QUELQUES RÈGLES GÉNÉRALES.

1° Lorsqu’on s’apprête à faire le guterekera, on commence habituellement par allumer un petit feu, soit dans l’édicule du muzimu, soit dans le foyer même de la hutte d’habitation qui est sa chapelle domestique. Pour allumer ce petit feu dans l’édicule, on recueille quelques braises du foyer et on les apporte dans une touffe d’herbes.
Pourquoi ce feu ? Afin, disent les indigènes, que le muzimu se sentant au chaud prête une oreille attentive à la supplique qu’on va lui adresser et qu’il agrée favorablement l’offrande qui va lui être présentée. Les Banyarwanda aiment beaucoup s’asseoir le soir autour du foyer qui occupe le centre de leur case.
On peut voir dans ce feu un symbole. A l’enterrement d’un défunt qui a laissé au moins un descendant mâle, on porte devant son cadavre une torche allumée symbolisant la « vie» qu’il a transmise à sa postérité.
2° Mais il arrive qu’avant d’avoir allumé ce feu celui qui préside le guterekera s’entoure la tête d’une tige d’umwishywa et qu’il en garnisse aussi le récipient qui contient l’offrande ou le front de la bête qu’il va sacrifier.
Souvent également il asperge ou enduit plus ou moins d’eau lustrale non seulement le logis du muzimu mais aussi la cruche de bière, le pot de lait, le panier rempli de céréales ou de légumineuses qu’il va offrir, et parfois même les personnes présentes.
Cette eau lustrale est obtenue avec de la terre blanche (ingwa : kaolin) délayée dans de l’eau qui, pour bien faire, doit avoir passé une nuit au repos dans la hutte (amazi y’ubuhoro : l’eau de la paix, de la tranquillité). Certains y ajoutent quelques feuilles d’une plante appelée imposha. Le mélange se fait habituellement dans le mortier à piler le grain (isekuro) au moyen d’un faisceau de branchettes et de tiges de plantes variées dont nous donnons les noms un peu plus loin. Ce faisceau sert également d’aspersoir ; on l’appelle icyuhagiro ou ubuhagiro (du verbe kuhagira: laver, purifier. Icyuhagiro a donc le sens de « ce qui lave, ce qui purifie » (Kwuhagira = laver — Kwiyuhagira = se laver. Gukaraba = se laver les mains
Kwoza = laver un ustensile quelconque ou se laver les pieds. Kumesa = laver du linge).
Asperger avec cette eau lustrale se dit : gutera icyuhagiro : jeter avec ce qui purifie. Mais il arrive, comme nous l’avons dit, que l’officiant enduise de kaolin certains objets comme la cruche de bière qu’il va présenter ou le front de l’animal qu’il va immoler ; dans ce cas on emploie l’expression : gukoza (ou gukubita) icyuhagiro : toucher (ou frapper) avec ce qui purifie, c’est à dire le faisceau.
Lorsque les dévôts du Kubandwa (culte de Lyangombe) usent de ce faisceau, ils commencent, dit-on, par cracher dessus une gorgée de bière ; ce qui se dit : gukamira icyuhagiro = traire pour le faisceau,… sans doute pour, attirer sur lui la bénédiction toute puissante du grand Lyangombe.
Voici les variétés de plantes qui entrent dans la composition du icyuhagiro. Elles peuvent varier plus ou moins selon les régions, mais il est à noter qu’il faut deux branchettes ou deux tiges de chaque espèce.
lkiziranyenzi : une solanée dont on tire les chalumeaux que l’on emploie toujours pour
boire la bière.
Umucyuro: un arbuste. (Le verbe gucyura signifie arracher,.., ici sans doute la tâche que
l’aspersion a pour but d’effacer.
Umukunde: pois cajan. (Le verbe gukunda signifie aimer, consentir, accepter ; umukunde: aime-le, accepte-le, il s’agit peut-être de l’offrande que l’on va présenter.
Umuharakuko: plante rampante à fleurs blanches.
Umutaba: variété de ficus (umuvumu) très employée dans la magie. On en retire des
fibres dont on tresse des cordelettes pour le port des amulettes, etc.
Umuko: l’Erythrina, arbre sacro-saint des adeptes du culte de Lyangombe.
Umutanga: une cucurbitacée dont on dit : « Umutanga utanga abarozi n’abanzi : L’umutanga prévient les ensorceleurs et les gens malveillants ».
Umwishywa : une momordicus (cucurbitacée) qui est considérée comme plante porte-bonheur. On en fait usage en maintes réjouissances : au cours des cérémonies nuptiales, de la clôture du deuil, du kubandwa, etc.

Dans la région de Byumba, le faisceau serait souvent composé comme suit :
lkibonobono (ricin)-Ikiziranyenzi-Umukunde-Umwishywa-Ishyoza-Umugabagaba-Umuhengeri.
3° Fréquemment, après avoir allumé le petit feu, on y jette quelques grains d’éleusine, de sorgho et parfois d’umugombe, arbuste dont les grains, bien que non-comestibles, ressemblent beaucoup à ceux du sorgho. Selon les Banyarwanda, le bruit de ces grains qui pétillent au contact du feu et l’odeur qui s’en dégage attireraient irrésistiblement les bazimu toujours très curieux et souvent très gourmands. Ce crépitement fait dire à d’autres que le muzimu est content puisqu’il rit ! (araseka).

