Des uns, on ne sait qui ils sont, ni d’où ils viennent, et l’imagination populaire les revêt de formes variées ; ce sont de belles dames, des nains difformes et espiègles, des animaux monstrueux, etc. On parle de génies, d’elfes, de péris et de dives, de fées et de nymphes, de lutins, de farfadets et de gnomes, d’esprits-follets (feux-follets, feux-fées), d’ogres et de loups-garous. Il en est d’autres que l’on croit tout bonnement des revenants d’outre-tombe : ce sont les fantômes, les spectres. Aux uns et aux autres on attribue toutes sortes de manifestations : apparitions étranges, bruits insolites, etc.
A leur sujet on peut faire quelques remarques qui ne manquent pas d’intérêt pour la question que nous traitons dans ce paragraphe.
On ne parvient pas à établir toujours une distinction très nette entre ces êtres ; ce qui n’a rien de surprenant puisqu’en règle générale ils ne se montrent pas volontiers aux humains et ne s’en laissent pas approcher. En outre, c’est surtout la nuit qu’ils ont coutume de se manifester.
D’autre part, qu’ils soient tenus pour bienveillants ou non, on estime plus prudent de s’en défier, on les craint ; et, s’il est vrai que l’on prend certaines précautions à leur égard, on ne les entoure cependant pas, du moins habituellement, d’un culte.
Ces remarques valent pour les Banyarwanda ; notons cependant qu’en majorité et dans la plupart des cas, ils sont enclins à penser que ces manifestations extraordinaires sont le fait de revenants, c’est-à-dire de bazimu.
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Impaca-ibihindure-Ibihindi
(impaca. Ce terme serait un mot très ancien dont on ne sait plus le sens ; il pourrait cependant provenir du verbe guca et de l’adverbe de lieu ha et signifie ceux qui passent par là.
Ibihindure, du verbe guhindura =- changer, défigurer, travestir, se contredire, revenir d’un voyage.
Ibihindi peut-être du verbe gihinda – retentir, gronder, résonner, menacer. On dit que l’orage gronde (inkuba irahinda), que la pluie résonne, menace (imvura irahinda).
Les Impaca et les Ibihindure qui semblent être de même nature et auxquels sont attribués des actions identiques, sont connus un peu partout au Rwanda, mais il est bien difficile de dire ce qu’ils sont en réalité. Les uns affirment qu’il s’agit de bazimu, les autres qu’ils ne le sont pas. D’ailleurs, comment pourraient-ils le savoir car, s’il est vrai que leurs manifestations dénotent leur existence, personne ne les a jamais vus puisqu’ils ne se sont jamais laissés surprendre.
C’est la nuit qu’ils agissent et la mauvaise odeur qu’ils dégagent est l’indice de leur présence ou de leur passage. En fait, ils ne seraient que les feux-follets, ces phosphures d’hydrogènes qui se dégagent des herbes et des fougères en putréfaction dans les marais et sur les monts ; ils s’enflamment d’eux-mêmes, vagues lueurs perçant l’obscurité que les gens prennent pour des esprits, nos feux-fées.
Les Banyarwanda leur attribuent les cris, les pleurs, les rires qui dans la campagne troublent parfois le silence des nuits ; cris d’hommes ou d’animaux amplifiés et transformés par l’écho ou apportés par le vent.

D’aucuns assurent avoir entendu ces esprits danser et chanter. Mais tous les Banyarwanda ne sont cependant pas aussi crédules et, quand des ivrognes ont crié ou chanté toute la nuit, ce qui est assez fréquent dans certaines régions couvertes de luxuriantes bananeraies, ils se contentent de dire que ces ivrognes sont de vrais impaca ; de même, quand quelqu’un a rêvé à haute voix, ils diront qu’il a passé la nuit en leur compagnie.
Malheur, dit-on, au voyageur attardé qui se trouverait sur leur chemin, car il serait étranglé. Explication facile de certains crimes dont les auteurs ne seront jamais inquiétés.
Entre autres méfaits, on leur prête celui de voler les récoltes et de détruire les cases et leurs enceintes. Viennent-ils à passer trop près d’une hutte, elle s’écroule et écrase tous ses occupants. Il suffit même que les légères tiges d’éleusine fraîchement coupées et mises en tas la veille aient été quelque peu dispersées durant la nuit par la brise ou le passage d’un animal pour qu’on en accuse aussitôt les impaca.

