Le nom qu’on donne à ces magiciens exorcistes et les méthodes qu’ils emploient peuvent varier selon les régions : ce sont les Abacumbi et les Abashyitsi.
1° Les Abacumbi se recrutent, dit-on, dans le clan des Abasinga (totem, l’épervier-isakabaka: Milvus migrans parasitus); ils exerçaient à la cour, outre le métier de devins, celui de chasser les bazimu malfaisants ; à cet effet, ils se servaient d’un faisceau composé de branches et de plantes magiques, dont voici les noms :
Umucuro, du verbe gucura : arracher, éloigner, écarter.., les esprits
Uruheza » » guheza : faire disparaître …….
Umubuza » » kubuza : interdire, empêcher les esprits de nuire.
Urubingo : un roseau.
Igitovu: une variété de chardon.
Umuzibaziba : variété de ficus à grandes feuilles.
Umwisheke : chénopodiacée.
Igicumucumu : plante.
/kibonobono: le ricin.
Le tout lié ensemble au moyen d’un chiendent (umucaca) et d’une autre herbe appelée inshushu ou incucu. A ce faisceau magique on donne le nom de urutsiro, ce qui signifie une défense, un rempart, un barrage. Il a la propriété d’attirer les bazimu malfaisants et de les tenir emprisonnés. Comme ils peuvent cependant s’échapper, le sorcier s’empresse de l’enfouir dans un trou ou un lieu écarté.
Armé de ce balai magique, le magicien fouillait les cases et les cours de la résidence royale.
Lors de ses déplacements, Musinga, père du roi actuel, se faisait précéder par quelques-uns de ces dépisteurs de bazimu qui avaient pour mission de les écarter de son chemin ; quand ils en rencontraient qui s’obstinaient, ils priaient sa Majesté de quitter le sentier et la faisaient passer au besoin parmi les ronces et les épines (Le jour de son mariage, tandis qu’on la conduit chez son mari, on entoure la fiancée de toutes sortes de précautions contre les bazimu qu’elle pourrait rencontrer en chemin. C’est ainsi qu’on lui couvre la tête avec une natte ou une peau afin qu’ils ne puissent la reconnaître et qu’on lui interdit de regarder en arrière).

2° Les Abashyitsi (du verbe gushyika qui, entre d’autres sens, aurait celui de faire comparaître) ont la spécialité d’expulser du corps des malades (Les sorciers de cette catégorie sont, dit-on, peu nombreux parce qu’ils se font payer très cher et surtout parce qu’ils font, en quelque sorte, de leurs clients leurs esclaves, disposant en maîtres de leur habitation, de leurs récoltes, de leur bétail…), ou du coin de la hutte où il se tient caché, le muzimu qui persécute un individu, sa famille et même son bétail (Les bazimu, croit-on, peuvent entrer en possession des vivants et leur infliger des maladies mentales et nerveuses : langueur, hypocondrie, démence..).
Les Abashyitsi s’habillent souvent à la façon des Barozi, artisans de la magie noire (Abarozi du verbe kuroga qui signifie envoûter, ensorceler, empoisonner) ; ils portent sur la tête, ou jetée sur une épaule, une peau de lièvre, de chacal, de serval et parfois même de chien ! On en voit qui se ceignent le front d’une lanière ornée de perles et de cauris ; ils usent fréquemment des mêmes instruments, à savoir, une corne magique et, en guise de hochet, un ikinyuguri ou un urunyege auquel ils attachent parfois quelques grelots.