4° Presque toujours, avant de déposer une offrande dans l’édicule, on y étale un peu d’herbes fines (ishinge) et cela par égard pour le muzimu. Dans les huttes des riches Batutsi, le sol est jonché de cette herbe que l’on recouvre de quelques nattes.
5° L’offrande est toujours accompagnée de paroles flatteuses et d’une supplique empreinte de respect. En voici un exemple :
« Seka, Nyagasani , ugororoke; wishime ; turagutura inzoga» Ris, Seigneur, apaise-toi ; réjouis-toi ; nous t’offrons de la bière ».
Nuko, kanaka, umuvire ho, umuhe gukira… “ C’est pourquoi, un tel, éloigne-toi de lui, donne-lui de guérir… ».
6° Habituellement, quelle que soit l’offrande, on y ajoute un peu de bière de sorgho, d’éleusine ou de miel (La bière joue un très grand rôle dans la vie des Banyarwanda. Pas de réjouissances sans bière, etc.
Il y a une assez grande variété de bière :
Bière de :
— bananes {non fermentée = umutobe
fermentée = urwagwa
—de sorgo = amarwa
—d’éleusine = amarwa y’uburo
—de miel = umuhana ou inzoga y’ubuki (miel)
—de sorgho + miel = inturire
—de bananes + miel = inkangaza
—de bananes + éleusine = intimbiro), mais jamais de bananes, parce que, affirment les Banyarwanda, elle n’est pas digne d’un personnage de marque (Il en serait de même dans le kubandwa. On ne pourrait offrir de la bière de bananes qu’à Binego, fils de Lyangombe).
Cette bière de bananes ils la qualifient, non sans dédain, d’inzoga y’inshyike, tout comme ils disent avec le même mépris d’un homme qui n’a pas d’enfant : « N’umuntu w’inshyike ». (La banane est inapte à la reproduction ; le bananier se reproduit par rejetons) ce qui ne les empêche pas d’aimer beaucoup cette bière.
7° Quand l’offrande est une boisson ou des aliments, elle est toujours suivie d’une communion rituelle. Le muzimu ne reçoit jamais qu’une infime partie de ce qui lui est offert ; le reste est bu ou mangé par celui qui a fait l’offrande et par son entourage. Quand il s’agit d’une bête, une partie de la viande est parfois vendue.
Habituellement on ne dépose dans l’édicule que des aliments cuits. Pour ce qui en est de la viande, on n’y laisse que de très petits morceaux grillés prélevés sur tous les membres de la bête sacrifiée.
8° Quand le guterekera est fait pour obtenir la guérison d’un malade, on couche ce dernier, quand c’est possible, devant l’indaro. Pour convaincre le muzimu d’éloigner de lui la maladie dont il l’a frappé, on lui dira par exemple : «Si tu le tues, tu n’auras plus «personne » pour te faire des offrandes ; il est donc de ton intérêt de lui rendre la santé…». — « Plus personne ? » Exagération de langage tout à fait dans la manière indigène.
9° En ce qui concerne le corps, il n’y a pas de position ou de gestes rituels requis comme de s’agenouiller ou de joindre les mains. Celui qui s’adresse à un muzimu s’accroupit habituellement devant son édicule. Parfois, pour flatter le muzimu, il se frappe dans les mains, comme on ne le fait pour honorer le roi et la reine-mère, en le gratifiant du titre de Nyagasani, Seigneur.

Des offrandes et de la manière dont on les présente aux bazimu.

10 Offrande de boissons :
a) De bière (inzoga). Celui qui fait l’offrande, habituellement le maître de la case, se rend devant l’édicule du muzimu qu’il veut honorer. Après avoir allumé un petit feu dans l’indaro, il lui présente une calebasse ou une cruche remplie de bière en lui disant, par exemple :
«Dore, nkuzaniye inzoga ; wishime ; ugororoke » Voici, je t’apporte de la bière ; réjouis-toi ; redresse-toi (apaise-toi)
« umwana wanjye urwaye, umuhe gukira » mon enfant malade, donne-lui de guérir ».
Cette présentation achevée, il donne à boire au muzimu. (C’est l’expression employée). Cela peut se faire de plusieurs façons :
1) Il verse un peu de cette bière dans une petite cruche (akabya ou akeso) ou une petite poterie très fine (imperezo) qu’il dépose dans l’édicule ou à côté du foyer de la hutte, si cette hutte est dédiée à ce muzimu.
2) Ou bien, à l’aide d’un chalumeau (umuheha) qu’il plonge dans la bière, il en laisse tomber quelques gouttes dans le feu.
3) Ou bien encore, il crache une petite gorgée de bière dans le feu.
Ces deux dernières manières se disent : « gusesa inzoga mu muriro : « répandre de la bière dans le feu ».
La bière contenue dans la calebasse ou la cruche est bue ensuite, mais pas nécessairement aussitôt après, par les gens de la maison et même par les invités s’il y en a (communion rituelle).

Particularités :
1) Lorsqu’on n’a pas de bière, on se contente parfois de déposer dans l’édicule du marc de sorgho (ibivuzo) allongé ou non avec de l’eau. A ce mélange on donnerait le nom de «umutero » ou « inzoga v’ibwami » (lbwami signifie la cour du Mwami, son lieu de résidence).
2) Intango y’umuhigo. Il s’agit d’une très grande cruche (intango) de bière qu’on promet (umuhigo : promesse, voeu) à un muzimu, à condition d’obtenir l’objet de sa requête, par exemple la guérison d’une épouse.
C’est le devin consulté qui prescrit ce voeu : « Tel muzimu t’en veut ; promets-lui une grande cruche de bière ; il sera satisfait et te laissera tranquille » (Le muzimu en question peut évidemment réclamer la promesse d’une chèvre et même d’un bovin).
Quand la femme est guérie, on fait l’offrande promise, mais on profitera souvent de cette occasion pour inviter quelques amis et boire avec eux cette grande cruche de bière, car le muzimu n’en recevra que bien peu de chose.
Inzoga y’inshyishyiro. C’est une bière offerte à un muzimu dans le seul but de lui faire plaisir et d’attirer ainsi ses bonnes grâces. Dans une cruche de petites dimensions (akabya, agaherezo ou akeso), ornée pour la circonstance d’une tige d’urnwishywa, on verse un peu de bière et on la dépose dans l’indaro sur un petit coussinet d’herbes tressées (ingata) ( Ingata ou petite couronne d’herbes dont on se sert pour empêcher la cruche qu’on dépose par terre de basculer. On s’en sert également pour porter une charge sur la tête). Le geste est accompagné d’une petite formule appropriée qui commence par ces mots : «Dore inzoga y’inshyishyiro… : Voici la bière de complaisance… ».
b) Offrande de lait (amata). Même présentation que pour la bière. Ensuite, on en verse un peu dans un inkongoro (petit pot taillé dans le bois dont on se sert pour boire le lait qu’on abandonne dans l’édicule. Ou bien, on en crache une gorgée dans le feu. Ou bien encore, au moyen d’une baguette employée pour battre le lait (umutozo) (Umutozo est le nom de l’arbuste dont cette baguette est tirée), on en laisse tomber quelques gouttes sur une feuille de ficus (umuvumu w’umutaba) (Umuvumu w’umutaba est une variété de ficus dont on fait généralement usage dans les pratiques païennes ; on lui attribue des propriétés magiques) ou d’Erythrina (umuko) ; feuille qu’on laisse dans l’indaro.

