La situation Religieuse de 1959 à 1972

 

  1. Diocèses, Missionnaires et Fidèles

 

846.Comme nous l’avons souligné plus haut (no 669 ssv), c’est le Christianisme qui a donné au Rwanda la base indispensable de son émancipation intérieure, encore qu’il ne faille pas limiter cette tâche à la seule catégorie d’Agents officiellement dénommés Missionnaires. Les Autorités Publiques de l’Etat y ont constamment collaboré, de même que les Missionnaires de leur côté les ont secondées. Et cela se comprend aisément, car l’Homme dont il s’agit, du point de vue de la Religion, est un être à la fois corporel et spirituel, devant servir Dieu sous les deux éléments qui le composent. C’est pourquoi après avoir esquissé la tâche de l’Etat Rwandais sous l’angle du Développement politique, économique, social et culturel, il est naturel que soit abordé en parallèle le deuxième volet de ce diptyque, pour nous faire une idée d’ensemble d’un Rwanda en marche vers le Développement global de ses habitants.

Le Développement réel de la Religion ne peut être directement observé, vu qu’il s’agit d’une conversion intérieure, d’une attitude intime de conviction. Mais on peut le reconnaître, jusqu’à un certain point, par les démarches extérieures de pratique religieuse, par l’accroissement ininterrompu de ses adhérents, par la progression des institutions qui la sustendent et par le zèle que les fidèles mettent à la propager. Voyons l’état de ces signes extérieurs de la Religion au Rwanda depuis les 12 dernières années.

847.Du côté de la Religion Catholique, les deux Vicariats Apostoliques, de Kabgayi et de Nyundo, furent élevés respectivement au rang d’Archidiocèse et de Diocèse le 10 novembre 1959. Ce fut, l’année suivante, l’érection du Diocèse de Ruhengeri (20-12-1960), formé de territoires détachés des deux circonscriptions existantes. Le nouvel Evêque, le regretté Mgr Bernard Manyurane, décéda avant son sacre le 8 mai 1961, et à sa place fut nommé Mgr Joseph Sibomana le 21 août 1961. Le 11-9-1961 l’Archevêché de Kabgayi était amputé de son territoire Sud pour donner naissance au Diocèse de Butare (alors Astrida) à la tête duquel fut placé Mgr J.B. Gahamanyi, qui sera sacré le 6-1-1962. Enfin le 5-9-1968 était créé le Diocèse de Kibungo, formé de territoires détachés à l’Est de l’Archevêché de Kabgayi. Il fut confié à Mgr Sibomana, transféré de Ruhengeri, ce dernier Diocèse passant à Mgr Phocas Nikwigize (Cfr Annuaire Ecclésiastique 1970-1971 Burundi et Rwanda, p. 57-83).

La situation des autres Confessions Chrétiennes a été esquissée plus haut (cfr no 673). A cette liste antérieure il faut ajouter les Pentecôtistes et redresser trois dénominations : les Baptistes sont désormais l’Union des Eglises Baptistes du Rwanda ; la Société Evangélique Belge est devenue, depuis l’Indépendance, Eglise Evangélique Presbytérienne et l’ancienne C.M.S. est désormais l’Eglise Anglicane au Rwanda. Pour le détail on consultera utilement l’Abbé Malyomeza : Oecuménisme en général et au Rwanda en particulier (cfrCulture traditionnelle et Christianisme, Nyundo 1969, p. 150-161). Pour l’Eglise Anglicane au Rwanda (E.A.R.) le pays forme depuis un Diocèse, à la tête duquel a été placé un Evêque Rwandais en la personne de Mgr Sebununguli, qui réside à Kigali. 

