi, car la voici qui vient : ishime, yarajye ».
Enfin, lors du gutekeshya, c’est-à-dire lorsque le nouveau ménage, qui jusque- là vivait chez les beaux-parents, sera définitivement installé dans une nouvelle habitation (hutte et cours) construite dans les champs qui lui ont été cédés en part d’héritage, le jeune marié immole à son Mukurambere une chèvre afin d’attirer sur son foyer sa bienveillante protection.
Ce qu’on vient de dire a une importance capitale pour comprendre ce qu’est le mariage nyarwanda. Il faut en retenir ceci :
1° Un jeune homme ne demande jamais la main d’une jeune fille que si le devin, oracle des ancêtres, est d’accord. Et de même, du côté de la jeune fille, ses parents ne donneront leur consentement qu’à cette condition ;
2° Un mari ne peut pas renvoyer sa femme sans avoir d’abord reçu, par la bouche du devin, l’assentiment des ancêtres, en particulier du muzimu dont elle est l’« épouse ». Bref, la décision appartient toujours au devin. Il a évidemment intérêt à complaire à ses clients, mais il peut aussi leur donner d’excellents conseils, car il est parfaitement au courant de la situation des familles de son ressort.
Les cas ne sont pas rares de bazimu persécutant les vivants pour les contraindre à leur donner des épouses. Exemple : un enfant tombe gravement malade. Convaincu que l’auteur du mal est un muzimu, le père s’empresse d’aller consulter le devin : « Qui est ce muzimu ? Et que réclame-t-il ? Assez fréquemment le devin prononcera son oracle en ces termes : « C’est un tel qui te poursuit. Il veut que tu lui construises une demeure : Ni kanaka ugutera, arashaka Ko uzamwubakira ». Or, l’expression « construire une demeure équivaut à cette autre : « prendre une épouse ». Au Rwanda, quiconque en effet s’apprête à se marier commence par construire la hutte dans laquelle habitera sa femme ; d’autre part, quand on demande à un père s’il a marié son fils, il répond indifféremment : « Yee, naramushingiye: Oui, je l’ai marié » ou : « Yee, naramwubakiye : Oui, je lui ai bâti une case (inzu). Au Rukiga, il peut arriver que les deux femmes d’un polygame habitent la même habitation (urugo), mais chacune y a toujours sa hutte personnelle (inzu). Habituellement cependant, elles ont l’une et l’autre une habitation complète et distincte, c’est-à-dire une case entourée d’un ou de deux enclos et qu’une certaine distance sépare. D’ailleurs le muzimu peut exiger, par l’intermédiaire du devin, pour la femme qu’il sollicite une habitation indépendante : « Kanaka arashaka ko uzamwubakira urugo rw’irembo : Tel ancêtre veut que tu lui construises une habitation avec sa porte d’entrée »; en d’autres mots, non pas une case seulement, mais une habitation complète, c’est-à-dire une hutte et la cour qui la précède et dont la porte d’entrée s’appelle irembo (la porte de la hutte se dit umuryango).
Il faut faire remarquer également que ce ne sont pas toujours de véritables épouses qui sont quémandées. Bien souvent le muzimu courroucé ne veut que satisfaire une passion volage, le caprice d’un jour et parfois il suffit d’un simulacre de l’acte conjugal pour le contenter.
Mais celui à qui le devin enjoint de prendre réellement une seconde ou une troisième femme au nom d’un muzimu peut se trouver dans l’impossibilité d’obtempérer à cette requête, soit qu’il n’a pas de quoi verser la dot nécessaire, soit que ses champs suffisent à peine à l’entretien de sa femme et de ses enfants. Il peut arriver également qu’il n’ait aucune envie de s’encombrer d’une autre femme. Il aura alors recours à des subterfuges et bernera le muzimu avec une étonnante désinvolture.
Il commencera par temporiser, se contentant de promettre à son ancêtre l’épouse désirée à la condition bien entendu d’obtenir telle faveur, comme par exemple la guérison de son enfant. Il se rend donc devant l’édicule du solliciteur en ayant soin d’apporter un peu de bière pour le « dérider » et, lui montrant la houe ou la chèvre qu’il donnera (?) en dot, il lui dit : « Regarde cette houe (ou cette chèvre). Eh bien, si tu cesses de frapper mon enfant, j’irai demander l’épouse que tu sollicites. Je te la promets, tu l’auras, elle sera tienne… ». Puis, après avoir versé quelques gouttes de bière dans le feu allumé dans l’indaro, il se retire.