Particularités:
Amata y’imbyukuruke. (Du verbe kubyukuruka: amener les vaches pour les traire). On fait venir une ou plusieurs vaches devant l’édicule ; on en trait une ou deux, puis on fait l’offrande. Le reste du lait est bu par les gens de la maison (communion rituelle).
c)Offrande de légumineuses : haricots, petits pois, etc.
Comme toujours on commence par faire un peu de feu et l’on présente un panier rempli de haricots, etc. Après quoi on les cuit pour le repas de famille et on en prélève un petit rien que l’on met dans une écuelle (imbehe), un tesson de cruche (urujo) ou sur une feuille d’Erythrina qui est alors apporté dans l’indaro.

Particularités:
1) Lorsqu’on offre de la nourriture, on y ajoute presque toujours un peu de bière pour désaltérer le muzimu !
2) Les rats qui pullulent dans les habitations indigènes ont vite fait de manger ces petites offrandes de nourriture. Ce qui fait dire aux Banyarwanda que le muzimu a été très satisfait puisqu’il n’a rien laissé ! Manière de parler car ils savent très bien que les bazimu ne mangent pas et que ce sont les rats qui s’en régalent.
d) Offrande de céréales : sorgho (amasaka) ou d’éleusine (uburo).
Après avoir allumé le feu, on présente au muzimu un panier rempli de sorgho ou d’éleusine. On mout alors les grains et avec la farine on fait du pain de sorgho (umutsima) ou une soupe plus ou moins épaisse (igikoma) qui est mangée par les gens du rugo (habitation) ; mais on a soin évidemment d’en prélever d’abord la part du muzimu qui, déposée dans une écuelle, un tesson de cruche ou sur une feuille d’Erythrina, est placée dans son édicule. Avec la farine on fait aussi parfois de la bière.
Particularités:
1) Lorsqu’on fait l’offrande de viande, on y joint habituellement quelques petites boulettes de pâte de sorgho ou d’éleusine, parce que les Banyarwanda ont l’habitude de manger cette pâte avec de la viande. Cette viande est généralement grillée.
2) Comme on l’a déjà dit, on se contente parfois de jeter quelques grains dans le feu. Quand on en manque (et même quand on en a) on les remplace parfois par des grains d’umugombe qui ressemblent au sorgho, mais qui ne sont pas comestibles.
e) Offrande d’une bête.
1) Quelle bête peut-on offrir aux bazimu ?
En principe, on ne peut offrir aux bazimu que les viandes qu’ils mangeaient de leur vivant. Or, au Rwanda, on ne mange habituellement que du bovin. Seuls les Bakiga, montagnards du nord et de l’ouest, mangent aussi de la chèvre et parfois du mouton (Parmi les Bakiga seul l’élément masculin mange de la chèvre. Femmes et jeunes filles s’en abstiennent de crainte de se voir pousser la barbe au menton ! Quant à la viande du mouton, elle a la réputation de n’être bonne que pour les Batwa, d’où le surnom méprisant qu’on leur donne de mangeurs de moutons Abalyantama). La poule est dédaignée par tous. En conséquence, on ne sacrifie jamais une poule et très rarement un mouton.
2) Il y a plusieurs manières d’offrir une bête à un muzimu :

a)Parfois, on se borne à lui présenter tout simplement une ou plusieurs bêtes. Au Rwanda, quand on veut honorer un personnage de marque, on fait passer devant lui des vaches de choix dénommées inyambo. Cette manière de faire, qui se dit « kumurikira inka » (montrer, faire voir, passer en revue les vaches) ne se pratique qu’avec des bêtes à cornes. Mais dans le gutekera il arrive fréquemment, chez les Bakiga (montagnards) surtout, que l’on présente ainsi une chèvre, et parfois un mouton, d’où l’expression : « kumurikira itungo ». Ce terme itungo (plur. amatungo) désigne plus spécialement le petit bétail.
Comment fait-on cette présentation au muzimu ?
On conduit devant son indaro une belle femelle, vache, ou chèvre (s’il y en a plusieurs on a soin de mettre en évidence la plus belle). « Père, dira un fils, regarde donc les vaches que tu m’as laissées et qui sont toujours tiennes ; considère le soin que j’en ai pris ; aucune n’est morte de par ma négligence. Réjouis-toi et fais en sorte qu’elles aient beaucoup de veaux… ».
Quand la bête présentée est une vache, on la trait habituellement et on dépose un peu de son lait dans l’édicule. Si au contraire c’est une chèvre, on se gardera bien de le faire : ce serait une injure au muzimu, puisque au Rwanda on ne boit jamais le lait de chèvre et encore moins le lait de brebis (On ne donne du lait de chèvre qu’au bébé que sa mère ne peut pas allaiter et quand on ne trouve absolument pas de lait de vache. Celui qui trait ce lait s’entoure les mains de feuilles d’arbres et il ne la trait pas dans un pot à lait ordinaire (Icyansi), mais dans un vulgaire pot en terre cuite).

