Les Chapelles (Indaro) Domestiques
Chaque famille Nyarwanda possède un certain nombre de chapelles-domestiques dédiées aux mânes de la parenté qu’elle honore plus spécialement. A ces chapelles domestiques on donne le nom de indaro, plur. amararo (du verbe kurara : passer la nuit, d’où le terme indaro qui dans le langage courant signifie un logement pour passer la nuit).
D’après la croyance populaire, c’est à l’ombre de ces amararo que les bazimu se tiendraient plus volontiers.
Ces chapelles domestiques sont, selon les cas, la case d’habitation elle-même ou de petits édicules ayant plus ou moins l’aspect de huttes miniatures. Comme déjà nous l’avons dit, l’indaro du muzimu en l’honneur duquel une femme a été épousée est la hutte elle-même qu’elle habite et c’est dans celle-ci, à côté du foyer , qu’on lui adresse des requêtes et qu’on lui offre des présents.
Quant aux amararo des autres bazimu familiaux, ils sont construits généralement dans l’enclos (igikari) qui se trouve derrière la hutte d’habitation. Mais, répétons-le, n’y possèdent un édicule que quelques-uns d’entre eux, comme le grand-père et la grand-mère, le père et la mère, un frère, une soeur, un oncle ou une tante paternelle.
Au sujet de ces amararo il faut faire quelques remarques :
1° Ainsi, on ne construit qu’un seul et même édicule pour les bazimu des parents, père et mère et seulement après qu’ils sont décédés tous les deux ; aussi longtemps que l’un est en vie, on fait les offrandes au disparu dans la case du survivant.
2° L’indaro d’un mugwagasi, c. à d. d’un membre de la famille qui est mort au loin, par exemple lors d’un voyage, et qui par conséquent n’a pu recevoir de la part des siens les derniers devoirs, se construit en dehors du rugo (habitation), habituellement à une certaine distance derrière l’enceinte du gikari.
3° Il arrive que l’on transfère provisoirement l’édicule d’un muzimu qui réclame une épouse à l’entrée (irembo ) de la cour qui se trouve devant toute hutte indigène. A ce nouvel indaro on donne parfois des dimensions assez grandes afin de pouvoir y coucher la jeune fille ou la femme réclamée.
A ces quelques remarques, on peut en ajouter d’autres concernant la hutte qu’habite la famille.
Dans certaines régions on croit que le muzimu d’une jeune fille se réfugie de préférence dans l’alcôve qui porte le nom de mumbere et qui se trouve au fond de la hutte où elle sert de chambre de débarras (on y remise les cruches, les paniers, les houes, etc), et parfois aussi de chambre à coucher des filles. Le muzimu d’un bébé se tiendrait plutôt sur le lit de sa mère (Au Rwa rida, les bébés dorment toujours avec leur mère). Cependant, comme le muzimu d’un enfant est censé grandir, on finira par lui construire, si besoin est, un édicule parmi ceux des autres mânes.
Quant aux bazimu qui appartiennent à la famille de l’épouse, comme ils ne font pas partie des mânes qu’honore la famille de son mari, leurs chapelles domestiques se trouvent non pas chez lui mais chez elle, c. à d. chez ses parents. Il peut arriver cependant que l’un ou l’autre d’entre eux viennent chercher refuge chez lui dans le vestibule de la hutte (mu irebe ry’umuryango, ou s’y cacher pour mieux frapper.
Nous avons dit plus haut que ces chapelles domestiques ont l’aspect de huttes miniatures ; c’est beaucoup dire, car bien souvent elles ne consistent qu’en quelques branches fixées dans le sol et reliées par le haut sur lesquelles on a parfois jeté une poignée d’herbes (L’herbe employé pour couvrir les amararo est habituellement celle dont on se sert pour couvrir les huttes d’habitation. Au centre, au sud et à l’est du Rwanda, la fine herbe des prairies (ishinge). Dans les régions du nord, et du nord-ouest, la grosse herbe des marais (urukangaga). Au Ndorwa, parfois des tiges de papyrus (urufunzo). Il n’est pas rare non plus qu’on les trouve dans un état de complet délabrement ; cependant, dans la région montagneuse de Byumba et du Ndorwa, elles sont habituellement assez bien entretenues, tout particulièrement celles dédiées aux parents.
Pour ce qui en est de leurs dimensions, elles varient un peu selon l’importance de leur titulaire ; ainsi, celle des parents sera généralement plus grande que celle d’un frère ou d’une soeur. Les plus grands atteignent au plus 2 m de hauteur, les plus petites ne dépassent pas les 50 cm.
Quand un individu est poursuivi par un muzimu étranger à sa famille et qui par conséquent ne possède pas d’édicule dans sa demeure, il lui présente l’offrande prescrite par le devin devant un indaro improvisé qui n’est parfois qu’une ou deux branches d’umucyuro (arbuste) enfoncées dans la terre. Il arrive que l’on fasse de même lorsque le mupfumu n’est pas parvenu à identifier le muzimu qui a frappé son client. Ces branches sont censées opérer ce que leur nom d’umucyuro signifie ; ce nom est tiré du verbe gucyura qui veut dire : arracher, attirer, ramener. Ce même terme est couramment employé pour signifier qu’un mari a fait rentrer au foyer la femme qui l’avait déserté ; le cas est très fréquent au Rwanda ou la femme ne se considère nullement comme une esclave qui, bon gré mal gré, doit se soumettre à tous les caprices de son mari.