848. Au début de la période considérée, les 2 Diocèses Catholiques initiaux ne totalisaient que 57 paroisses ; à l’heure qu’il est, les désormais 5 Diocèses ensemble en totalisent 93, soit une augmentation globale de 35 nouveaux postes. Le Trait d’Union, Bulletin de l’Archidiocèse (no 111, janv. 1972, p. 10) nous rappelle, par point de comparaison, que de 1910 à 1940, il y a eu 3 nouvelles paroisses seulement, soit en moyenne un poste tous les 10 ans. L’accélération  que voilà des fondations depuis 1959 — soit en moyenne 3 paroisses par an, — s’explique principalement par deux facteurs : 1°en multipliant les Diocèses, l’Eglise Catholique a, par le fait même, décentralisé la décision et quintuplé la puissance de la recherche des ressources et du personnel. Il s’ensuivît la création des Petits Séminaires par Diocèse, etc. Cette période nous laisse saisir qu’il y a eu un retard dans l’évangélisation du Rwanda, du fait que de 1922 à 1952, — érection du Vicariat du Rwanda et son dédoublement, soit durant 30 ans, — le pays soit resté sous une direction unique, au lieu qu’il fût divisé au moins en 3 Vicariats Apostoliques. 2°Le 2ème facteur a été constitué par la nouvelle conception concernant le personnel Missionnaire : le clergé a été renforcé par les prêtres séculiers qu’on appelle FideiDonum(de l’en-tête d’une encyclique de Pie XII qui déclencha ce mouvement). Ainsi l’Archidiocèse en compte 37, (ibd p. 10), Butare 15 (Statistiques Religieuses, juin 1970-juin 1971), Ruhengeri 11. Ceux du Diocèse de Kibungo ne répondent pas à la même définition, car ils appartiennent à une Congrégation Religieuse. Nyundo n’en a qu’un seul, mais il en a envoyé 4 au Zaïre et 3 dans l’Archidiocèse de Kabgayi (cfrCivitasMariae, Bulletin Diocésain, n°173 sept. 1972, p. 9). On comprend dès lors qu’avec un aussi précieux contingent il soit possible d’accélérer les fondations.

849. Il n’est guère possible de détailler toutes les formes que prend actuellement cette action évangélisatrice au sein des populations. Je pense par exemple à l’initiative récemment inaugurée dans le diocèse de Butare : jusqu’à présent les Religieuses se fixaient à l’ombre du clocher : leur présence était inconcevable loin du presbytère. Grâce à la nouvelle discipline concernant la distribution de l’Eucharistie, il a été possible de permettre la fondation de Communautés de Soeurs en pleine brousse, loin des paroisses, pour y vaquer à l’animation des Chrétientés dépourvues de la présence permanente du Prêtre. Les Soeurs Auxiliatrices à Busoro, dans le paysannat du Mayaga, en Préfecture de Butare et les Soeurs de la Congrégation autochtone des Benebikira. àMbuga et à Kirambi en Préfecture de Gikongoro ont fondé leurs Couvents en dehors des Paroisses et sont au service Social des populations. La paroisse respectivement voisine leur envoie un Prêtre pour célébrer et leur laisser la Sainte Eucharistie qu’elles pourront distribuer aux Fidèles qui viendront célébrer la Parole du Seigneur en l’absence du Ministre ordinaire. Initiative prometteuse, car on ne comprendra plus bientôt qu’un personnel si précieux fonde désormais des couvents en surnombre dans un centre où ne les appelle pas un ministère spécialisé (par exemple l’enseignement).

  1. Les deux Congrégations Religieuses autochtones, auparavant vouées à l’enseignement primaire, à savoir les Frères Joséphites et les Sœurs Benebikira, dirigent également des établissements du secondaire. En date du 29 sept. 1966, le Saint-Siège a accordé aux Frères Joséphites le Décret de louange, qui transfère la Congrégation du rang de celles de Droit Diocésain à celui Pontifical. La Congrégation des Benebikiraa fêté en 1969, le 50ème anniversaire de son existence. Ce fut le 25 mai 1919 en effet, que l’aînée de ses membres, Mama Yohanna, prononça ses voeux. C’est en 1972 que les survivantes de l’époque héroïque ont célébré effectivement leur jubilé de 50 ans. L’un des signes tangibles et hautement significatif de la vitalité des deux Familles, est qu’elles ont déjà inauguré l’action Missionnaire à l’étranger. Les Joséphites travaillent au Burundi où ils ont non seulement 3 Communautés, mais encore l’une estconstituée de leur Noviciat ouvert en ce pays, tandis que l’autre y collabore à la formation d’une nouvelle Congrégation Diocésaine à ses débuts. Ils participent, en plus, au Zaïre, à l’éducation des Séminaristes du Diocèses d’Uvira. Quant aux Benebikira, elles travaillaient dans 4 Diocèses au Zaïre, avant la révolte des Mulélistes après la tourmente, elles ont repris leur apostolat dans les Diocèses de Kindu et de Goma, où elles ont fondé 4 Communautés.

Notons qu’une 3ème Congrégation autochtone, les Bizera-Mariya = Celles qui espèrent en Marie, fondée par l’Abbé Rwandais Raphaël Sekamonyo, est au stade de formation initiale au Diocèse de Butare. Elle totalise déjà quelques dizaines de membres qui se dévouent au service des vieillards et des infirmes.