Aussi longtemps que dure la maladie de son enfant, il réitère sa promesse ; parfois même, après avoir pris l’avis du devin, il déplacera l’édicule de cet ancêtre du gikari ou il était (Le gikari est l’enclos derrière la hutte dans lequel sont ordinairement la plupart des édicules dédiés aux mânes de la famille) pour le construire en dehors de son habitation à côté de la porte d’entrée, c’est-à-dire ku nkingi z’irembo : contre les sticks qui forment l’entrée de la cour précédant la case . Il entend ainsi montrer au muzimu qu’il a vraiment pris sa requête au sérieux .
Mais que va-t-il faire si son enfant guérit ? Va-t-il se décider enfin à prendre une concubine ? Pas du tout, s’il n’y tient pas. Il y a toujours moyen de s’arranger avec les bazimu, ou plus exactement de les tromper.
Il construit un nouvel et grand édicule. C’est vite fait, car il suffit d’enfoncer dans le sol quelques branches reliées par le haut, de jeter par- dessus quelques poignées d’herbes et d’y répandre une couche de paille qu’on recouvre d’une natte. Il fait alors venir une jeune fille des environs et la prie de s’étendre un instant sur ce lit de fortune… Le tour est joué et l’ancêtre satisfait !
Ce qui est encore plus facile, c’est de laisser tomber l’affaire et de ne plus en parler. Le cas est fréquent. Et si, par hasard, un nouveau malheur survenait, notre homme renouvellera tout simplement ses vaines promesses.
Mais il peut arriver que le muzimu demande que le malade lui-même prenne une épouse en son nom. Or, le malade est un enfant ! Nous serions sans doute embarrassés, mais les Banyarwanda ont une solution toute prête. Le père du petit prend une chèvre et, assis devant l’indaro du muzimu quémandeur, lui déclare sans broncher : « Vois cette belle capridée, dot de la femme que tu réclames ; je pars à l’instant te la chercher… ».
Le voisin qui a une fillette a compris aussitôt ce dont il s’agit et le marché est conclu. La bête est acceptée, la fillette promise en mariage. L’heureux papa s’empresse de retourner devant l’édicule de son ancêtre pour lui faire part de l’excellente nouvelle : « Réjouis-toi, c’est fait ; tu auras la femme convoitée ; en attendant, voici toujours un peu de bière pour te désaltérer… ». Quelques jours plus tard, il ira reprendre sa chèvre et l’affaire sera enterrée !
Il est inutile de rappeler que dans toutes les affaires de ce genre, rien ne se fait ordinairement sans consultation du devin et que ses conseils sont scrupuleusement observés.
De même que les bazimu de sexe masculin sollicitent des épouses, il se rencontre également, plus rarement cependant, des bazimu féminins qui demandent un mari. En voici quelques exemples :
1° A une mère de famille, dont l’un des enfants est gravement malade, le muzimu d’une tante maternelle réclame, avec force menaces, un mari sur le champ. On se hâte de lui construire un indaro provisoire assez grand pour qu’un homme (par exemple le mari de sa nièce) puisse s’y coucher une nuit, ou plusieurs nuits consécutives, selon les cas.
2° Un malheur est survenu que le devin attribue au muzimu d’une soeur, morte nubile, laquelle veut à tout prix qu’on lui cherche un époux. On lui élève donc un édicule à l’extérieur de l’enceinte de l’habitation (puisque, en principe, on ne marie jamais une jeune fille chez elle à la maison) et l’on fait appel à un jeune homme étranger à la famille afin qu’il vienne s’étendre, ne fut-ce qu’un instant, dans cette hutte « nuptiale ».
Notons que dans la plupart des cas on commence par promettre le mari désiré.
3° Plus curieux est le cas suivant. Le muzimu d’une jeune fille, morte quand elle était fiancée, se plaint amèrement de n’avoir pas pu fonder un foyer et de ne pas avoir en conséquence de chez soi. Ce qui nous déroute, c’est l’oracle du devin qui déclare à son client :
«Wa mukobga yapfuye kigabo : Cette jeune fille est morte courageusement, virilement». Atera kigabo : Elle frappe d’une manière virile, comme le ferait un homme. N’icyo gituma uzamwubakira kigabo : « C’est pourquoi tu lui construiras (une case) comme pour un homme »; ce qui signifie ordinairement prendre une femme.