b) Il peut arriver que le devin ordonne à son client de présenter sa bête au muzimu avec promesse de la lui sacrifier, s’il obtient l’objet de sa requête : la guérison de son enfant, la réussite d’une affaire, un heureux accouchement pour son épouse…
L’animal ainsi promis est appelé inka (vache) ou ihene (chèvre) y’integano ou y’intego ou encore y’umuhigo, termes tirés des verbes gutega et guhiga qui signifient l’un et l’autre, parier, faire un pari et l’autre, faire un voeu.
Dans ce cas, comme dans le précédent, on présente toujours une belle femelle :
«Bon Maître (Nyabuna), ne sois pas irrité ; regarde plutôt la magnifique vache que voici. Écoute, si tu rends la santé à ma femme, je te promets que cette vache sera tienne, je te l’immolerai… ».
Après quoi, on dépose habituellement dans l’indaro un peu de bière, ou un peu de lait si l’animal en question est une vache.
La guérison obtenue, il reste à exécuter la promesse. C’est le kumara urubanza, mettre fin au litige, au pari, au voeu. La bête est alors désignée sous le nom de inka (ou ihene) y’urubanza.
Mais les Banyarwanda ne se montrent jamais très pressés de tenir leurs engagements. Ils trouvent plus facile de faire semblant de les avoir oubliés ! Même si, par hasard, un nouveau malheur vient à troubler la paix domestique, ils se contenteront bien souvent de renouveler la promesse déjà faite.
Il arrive cependant qu’ils se décident à accomplir leur voeu. Ils conduisent alors devant l’édicule une vache ou une chèvre de choix : « Seigneur (Nyagasani), regarde cette génisse dont nous étions convenus. Ne te l’avais-je pas dit que, si tu guérissais mon épouse, je te sacrifierais cette bête de bon coeur ? Dis-le moi, ai-je menti ? Oui, vois comme elle est belle. Réjouis-toi, car elle est pour toi, je vais te l’immoler dans un instant. Toutefois, je te prie de prendre soin de mon troupeau qui est aussi le tien ; fais en sorte qu’il prospère ; qu’aucune vache ne périsse ; qu’au contraire elles aient toutes beaucoup de veaux… ». Mais finalement il se gardera bien de sacrifier cette bête féconde. Au moment propice, un petit taurillon ou un petit bouc, parfois une femelle stérile prend sa place.
Lorsqu’il s’agit d’une grosse tête de bétail, on profite de l’occasion pour inviter quelques amis aux agapes. Ce sont en effet les vivants qui feront bombance en l’honneur du muzimu ; lui-même ne recevra que quelques lambeaux de chair. Souvent aussi on avertit les voisins désireux d’acheter un peu de viande.
c) Si le devin déclare que tel muzimu réclame le sacrifice immédiat d’une bête, que fera l’indigent qui ne possède même pas une chèvre, ou encore celui qui n’a aucune envie d’abattre un de ses bêtes à cornes ? Il se contentera « d’acheter l’ombre » d’une bête, c’est à dire son âme : « kugura igicucu ».
Moyennant une petite indemnité, il emprunte à un voisin une bête que celui-ci avait déjà l’intention de manger. Il l’égorge devant l’édicule du muzimu. Dans un petit récipient qu’il dépose dans l’indaro, il verse un peu du sang chargé d’ombre (Pour les Hébreux également l’âme réside dans le sang : « Vous ne mangerez point de chair avec son âme, c’est-à-dire avec son sang » Genèse : IX, 4 — « L’âme de toute chair est dans le sang » Lév. XVII, 13-14), en y ajoutant au besoin quelques petits morceaux de viande grillée, puis il rapporte la dépouille vidée de son ombre à son propriétaire. Le muzimu est satisfait ; il a reçu tout ce qu’il était susceptible de consommer car, étant de la race des ombres, il se nourrit d’ombre !
1. Comment on immole une chèvre qui, en fait, ne sera le plus souvent qu’un petit bouc.
On commence par présenter au muzimu une belle femelle en disant par exemple :
“Nyagasani, ugorore ; dore, ihene nkuzaniye » Seigneur, sois propice ; voici la chèvre que je t’amène ;
« nuko , wa muntu wacu urwaye , umuhe gukira… » en conséquence, à cet homme, le notre qui est malade, donne-lui de guérir … ».
Le jeune bouc qui a été substitué à la belle chèvre est alors abattu devant l’édicule du muzimu ou à côté du foyer dans la hutte qui est sa chapelle-domestique. Mais, avant de l’abattre, on a soin d’entourer ses naseaux d’un lien qui l’empêche de crier, car c’est une chose qu’il faut absolument éviter. Avant de lui porter le coup fatal, on doit le renverser et le laisser se relever huit fois de suite. Enfin, on lui enfonce le couteau dans la gorge. Il tombe une neuvième fois pour ne plus se redresser. Le sang est précieusement recueilli : on le cuira avec les aliments ; c’est un mets très apprécié des indigènes.
Pourquoi le renverser neuf fois de suite ? Sans doute parce que le chiffre neuf est un chiffre porte-bonheur. N’entend-t-on pas dire fréquemment : « Icyenda kenda abana n’inka», expression qui a le sens de : « Que le chiffre neuf te donne beaucoup d’enfants et de vaches ›). Au Rwanda, lors des mariages, etc, certaines cérémonies se répètent neuf fois de suite.
La bête est ensuite dépecée. On frappe son cadavre avec la peau avant de la déposer un moment dans l’indaro et on se met aussitôt à découper des petits lambeaux de viande (inyama) de toutes les parties du corps : de la tête, du cou, du ventre, des cuisses, etc ; ce qui se dit gutonora: écosser (gutonora amashaza: écosser des petits pois) ; d’où l’expression : « inyama z’intonorano ». Ces lambeaux de chair sont enfilés sur huit bâtonnets, plusieurs sur chacun, pour être grillés sur le feu qui est presque toujours allumé, comme nous l’avons déjà dit, lorsqu’on fait une offrande. Un certain nombre d’entre eux sont déposés sur des feuilles d’ érythrina (umuko) et on y ajoute habituellement quelques petites boulettes bouillies de sorgho (umutsima).
Ainsi garnies, ces feuilles sont abandonnées dans l’édicule, préalablement tapissé d’herbes fines (ishinge).
Si la bête a été immolée en l’honneur du muzimu w’Umukurambere (Nyirigicumbi) qui est le patron (Shebuja) des bazimu familiaux, on commence par déposer quelques-unes de ces feuilles dans la hutte principale qui est sa chapelle-domestique ; puis également dans tous les autres édicules (amararo) en disant : « Sachez que c’est votre patron qui vous nourrit : « ni
shebuja ubagabulira ».
Mais, quand la chèvre a été sacrifiée pour un autre muzimu, on n’omettra pas non plus d’apporter quelques feuilles au Mukurambere, car il est prudent de le ménager, lui qui est censé avoir autorité sur tous les autres bazimu de la famille.
Quelques lambeaux de viande grillée sont alors mangés par l’assistance (communion rituelle).
Enfin, pour le repas du soir (l’unique repas quotidien pour beaucoup de Banyarwanda) la ménagère cuit le restant de la bête ; ce qui n’est pas grand chose si c’est un petit bouc. Mais, si l’animal est adulte, on profite de l’occasion pour préparer une certaine quantité de bière et inviter des amis.
Dans la région de Byumba, on suspend parfois dans l’édicule d’un muzimu, ou dans l’entrée de la case qui est son indaro, le bout d’une patte (iminono) de devant (amaboko) ou de derrière ( amaguru), ou bien le crâne de la bête immolée, afin de lui rappeler à l’occasion l’offrande qu’on lui a faite.
Quelques particularités.
1° Bête immolée en honneur d’un muzimu w’umugwagasi, c’est-à-dire d’un membre de la famille qui est mort loin des siens, par exemple en voyage. On dira de lui :
«Yaguye (il est tombé du verbe kugwa) ku gasi (dans un endroit écarté et inculte ». L’expression employée pour désigner cette bête est : « Twayibagiye (nous l’avons égorgée — du verbe kubaga — i.. pronom) ya gasi.
Rappelons-nous que l’édicule d’un mugwagasi est construit en dehors de l’habitation (urugo) généralement à une certaine distance du gikari, enclos qui entoure la hutte par derrière.
Chez les Bakiga, cette bête est ordinairement une chèvre, dont la chair ne peut être consommée par les membres de la famille du mugwagasi. Il n’est même pas permis de transporter la peau dans la maison. C’est pourquoi, avant de sacrifier l’animal, on a toujours soin de chercher un acheteur qui viendra prendre la peau et la viande. Il en serait de même, lorsqu’il s’agit du muzimu d’une fille-mère.
2° Bête offerte à un muzimu en sacrifice de substitution.
Chez les riches Batutsi, cette bête est habituellement une vache (un taurillon) et chez les Bakiga une chèvre (un bouc).
Cependant l’on doit faire ici une distinction :
a) Ihene ou inka y’igitambo : est une chèvre ou une vache qui sacrifiée (gutambira : faire un sacrifice, d’ou igitambo : sacrifice) en l’honneur d’un muzimu afin qu’il accepte sa mort à la place du malade pour lequel on va l’immoler.
Quand il s’agit d’une chèvre, certains indigènes prétendent qu’elle doit être noire ; d’autres, qu’il suffit que son poil n’ait qu’une seule teinte, par exemple toute brune ; d’autres encore affirment que la couleur est indifférente. La chose varie sans doute selon les régions et peut-être même les familles.
b) Ihene ou inka yo gutambirwa abasigaye ou yo gutamba ineza ; expressions qui ont le sens de : une chèvre (ou une vache) pour remercier au nom des survivants ou pour remercier du bienfait accordé (Le verbe gutamba a également le sens de danser en étendant les bras ; et son applicatif, gutambira signifie donc danser pour quelqu’un, en l’honneur de quelqu’un ; bref, pour lui témoigner sa joie et sa reconnaissance). Il s’agit d’une bête qu’on offre au muzimu qui est censé avoir frappé de mort un membre de la famille et qui est immolée en sacrifice de substitution pour les survivants, mais aussi pour remercier (gutamba) le muzirnu de les avoir épargnés.
On lui présente l’animal en disant, par exemple :
« Nous te faisons le sacrifice de cette bête afin que tu saches que nous ne te gardons pas rancune d’avoir frappé de mort un des nôtres. Bien au contraire nous nous réjouissons que tu te sois rendu justice et surtout nous te remercions du bienfait (ineza) que tu nous as accordé en nous épargnant, nous les survivants. Sois-nous toujours propice…»