Parmi les Ordres, Congrégations et Sociétés venus soutenir l’apostolat au Rwanda, nous avons déjà signalé les Dominicains et Dominicaines à propos de l’Université Nationale du Rwanda (cfr no 833). Leurs devanciers ont été indiqués plus haut (n° 276). Nous ajouterons la liste de ceux qui, à partir déjà de 1953, sont venus oeuvrer dans le pays et auxquels il n’a pas encore été fait allusion. Signalons d’abord la présence de deux Ordres contemplatifs. Les Bénédictines et les Carmélites. Ces dernières arrivées du Kasayi au Zaïre, ont déjà essaimé du Rwanda à Kinshasa et parmi les fondatrices du nouveau couvent se trouvaient des Rwandaises. Citons ensuite les Soeurs de Saint-Vincent, les Petites Soeurs de Jésus, les Chanoinesses Régulières de St-Augustin, les Soeurs de Marie, les Soeurs de Saint-Marie, les Visitandines, les Soeurs du Bon Pasteur, les deux instituts Séculiers Féminins : Auxiliaires de l’Apostolat et Auxiliaires Féminines Internationales. La plupart de ces Familles ont déjà recruté sur place les vocations qui les renforcent et servent à les enraciner. Il en est de même des Bénédictins et des Jésuites. Ceux-ci ont transféré de Djuma, au Zaïre, à Cyangugu leur Noviciat de l’Afrique centrale ; leurs Vice-Provincial, le R.P. Mahame, résidant à Kigali, est un Rwandais. Les Prêtres de la SAM (Société Auxiliaire des Missions), créée en vue mettre ses membres au service des Evêques autochtones, sont arrivés au Rwanda dès l’érection de Nyundo ; il en vint ensuite desservir celui de Butare. Le même Diocèse de Nyundo a accueilli les Frères de la Vierge des Pauvres. Nommons encore les Frères de Saint-Gabriel et ceux de Van Dale oeuvrant dans le Diocèse de Butare. Ce Diocèse bénéficie enfin d’un Missionnaire Prêtre de la Congrégation de Sainte-Croix.

Et puisque nous venons de citer les Missionnaires rwandais servant l’Eglise à l’étranger, complétons la série par les Soeurs de l’Assomption tantôt mentionnées. C’est la Congrégation qui, après les Benebikira compte le plus grand nombre de Religieuses Rwandaises : 75, dont 14 Missionnaires (2 en Tanzanie, 1 au Dahomey, 2 au Togo, 2 en Côte d’Ivoire, 2 en Haute Volta, 2 au Niger, 2 en France et 1 en Belgique).

851.La nomenclature de ces Familles, peut-être incomplète, laisse deviner une nombreuse année d’hommes et de femmes voués au progrès intellectuel, spirituel, social et économique du Rwanda. Il est certain que sans l’effort conjugué de toutes ces Familles, le progrès du pays eût été manchot. Sans la quote-part de chacune d’entre elles, en effet, — soit dans le service social, soit dans l’enseignement primaire, secondaire ou même supérieur, — le progrès global du pays comporterait l’une ou l’autre lacune, si invisible à l’oeil nu soit-il. Pour l’Historique de ces Instituts et leur répartition par Diocèse, consulter Messagers de l’Evangile au Rwanda, n° spécial de Cum Paraclito (Nyundo 1968).

Bien entendu, tous ces ouvriers évangélique, si indispensables soient- ils, sont de droit des auxiliaires du Clergé Séculier, aussi bien autochtone qu’incardiné, auquel l’Autorité suprême de l’Eglise a désormais confié la direction de l’apostolat au Rwanda. Résumons les résultats chiffrés de leurs efforts conjugués, en ne perdant pas de vue qu’il s’agit là d’un des signes extérieurs de christianisation. Nous avons déjà vu qu’en 1958 les Catholiques baptisés étaient 563.900 avec une réserve de 265.226 Catéchumènes ; soit au total 829.126 adeptes sur une population alors estimée à 2.452.737 âmes. En janvier 1972, ces chiffres étaient respectivement de 1.439. 065 et 385.980 au total 1.825.045 Catholiques, soit 46% sur une population de 3.930.855 habitants. (cfr Trait-d’Union, ibd. p. 10).

On se rappellera que les rapports du Gouvernement Belge ne classaient pas en baptisés et en catéchumènes, ni en Rwandais et Burundais, le nombre des autres Confessions Chrétiennes évangélisant le Rwanda et le Burundi (cfr no 673). La même source renseigne (ibd) qu’au Ir janvier 1972 toutes les Confessions Protestantes totalisaient 265.634 Fidèles (6,76%) de la population) et les Adventistes 136.519 (3,47% de la population). En les additionnant avec les Catholiques, on arrive ainsi à 2.227.198 Chrétiens, soit 56,23% de la population Rwandaise. En soustrayant les 22.200 Musulmans (0,5% le pays ne compte plus que 1.681.313 Animistes •(que notre source qualifie à tort Imanistes, puisque le nom Imana désigne justement Dieu qui l’est aussi bien des Animistes que des Chrétiens, les premiers se qualifiant par le culte des ancêtres).