Au Bugoyi cependant, le clan des Ababanda jouirait de leur protection. Selon le P. PAGÈS C’est ce clan qui fournit les Mpaca dont le volcan Nyamuragira serait la demeure. Quand meurt un Muhanda, on recouvre sa tombe d’un petit toit de paille (uruhiza), comme on le fait pour les greniers à vivres. Le défunt désincarné se relève presque aussitôt revêtu et orné des habits et des parures qu’on lui a laissés pour rejoindre la foule des Mpaca. Tous ces objets il les rapportent ensuite à sa famille, suivi de quelques-uns de ses nouveaux compagnons. Ses enfants et proches parents placent une cruche de bière dans l’édicule qu’ils ont construit en son honneur (indaro). C’est à la faveur des ténèbres qu’il vient boire cette bière avec ses amis d’outre-tombe et la nuit se passe dans la joie, à crier, à chanter et à danser, tandis que tous les habitants des environs se taisent prudemment pour ne pas les importuner.
Un membre du clan vient-il à mourir, on entend les Mpaca gémir et pleurer montrant par- là la part qu’ils prennent au deuil de la famille. On croit volontiers qu’ils se nourrissent tout particulièrement des troncs de bananiers que l’on a abattus après en avoir coupé le régime. Quand un Muhanda désire cultiver un champ, il prépare plusieurs cruches de bière qu’il dépose le soir avec quelques houes sur le terrain choisi à cet effet. Il fait de même pour le sarclage. Les impaca viendront retourner et nettoyer le champ et le travail achevé ils organiseront des rondes joyeuses autour des cruches en chantant : « Frappez les mains en cadence ; que les enfants se livrent à la danse… » (Curira ; abana babyine…).

C’est ce qui explique la crainte superstitieuse qu’inspiraient jadis les membres du clan des Ababanda qui en étaient réduits à devoir pratiquer l’endogamie parce que leurs enfants ne trouvaient pas à se marier en dehors de leur clan. Mais, depuis qu’ils sont parvenus à nouer des relations matrimoniales avec les Bagesera, on n’entend plus parler de toutes ces choses étranges. Les Bagesera ont en effet la réputation d’avoir une grande influence sur les esprits quels qu’ils soient.
Pour nombre de Banyarwanda, les Impaca seraient les bazimu de ceux qui ne s’étant pas fait initier de leur vivant au culte de Lyangombe sont relégués pour cette raison sur le volcan Nyiragongo toujours en activité. Dans la province du Mulera et celle du Bugoyi, on leur donnerait parfois le nom de Ibihindi, nom qui serait d’origine étrangère, c’est-à-dire des régions voisines dont sont issus beaucoup d’habitants de ces deux contrées.

Mais le P. DUFAYS est d’avis que les Impaca n’ont absolument rien de commun avec les bazimu. Selon lui, ce sont des espèces de génies, particuliers à un certain clan, celui des Abanyakazu, dont ils accompagnent les membres partout où ils se rendent pour les aider, les protéger et les secourir au moment d’un danger. On raconte dans ce clan, dit-il, que telle jeune fille mariée récemment a vu ses champs cultivés de nuit, ses provisions et récoltes accumulées toutes seules dans les greniers, sa bière préparée à l’insu de tout le monde. C’est pourquoi les vieilles filles seraient chose inconnue parmi les Banyakazu ! Et il ajoute encore ce fait non moins étonnant qui lui fut rapporté en août 1904 par un Munyakazu, qui fut fait prisonnier des Abagesera, lors d’une des escarmouches fréquentes en ce temps-là entre les clans. Solidement ligoté, il avait été enfermé sous bonne garde dans une hutte. Soudain, dans la nuit, des bruits insolites retentirent ; les bananiers étaient secoués par un vent impétueux ; un cliquetis d’armes qui se croisent se faisait entendre ; des voix mystérieuses et menaçantes criaient : « Lâchez-le ou malheur à vous ». Les sentinelles prises de panique s’éclipsèrent. Le prisonnier, se sentant libéré de ses liens, se leva, sortit, et s’en retourna tranquillement chez lui. Cet aventure fit grand bruit, parait-il, à l’époque.
On pourrait évidemment multiplier les histoires de ce genre car les Banyarwanda, très superstitieux, ont également une imagination excessivement féconde.

