Les premiers monarques connus et l’origine du nom « Rwanda »2


1° GIHANGA : 1er  Roi ± 1091-1124

 

  1. Les traditions du Rwanda, sans aucune exception, affirment explicitement que Gihanga fut le fondateur de la Dynastie. Les Mémorialistes lui dédient la formule louangeuse de Gihanga cyahanze inka n’ingoma= Gihanga lequel a inauguré la vache et le tambour. Le terme « tambour » symbolise aussi bien royaume et dynastie que royauté. Les deux fondements de cette louange, — tambour et vache, — sont évidemment erronés. Les Mémorialistes et Aèdes de la Cour supposaient que la lignée régnante constituait l’unique arrivée hamitique. de laquelle tous les clans pasteurs descendaient, soit en ligne directe, soit par métissage. Ce sont les mêmes conteurs cependant qui nous livrent en même temps la documentation concernant les autres groupes hamitiques, même antérieurs. Us ne sont pas des historiens, qui auraient pris conscience de leur documentation et se seraient appliqués à en harmoniser les données. Ils ne nous livrent que des matériaux juxtaposés et c’est heureux ainsi qu’ils n’en aient pas manipulé les éléments dont il nous est désormais loisible de nous servir. Gihanga n’a donc été l’inaugurateur ni de la vache, ni de la dignité royale en notre zone ; il a eu des précurseurs.

 

  1. Fut-il du moins le véritable fondateur de sa propre Dynastie ? La chose n’est pas certaine. Son règne se divise, en effet, en deux périodes, et c’est le Code ésotérique de la Dynastie qui nous le révèle. Durant la première période, l’Emblème de sa dignité était double : un marteau, et un instrument de musique appelé Nyamiringa, espèce de fifre urusengo, au pluriel insengo. Ce double Emblème fut, au deuxième stade, remplacé par le tambour Rwoga =le Renommé. Il l’adopta lorsque le nommé Rubunga lui révéla les premiers chants du Code Esotérique qui appartenait à la Dynastie Mourante des Abarenge. Dans les traditions des – «Dépositaires du Code » ce Rubunga est surnommé Mwungura wunguye ingoma ubwiru= le Surajouteur qui a surajouté le Code Esotérique à laRoyauté. En souvenir de cette révélation faite à Gihanga, Rubunga obtint la dignité de «Grand intronisateur », attachée à sa des-cendance à perpétuité. Ses descendants sont appelés Abatege, du nom de l’ancêtre éponyme Nyabutege ‘qui vécut sous Ndahiro II .Cyamatare. Ils étaient constitués en une dynastie honoraire, avec leur tambour _dynastique appelé. Busarure= le Gemmé. Leur « royaume » titulaire était la colline de Remera dans la Commune actuelle de Masango,. en l’ancienne province du Kabagali. A l’avènement de chaque mônarque Rwandais,  le Code Esotérique prescrivait d’introniser en même temps un homme de la descendance de Rubunga, autre privilège qui leur aurait été accordé par Gihanga•

59. Une fois adopté l’emblème Tambour, le marteau et le Nyamiringa ne furent pas entièrement abandonnés: ils constituaient toujours l’un des éléments essentiels –dans la collation de la dignité royale. Le Tambour-emblème jouissait, certes de privilèges dans les cérémonies publiques, mais les ançiens emblèmes en gardaient toujours ‘d’autres en vertu de leur priorité historique. C’est ainsi que l’exil d’un  homme ou d’une Famille était notifié officiellement. par le battement de tambour. En ce cas, le disgracié pouvait ensuite revenir dans le Rwanda, lui ou ses descendants. Mais si la sentence d’exil était publiée au son•de l’urusengo, elle était définitive-et ses effets duraient à perpétuité ; ni l’exilé, ni ses descendants ne pouvaient jamais revenir sur le territoire du Rwanda. C’est que ce simple instrument de Musique jouissait de Privilèges supérieurs: à ceux reconnue au tambour, emblème postérieur.. •

  1. Une question se pose dès lors: Gihanga étaitil. le premier détenteur de ce double emblème, du marteau et urusengo ? Ne ferait-il pas surprenant que,: fondant une. Dynastie dans l’aire des monarchies à Emblème-tambours, il en inventât un autre tout différent, qui n’avait pas la signification visée aux yeux des aborigènes ? Ce double Emblème, qui garda jusqu’à nos jours la préséance « sacrale » sur le Tambour, semble avoir été un héritage pour Gihanga. En toute hypothèse cependant, il peut être considéré comme le réorganisateur de la doctrine dynastique, désormais référée au Tambour.