2) Le Séminaire, son historique, ses luttes et ses résultats

  1. Chaque Diocèse Catholique au Rwanda, comme partout ailleurs, dispose de son Petit-Séminaire pour la formation intellectuelle et spirituelle des jeunes gens se préparant au Sacerdoce. Les autres Confessions procèdent par des voies différentes à la préparation de leurs futurs Pasteurs. Après 6 années d’études secondaires au Petit-Séminaire, les jeunes gens qui entendent continuer dans la voie du Sacerdoce entrent au Grand-Séminaire. Depuis 1961 le Rwanda compte deux Grands-Séminaires : Nyakibanda et Nyundo. Il convient de résumer ici l’historique de cette institution pour en arriver aux circonstances qui ont été à l’origine de sa division en deux établissements.

C’est en 1909 que Mgr Flirth établit le Grand-Séminaire à Rubya, au Karagwe, pour le Vicariat Apostolique du Victoria Nyanza Méridional, dont le Rwanda faisait partie (cfr n° 554,585). Il en fut détaché par le Décret du 12-12-1912, pour former avec le Burundi (et théoriquement avec le Buha) le Vicariat Apostolique du Kivu (ler de ce nom). En date du 20-11-1913, le Grand-Séminaire du nouveau Vicariat Apostolique fut installé à Kabgayi, avec 7 Grands-Séminaristes, dont 3 en probation. On sait que les deux premiers Prêtres Rwandais, Balthazar Gafuku et Donat Reberaho, furent ordonnés le 7-10-1917. Lorsque, en 1922, le Vicariat du Kivu fut scindé pour donner naissance aux Vicariats Apostoliques du Rwanda et du Burundi, respectivement dirigés par Mgr Classe et Mgr Gorju, le Grand-Séminaire resta commun aux deux circonscriptions.

Ce fut en 1930 que, par décision de Rome, le Grand-Séminaire de Kabgayi devint commun aux Vicariats Apostoliques du Rwanda., du Burundi, du Kivu (2ème  de ce nom) et du Lac Albert (celui-ci étant encore Préfecture Apostolique à l’époque). Un tel contingent était trop à l’étroit dans les bâtiments de Kabgayi. Un établissement plus vaste fut construit à Nyakibanda et inauguré officiellement pour la rentrée d’octobre 1936. En date du 9-7-1937. le Saint-Siège accorda au Supérieur le titre de Recteur Magnifique, Ce fut en 1940 qu’aux 4 circonscriptions dont dépendait Nyakibanda fut ajouté le Vicariat Apostolique de Béni, situé entre ceux du Kivu et du Lac Albert. La situation dura jusqu’en 1949. Cette année-là, le nombre des Séminaristes devenant trop élevé. Ceux du Kivu, du Lac Albert et de Beni furent dirigés désormais sur le Grand-Séminaire de Baudouinville (actuellement Moba, au Zaïre). De plus Nyakibanda devint uniquement un Théologicum pour le Rwanda et le Burundi, tandis que Burasira au Burundi devenait Philosophicum commun aux deux pays, jusqu’en 1953. Cette année-là en effet, Nyakibanda devint un Séminaire complet (Philosophie et Théologie) pour le Rwanda seul, le Burundi ayant désormais son Séminaire complet.

  1. Les malheurs de Nyakibancla devaient commencer en 1958. A voir les choses de près, ils ne furent possibles que parce que le Burundi en était séparé, car autrement les Evêques de ce pays en eussent été le meilleur antidote. En cette année-là, en effet, fut nommé un nouveau Recteur dont les intentions différaient, divergeaient de celles de ses prédécesseurs. Une atmosphère peu conforme à l’esprit d’un Séminaire tendit à s’installer. A cause de cette circonstance peut-être, ou pour d’autres considérations, les démarches furent entreprises en vue de passer le Séminaire aux Sulpiciens, Société spécialisée dans ce genre de ministère. Deux membres de cette Société arrivèrent au Rwanda et enseignèrent même au Grand-Séminaire. Au moment où l’on croyait les préparatifs au point, le projet fut curieusement écarté. Après mille perpéties, dont le détail appartiendra aux Historiens de l’an 2000, les Séminaristes se virent imposer une retraite de 30 jours, pratiquement de liquidation. Au cours de l’année académique du dénouement, 1960-1961, Nyakibanda abritait 84 Séminaristes. En leur ajoutant les 12 en probation et les 9 alors aux études à l’étranger, le Rwanda disposait d’une espérance de 105 Grands-Séminaristes, 59 pour Kabgayi et 46 pour Nyundo. Sur les 84 résidant à Nyakibanda, d’autre part, il faut soustraire les 3 qui devaient être ordonnés prêtres à la fin de l’année. Ainsi la tempête s’abattait-elle sur les 81 restant. Il en fut renvoyé 44, soit 54,3 %. Les 37 rescapés étaient en grand nombre du Diocèse de Nyundo. Sur les 105 Séminaristes d’alors, 32 ont tout de même été ordonnés prêtres, un peu partout à longueur d’années.