Abalinga-Ibihume.

Abalinga (sens inconnu). La nuit, on entend un bruit insolite : les herbes s’agitent comme si elles étaient balayées par un vent violent ; les grandes feuilles des bananiers se heurtent comme si elles étaient secouées par une bourrasque et on croit entendre des voix ; un buisson prend l’aspect d’un être humain qui se déplace. On croit percevoir l’ombre de quelqu’un, entendre un pas qui s’approche, un frôlement contre la hutte et pourtant on ne voit personne. C’est un mulinga qui passe !
Ibihume (du verbe guhuma : crier, hurler, comme une hyène la nuit. On attribue aussi aux Ibihume les bruits nocturnes. Ils hanteraient les grottes, les gorges solitaires et boisées, un arbre isolé. On les craint comme les abalinga car ils seraient méchants. C’est pourquoi d’ailleurs on donne parfois cette épithète à certains bazimu plus acariâtres et nocifs.
Ces Abalinga et Ibihume sont regardés par certains Banyarwanda comme des bazimu qu’aucune famille n’honore. Comme personne ne s’intéresse à eux et qu’ils ne savent où aller, ils se réfugient où ils peuvent.
Au cours de ses tournées apostoliques, il fut indiqué plus d’une fois à l’auteur des endroits qui avaient la réputation d’être hantés par des esprits dont on ne savait pas toujours me dire la nature ; cependant le plus souvent on était d’avis qu’il s’agissait de bazimu délaissés : fils maudits par leur père ( Le fils maudit (guca = couper, retrancher) par son père n’a plus à mettre les pieds, ni chez son père, ni chez quelqu’un de sa famille ; quiconque l’héberge se déclare l’ennemi de son père et de toute la parenté. Il en était donc réduit souvent à devoir quitter la région.
Mais plus redoutée encore était la situation de son muzimu qui n’avait plus aucun droit au culte dont les familles honorent ses défunts. De ce fait, il ne recevra aucune consolation dans l’au-delà et sera donc condamné à y vivre des jours très amers),
malheureux morts sans laisser de descendance, étrangers tombés sur le bord d’un sentier et qui vivent entre eux dans une gorge profonde, un coin de montagnes envahi par une végétation sauvage servant de repaire aux léopards, aux hyènes, aux chacals, ou bien un mamelon qui s’élève au fond d’une vallée et que couronne un gros arbre, refuge de ces génies ou de ces revenants. On craint de s’en approcher, surtout le soir, et personne ne se risquerait à y bâtir une demeure.
Il n’est pas rare qu’on leur impute certains méfaits nocturnes : vols des récoltes, dévastations des champs, déprédations de tous genres. Cependant à sa connaissance, on ne leur offre jamais rien et jamais non plus on ne leur fait des sacrifices.
Il arrive également que l’un ou l’autre d’entre eux ou plusieurs ensembles viennent folâtrer dans une case des environs pour « s’amuser un peu » aux dépens de ses habitants, mais parfois aussi pour les frapper de maux divers. C’est le mupfumu qui les dépistera et il suffira alors de recourir à un magicien exorciste pour les chasser ou s’en emparer de la manière que nous avons dite au chapitre précédent.

Kavumbura amashyiga.