Leurs procédés peuvent varier. En voici un : Seburikoko souffre de violents maux d’entrailles. Il envoie chez le devin son fils porteur d’un peu de salive allongée d’eau. Le devin consulte aussitôt les sorts. « Ton père, dit-il, est possédé par un muzimu malfaisant ; il doit sans tarder recourir aux bons soins de Sebigori (exorciste de renom) ». Mandé sur le champ, Sebigori arrive en toute hâte tenant dans une main un faisceau de plantes magiques : quelques branches d’umucuro et quelques tiges d’ishinge (herbes fines des prairies), et de l’autre agitant son ikinyuguri. Il se met aussitôt à l’ouvrage. Avec son faisceau il fait des tours de passe-passe sur le corps de l’infortuné en conjurant le muzimu d’en sortir. Le muzimu finit par se réfugier dans le balai magique que, prestement, le sorcier enfonce dans un trou pratiqué dans le sol. Parfois il l’enferme dans une corne, qu’il court cacher dans le creux d’un rocher dont il a soin de bien boucher l’ouverture.
Certains sorciers manoeuvrent d’abord une corne magique, comme le font les Abanyaryango, dépisteurs de voleurs et de biens volés. Cette corne serait habitée par un Imandwa, esprit supérieur, qui leur ferait découvrir l’endroit où se tient caché le muzimu malfaisant.
Et voici un autre procédé décrit par le P. ARNOUX.
Le Mushyitsi s’assied sur un tabouret au fond de la hutte. Une cloison le sépare des gens présents dans la case. Il commence par boire un peu de la bière qu’on lui a offerte, puis, il se met à chantonner une mélodie sans parole d’une monotonie fatigante. Ce chanta pour but de charmer l’Imandwa (esprit supérieur) dont la mission est d’amener le muzimu responsable des malheurs qui ont frappé son client. Cet Imandwa est l’un des trois esprits affectés spécialement au service des Abashyitsi : Gacamutwe, Rubambo et Ruboha (Chacun de ces termes à un sens : Gacamutwe = briser la tête ; Rubambo = Celui qui cloue, fixe ; Ruboha Celui qui lie, ligote.., les bazimus en question).
Au bout de quelques minutes, on entend sa voix flûtée : « Eh bien, me voici ; que veux-tu» ?
Le sorcier : « L’as-tu amené, le muzimu qui poursuit mon client » ?
L’Imandwa: « Oui, le voici ».
Le sorcier : « Donne-lui des coups, qu’il dise son nom ». Ce disant, il agite furieusement son hochet, et fait des mouvements désordonnés, comme quelqu’un qui se bat avec un agresseur. Enfin il s’écrie triomphant : « Je le tiens, il est captif sous mon kinyuguri » …. «Qui es-tu ? »… « Je suis un tel ». « Que désires-tu ? » « Une hutte » (C’est-à-dire une épouse). « C’est bien, tu l’auras ».
Mais, pour plus de sûreté, le sorcier s’adresse de nouveau à l’Imandwa : «Il y a, je crois, un autre muzimu qui en veut à mon client ; amène-le moi aussi ». Et il recommence le même jeu jusqu’à ce que l’Imandwa l’ait assurer que tous ont comparu (Il est à remarquer que le sorcier fait entendre trois voix bien distinctes : celle de l’Imandwa, la sienne et celle d’un muzimu. Ce qui suppose une certaine habileté professionnelle).

Il enferme alors dans sa touffe de plantes magiques (urutsiro) le ou les bazimu maintenus jusque-là à terre sous son hochet (ou un autre de ses instruments). Après quoi, il se met à rechercher dans tous les coins et recoins du rugo (huttes et cours), au moyen de son urutsiro et en agitant fiévreusement son kinyuguri, tous les bazimu récalcitrants qui pourraient encore s’y blottir. Enfin, c’est à toutes jambes qu’il s’en va jeter au loin son balai magique chargé des bazimu « solidement emprisonnés » !
Parmi les clients des mêmes Bashyitsi, il y a les femmes dont la stérilité est attribuée à quelque muzimu. On raconte que le sorcier fait asseoir ces malheureuses sur un tesson de cruche garni de braises et de tiges séchées de papyrus. Il enferme dans ce tesson les bazimu qu’il a capturés, et ordonne à sa cliente d’aller déposer le précieux récipient à la croisée de deux sentiers et de le piétiner en disant : « Restez-ici, je cours vous chercher un peu de nourriture » … puis de déguerpir en toute hâte pour ne plus revenir.
Remarques. On ne s’empare pas ainsi de tous les bazimu indistinctement. Les bazimu familiaux en effet ne devant pas sortir de l’enceinte de l’habitation, il serait illogique d’essayer de les capturer pour aller les enfouir au loin. On doit donc tâcher de les apaiser par des offrandes.