Et Rome qui observait patiemment tous les événements, décida enfin que le Séminaire de Nyakibanda devait désormais passer sous la direction du Clergé Diocésain autochtone. L’Abbé Mathieu Ntahoruburiye fut nommé Recteur le 10-3-1961 et entra en fonction le 1er  mai suivant. Mais la secousse avait été trop violente pour que la décision arrangeât immédiatement la situation. On crut pouvoir dissiper les retombées de cette bombe en proposant que Rome envoyât un enquêteur indépendant qui ferait rapport et proposerait les principes d’une solution définitive. Le choix de Rome, en 1963, tomba sur Mgr Riobé, Evêque d’Orléans. Mais au lieu d’opérer une détente, les résultats de sa mission accentuèrent plutôt le malaise et la polémique dans nos milieux ecclésiastiques.

  1. Considérant que le marasme tendait à s’installer, Mgr Bigirumwami prit la décision de créer son propre Grand-Séminaire à Nyundo même. A Rome la solution parut opportune, car le nouvel établissement fut aussitôt subsidié. L’idée de Rome était que Nyundo devînt Philosophicum et Nyakibanda Théologicum. Sur place au contraire on pensait que la meilleure solution était d’envoyer tous les anciens Séminaristes étudier à l’étranger et de recommencer Nyakibanda à zero. La solution était bien facile pour les autres Diocèses, mais pas pour celui de Nyundo du fait qu’il disposait encore de nombreux Séminaristes. Aussi Mgr Bigirumwami décida-t-il de ne plus en envoyer à Nyakibanda. Alors les Evéques songèrent enfin à faire entrer en lice les Prêtres Rwandais, jusque-là tenus à l’écart des événements. Le problème aurait dû cependant leur être accessible dès le départ, car il était question de leur propre avenir. Il y eut des réunions où prirent part des Prêtres représentant les Diocèses alors existants. Etait à l’ordre du jour cette scission définitive du Grand-Séminaire que, suivant les visées d’aucuns, il fallait empêcher à tout prix. Mais après tant de tracas, Mgr Bigirumwami était si résolument décidé que, tous ces Abbés l’eussent-ils souhaité, — ce qui n’était pas le cas, — il n’y avait pas moyen d’espérer qu’il revînt en arrière. Tandis que l’Abbé Ntahoruburiye (bientôt Mgr) continuait sa fonction de Recteur à Nyundo, Nyakibanda recommençait à zéro. Sa remise en selle et son état depuis lors florissant sont, en principal, l’oeuvre de M. l’Abbé Forissier, l’un des deux Sulpiciens qui auparavant se préparaient à prendre le Grand-Séminaire en charge. Le projet d’alors ayant été écarté, l’Abbé Forissier avait quitté la Société de St-Sulpice et s’était fait incardiné dans le Diocèse de Butare. II est ainsi prêtre juridiquement autochtone de Butare et ceci explique qu’il ait été nommé Recteur d’un établissement placé officiellement par Rome sous la direction du Clergé Diocésain du Rwanda. Il a été dans la suite nommé Curé-Doyen de la Cathédrale de Butare, après avoir passé à son successeur, l’Abbé Niyibizi, un Grand-Séminaire renormalisé.
  2. Il n’est pas sans intérêt de ventiler les habitants de notre Grand-Séminaire. Ainsi de 1909 à 1971, y défilèrent 971 candidats au Sacerdoce. Nous nous arrêtons davantage sur ceux qui habitèrent à Nyakibanda de 1936 à 1971. (1). Ils sont 875, dont 693 Rwandais (79,2%), 88 Burundais (10%), 62 du Kivu, 25 du Lac Alberte et 7 de Beni, soit en tout 94 du Congo (10,8%). Parmi ces 875 candidats au Sacerdoce, 243 (28%) ont été ordonnés Prêtres, soit à Nyakibanda même, soit à Burasira, soit à Bandouinville, soit plus tard à Nyundo ou envoyés aux études à l’étranger. Les 72% non arrivés à la prêtrise ont trouvé à Nyakibanda le dernier stade et l’achèvement de préparation à leur véritable vocation en vue de laquelle Dieu leur avait accordé la grâce d’attirance vers le Séminaire Certains dirigent leurs affaires et envoient leurs enfants prendre leur ancienne place parmi les candidats au Sacerdoce ; d’autres en font autant dans la multiforme hiérarchie de l’Etat, non seulement au Rwanda, mais encore au Burundi et au Zaïre, avec cette différence qu’au Rwanda le Chef de l’Etat lui-même fut le n° 400 de ces 875.