 

61.Que Gihanga ait existé, la chose ne peut être mise en doute. Le Codé Esotérique de la Dynastie lui consacre explicitement bien des souvenirs. Or la qualité de ce « Code » sacro-saint, dont toute modification textuelle était écartée par un grave tabou, ‘exclut toute invasion du « profane ». Y introduire des nouveautés était censé devoir provoquer la ruine du pays. En plus, chaque monarque du Rwanda, n’importe où qu’il construisait sa capitale, devait faire élever à Gihanga une résidence séparée, face à la sienne, — appelée urukamishilizo= lieu de la traite des vaches. Un bosquet vénéré à la colline de Muganza, en la Commune Kayenzi, (ancienne province du Rukoma), marquait naguère le tombeau de ce patriarche. La Cour y déléguait, dans certaines circonstances, des Dépositaires du Code Esotérique, chargés de lui présenter des offrandes et implorer son assistance. D’autres souvenirs sacro-saints étaient attachés à l’Armée Bovine, dont le noyau initial se serait constitué de son troupeau personnel. Ces vaches étaient confiées, de génération en génération, à la Famille des Abaheka, descendants du fonctionnaire qui soignait le troupeau de Gihanga. Le patriarche de cette Famille devait traditionnellement avoir sa résidence officielle à Runda, (Commune de même nom, en l’ancienne province du Rukoma) et il portait, dans la hiérarchie du « Code Esotérique » le titre de « Grand Mwiru des vaches » ; (le terme Umwiru signifie Dépositaire du Code Esotérique).

 

  1. La Famille des Abatsobe descend de Gihanga, par son fils bâtard du nom de Rutsobe. En raison de ses fonctions relevant du Code Esotérique, le patriarche de cette Famille était le deuxième personnage du Rwanda après le Roi et la Reine mère. Il était revêtu de la dignité royale honoraire, son territoire dynastique étant la colline de Kinyambi, en la Commune de Runda, où l’on conservait son tambour dynastique appelé Rwamo= le Retentissement.

 

Les titulaires de ce tambour se succédaient sous les noms dynastiques de Nyaruhungura, Nyunga, Birege et Rubambo. Dans la hiérarchie du Code Esotérique, il portait le titre de « Grand-cérémoniaire de la fête des Prémices ». Il était de droit le Chef de la province du Bumbogo, qui fournissait le sorgho dont le Roi man-geait la pâte durant ladite fête des Prémices. Il était également de droit le Commandant de la Milice appelée Gakorulo = ,Propriété immémoriale, dont le noyau initial aurait été donné par Gihanga en fief à son fils Rutsobe.

 

  1. Bien plus, à l’avènement du Roi Rwandais, les monarques du Bugesera, du Ndorwa, du Bunyabungo (c.à.d. Bushi) et du Bushubi, envoyaient des étrilles inkuyu de leurs troupeaux personnels. Ces étrilles devaient être brûlées sur le foyer pastoral du nouveau régnant. C’était un hommage sacro-saint adressé à Gihanga, dont ils étaient les descendants par ses fils Kanyabugesera. I Mugondo, Kanyandorwa I Sabugabo, Kanyabungo I Ngabo et Gashubi, qui fondèrent les Maisons régnantes de ces 4 pays. Le chef patriarcal nommé par Gihanga, en effet, avait été son aîné Kanyarwanda I Gahima I, fondateur de la lignée du Rwanda. D’où il suit que le Roi du Rwanda était le patriarche honoraire de toutes ces dynas-ties, qui portaient le nom collectif des Abanyagihanga (la descendance de Gihanga) dans la terminologie du Code Esotérique.

 

  1. L’empire de Gihanga, à l’examen des traditions recueillies, débordait largement les limites du Rwanda actuel. Le Code ésotérique nous montre sa résidence au Bunyabungo, sur la rive Zaïroise sud-occidentale du lac Kivu. C’est dans les environs de cette résidence que la Cour du Rwanda se procurait des objets requis dans les célébrations des Prémices, parce que Gihanga aurait pris les mêmes objets en cet endroit précis. Lorsque la région en question retirait par intermitence son obédience à la Cour du Rwanda, celle-ci se procurait ces objets par des émissaires secrets, qui s’y ren-daient avec mille prétextes destinés à voiler le « secret ». Gihanga aurait habité également à Buhindangoma (non loin de Rutshuru, au Zaïre). En cet endroit habite la Famille des Abacyuliro, détenant un jeu de tambours. Lorsque le Roi du Rwanda arrivait dans la région, ses propres tambours devaient garder le silence, et ceux des Abacyuliro retentir seuls en son honneur.