Du muzimu d’un assassiné.
On comprend aisément, qu’arraché brutalement à la vie, le muzimu d’un assassiné vienne importuner et son meurtrier et les membres de sa propre famille afin qu’ils le vengent (vendetta). Pour prévenir ses coups ou s’en protéger, les uns et les autres s’adressent à des sorciers spécialisés.
1° Les proches parents de la victime font appel au Muhannyi w’amacumu: Celui qui châtie (guhana) les lances (amacumu). Pour punir l’arme du crime, il commence par démancher le fer de la hampe (uruti) dont il détache quelques raclures qu’il dépose dans une petite calebasse. Dans le langage courant, cette calebasse s’appelle idegede, mais dans le vocabulaire de la sorcellerie akabatongera (aka: cette petite calebasse -ba: les (assassins) -tongera: menace. Il la remplit de bière et invite tous les parents présents à en boire une gorgée. Il confie alors la lance à un étranger pour qu’il la cache dans un endroit écarté, un fourré, une grotte, où elle reste abandonnée.
A défaut de la lance meurtrière le sorcier en utilise une autre (Il va sans dire que si l’instrument du crime n’est pas une lance mais un coutelas, un pieu, une hache, etc., c’est de lui que se servira le sorcier).
Parfois il introduit la raclure dans une patate douce qu’il donne à manger à une chèvre ; cette bête est vendue à des étrangers qui, à leur insu, sont ainsi chargés des malédictions qui y sont attachées. Quant au prix perçu, houes ou vivres, il ne peut être gardé.
Pour calmer le muzimu de la victime, un jeune homme de la parenté est désigné pendant la cérémonie des funérailles pour le venger. A cet effet, il doit se munir d’une lance neuve ; le sorcier la lui prend des mains pour couper en deux une plante magique appelée irago (ou murago) qui pousse dans les marais. « J’ai coupé, dit-il, le tribut des meurtriers, qu’ils meurent tous ». Puis, s’adressant au défunt, il ajoute : « Voilà la lance qui te vengera ; donne-lui l’occasion d’exercer la vendetta ».

Selon la coutume propre à chaque clan, le cadavre est alors exposé sur le sommet d’une colline déserte, enfoui au loin dans la brousse ou enterré dans la cour de son habitation. On plante à cet endroit une plante d’irago. Environ un an après, le sorcier vient la couper et on immole une chèvre dont il prend le sang pour en asperger la tombe, en disant: «Que ce sang fasse périr toute la famille du meurtrier ».
2° Quant à l’assassin, il fait appel de son côté à des magiciens pour détourner de lui et des siens la vengeance de sa victime. Les uns recourent au Mushumburuzi (gushumburura : faire sortir, partir (Les Abashumburuzi auraient également le pouvoir de conjurer les insectes et les oiseaux destructeurs des récoltes, comme aussi de détourner les malheurs dus à la violation d’un interdit et de préserver de la foudre). Le sorcier fend un roseau sur toute sa longueur sans toutefois séparer les extrémités qu’il enfonce dans le sol. Il prie alors le coupable et les gens de sa famille de passer sur ce pont improvisé. Puis, reprenant le roseau et le jetant au loin, il dit : « J’ai chassé le muzimu qui te poursuivait ». Après quoi, il asperge tous les assistants avec un liquide magique (un mélange de sève de certaines plantes). Tournant ensuite le dos au meurtrier, il lui glisse dans la main une amulette qu’il devra porter au cou, et lui dit : « De même que nous ne pouvons pas nous voir, puisse le muzimu de ta victime ne jamais te rencontrer, ni t’apercevoir ». Enfin, l’ayant fait coucher de tout son long, il promène sur lui sa touffe magique (urutsiro) en disant : « J’ai fait partir le muzimu de celui qui t’en voulait ».
Il paraît qu’à la suite d’une exécution capitale, les juges en faisaient autant.

D’autres meurtriers ont recours au Mwabuzi (Kwabura : dépecer un cadavre). Ce sorcier prélève sur les restes déterrés de l’assassiné des fragments de chair provenant du coeur, de la langue, du petit doigt et de la peau. Avec ces débris putréfiés, et préalablement désséchés à la flamme, il fabrique une poudre qu’il introduit dans une petite corne que le meurtrier doit porter au cou. Il y ajoute parfois, dit-on, une tige de l’irago planté sur la tombe lors de l’enterrement.