Il est à noter, d’autre part, que parmi les 243 ordonnés, nous devons compter 12 qui ont été promus à l’Episcopat.

  1. RWANDA : Mgr Manyurane (décédé avant son ordination épiscopale).

Mgr Sibomana, Evêque de Ruhengeri, puis de Kibungo.

Mgr Gaha.manyi, Evêque de Butare.

Mgr Nikwigize, Evêque de Ruhengeri.

  1. .BURUNDI: Mgr Makarakiza, Archevêque de Gitega

Mgr Ntuyahaga, Evêque de Bujumbura

Mgr Bihonda, Evêque de Muyinga

  1. ZAIRE : Mgr Mulindwa, Archevêque de Bukavu

Mgr Busimba, Evêque de Goma.

Mgr Pirigisha, Evêque de Kasongo

Mgr Ukeç. (prononcez : Ukésh) Evêque de Bunia

Mgr Kuba, Evêque de Mahagi.

Notons que Mgr Bigirumwami n’a jamais vécu comme Séminariste à Nyakibanda, car il a été ordonné à Kabgayi en 1929.

3) Le Jubilé d’Or du Sacerdoce et l’Union Fraternelle du Clergé Rwandaise

  1. Les premiers Prêtres Rwandais, avons-nous vu plus haut (n° 852) furent ordonnés le 7-10-1917. L’année 1967 ramenait le 50ème anniversaire de cet événement qu’on se prépara activement à solenniser. La fête eut lieu le 8 décembre, en présence de nombreux invités de l’étranger, dont Son Em. Le Cardinal Zoungrana, Archevêque d’Ouagadougou (Haute-Volta). A cette occasion, les Prêtres Rwandais présents aux fêtes voulurent perpétuer le souvenir de ce premier Cinquantenaire en se constituant en une Association ; les Evêques sollicités à cet effet donnèrent un accord de principe.

Un grand nombre de délégués des Prêtres se rencontrèrent à Nyundo le 27 du même mois et choisirent un Comité Directeur provisoire. Le pays ne comptait alors que 4 Diocèses. Le Comité provisoire de l’Association naissante, qui sera dans la suite dénommée Union Fraternelle du Clergé Rwandais (U.F.C.R.) rencontra les Evêques à Ruhengeri. A la suite de leurs échanges de vues, les Evêques diffusèrent le Communiqué suivant, adressé à leur Clergé :

« Réunis à Ruhengeri le jeudi 29 février, les Evêques du Rwanda, après avoir écouté le Comité provisoire qui avait été choisi le 27 décembre, ont décidé ce qui suit concernant les Unions sacerdotales :

1° Ils marquent leur accord à des Rencontres ou Unions sacerdotales sur le plan national, ainsi qu’ils l’avaient promis lors du Jubilé d’Or du Sacerdoce Rwandais.

2° Cependant, ils demandent que ces Unions soient structurées à partis d’une base diocésaine. Les Prêtres rwandais de chaque diocèse, après accord de leur Evêque, peuvent donc se réunir et se choisir un Comité qu’ils devront faire approuver par lui.

3° Les Comités choisis et approuvés par leurs Evêques respectifs se retrouveront le mardi de Pâques à Rwesero pour étudier un projet de rencontre ou union sur le plan national.

Toutefois, les projets éventuels ne seront communiqués aux autres Prêtres pour étude, qu’après l’approbation préalable de l’Assemblée des Evêques du Rwanda.

4° Les Evêques du Rwanda demandent que ces Unions se situent uniquement sur le plan sacerdotal, mais selon toute ses  dimensions :

Dans cet ensemble, la sanctification des membres du Clergé en vue de leur apostolat restera toujours l’objectif premier et principal ».

+ André Perraudin, Archevêque de Kabgayi.

+Aloys Bigirumwami, Evêque de Nyundo

+ Joseph Sibomana, Evêque de Ruhengeri

+ Jean-Baptiste Gahamanyi, Evêque de Butare.