 

65.A l’intérieur du Rwanda, Gihanga séjourna au Buhanga à la limite des Communes Nyamutera et Nyakinama, Préfecture de Ruhengeri. Un bosquet des plus vénérés marque l’emplacement de sa résidence. Ce fut en cette localité qu’il aurait été investi de la royauté sous le signe du Tambour Rwoga, lorsque Rubunga lui eut révélé les premiers Chants du Code Esotérique des Abarenge (no 45 ci-avant). Depuis le règne de Yuhi II Gahima II, un fonctionnaire était chargé traditionnellement, de père en fils, de résider sur place et de rendre constamment un culte pastoral à Gihanga, principalement par l’entretien d’un taureau appelé Rugira, nom qu’aurait porté l’un des taureaux de règne du patriarche hamite. Ce taureau vivait avec quelques vaches appelées Ingizi, dénomination d’un des troupeaux de règne du même Gihanga. Une Milice appelée Abanga-kugoma -= Ennemis de l’insoumission, fut détachée de la Gakondo (celle-ci créée par Gihanga) et attachée par le même Yuhi II Gahima II à cette résidence du Buhanga.

 

  1. Une autre résidence de Gihanga fut Kangomba (en la Commune Nyarutovu, Préfecture de Ruhengeri); le bosquet qui en marquait l’emplacement n’a pas encore disparu entièrement. Il fut malheureusement fort endommagé, aux environs de 1928 pour fournir du bois de construction à une école établie dans le voisinage. Cette « profanation » ne profita cependant pas à ses auteurs, car on constata qu’il s’agissait de bois, — de chêne disait-on, — reliquat de la forêt primitive, tellement durs qu’on n’était pas assez outillé pour les utiliser au maximum. Ce fut à l’époque de son séjour à Kangomba que Gihanga aurait accompli une cérémonie importante, relevant du « Code ésotérique », au puits appelé Ngomba qu’il fit creuser au sommet du mont Kabuye (3000 m). Une Famille, kwa Mwijuka, était traditionnellement chargée de garder ce puits, de père en fils, en vertu de prescriptions du Code ésotérique. Les eaux de ce puits étaient requises dans les cérémonies d’intronisation du Roi, et on devait en garder une certaine quantité, jusqu’au moment où le nouveau monarque avait construit sa 4ème résidence. (Les 4 premières résidences du nouveau règne étaient fondées rituellement dans un laps de temps fort réduit ; c’était des espèces de campements).

 

  1. L’autre résidence de Gihanga est certes située sur le territoire actuel du Rwanda ; mais la région ne fut reconquise que sous Cyilima II Rujugira. Il s’agit de Nyamirembe = Attitude de paix, dit de Humure = Pacification, dans l’ancienne province du Mutara. Cette localité était très vénérée en nos traditions, parce que Gihanga y aurait notifié son testament et distribué à ses fils les provinces de son empire. Il aurait désigné alors Kanyarwanda I comme son successeur patriarcal, à la tête de toute la Famille.

 

  1. Les données que nous venons de recenser relèvent du Code ésotérique et sont de la catégorie des traditions vitales. Il en découle que l’existence du personnage désigné sous le nom de Gihanga ne peut être mise en doute. Evidemment son nom n’est qu’un terme louangeur, et pas un nom vraiment propre. Il n’empêche qu’une Dynastie bien constatée a consacré sous cette appellation le premier de la lignée qui a inauguré son emblème du pouvoir. Peu importe que son véritable nom reste ignoré. Mais s’il fallait douter de son existence, il faudrait en inventer un autre qui corresponde à une tradition aussi ancienne.

 

  1. Les enfants de Gihanga qui firent souche, et dont confirmation est donnée par les prescriptions du Code ésotérique, sont les suivants :

1) de sa femme Nyamususa, fille de Jeni, de la lignée régnante des Abarenge :

  1. a) Kanyarwanda I Gahima I, héritier du Rwanda, père de Yuhi I Musindi, encêtre éponyme des Abasindi (clan dynastique du Rwanda).
  2. b) Kanyandorwa I Sabugabo, héritier du Ndorwa, père de Mushambo, ancêtre éponyme des Abashambo (clan dynastique du Ndorwa).

c)Kanyabugesera I Mugondo, héritier du Bugesera, père de Muhondogo, ancêtre éponyme des Abahondogo (clan dynastique du Bugesera).

