Naissance de l’Académie Rwandaise de Culture
L’Académie Rwandaise de Culture
1) Le document de départ
- Le présent paragraphe vient logiquement se placer ici, en tant que rameau du tronc robuste qu’est l’Education Nationale. *Avant d’en arriver au coeur du sujet, détaillons d’abord comment cette Académie a été projetée et comment sa création fut finalement décidée.
C’est en 1969 que Son Exc. Monsieur le Président de la République exprima le projet qu’il caressait de créer une Académie qui serait chargée d’inventorier et de communiquer aux masses Rwandaises les richesses culturelles de notre pays. Il en exposa les grandes lignes, à partir desquelles deux techniciens Rwandais désignés à cet effet et travaillant dans le plus grand secret sous le couvert du Ministre de l’Education Nationale, Son Exc. M. G. Harelimana, devaient élaborer un pré-projet de Statuts. Finalement Son Exc. M. le Président de la République renonça à l’intention première de créer l’Académie par voie d’Arrêté et voulut que cet organisme fit érigé par un Congrès Culturel National, dont les membres seraient au préalable sensibilisés par une manifestation culturelle appropriée. La décision collective d’un tel Congrès donnerait à cette érection une solennité destinée à frapper l’attention du Pays. Aussi créa-t-il un Comité d’Initiative par le Document mémorable n° 469/58.10/31 du 27 sept. 1970, adressé à leurs Exc. MM. les Ministres de l’Education Nationale, de l’Information et Tourisme, de l’Intérieur et Affaires Judicaires, de la Famille et Développement Communautaire, ainsi qu’à M. le Secrétaire Exécutif National du M.D.R. Parmehutu. Je ne puis mieux faire, en conséquence, — pour faire saisir à sa source la nature de l’Académie, — que de transcrire in extenso ce Document que M. le Président de la République avait rédigé de sa propre main en Français :
Messieurs les Ministres,
Monsieur le Secrétaire Exécutif National,
« Il M’est apparu nécessaire et urgent de vous rappeler ce qui suit et de vous donner les directives pour répondre, ne fût-ce qu’en ébauche, aux problèmes qui se posent à ce sujet.
Si une Nation perd sa culture, elle perd son âme et en perdant son âme elle perd ses forces les plus profondes et les plus vives. Elle est alors ballottée par tous les vents d’idées et de pensées et elle n’a plus de base où fonder son développement national. Elle ne sait démocratiser ce qui n’existe plus ou ce qui se trouve en pleine confusion. Les transformations et mutations qui tourmentent le développement vont au hasard et ni les masses populaires ni les leaders n’ont de référence pour orienter les changements nécessaires : aucune Révolution ne réussit quand elle n’a pas de point de départ ni de boussole. De plus le Rwanda — carrefour en Afrique centrale — a un rôle considérable à jouer. S’il n’a pas de prétention de leadership politique, il a de part sa position géographique, de part sa psychologie, de part Ta cohésion de ses enfants instruits, une place importante et un devoir auquel il ne peut se dérober : à savoir, celui de maintenir les vraies valeurs africaines, surtout culturelles, de la partie centrale du Continent africain et de participer à l’action qui guidera ces valeurs. Il a l’avantage d’avoir su recueillir bien des richesses du passé, d’avoir des hommes capables de les étudier, d’être un pays large et ouvert grâce à la symbiose des ethnies qui l’habitent ; les événements politiques des années passées, la Révolution de novembre 1959, n’ont fait qu’éjecter les éléments qui n’avaient pas, pour des égoïsmes divers, accepté cette symbiose, cette voie constructive d’une société qui se veut solide et efficace.
- Après avoir posé ces principes générateurs de l’Académie Rwandaise de Culture, M. le Président de la République passe aux moyens pratiques de sa réalisation initiale ; il poursuit :« La réflexion brièvement esquissée dans les lignes précédentes, commande aux responsables de la société rwandaise d’orienter les capacités et de les canaliser de manière à ce que ces capacités servent le Peuple, promeuvent la Nation et sa culture : de manière à authentifier celle-ci et à la rendre le fondement solide du Développement général du Peuple. C’est pourquoi je vous demande Messieurs les Ministres, Monsieur le Secrétaire Exécutif du Parti National, de vous employer à réunir toutes les capacités culturelles du Pays, de chercher avec elles les moyens les plus aptes à réunir l’héritage valable du passé, de l’analyser, de le mettre au diapason de l’âme actuelle de notre Peuple, de recueillir et d’analyser les éléments nouveaux provenant de cultures étrangères, de faire la synthèse de la culture actuellement valable pour un Développement moderne du Rwanda et de l’ Afrique, et de conduire rationnellement l’évolution de ce secteur de la vie nationale. Travail délicat, difficile mais nécessaire au Développement authentique de la vie nationale ».