  1. Ce document, Charte fondamentale de l’U.F.C.R., dissolvait par le fait même le Comité provisoire du 27 décembre précédent. Les membres du Clergé se mirent aussitôt à l’exécution de sa disposition de base, à savoir la formation de l’Association à I’échelIon Diocésain et l’élection de son Comité à présenter à l’approbation de l’Evêque. Lors de 1a rencontre à Rwesero, le 25 avril 1968, les Comités Diocésains avaient été composés de la manière suivante : Ruhengeri = 5 membres ; Nyundo = 5 ; Kabgayi = 5 et Buta.re = 6 ; L’assemblée travailla ferme et réalisa un beau document en 6 points, dont le projet des Statuts à soumettre aux Evêques, la vie (spirituetle, intellectuelle et matérielle) du Prêtre, le mode des cotisations pour couvrir les frais des déplacements, des dépenses qu’occasionneront les assemblées du Bureau Directeur et les Assemblées générales, etc. Pour traiter avec les Evêques, enfin, fut élu un Bureau de travail, comprenant 2 membres par Diocèse sous la présidence de M. l’Abbé Emmanuel Bigumirabagabo.

Les résultats de ces travaux furent communiqués à Son Exc. Mgr l’Archevêque, par les soins du Responsable de l’U.F.C.R. en date du 8 mai. Un accusé de réception lui fut adressé le 19 mai en ces termes :

« Bien cher Monsieur l’Abbé,

J’ai bien reçu votre lettre du 8 mai ainsi que le compte rendu de la Réunion à Rwesero des Comités sacerdotaux diocésains. Je ne manquerai pas de mettre ce document à l’ordre du jour de notre prochaine Assemblée. Ensuite je vous communiquerai le résultat de nos délibérations qui vous indiquera certainement la conduite à tenir.

Vous redisant, cher Monsieur l’Abbé, toutes mes amitiés dans le Seigneur, je vous prie de croire aussi à mon entier dévouement en Lui.

Sg A. Perraudin,

Archevêque de Kabgayi/Kigali.

Etant donné que l’approbation collective des Evêques ne devait jamais intervenir dans la suite (jusqu’à ce 31 octobre 1972) il importe beaucoup de saisir la portée des termes que Mgr l’Archevêque va employer au nom de l’Episcopat du Rwanda. L’Assemblée des Evêques vient d’avoir lieu et voici le texte de cette lettre du 20 septembre 1968. « A Monsieur l’Abbé Emmanuel BIGUMIRA13AGABO Responsable des Comités des Prêtres Rwandais

Bien Cher Monsieur l’Abbé, Au cours de notre réunion épiscopale, qui s’est achevée hier, nous avons examiné votre rapport de Rwesero du 25 avril dernier. Comme ce rapport, qui nous a paru important, entre autres raisons parce qu’il est un point de départ, a suscité plusieurs réflexions qui réclament de notre part que nous les approfondissions davantage et les formulions avec plus de précisions, il nous a semblé bon de prendre un certain temps dans ce but.

D’autre part il nous parait meilleur de vous faire connaître notre pensée dans un colloque amical. Voilà pourquoi nous vous serions reconnaissants de convoquer vos collègues des comités diocésains — une vingtaine je crois — à venir nous rencontrer le dimanche 10 novembre à 10 h. En attendant le plaisir de vous recevoir, je vous assure, cher Monsieur l’Abbé, de ma fraternelle amitié dans le Seigneur.

sg A. Perraudin,

Archevêque de Kabgayi/Kigali.

  1. Ainsi l’Episcopat reconnaissait-il l’organisation mise sur pied à Rwesero, puisque Son Exc. Mgr l’Archevêque, Président de l’ Assemblée des Evêques et au nom de ceux-ci, s’adressait à M. l’Abbé Bigumirabagabo, en sa qualité de Responsable des Comités des Prêtres Rwandais, et invitait ces derniers en la même qualité par l’intermédiaire de leur Responsable, au lieu qu’ils fussent avertis du rendez-vous par leurs Evêques respectifs. Aussi l’U.F.C.R. a-t-elle depuis lors considéré cette lettre du 20 septembre comme le complément de la Charte initiale (Communiqué du 29 février ci-avant). Sans les deux documents pris ensemble, l’U.F.C.R. n’eût jamais vu le jour sous l’angle de la légalité, celle-ci étant essentielle. Aussi l’Association resta-t-elle, jusqu’à présent, au même stade des structures formulées le 25 avril 1968 à Rwesero. A la mort de M. l’Abbé Bigumirabagabo, en 1971, lorsqu’il était question de lui choisir un successeur, certains parlaient d’un Présidentiel d’un Comité Directeur. Il leur fut rappelé que cette terminologie n’avait aucun fondement juridique, et qu’il fallait se maintenir au Responsable et au Bureau de travail qui jouissent seuls de l’approbation des Evêques.

Quant au rendez-vous du 10 novembre 1968, auquel les Comités Diocésains et leur Responsable étaient invités, le résultat de fut la conviction que les structures de Rwesero dureraient de bien longues années avant que l’Episcopat n’approuve collectivement les Statuts et n’admette une Association Nationale des Prêtres, Rwandais.