2. De l’offrande d’un mouton (intama).

C’est tout à fait par exception que l’on fait l’offrande d’un mouton, un petit bélier généralement, puisque, à part les Pygmées, les Banyarwanda n’en mangent pas en principe.
« Tu es poursuivi, dira le devin à son client, par un muzimu w’umuyantama (un muzimu, mangeur de mouton) ; il te réclame l’immolation d’un mouton ; fais-le sans tarder sinon il te causera bien des ennuis… ».
Particularité.
Il y a un mouton qu’on appelle intama yo guterekera, un mouton pour honorer les bazimu. On lui donne également le nom d’intama y’inshyingikano, le mouton mis en dépôt. Il s’agit d’une brebis que le fiancé Muhutu Mukiga (montagnard bahutu) met en dépôt chez les parents de sa fiancée ; cette brebis, qui ne fait pas partie de la dot, reste sa propriété de telle sorte qu’il pourra disposer ultérieurement de ses jeunes pour la raison que nous allons dire.
Le jour de ses noces, la fiancée, avant de quitter le toit paternel, est conduite accompagnée de cette brebis devant les édicules dédiés aux mânes de sa famille pour leur faire ses adieux.
Un exemple fera connaître la vraie raison d’être de ce mouton. La jeune épouse, enceinte, est prise de malaise. Son mari court aussitôt chez le devin. « C’est le muzimu de ton arrière beau-père qui a frappé ta femme. Sacrifie-lui une chèvre, il s’apaisera ». C’est ce qu’on appelle kumarira umugore: apaiser les bazimu en faveur de sa femme (Malheur à lui, s’il refusait de faire ce sacrifice, car il risquerait de se voir enlever son épouse ; et, si elle devait mourir en couches, il s’exposerait à la vendetta).
Cependant, comme les amararo dédiés aux mânes familiaux de son épouse se trouvent chez ses beaux-parents, c’est chez eux qu’il devra faire le sacrifice sollicité. Et c’est précisément en vue de cette éventualité qu’il leur a confié cette brebis. Et comme son arrière beau-père ne mangeait pas de la chair de mouton, il ne pourra pas lui en sacrifier un. C’est pourquoi il échangera un petit (ou deux) de cette brebis pour un bouc.

3. Le sacrifice d’un bovin.
Il est plutôt rare que les Bahutu fassent à leurs bazimu le sacrifice d’une bête à cornes pour la raison qu’ils n’en ont pas, ou peu, en pleine propriété. Seuls quelques Bakiga, comme c’est le cas au Bushiru et au Buhoma, en possèdent quelques-unes en propre qu’ils ont acquises en les échangeant avec les pasteurs hamites du Rwankeri pour un grenier de sorgho ou de petits pois (Ces pasteurs hamites qui ne cultivent pas la terre se procurent des vivres par l’échange du lait, du beurre et même de vaches).

D’autre part, il semble certain que ce sont les Hamites qui ont introduit le bovin au Rwanda, comme d’ailleurs aussi le culte de Lyangombe, surtout en vogue dans les régions hamitisées de longue date. Dans ce culte, le sacrifice d’une bête à cornes est assez fréquent, du moins parmi ceux qui peuvent s’en payer le luxe.

Dans le Rukiga du nord et du nord-ouest, les montagnards bahutu (Abakiga) sans ignorer ce culte, et même le pratiquant, mais un peu à leur façon, s’adonnent plus volontiers à celui de Nyabingi qui leur réclame surtout des offrandes de moutons.