L’individu en question épouse donc une femme en son honneur, mais, notons-le bien, il ne s’agit pas ici d’une épouse mystique. Non, ce n’est pas cela qu’elle réclame ; ce qu’elle veut c’est un chez soi, une hutte où elle sera honorée. Une femme est donc épousée et pour la loger on construit une case qui désormais sera indaro du muzimu de cette jeune fille.
B) Les épouses mystiques des rois et des notables Batutsi défunts.
Comme on l’a déjà dit, lors du décès d’un roi, son corps était transporté dans un bois sacré ou, après l’avoir boucané, on l’enterrait dans une grande case. Le prince régnant y envoyait de temps à autre de petites poteries fines remplies de bière qui lui étaient offertes et de jeunes taureaux qu’on lui sacrifiait. On dit aussi qu’il y faisait frapper le tambour en souvenir de la dignité royale du défunt comme pour l’assurer qu’on le considérait toujours comme roi. Cette hutte cependant finissait par tomber de vétusté et on ne s’en occupait plus.
Des honneurs semblables étaient décernés aux mânes des rois sur les lieux de leurs anciennes demeures pour attirer leur bienveillance sur leur successeur, le monarque vivant. Celui-ci y installait de véritables homes familiaux avec troupeau de bovins, serviteurs et une femme qui tous étaient regardés comme la propriété du prince défunt ; cette femme, maîtresse du home, était censée n’avoir d’autre mari que lui. Parfois des jeunes filles étaient désignées par les devins de la cour pour satisfaire ses passions ; en réalité, elles jouaient le rôle de compagnes ou de servantes de la royale épouse et, après y avoir passé un séjour plus ou moins long, elles étaient rendues à leurs familles. Seule la femme en titre devait rester.
D’autre part, nombreuses étaient les cases qui leur étaient consacrées à la capitale. On les bâtissait à l’intérieur même de l’enceinte royale. Chacune d’elles prenait le nom de son hôte ; on disait par exemple « Je vais chez Rwabugiri ». Ces huttes cependant, bien que dédiées aux bazimu des rois décédés, étaient en même temps affectées aux différents services que suppose le train de vie royale (Il en est souvent de même des édicules que l’on rencontre chez les Bahutu et qui leur servent de petites cases de débarras).
Les femmes qui occupaient ces amararo ou chapelles domestiques, tout en faisant partie du harem du prince régnant, étaient néanmoins considérées comme les épouses des souverains défunts dont elles habitaient les cases.
A l’approche de calamités, réelles ou supposées, le roi faisait frapper le tambour en l’honneur de ses aïeux et on multipliait les offrandes de tous genres.
Il entourait parfois des mêmes égards d’autres membres défunts de sa famille et même des étrangers jadis influents dont il craignait le courroux.
Ce que faisait le roi pour ses ancêtres, tous les notables Batutsi le faisaient également, proportions gardées, pour les leurs. Tous étaient polygames. Chacune de leurs habitations était consacrée à l’un ou l’autre ancêtre et, en son honneur, ils y épousaient une femme qui devait désormais y résider (Ces habitations étaient souvent dispersées un peu partout dans le territoire qu’ils gouvernaient, de telle sorte que, lorsqu’ils quittaient leur résidence principale pour un voyage d’inspection de leur fief, ils trouvaient à chaque étape un toit, des domestiques des deux sexes, des vivres et une épouse).
En outre, profitant des prétendues exigences des bazimu, ils ne se gênaient nullement
pour user et abuser des filles et mêmes des femmes de leurs serviteurs et de leurs administrés, car la plupart d’entre eux étaient de moeurs très dissolues (Il ne faut pas confondre les Batutsi avec les pasteurs hamites, gens très simples, dont la moralité valait celle des Bahutu qui peuvent être classés, à notre avis, parmi les noirs les moins corrompus de l’Afrique, parce que leurs tabous et leurs traditions opposent une certaine barrière au dérèglement des moeurs).
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Les Batutsi moins fortunés ne pouvaient évidemment pas se permettre de tels excès, car pour installer plusieurs épouses comme il convenait, c’est-à-dire leur donner à chacune une habitation distincte, des serviteurs, des servantes et des vaches, il fallait posséder de grands troupeaux de bêtes à cornes, des terres et aussi une certaine autorité, mais tout cela n’empêchait pas certains de satisfaire quand même leurs appétits sensuels ; tel ce vieux Mututsi, sur le point d’être baptisé et qui avouait bonnement que, s’il n’avait jamais eu qu’une seule femme véritable, celles qu’à l’occasion il avait épousées en l’honneur des bazimu (?) dépassaient la centaine !