Nous avons souligné « authentifier » et « authentique », en vue d’indiquer que l’idée était depuis longtemps dans l’air et que notre Document aussi bien par la nature même du sujet traité que par la forme matérielle desdits termes, est antérieure à la mise en vogue de l’authenticité chez nos amis du Zaïre. Son Excellence M. le Dr Kayibanda poursuit donc en indiquant la procédure à suivre :
«Pour démarrer, dit-il, il faut prendre des moyens et les suivants Nous paraissent suffisamment valables pour le début : a) Les quatre Ministres et le Secrétaire Exécutif National, auxquels cette lettre est directement adressée, constituent le Comité d’initiative, qui peut s’adjoindre des consulteurs. — b) Le Comité invitera les capacités les plus représentatives dans tous les secteurs de la Culture (lettres, musique, sculpture, peinture, architecture, chorégraphie, éducation, etc.) à une réunion de « sensibilisation » et de prise de conscience des collaborations nécessaires entre tous les acteurs du Jeu culturel sur le théâtre de la vie nationale. — c) Un Comité, — une Académie de culture rwandaise et africaine, — sera formé qui se cherchera les méthodes et les moyens d’action pour réaliser l’objectif indiqué… — d) Cette Académie poursuivra ses travaux sous l’égide du Ministère de l’Education Nationale et du Secrétariat National du Parti National. Elle choisira ses méthodes d’action ; et, par le truchement du Ministère et du Parti, elle pourra même solliciter des aides extérieures comme elle pourra prendre les contacts qu’elle jugera authentiquement enrichissants. L’Académie travaillera sans chauvinisme, voulant seulement asseoir une base culturelle solide au Développement moderne de la République et d’être utile à l’Afrique. Tous les niveaux d’instruction « scolaire » comme les principales différences locales seront représentées : le critère étant fondamentalement une contribution valable à la vie culturelle rwandaise et africaine.
Nous suggérons que les premières rencontres comportent non seulement des conversations sur les théories et sur l’organisation et la recherche d’un statut juridique, mais aussi qu’elles comportent des séances pratiques de différents aspects de notre culture. Les rencontres seront ainsi plus vivantes et appelleront plus rapidement la collaboration entre les différentes sections et une véritable vitalité.
- 840. Ici le Chef de l’Etat signale, déjà à l’oeuvre en ordre dispersé, les pierres d’attente qu’il est grand temps d’unifier pour en faire la base de ce courant puissant de vie culturelle qu’il entrevoit : « L’aspect financier de cette entreprise ne Nous a pas échappé, mais d’une part tout le monde sait qu’une chose de ce genre est très rarement financée quand elle n’a pas encore pris corps et d’autre part bien des éléments existent déjà pour la formation d’un corps de promoteurs pour la culture africaine de notre pays. Nous pouvons avec bonheur enregistrer des écrivains de valeur, les comités qui commencent à mettre en confrontation la Religion avec la culture africaine, des musiciens de haut; valeur, des sculpteurs, des poètes qui font honneur à la jeunesse de la République ; les Responsables de la vie nationale ont le devoir de ne pas laisser les efforts se disperser au risque de s’étioler. Organisez-les pour leur permettre d’avancer et de travailler la main dans la main, pour être plus forts et plus efficaces.
Qu’on fonde ou qu’on base des fois Religieuses, qu’on base le Développement économique et social sur la culture, il faut que cette Culture existe indépendante et vive ; et c’est votre rôle de promouvoir une Culture nationale authentique, cohérente, fondement et couronnement de la vie de la Nation : vous devez l’orienter avec le plus d’objectivité possible.