1° L’immolation d’un bovin en l’honneur d’un muzimu initié de son vivant au culte de Lyangombe, le kubandwa.
Il s’agit dans la plupart des cas d’un muzimu qui se montre irrité de ce que les siens aient abandonné, ou simplement négligé, le culte qu’il rendait à Lyangombe ou à l’un de ses Inandwa qu’il vénérait tout particulièrement. Il arrive également qu’il demande à ses descendants d’exécuter le voeu que la mort l’avait empêché de réaliser. C’est pourquoi il réclame l’immolation d’une génisse, espoir du troupeau. Comme toujours cette belle bête sera présentée, mais ensuite on se contentera de sacrifier une vache stérile ou usée par l’âge et plus fréquemment un taurillon.
Prennent part à la fête non seulement les membres de la famille mais aussi quelques invités et le devin qui a prescrit le sacrifice.

Les cérémonies qui se déroulent à cette occasion sont naturellement accompagnées de pratiques propres au culte de Lyangombe. Parmi les assistants, certains jouent le rôle des divers Imandwa et en portent les insignes.
Si le muzintu en question est du sexe masculin, celui qui figure Lyangombe et qui préside les cérémonies est toujours un homme. Si, au contraire, il est du sexe féminin, ce sera une femme. Il s’assied sur un siège à côté de l’édicule ou de la hutte, chapelle-domestique du muzimu qu’on va honorer.
Quant à celui qui s’acquitte d’une dette personnelle, ou de celle du muzimu, il présente sa vache à Lyangombe en ces termes :
« Puisses-tu demeurer toujours avec Imana. Voici la bête dont nous étions convenus. Ai-je menti ? Ne te l’avais-je pas dit que, si tu guérissais mon enfant, je t’offrirais la plus belle génisse de mon troupeau ? Cette vache t’appartient, je te la laisse, mais fais en sorte que mon troupeau prospère… Accepte cette bière pour étancher ta soif ».

Lyangombe répond par un « Hou-hou-hou (son cri particulier) approbateur et satisfait. Il prend la calebasse et tire quelques gorgées de bière au moyen d’un chalumeau. On profite de ce moment pour remplacer habilement la génisse par un petit taurillon et l’on présente à Lyangombe deux faisceaux composés de branches et de plantes à propriétés magiques. Il les trempe dans une écuelle remplie d’eau lustrale et en humecte neuf fois de suite le front de l’animal. Il saisit alors la hache et en frappe huit fois, mais légèrement, la victime derrière les cornes ; après quoi, il la passe à celui qui joue le rôle de Binego afin qu’il l’abatte d’un neuvième coup.
Les assistants dépècent la bête avec l’épée de Lyangombe ; celle-ci fait partie de ses insignes. Ils séparent du tronc la tête, les côtes et les pattes de devant (amaboko : les bras). La tête, le foie, et la vésicule biliaire sont mis à part dans une cruche pour la cérémonie du lendemain. On orne de l’umwishywa la patte droite de devant qui est offerte au devin.
Les jeunes filles qui sont venues agrémenter la cérémonie de leurs chants et de leurs danses recevront la patte gauche de devant.
Les côtes (imbavu, sing. urubavu) sont réservés aux femmes qui ont enfanté.
Celui qui joue le rôle de Ruhanga reçoit le coeur (umutima)
Muzana » les intestins (amara)
Mugasa » la queue (umurizo)
Nyabirungu » le cou (umuhogo)
Binego » les parties génitales et ce qui les entoure.
Les rognons sont donnés à la mère du propriétaire de la bête ; une partie de la viande est souvent échangée contre des haricots, des petits pois, etc ; c’est pourquoi on a soin d’avertir à temps quelques voisins désireux de se procurer un peu de viande.
Entre-temps on a déposé près de l’indaro sur les trois pierres du foyer (amashyiga) une grande cruche (inkono iteka) remplie d’eau (Au Rwanda, les aliments sont cuits dans une cruche que l’on dépose sur trois pierres placées à même le sol au centre de la hutte d’habitation. Seuls les riches Batutsi ont une petite case à part qui leur sert de cuisine.
Les cruches qui font office de marmites sont de 2 sortes. Une ordinaire dans laquelle on cuit les patates douces, les haricots, les petits pois, etc., et que l’on appelle inkono et une autre, dont le col est plus ouvert et dans laquelle on cuit les pâtes, plus ou moins épaisses, de sorgho ; etc. Cette dernière porte le nom de inkono ivuga (du verbe kuvuga qui a deux sens : celui de parler et celui de tourner la pâte pendant la cuisson au moyen d’une spatule en bois (umwuko). La cruche, ikibindi, est employée surtout pour aller puiser l’eau). On y allume un feu et lorsque l’eau entre en ébulition, Lyangombe y jette une quantité suffisante de viande pour régaler tous les assistants. Il découpe ensuite de la poitrine une bande de chair (urwiruko) ; il l’enfile sur un jonc (Igiseke), puis l’enroule autour d’une branche d’Erythrina (umuko) qu’il dépose sur la gueule (umunwa: la bouche) de la marmite afin d’exposer cette viande à la vapeur qui s’en dégage. Enfin, il s’entoure les bras, l’annulaire et l’auriculaire de chaque main avec des anneaux de viande. Binego fait de même.
On recouvre de la peau ce qui reste de la bête, à savoir la colonne vertébrale et les pattes de derrière (amaguru) que l’on écarte en forme de Y, afin de pouvoir y placer la panse avec son contenu. Binego s’avance alors; tenant dans la main droite sa lance et son bâton et, les bras étendus, il piétine la peau neuf fois de suite sur toute sa longueur. Il est suivi par Lyangombe et le propriétaire de l’animal. La peau est alors enlevée et jetée de côté.
Lyangombe fend en deux une tige de roseau (urubingo) et les découpe en 8 parties égales mesurant environ 10 cm. Il les dispose l’une derrière l’autre sur la colonne vertébrale. Il reçoit sa part de viande (deux longueurs de roseaux) et, après les avoir touchées de la pointe de son épée pour en prendre possession, les fait mettre dans une cruche (ikibindi, ou dans un grand pot à lait en bois (igicuba).