Le mariage coutumier Munyarwanda est-il essentiellement monogamique comme d’aucuns le prétendent ?
Le mariage nyarwanda est une union essentiellement polygamique et n’est jamais indissoluble. Cela ne veut pas dire que la polygamie soit obligatoire ni qu’on ignore le mariage monogame et qui dure jusqu’à la mort. Cela veut dire qu’aucun Munyarwanda, quand il se marie, ne pense qu’il se lie à une femme de telle sorte qu’il ne pourra plus s’en libérer et que tout autre mariage lui sera désormais impossible jusqu’à la mort de cette femme.
D’autre part, la coutume du lévirat, universellement pratiquée au Rwanda, exige en quelque sorte la polygamie. Rien ne prouve qu’il en fut autrement dans le passé. Les ancêtres, comme nous venons de le voir dans les pages précédentes, non seulement ne s’opposent nullement à la polygamie, mais ils y poussent en réclamant des épouses par la bouche des devins. Or, il est important de noter que ces devins sont considérés par tous les Banyarwanda comme des hommes d’Imana, interprètes de ses volontés comme de celles des bazimu qui sont supposés être les gardiens jaloux et inexorables des coutumes immémoriales.
Aussi personne ne pense, au Rwanda, que la polygamie soit contraire à la tradition et, quand un individu devient polygame, absolument personne ne trouve à redire, s’il a observé les règles coutumières. Il en est tout autrement de l’inconduite de certains Batutsi surtout qui usent et abusent des femmes et des jeunes filles de leurs sujets ; c’est un désordre réprouvé par tous.
On aurait tort de se baser sur le fait que le plus grand nombre des Banyarwanda sont monogames pour conclure que le mariage idéal, à leurs yeux, est le mariage monogamique, car s’ils n’ont qu’une femme c’est que la plupart d’entre eux n’ont pas les possibilités, bétail et champs surtout, qui leur permettraient d’en avoir plusieurs.
Certains auteurs font également état de la polygamie « successive » qui est en fait très fréquente. Ils veulent voir, dans cette fréquence même, le signe d’une répugnance générale à l’égard de la polygamie « simultanée ». Ils devraient voir, au contraire, que les divorces des monogames seraient bien moins fréquents si leurs moyens leur permettaient de prendre une seconde femme sans avoir à quitter la première. L’auteur pense que, si l’on donnait à tous ces monogames les moyens matériels indispensables, très nombreux seraient ceux qui, du jour au lendemain, se feraient polygames.
III. Les Bazimu et les enfants.
Pour les Banyarwanda, avoir au moins un garçon est une affaire capitale, car les garçons non seulement perpétuent la famille et par elle le clan, mais ils restent sur la propriété paternelle ou ils continuent à rendre aux mânes des ancêtres le culte qui leur est dû et grâce auquel le groupe familial est préservé des représailles de ses bazimu. Les filles, au contraire, n’héritent pas (sauf exception rare) et à leur mariage elles quittent famille et bazimu familiaux. C’est ce qui explique :
1° pourquoi les parents païens refusent toujours au moins à un de leurs garçons l’autorisation de se faire chrétien ;
2° pourquoi la fécondité est considérée comme une bénédiction d’Imana et la mère entourée d’égards, tandis que la stérilité au contraire est tenue pour un opprobre et engendre souvent le désaccord dans les ménages et parfois la rupture. Il en est fréquemment de même d’une femme qui n’a donné naissance qu’à des filles.
3° pourquoi les jeunes filles, les fiancées, les jeunes femmes, prennent tant de soins pour éviter tout ce qui pourrait être cause de stérilité ou nuire au cours normal de la gestation et de l’enfantement.
Les petits enfants, créatures faibles et fragiles, sont supposés être une proie facile pour certains bazimu toujours en quête d’assouvir leur colère et d’extorquer des offrandes. Dans l’espoir de protéger ces petits, les parents, particulièrement ceux qui en ont perdu déjà plusieurs, donnent parfois aux nouveaux-nés des noms qui inspirent soit la crainte, soit le dégoût (1). Ce sont les noms « amazina y’urupfu » (noms de mort) ainsi appelés parce qu’ils ont pour but de préserver de la mort.