Enfin, M. le Président de la République laisse percer le principe, mère de son initiative : républicaniser la Culture Rwandaise et mettre de la sorte en l’air toute tentative des saboteurs anti nationaux ; il conclut :
« Les Responsables ne doivent pas se laisser intimider par les manoeuvres de l’incivisme ou du néocolonialisme qui taxeraient nos efforts de démagogie. L’incivique et le néocolonialiste perdent en fait un moyen de subversion ; ils perdent un frein à opposer au Développement de la République. Ils comptent utiliser la dispersion qui décourage, ou la formation de groupuscules entre nos Etudiants, moyen pour eux de retarder une relève consciente, continuatrice d’une Révolution qui doit aller plus loin que la victoire sur la féodalité et la colonisation. Allons de l’avant pour une plus profonde vitalité de notre Peuple et gardons notre courage d’il y a dix, douze et pour certains d’entre nous plus de vingt ans. Aussi demandons-nous à quiconque peut apporter une contribution valable au Développement culturel de notre « Pays de la donner généreusement ».
2) Le Comité d’Initiative et le Congrès Culturel National
- 841. Une fois en possession de cette lettre, les 5 personnalités composant le Comité d’initiative s’adjoignirent 9 experts dont 4 Fonctionnaires des Ministères concernés, tous constitués en Comité des Consulteurs. Les réunions des 8 et 9 décembre 1971 tenues dans le bâtiment du Ministère de la Coopération Internationale, furent consacrées à l’étude détaillée de la lettre Présidentielle, à l’orchestration des moyens propres à en réaliser le contenu, et à l’inventaire des éléments culturels rwandais, domaine propre de la future Académie. Elle devait non seulement en assurer la collecte, la conservation et la communication, mais encore présider à leur développement par étude et recherches systématiques, par stimulation à créer d’autres oeuvres dans le cadre nouveau, et par des manifestations populaires propres à développer la conscience culturelle des masses rwandaises.
La dénomination « Académie de Culture Rwandaise et Africaine », suggérée par la lettre de M. Te Président de la République, donna lieu à un échange de vues assez prolongé. Les uns voulaient maintenir la formule telle quelle, tandis que les autres objectaient qu’en mentionnant l’Afrique on l’opposait aux autres continents. Or ceci serait inconséquent du fait que le Français, 2ème langue officielle du Pays et donc de l’Académie, appartenait à une Culture extra-africaine. M. le Président de la République consulté fut de cet avis et choisit le titre de « Académie Rwandaise de Culture » ajoutant que cela laissait ouvertes toutes les possibilités vers l’extérieur.
Il fut décidé ensuite que le Congrès National, une fois les Statuts approuvés, élirait 6 membres du Comité Directeur initial de l’Académie. A ce Comité, une fois les Statuts promulgués par voie d’Arrêté par le Chef de l’Etat, reviendrait le pouvoir d’élire les premiers autres membres de l’Académie.
Les membres du futur Congrès furent désignés en tenant compte à la fois des compétences et des Préfectures, de sorte que la représentation de celles-ci fut de 6 membres au moins et de 10 au plus, en proportion du nombre des habitants. Un projet des Statuts de la future Académie fut rédigé. Il servit de Projet d’Arrêté Présidentiel, dont le texte devait être soumis à l’approbation du futur Congrès, auquel M. le Président de la République avait confié la tâche d’ériger l’Académie.
- Ce fut au cours des réunions des 15, 16 et 17 décembre que les programmes furent définitivement arrêtés. Dès le 31 décembre une Exposition des Arts Plastiques devait ouvrir les festivités ; les 2 et 3 janvier 1971 étaient réservés aux manifestations culturelles : jeu de tambours, chants, danses populaires et guerrières, déclamation de poèmes, sur le Stade National de Nyamirambo. Le Congrès Culturel National clôtura ces manifestations en tenant ses assises le 4 janvier dans la grande salle du Collège St André à Nyamirambo. Il se composait de 94 membres et il délibéra en présence de dizaines d’observateurs membres d’Ambassades et autres, attirés par la nouveauté de l’événement. M. le Président de la République en ouvrit les travaux par un discours en Kinyarwanda, dont nous traduirons les passages suivants :
« Ce que Moi et le Gouvernement désirons, dit-il, c’est que les mots en usage, les idées nouvelles qui s’infiltrent dans pays, les attitudes de toutes sortes, ne puissent pas empêcher le Rwandais d’être Rwandais, ne charançonnent pas sa tradition en ce qu’elle a de bon et ne retardent pas son progrès ; nous n’entendons pas leur interdire l’arrivée, mais nous voulons qu’ils se présentent en donnant plus de vigueur au Kinyanvanda.