Quant au nombre d’édicules que possède chaque famille, il varie assez bien ; cependant, en règle générale, on n’en trouve guère plus de 5 ou ti par habitation dédiés aux principaux mânes qu’il convient d’entourer d’un culte plus assidu. Toutefois, même parmi ces édicules, il en est qui, délaissés, finissent par disparaître sans laisser aucune trace et on ne songera à les reconstruire qu’en cas de besoin. Fait tout à fait exceptionnel, il m’est arrivé une fois d’en dénombrer chez un individu une bonne vingtaine, mais la plupart, d’une facture très rudimentaire, étaient sans doute provisoires. Accablé de malheurs, le devin lui avait peut-être conseillé d’élever une chapelle à chacun des défunts de sa famille qui s’étaient entendus pour venir le tourmenter ensemble.
Habituellement les chapelles domestiques ne sont entourées d’aucune marque de respect. On voit les enfants s’amuser et jouer devant elles sans leur prêter la moindre attention et les parents ne les en reprennent pas. A-t-on besoin d’une touffe de paille pour transporter une braise et allumer un feu, on l’arrachera indifféremment à la hutte d’habitation ou à l’un des édicules. Si l’un de ceux-ci est assez grand, on s’en servira parfois comme d’une case de débarras et on verra par exemple une jeune fille y déposer la natte qu’elle est en train de confectionner.
Tout près de la Mission de Buhambe (Byumba), l’auteur avait un grand ami, un vieillard tout perclus, qui un jour lui fit les honneurs de ses amararo. Il en comptait 4, tous en bon état. Le plus grand était dédié à ses grands-parents ; un autre de moindre dimension au muzimu de sa première femme ; un troisième encore plus petit à celui d’une soeur morte jeune fille ; enfin, le quatrième, en tout semblable au précédent, à celui d’une tante paternelle. Sa hutte elle-même était dédiée au muzimu de son frère aîné en l’honneur duquel il avait épousé sa seconde femme encore en vie ; la première il l’avait mariée pour honorer son grand-père.
Le bon vieux, particulièrement dévôt, avait déposé dans l’indaro de ses grands-parents un bouclier vermoulu et un siège qui n’était qu’un bloc de bois informe ; dans celui de sa première épouse, un morceau de natte sur laquelle il avait placé une toute petite cruche d’où sortait un chalumeau et dans un coin quelques branchettes, bois de chauffage ! Dans celui de la jeune fille, sa soeur, on voyait des débris de bracelets, ainsi qu’une touffe d’herbes de marais, herbes que les jeunes filles emploient pour tresser leurs nattes. Enfin, dans celui de sa tante paternelle, un pot à lait ébréché et un tesson de cruche. Le brave homme montrait tout cela à l’auteur en lui parlant avec émotion de chacun d’eux.
S’il ne possédait pas de chapelle dédiée à ses propres parents, c’est sans doute qu’il leur présentait ses hommages et ses offrandes dans celle consacrée à ses grands-parents, car un Mukiga (montagnard) n’y regarde pas de si près. Et puis, comme déjà dit, tous les bazimu familiaux n’ont pas un édicule dans l’habitation.
Quelques exemples.
Le fils d’un forgeron transporte son enclume, une grosse pierre, devant l’édicule de son père et se met à forger d’une façon sérieuse ou fictive. Parfois il se contente de frapper l’un contre l’autre ses marteaux ; ce son ne pourra être qu’agréable aux oreilles du défunt.
Le fils d’un musicien, joueur de harpe (inanga, s’assied devant l’indaro de son père et lui fait entendre une petite mélodie à laquelle son père prendrait un plaisir extrême.
Le fils d’un chasseur s’y présente armé de sa lance, de son arc et accompagné de son chien: « Père, dit-il, tu aimais le gibier ; dans un instant je pars à la chasse ; fais qu’elle soit fructueuse ; je t’offrirai ma venaison ». A son retour il déposera le cadavre de l’antilope abattu devant l’entrée de l’édicule ; lui enlève la peau et fait griller quelques petits lambeaux de chair qu’il abandonne dans l’indaro. Le soir venu, entouré de sa famille, il mange une partie de la bête (communion rituelle), réservant le reste pour les jours suivants.
Le fils du voleur de profession ne fera pas autrement. Le soir venu, assis devant l’édicule de son père, il lui montre sa lance en lui demandant aide et protection ; il lui promet ensuite de lui offrir le fruit de son larcin. Le lendemain, il égorge la chèvre volée : « Père, réjouis-toi ; voici la chèvre que je suis allé voler pour te faire plaisir : éloigne de moi tous ceux qui tenteraient de me poursuivre… ».