En voici quelques échantillons :
Semabyi : Le père des ordures ;
Sempyisi : le père de la hyène. Au Rwanda, la hyène est le symbole de la fourberie. On ne la craint pas, mais on la méprise ;
Nyirambwa : Celle au chien. Dire à quelqu’un qu’il est un chien est la pire des insultes ;
Mukamburamatari : La femme du Gouverneur, homme puissant et influent.
Les entendant appeler de la sorte, les bazimu s’en éloignent avec crainte ou mépris, selon les cas.
Il est une légende qui nous apprend pourquoi les bazimu se plaisent à persécuter les petits enfants. Quand meurt un adulte, son muzimu se rend au tribunal de Lyangombe. S’il a été initié au culte du kubandwa, il est admis incontinent dans le paradis de Lyangombe. Le nouveau venu est entouré aussitôt : on veut savoir s’il a laissé sur terre quelque progéniture. Si non, il en sera réduit à devoir exécuter lui-même tous les travaux ménagers et les corvées : puiser l’eau, ramasser le bois de chauffage, .etc. Si oui, il pourra se trouver des suppléants en s’attaquant aux survivants de sa famille surtout aux petits enfants plus facile à atteindre.
Quelques particularités au sujet du muzimu des enfants.
Le muzimu d’un enfant ne s’attaque jamais à ceux qui l’ont engendré et par là il faut entendre non seulement ses propres parents mais aussi ses oncles et ses tantes auxquels on donne également les noms de pères et de mères (Mon père se dit data ; ma mère, mama. Mon oncle, Data wacu ; ma tante, mama wacu, c’est-à-dire notre père, notre mère). Mais il en est autrement de ses frères et de ses soeurs, de ses cousins et cousines, dont il est jaloux parce qu’ils lui ont survécu.
Particulièrement craint est le muzimu d’un enfant mort avant d’avoir reçu un nom parce que, s’il vient frapper parmi les siens, le devin ne pourra pas l’identifier. On l’appelle ikiburazina: ce qui est dépourvu d’un nom. Parfois cependant, on l’appelera ironiquement ikigirazina: ce qui a un nom. Habituellement c’est huit jours après la naissance que le père donne un nom à son nouveau-né.
Lorsqu’une mère mourante se trouvait dans un état de grossesse avancée, on n’attendait pas, jadis, qu’elle fût morte pour extraire l’enfant et lui donner un nom.
La connaissance du sexe de l’enfant avait aussi son importance car, selon qu’il avait été garçon ou fille, il appartenait au père ou à la mère de faire à son muzimu des offrandes «appropriées ».
Pour beaucoup de Banyarwanda, un enfant né avant terme, s’il n’a pas achevé huit mois dans le sein maternel, n’est pas un être humain et, par conséquent, pas question de muzimu. C’est pourquoi, écrit le P. DUFAYS à peine morte et sans se préoccuper de ce qui pouvait advenir de son fruit, la mère était transportée et abandonnée dans un lieu écarté ou l’on se contentait de couvrir son cadavre de quelques branches car elle n’avait
pas droit à la sépulture (Au Rwanda, on n’enterre habituellement les morts que dans le Rukiga, région montagneuse de l’ouest et du nord. Dans les régions hamitisées de longue date, on les déposait souvent dans des endroits écartés et des marais ou ils étaient la proie des bêtes sauvages et des vautours). Mais l’abbé KAGAME ne semble pas être de cet avis puisqu’il écrit : « Avant d’enterrer une femme enceinte, on pratiquait toujours l’opération césarienne pour retirer le foetus afin d’en connaître le sexe». En vérité ces pratiques peuvent varier selon les régions.
Le lait maternel est le premier et seul aliment des bébés. S’il est insuffisant, on a recours au devin pour en savoir la cause. Fréquemment il impute le fait à quelque muzimu «Ni kanaka wagukaranze: C’est un tel qui t’a grillée (sous-entendu les seins) ; fais-lui telle offrande, il s’en montrera satisfait et tout ira mieux » (Les mamans, pour avoir un lait maternel abondant, portent également une amulette qui a nom d’igihuba et qui est composée d’une perle bleue encadrée de deux brindilles d’umukuzanyana (arbuste).
Les Banyarwanda s’imaginent que le muzimu d’un enfant grandit et qu’il faut tenir compte par conséquent, quand on lui présente une offrande, de l’âge qu’il est censé avoir atteint. Tout petit, on lui offre du lait ; plus grand, on y ajoute quelques aliments solides et, lorsqu’il est devenu adulte, on lui cherche une épouse. Ils grandissent d’ailleurs très vite!