« Lorsque je parle de « Kinyarwanda » dans des Assemblées comme celle-ci, il ne s’agit pas simplement de notre langue, mais de toute notre Culture sous tous ses aspects. Et même, pour commencer, abstenez-vous d’engager de longues discussions au sujet de la dénomination que vous imposerez à votre Groupe : Académie, Association ou toute autre. La véritable dénomination convenant sera celle qui condensera ce que vous avez en vue dans vos travaux (destinés) à. renforcer le Kinyarwanda, à le faire mieux saisir des citoyens du Rwanda, ainsi que de l’Afrique qui nous environne… Ainsi vous garderez-vous de vous imaginer que le Kinyarwanda est simplement notre langue et tous ses différents genres littéraires ; gardez-vous de la pensée que le Kinyarwanda se compose de chansons et des danses rwandaises uniquement ; gardez-vous de penser que le Kinyarwanda consiste dans les contes, les chants et les morceaux de cithare (pratiqués) au Rwanda ».
La signification plus étendue que M. le Président de la République donne ici au mot Kinyarwanda peut se justifier sans difficulté. Le sens ordinaire de ce terme est langue du Rwanda. Or il se fait que dans une Culture sans écriture, la langue parlée est justement l’unique Encyclopédie renfermant et définissant tous les mots par lesquels se rendent les éléments culturels qu’il est possible de concevoir et d’exprimer. Dire de quelqu’un qu’il connaît parfaitement cette langue ne doit donc pas se limiter au sens primaire, le plus obvie, qu’il la parle à la perfection, mais encore au sens de seconde vague qu’il en possède lin vaste vocabulaire dont il pénètre, plus parfaitement que bien d’autres, la signification riche et variée, ce qui revient à dire le contenu culturel le plu étendu.
- C’est ce dont M. le Président de la République entreprend de donner quelques exemples concrets ; il poursuit : « Le Kinyarwanda n’est pas uniquement cela : le système de l’éducation des enfants, le système des échanges commerciaux, la technique de la construction d’une maison et son embellissement intérieur, la façon de fonder un foyer et le cérémonial qui s’y rapporte, l’idée qu’un Rwandais a d’une personne qui a décidé de rester célibataire, l’attitude du Rwandais vis-à-vis des êtres non doués de l’intelligence et de la volonté, les connaissances médicales rwandaises, ainsi que le cérémonial qui en accompagnerait l’usage, ce que le Rwandais se dit à propos d’un étranger, comment il lui accorde l’hospitalité, l’amitié dans les conceptions rwandaises, les idées du Rwandais concernant la guerre, comment le Rwandais pratique les vertus, celles qu’il place en tête des autres et le motif de cette hiérarchisation ; les outils du Rwandais, leur utilité et l’historique de leur perfectionnement progressif; le changement d’habitat du Rwandais et ce qui en est la cause ; ce que le Rwandais pense de la représentation figurée : dans le bois, en argile, dans la pierre, dans les signes appelés lettres ; comment le Rwandais comprend la Religion et le rôle de la Religion dans la mentalité rwandaise en toutes les catégories des citoyens, et tant d’autres de ce genre dont l’ensemble compose ce que nous appelons le Kinyarwanda. Mais au stade actuel — qui n’est pas trop mauvais où en est l’évolution du monde, il y a des coutumes, le mode du langage, de l’habillement, de la construction, du comportement social, qui se sont introduits dans le Klnyarwanda. Il est avantageux de ne pas « repousser la centaine qui s’ajoute à la précédente » les Rwandais les ont depuis longtemps acceptés. Lors donc que vous examinerez tous ces aspects, gardez-vous de vous en tenir uniquement à l’attitude qui ne consisterait qu’à rechercher comment les choses étaient en l’ancienne tradition »…
- le Président de la République poursuit son exposé en soulignant, entre autre, par des exemples à la portée de tous, comment les idéaux de la Démocratie ont fait leur apparition et sont en train de pénétrer la Culture Rwandaise, spécialement par le truchement du système électoral dans toutes ses dimensions, par la structure nouvelle des échelons politiques. Tout ce long texte est, en fait, un programme serré d’applications que la future Académie devra réaliser à partir des principes généraux ci-avant indiqués. Il conclut :
« La République et la Démocratie ne repoussent pas le Kinyarwanda, elles repoussent uniquement le régime de la monarchie et de la colonisation, ainsi que les intrigues que cela comportait. La tradition globale du pays — qu’on appelle Culture Nationale — ne pouvait pas alors devenir démocratique, la Coutume étant que le Muhutu était corvéable et taillable à merci, le Mutwa étant Mutwa, tandis que les fils des nobles avaient droit à tout dans le pays, bien que tous n’y parvenaient pas.