  1. d) La princesse Nyirarucyaba.

2) de sa femme Nyangobero, fille du prince autochtone du Bunyabungo (Bushi) : a) Kanyabungo I Ngabo, fondateur de la lignée qui régna au Bunyabungo.

 

3) de sa femme Nyiramhirangwe :

  1. a) Gashubi, fondateur de la dynastie du Bushubi, père de Gashingo, ancêtre éponyme des
  2. b) Gafomo, qui n’a pas fait souche dans le pays.

 

4)de sa concubine Nyirarutsobe :

  1. a) Rutsobe, ancêtre éponyme des

 

Les princes Gashubi et Gafomo, ainsi que leur soeur Nyirarucyaba, sont les héros du conte concernant la capture supposée des premières vaches. Ce Récit est uniquement littéraire, sans aucune donnée utile sur le plan de l’Ethno-Histoire.

 

  1. Le testament de Gihanga, léguant à ses fils des zones d’influence et leur désignant un Chef patriarcal, est en accord parfait avec le système politique en vigueur dans notre zone en ces temps initiaux. Nous le remarquerons dès la levée du rideau concernant le Rwanda, et dans la suite à propos de certaines monarchies auxquelles les Banyiginya s’attaqueront. C’était l’époque des Confédérations, où des Rois autonomes reconnaissaient l’un d’entre eux comme détenteur du pouvoir suprême, conception qui n’est pas sans rappeler le système Ethiopien du Rois des Rois. Etant donné cependant la vastité du territoire envisagé, il faut supposer que Gihanga n’exerçait pas une autorité réelle, et que sa souveraineté était peut-être symbolisée par une prise de possession magique sur les pays qu’il parcourait. Autrement, si son autorité eût été effectivement reconnue, nous y verrions la confirmation complémentaire à ce qui a été dit plus haut (no 58) ; à savoir qu’il aurait eu des prédécesseurs, car une seule génération ne suffirait pas pour la conquête d’un si vaste empire, à moins qu’elle ne disposât d’un armement autre que les arcs et les lances.

’71. Une tradition, (pas vitale, bien qu’en cours dans les milieux du Code ésotérique), prétend que Rutsobe, lors du testament, obtint la zone du Gisaka ; ceci expliquerait rationnellement la présence de Gashubi dans la région appuyée sur le Gisaka et le Bugesera.  Rutsobe se serait fait représenter en son fief par un fonctionnaire, car il devait rester à la Cour auprès du tambour-emblème de la Dynastie. Comme ses successeurs devaient en faire autant, leur représentant au Gisaka aurait fini par s’émanciper entièrement et exercer l’autorité en son propre rein. Ce serait en récompense de cette fidélité et en compensation du dommage qui en avait résulté, que la Dynastie du Rwanda aurait perpétué la dignité royale dans la Maison de Rutsobe et aurait concédé plus tard à ladite lignée un territoire jouissant de l’autonomie interne (cfr no 62). La dignité royale dans la Maison de Rutsobe, le privilège de 2ème personnage après les Régnants et le territoire de Kinyambi, sont des réalités indubitables liées au Code ésotérique. Mais d’autres Maisons jouissaient de privilèges analogues sans avoir perdu un Gisaka !

 

72, En conclusion, nous considérons cette émancipation hypothétique du Gisaka comme une tradition purement orale qui pourrait peut-être avoir ou un fondement. Il faut reconnaître du reste que, au lever du rideau, nous constatons que les autres Maisons issues de Gihanga en auront fait autant vis-à-vis de celle de Kanyarwanda. • II semble qu’à la mort de Gihanga, bien d’autres régions, non directement attribuées à ses fils, reconduisirent leur indépendance sous l’égide des lignées locales. C’est l’époque où notre passé entre dans un silence prolongé, chaque Dynastie opérant au sein de

l’obscurité la plus complète. Quelques générations plus tard, le rideau définitivement levé, nous nous trouverons devant des royaumes plus ou moins vastes, en train de s’agrandir activement les uns aux dépens des autres.

Pendant ce temps, les Rois de la ceinture nous auront fait la surprise d’un Rwanda réel tourné vers l’avenir, résultat de leurs peine; qui aura succédé au plus vaste, mais inviable Rwanda de l’époque de Gihanga.