Durant l’accomplissement de tous ces rites, la viande a eu le temps de cuire. Lyangornbe et son fils Binego se retirent dans une hutte dont on ferme l’entrée au moyen d’une natte. On leur apporte la part qui leur revient, dont l’urwiruko déjà mentionné. Ils n’en font qu’une bouchée, tandis que les membres de la famille et les invités mangent la part qui leur a été réservée. Lorsque le repas est achevé, on procède à la présentation du troupeau. Les vachers ont amené les vaches et, au signal donné, ils les font entrer avec quelques brebis dans l’enceinte de l’habitation.
Le maître de céans saisit un mouton par une patte et le couche devant Lyangombe en lui disant : « Voici la brebis que je t’offre, elle est à toi ». «Je n’en veux pas, répond Lyangombe mécontent, ce cadeau est insuffisant ». Le donateur ne s’en montre nullement froissé puisque ce refus fait partie du cérémonial et, sans mot dire, il en présente un autre qui, lui, est accepté (Si ces cadeaux sont d’abord refusés, c’est sans doute afin de faire comprendre qu’ils sont en dessous de la dignité et des mérites de Lyangombe, roi des Imandwa et des bazimu ; s’ils sont ensuite acceptés, c’est pour montrer sa condescendance et sa bienveillance pour les humains). Cette fois, Lyangombe en personne le couche par terre et le recouvre de la peau de la vache sacrifiée. La brebis se débat mais finit par rester immobile. Une cruche remplie d’eau est alors versée sur la peau ; l’animal effrayé s’agite de nouveau. A ce moment on le débarrasse de son linceul en criant « Il est ressuscité » (yarazutse) et on l’éloigne (Cette cérémonie symbolise la puissance du grand Lyangombe qui rend la vie à ceux qui en étaient, ou semblaient, en être privés. C’est à lui qu’il faut recourir pour sortir de situations pénibles et humainement sans issue).
Suit la présentation d’une vache. Lyangombe la refuse. On lui en présente une seconde : «Voici la belle vache qui n’a jamais perdu aucun de ses veaux ; elle t’appartient »… « (Ng’iyi inka y’isugi, ni iyawe…). En signe de satisfaction Lyangombe fait entendre son cri : « Hou-hou-hou… ».
Les bergers se prosternent devant lui tenant dans les mains un igicuba, grand pot taillé dans le bois enveloppé d’écorces de bananiers (ibirere) : «Regarde cet igicuba avec lequel tous les jours nous puisons l’eau pour abreuver ton troupeau dont nous prenons tant de
soin. Tu as vu tes bêtes, puisque nous les avons fait défiler devant toi. Es-tu satisfait ? » Lyangombe leur répond par un : «Hou-hou-hou-hou qui se prolonge et en récompense de leurs services, il leur fait donner un peu de bière.
Le devin invite alors l’un des vachers à honorer l’Imandwa Serwakira, jadis grand vacher de Lyangombe; il lui entoure le front d’une tige de jonc, tandis que le maître de céans, propriétaire du troupeau, lui offre son petit pot en bois (inkongoro) rempli de lait ; ce dernier, après l’avoir bu, conduit une vache ou plusieurs au pâturage et à son retour, il reçoit un nouvel inkongoro de lait.
Quant au vacher, il trait la vache offerte à Lyangombc en se servant d’un pot à lait neuf et en bon état (inkongoro y’isugi kandi itamenetse) et lui apporte le lait dans la hutte qui lui est réservée en disant
»Uragahorana n’Imana » Que tu demeures toujours avec Imana (Dieu).
“Dore, amata y’inka zawe uturinde, » Voici le lait de tes vaches ; protège-nous,
« tutasamirwa » afin que nous ne soyons pas avalés (attaqués)… (sous- entendu, par les bazimu
“Muri uru rubanza tugiye kumara none »dans cette affaire que nous allons terminer maintenant ».
Après avoir bu ce lait, Lyangombe revient dans la cour et asperge tous les assistants avec de l’eau lustrale au moyen des deux faisceaux de branches magiques déjà mentionnés ; puis, il perce avec son épée la panse qui avait été mise de côté, et avec les mains il projette une partie de son contenu dans les quatre coins de l’habitation (urugo) « Que les bazimu ne se risquent plus à troubler la paix de cette enceinte ». Des cris de joies accueillent ces paroles et l’on se met à chanter en battant des mains, et à danser. Enfin, on se sépare et chacun rentre chez soi.
Le lendemain, ou de préférence le surlendemain, se clôt la fête mais, comme il ne reste plus grand chose en fait de bière et de viande, l’assistance sera moins nombreuse.
Lyangombe commence par enterrer les os ainsi que l’herbe plus ou moins digérée (amayezi,) demeurée dans la panse. On lui apporte le foie, la tête et la vésicule biliaire mises en réserve. La vésicule biliaire est jetée ; quant au foie et à la panse, on en fait un hachis que l’on cuit avec la tête toute la nuit dans une grande cruche. C’est Binego qui fait office de cuisinier, tandis que Lyangombe, trônant sur un tabouret au milieu de la cour, reçoit les hommages des assistants. Lorsque la viande est à point, on en avertit Lyangombe qui se retire aussitôt dans « sa » case. Celui qui joue le rôle de servant (umuherezi, du verbe guhereza: présenter, servir) lui apporte le hachis. Quand il est bien repu, il invite tous les assistants, par l’intermédiaire de son servant, à venir manger ce qu’il a daigné leur laisser. On y ajoute cependant la viande qui adhère à la tête et toute la nuit se passe à festoyer au milieu de la joie générale.
La fête se termine de bon matin par une cérémonie connue sous le nom de kubyarira amahembe, ce qui signifie non pas enfanter les cornes mais les planter (Le sens habituel de kubyara est engendrer. Kubyarira signifie donc mettre au monde un enfant pour quelqu’un. On entend parfois dire : wa mwana namubyariye Imana = Cet enfant je l’ai engendré pour Imana ». Ici ce verbe a le sens de mettre en terre pour faire pousser, comme on le fait avec des rejetons de bananiers (Rejetons, plants = imibyare). Il s’agit des cornes de la bête sacrifiée.
On creuse un trou à proximité de l’édicule ou de la hutte, chapelle-domestique du muzimu en l’honneur duquel on a immolé le bovin. Ce trou mesure environ 50 cm de diamètre sur 40 de profondeur. On commence par y jeter les deux faisceaux magiques ; puis par-dessus on déverse une partie de l’eau lustrale restée au fond de l’écuelle qui a servi de seau pour les aspersions, ainsi que de la bouse (amase) qui provient de l’Imana du troupeau, c’est-à-dire du taureau, et que l’on qualifie de bouse d’Imana (Amase y’Imana).