« La tâche qui incombe à votre Assemblée est de rechercher par quel moyen le progrès du savoir, du bien-être, de la paix, atteindra tous les citoyens, et que ce soit cela qui devienne le Kinyarwanda, que la Culture Rwandaise devienne commune à tout citoyen qui y aspire ; pour celui qui est en retard, vous chercherez les voies du Kinyarwanda qui le provoqueront à y répondre lui aussi : soit par les réunions que vous organiserez, soit par les livres que vous écrirez, soit par des tableaux que vous peindrez, il y a des constructions que vous ferez avancer, il y a la langue que vous parlerez, et d’autres encore. Tout cela fera que la Culture Rwandaise — que j’ai appelé le Kinyarwanda — deviendra démocratique. Alors la Culture deviendra vraiment le Kinyarwanda, vraiment démocratique, de tous les citoyens de la République, débarrassée de la conception à courte vue de naguère…
« Nous voulons que notre Culture — le Kinyarwanda — devienne commune à tous et qu’il n’y en ait plus qui y soient serviteurs: les cultivateurs, les hommes des métiers, soit les commerçants de toutes les catégories, soit les grands, soit les petits, soit les détenteurs de diplômes élevés, soit les femmes, soit les hommes, soit dans les jeux, soit dans les délassements, soit dans les techniques, soit dans la pratique des Sports, soit ceux qui se servent de la radio, soit dans toutes les autres occupations auxquelles vaquent les citoyens pour gagner leur vie, mais surtout dans l’éducation de la jeunesse : que la Culture — le Kinyarwanda — devienne commune à tous les citoyens. L’indispensable est que tous cela qui compose la Culture, — qui compose le Kinyarwanda — atteigne au Rwanda le comportement de tous les citoyens.
Nous voulons que la tâche de la Culture soit désormais démocratique et devienne affaire de tous les citoyens. Quant à celui qui essayera d’en faire un instrument d’une certaine politique occulte, nous l’en exclurons et nous ferons comprendre que le progrès du Kinyarwanda doit être l’échelle de tous les citoyens et le signe de ce qu’ils sont, du point où ils sont arrivés, et de la direction où ils vont.
Vous avez une tâche pas très facile, surtout parce que vous ne pouvez pas faire abstraction des autres Cultures et des autres coutumes qui s’introduisent dans le Kinyarwanda. Evidemment la Culture n’est pas transformée uniquement par ce qui vient d’ailleurs : elle est elle-même comme un être vivant qui aspire à durer sans discontinuer, mais en se transformant pour se mettre au stade où les autres sont arrivés ; il se fait ainsi que si même aucune autre Culture ne venait s’introduire dans le Kinyarwanda, il ne manquerait pas de se transformer ; il y a la technologie que vous ne pouvez pas éviter : qu’elle vienne ! II y a la jeunesse qui avance dans un comportement différent et dans des idées nouvelles : que toutes ces choses soient les bienvenues ! Nous ne vous chargeons que d’une seule chose : c’est que vous étudiez le Kinyarwanda et que vous en preniez conscience, que vous le dirigiez dans la voie qui poussera en avant le progrès commun des citoyens : Nous voulons une Culture Nationale dynamique et populaire (no 845), car c’est là la démocratie dont 11QUS avons fait la Coutume dans la République Rwandaise ». (Kigali 4 janvier 1971, le Président de la République, Gr. Kayibanda).
Après le discours du Président de la République, le Congrès Culturel National, sous la Présidence de M. Harelimana, Ministre de l’Education nationale, entendit deux exposés faits respectivement par deux membres du Comité des Consulteurs. Le premier donnait le programme schématique des éléments culturels du Rwanda ; le second analysait la notion du terme « Culture » en général et l’appliquait ensuite au cas du Rwanda au sein de la plus vaste Culture Bantu.
Faute de temps nécessaire, le Congrès ne put voter ce jour-là les Statuts de la future Académie. M. le Président de la République, en fin de la journée, s’adressa ainsi aux membres du Congrès : « Si la plupart d’entre vous ne veulent pas procéder aujourd’hui à l’examen des Statuts proposés, ni à l’élection d’un Comité permanent pour la continuation des travaux, Nous n’avons aucune objection à ce que le Comité d’initiative et des consulteurs continuent le travail d’aujourd’hui : à savoir vous faire parvenir le procès-verbal de cette réunion initiale, de vous faire parvenir tous les textes et exposés d’aujourd’hui sur différents sujets relatifs à l’ordre du jour du Congrès, quitte à vous convoquer les prochaines semaines pour examiner les Statuts et élire le Comité définitif devant orienter la Culture Rwandaise ».