Afin que les enfants ne se brûlent pas ou ne mettent le feu à la hutte en jouant avec le feu du foyer, les parents leur font peur en leur parlant du Kavumbura amashyiga qui serait un génie, un esprit, qui sortirait aussitôt des pierres du foyer (amashyiga y’iziko) pour les châtier d’une manière ou d’une autre (Kavumbura, des verbes : kuvumbura qui signifie lever le gibier – ici l’esprit en question – et kwivumbura : se lever brusquement et déguerpir sans mot dire) (Le foyer indigène qui se trouve placé au centre de la hutte est composé de trois grosses pierres sur lesquelles la ménagère dépose sa marmite, une cruche).

Au Rwanda, il y a un fait qui se produit de temps à autre : des pierres, des mottes de terre, etc, sont lancées d’un bosquet sur ceux qui s’en approchent ou de l’intérieur d’une hutte sur ceux qui y sont assis et on ne sait par qui, ni comment. La croyance populaire attribue ce phénomène étrange à un être invisible, un esprit.
Dans le n° d’octobre 1949 de Grands Lacs, le Père TASSE raconte un de ces faits tel qu’il s’est passé aux environs de sa Mission et dont les auteurs furent pris en flagrant délit.
L’auteur croit cependant que les choses ne se passent pas toujours aussi simplement. En effet, dans la province du Buhoma, qui faisait partie du territoire de la Mission de Rambura où il se trouvait, des pierres étaient projetées d’une case. Cette case fut entourée et fouillée de fond en comble par le chef de province en personne accompagné de quelques suivants et ils n’y trouvèrent pas âme qui vive !

Dans le chapitre précédent nous avons vu que certains magiciens exorcistes font appel à des esprits supérieurs qu’ils appellent Imandwa et qu’il en est même qui possèdent une corne habitée par l’un de ces Imandwa qui leur permet de découvrir la cachette d’un muzimu malfaisant.

Au Ndorwa, d’autres sorciers font également usage d’une corne qui est censée renfermer un esprit qu’ils qualifient, eux aussi, du nom d’Imandwa. Ils s’en servent pour découvrir, non pas des bazimu, mais des voleurs et les objets volés. Un petit trou pratiqué dans la peau de bovin qui recouvre l’orifice de cette corne magique permet au sorcier d’interroger cet esprit et les gens présents croient l’entendre parler (Il peut très bien se faire que le sorcier en question soit ventriloque ou plus simplement qu’il donne à sa voix un autre ton, comme c’est le cas pour certains exorcistes et aussi les ministres du culte de Nyabingi auxquels la dernière partie de cet ouvrage sera réservée ). Ce même petit trou permet au magicien de nourrir l’Imandwa avec du sang et de la viande de chèvre.
Dans cette même région où les sorciers sont particulièrement nombreux, on en rencontre d’autres encore qui ensorcellent les gens à distance par l’intermédiaire d’un Imandwa qu’ils envoient frapper celui qu’ils veulent atteindre. Lorsque cet esprit arrive sur la hutte du malheureux, il pousserait un cri semblable à celui de la chèvre ( guhebeba). L’infortuné comprend aussitôt ce dont il s’agit et, saisi d’épouvante, il s’empresse de se rendre chez le sorcier des environs qui a la réputation d’ensorceler de cette manière. Ce dernier l’accuse froidement d’être l’auteur, par exemple du vol dont un tel, son client, est venu se plaindre. Il a beau protester de sa parfaite innocence, rien n’y fait et il se voit menacer des pires malheurs s’il refuse de rendre le bien volé !
L’auteur n’a pu obtenir aucune précision sur la nature de ce genre d’esprits (Le peuple n’en sait rien ; quant aux magiciens, très défiants dans cette région encore très païenne, on ne peut obtenir d’eux aucun renseignement), mais il semble évident qu’ils n’ont rien de commun avec les Imandwa qui sont honorés dans le culte de Lyangombe, ni non plus avec les bazimu puisqu’aucun culte ne leur est rendu.