Au moyen d’une hache, on fend le crâne de façon à pouvoir rapprocher les cornes parfois trop longues ( fig. 51). Lyangombe les enfonce dans le trou, mais de manière à ce qu’elles émergent de quelque 20 cm au-dessus du sol. Puis il les enduit avec les mains de kaolin (eau lustrale). Enfin, neuf fois de suite, il laisse couler sur le trou tout le restant de l’eau lustrale.
Ces cornes seront pour la postérité du maître de céans le témoignage de la fidélité avec laquelle il a tenu à accomplir son voeu et, à l’occasion, elles serviront également à rappeler au muzimu le généreux et royal sacrifice fait en son honneur.
La cérémonie se termine par le chant que l’on a coutume de chanter lors de l’accomplissement d’un voeu. On donne à ce genre de chant le nom de Muhara.

2° Comment on sacrifie un bovin pour le muzimu d’un profane (Umuzimu wa muzigo) c’est-à-dire le muzimu de quelqu’un qui ne s’était pas affilié à la secte de Lyangombe.
Le cas se vérifie rarement parmi les Batutsi, étant donné qu’ils se font initier presque tous à ce culte, mais il se rencontre assez fréquemment chez les montagnards Bahutu(Abakiga).
Les pratiques qui ont lieu à cette occasion sont généralement moins compliquées que celles usitées dans le kubandwa et peuvent également varier quelque peu selon les régions. Souvent il s’y mêle certains rites qui semblent appartenir au culte de Lyangombe, ce qui n’a rien de surprenant puisque ce culte s’est propagé dans tout le pays.
Au jour fixé, vers le soir, arrive le devin qui a décidé de l’affaire, car c’est à lui que revient l’honneur de présider le sacrifice. Pour le dédommager de sa peine, on lui donnera une épaule de la bête ainsi qu’un peu de viande tirée de toutes les parties du corps.

a)Présentation d’une vache, la plus belle du troupeau.
Le mupfumu commence par couronner d’une tige d’ umwishywa (une cucurbitacée, les membres de la famille du maître de la case et par enduire d’eau lustrale tous les assistants, parents et invités, en se servant des deux faisceaux dont nous avons déjà décrit la composition. Il les enduit de la tête aux pieds pour remonter ensuite des pieds à la tête.
Cela fait, la belle vache est amenée devant l’édicule du muzimu ou la hutte qu’habite son épouse mystique. Sa présentation s’accompagne toujours d’un petit discours approprié prononcé par le maître de céans. On dépose alors un peu de bière dans l’édicule ou à côté du foyer de la hutte, chapelle-domestique du muzimu, et l’on se retire pour festoyer. Pour la circonstance, en effet, on a préparé une certaine quantité de bière et l’on passe une bonne partie de la nuit à boire et à bavarder.

b)L’immolation de la bête.
Le lendemain matin, comme il l’a fait la veille, le devin couronne de l’umwishywa les membres de la famille et les enduit d’eau lustrale ainsi que toutes les personnes présentes.
Ensuite il fait venir l’animal qui va être sacrifié : un taurillon ou parfois une vache stérile ou vieille. Il lui blanchit le front au moyen de ses faisceaux de branches. Pour empêcher la bête de beugler, on lui serre un lien autour des naseaux ; puis avec une hache on la frappe fois légèrement derrière les cornes, car ce n’est qu’au neuvième coup qu’il est permis de lui asséner le coup fatal. L’animal s’écroule ; on lui tranche le cou et on s’empresse de recueillir le sang dont les Banyarwanda sont très friands ; ils le mangent habituellement cuit avec d’autres aliments.
Le poitrail et le ventre sont alors largement ouverts afin de permettre au devin d’examiner les viscères s’il le juge opportun.
Au moyen de petits couteaux, on détache la peau et on découpe des lambeaux de chair (inyama z’intonorano) de toutes les parties du corps ; on les enfile sur lesbâtonnets pour les griller sur le feu allumé dans l’édicule ou dans la hutte, selon les cas ; une partie de ceux-ci sont déposés dans la chapelle-domestique sur des feuilles d’Erythrina ; le reste est mangé par l’assistance (communion rituelle).

Dans une cruche à col largement ouvert et préalablement blanchie au kaolin (eau lustrale) et garnie d’une tige d’umwishywa, on met certains viscères à savoir : la vésicule biliaire (igisabo), les deux coecums (ibiranka), l’ishyira (nodule de graisse qui joue un grand rôle dans la divination) ainsi qu’une plante qui a nom imphosha et qui pousse surtout dans le fond des vallées près des marais. On y verse également un peu d’eau que deux enfants ont été puiser (un garçon et une fille dont les parents n’ont jamais perdu d’enfants : Abana b’isugi).

Cette cruche est placée dans l’édicule ou à côté du foyer selon les cas. On y suspend aussi un morceau de peau provenant du front de l’animal.
Dans une autre cruche, une marmite (inkono ivuga), on cuit la tête ainsi que le foie et la panse qu’on surnomme igitondera (du verbe gutondora qui signifie habituellement changer de maison), sans doute parce que ces viscères passent du corps de la bête dans la marmite!
Quand les invités sont nombreux, on ajoute une certaine quantité de viande, que l’on cuit parfois dans une autre cruche.
Lorsque la cuisson de la tête est à point, on détache de celle-ci de petits lambeaux de viande que l’on dispose sur des feuilles d’Erythrina avec des boulettes de sorgho (umutsima : pain de sorgho) et on les dépose dans les différents édicules en commençant par celui du muzimu en l’honneur duquel la bête a été sacrifiée. Puis, on se met à manger et à boire tout ce qui a été préparé : viande, pâte de sorgho, bière. Le festin se prolonge jusqu’au matin au milieu des cris, des chants et des danses.
De bon matin a lieu la « plantation » des cornes (kubyarira amahembe) déjà décrite ci-dessus. On creuse un trou à côté de l’édicule ou de la hutte. On y jette les yeux et tout le contenu de la cruche qui avait été remisée, ainsi que deux tiges de différentes plantes : Urukangaga (grosse herbe des marais qui sert à la fabrication des nattes) — Urufunzo (papyrus) — Umuseke (jonc) — et Ralire.
Si besoin est, on fend le crâne d’un coup de hache pour la raison que nous avons déjà dite. Le maître de céans les enfonce dans le trou de manière à ce que leurs pointes sortent un peu de terre. On referme alors le trou et on déverse par- dessus tout ce qui reste de l’eau lustrale.