- L’Académie Rwandaise de Culture (A.R.C.) fut créée par l’Arrêté Présidentiel no 168/03, du 20 février 1971 (Journal Officiel no 13). Ce fut le 23 février que le Congrès Culturel National élit les membres du 1er Comité Directeur. Les candidats furent présentés en partie par le Gouvernement (d’entre les membres du Comité des Consulteurs) et en partie par le Congrès lui-même. Ce Comité Directeur doit se composer de 7 membres, dont 5 élus et 2 membres de droit, à savoir le Ministre ayant la Culture dans ses attributions et un représentant du Parti National (en fait le Secrétaire Exécutif National). Le Comité Directeur et l’Assemblée Générale constituent les deux Organes, respectivement effectif et extraordinaire de l’Académie.
Les membres de PA.R.C. se répartissent en trois catégories : il y a d’abord les membres effectifs, au nombre de 40, obligatoirement de nationalité rwandaise. Après le stade initial de l’Election par le Congrès, le Comité Directeur élira d’autres membres qui seront nommés par M. le Président de la République. Une fois convoqués en Assemblée Générale ils éliront d’autres, et ainsi de suite, au scrutin secret, à la majorité simple et les élus seront nommés par le Président de la République. La durée de leur mandat est fixée à 10 ans renouvelables. Dans l’Assemblée Générale les membres effectifs ont seuls voix délibérative.
Il y a ensuite les membres associés, de nationalité rwandaise ou étrangère, connus pour leur compétence culturelle, désignés sans limitation de nombre. Le texte de l’Arrêté ne précise pas la condition sur laquelle se base cette catégorie, mais les comptes rendus des séances renseignent que, en faveur des étrangers, était envisagé le fait de ne pas connaitre à la fois les deux langues officiel Pays (le Kinyarwanda et le Français.)
Il y a enfin les membres honoraires, choisis parmi les personnalités rwandaises ou étrangères connues pour les services rendus à l’Académie. Les candidats des deux dernières catégories sont présentés par le Comité Directeur et élus par l’Assemblée Générale à la majorité des 2/3. Lorsqu’ils n’étaient pas déjà membres effectifs, les deux membres de droit du Comité Directeur, le deviennent de par leurs fonctions et deviennent ensuite membres honoraires après cessation de leurs fonctions.
L’Académie subvient à ses besoins au moyen des subsides à charge de l’Etat et peut accepter les libéralités par actes entre vifs ou testamentaires, sous réserve de l’autorisation du Président de la République.
- Comme on l’aura remarqué, notre Académie se distingue, par certaines particularités, de ce que pareille institution représente dans la Culture Européo-Américaine. Ne vous arrêtez pas au fait que ses membres ne soient pas élus à vie : les 10 ans renouvelables reviennent pratiquement au même, puisque le renouvellement n’est pas limité. Considérez plutôt qu’il ne s’agit pas d’une société purement savante, dont les membres vaqueraient, à huis clos, à la discussion de sujets scientifiques à communiquer ensuite à des organismes similaires, etc. en vue de faire progresser les recherches, chacune dans la voie de sa spécialité. H s’agit plutôt d’une africanisation de l’idée que l’on se fait d’une Académie sous d’autres cieux. C’est un instrument de Développement social chargé de conscientiser la masse Rwandaise, à lui révéler la richesse de sa Culture. C’est dans ce but que le Gouvernement lui accordera des subsides en vue de publier les livres destinés au Peuple d’organiser des manifestations culturelles tour à tour en différents points du territoire de la République. C’est, en d’autres mots, l’organisme parastatal chargé de compléter ce qui manquait au Ministère de l’Education Nationale. Ce Département risquait de fausser quelque peu la portée de sa dénomination en limitant l’Education Nationale à l’enseignement uniquement scolaire auquel, certes, il se dépense sans compter. Mais les masses du Peuple ont également besoin de cette Education, pour que la dimension Nationale soit globalement vraie. C’est là le rôle que le Chef de l’Etat confie à l’Académie Rwandaise de Culture.