Notons, en conclusion, qu’à la mort de M. l’Abbé Bigurnirabagabo, les membres de l’U.F.C.R. étaient 120, — dont 2 Evêques, — soit 80% sur les 153 Prêtres Rwandais d’alors, les Statuts provisoires (à usage intérieur) interdisant d’accepter un membre qui ne l’aura pas demandé par écrit et qui ne se sera pas engagé à verser librement sa cotisation annuelle, pour permettre au Bureau de travail de rembourser les frais de transports et d’entretien pour les Assemblées, journées d’études, etc. Toutefois n’importe quel Prêtre a la faculté d’assister à toutes les rencontres d’études, même s’il n’est pas membre de PU.F.C.R., et de prendre part aux discussions, vu que les problèmes à traiter intéressent tous les Confrères.

 

  1. 859. Notons enfin que, sur le plan Ecclésiastique et Pastoral, l’existence légale de l’U.F.C.R. vient d’être confirmée de facto par un document de la Sacrée Congrégation pour l’Evangélisation des Peuples (anciennement : de Propaganda Fide). Il s’agit de la lettre no 2855/71 émanée de la Nonciature Apostolique de Kigali et adressée à Son Exc. Mgr Perraudin en date du 11 décembre 1971. Il ne conviendrait pas de la transcrire in extenso, mais j’en prends les deux paragraphes suivants :

« Excellence, La Sacrée Congrégation pour l’Evangélisation des Peuples, après avoir examiné les comptes rendus des dernières réunions de « l’Union Fraternelle du Clergé Rwandais », a demandé à la Nonciature Apostolique de communiquer ce qui suit aux Evêques du Rwanda et au Bureau directif de l’U.F.C.R. :

Suivent alors les 4 points sur lesquels est attirée l’attention des intéressés, et qui constituent des directives d’importance fondamentale. Quoique je ne puisse pas les transcrire cependant, je puis du moins signaler que les 2 premiers désapprouvent les tenants des procédés déplorés par le no 861 ci-après. Ajoutons simplement la conclusion de la lettre: « Suivant les instructions reçues de la Sacrée Congrégation, je voudrais prier Votre Excellence de bien vouloir faire connaître ces dispositions à leurs Excellences les Evêques du pays et aux dirigeants de l’Union Fraternelle du Clergé Rwandais ».

Veuillez Agréer, Excellence, l’assurance de mon entier dévouement en Notre-Seigneur.

Giulio EINAUDI

Il ressort de ces passages que les études réalisées par l’U.F.C.R. sont de quelque valeur aux yeux de la Sacrée Congrégation. C’est au point qu’elle juge opportun de baliser la voie des recherches par des directives explicites en reconnaissant par concomitance l’existence de cette Association, par le fait même de trouver tout naturel de la nommer dans un document de cette importance.

4) L’indigénisation de l’apostolat et la pureté doctrinale

  1. C’est au Clergé autochtone qu’incombe le devoir primordial de l’indigénisation du Christianisme. Il faut saisir exactement la portée de cette affirmation. Nous savons bien que le Clergé autochtone n’a pas fondé l’Eglise locale, certes ; mais les Pionniers qui l’ont fondée se sont hâtés de créer ce Clergé. Ainsi les Apôtres, après avoir jeté les bases de l’évangélisation, imposaient-ils les mains à certains autochtones et continuaient-ils leur chemin, laissant à ces élus la tâche de perpétuer l’oeuvre commencée. Etant donné cependant la nature de l’Eglise qui, à l’échelle du globe, doit former un même Corps, réalisant ainsi l’unité doctrinale dans la diversité des Cultures dont elle constitue une même Assemblée, n’importe quel Envoyé dûment investi a le droit d’évangéliser n’importe quelle fraction locale de cette grande Assemblée. Le Clergé autochtone n’a donc pas le droit d’exclusivité sur sa zone culturelle. La main serait paralysée et se décomposerait bientôt, si quelqu’un prétendait lui réserver en exclusivité le sang qui la nourri et tentait de réaliser son plan en garrotant fermement l’avant-bras. Il se fait ainsi qui l’apport « Missionnaire » des autres Eglises est une exigence de continuelle nécessité, lors même que les anciens territoires des Missions sont constitués en Diocèses, avec le élergé et les Evêques da terroir. Il n’est pas douteux que les Eglises de vieille Chrétienté gagneraient à recevoir en retour des Apôtres des pays nouvellement évangélisés. L’époque des anomalies est donc révolue, où telle Socitété Missionnaire se réservait en exclusivité le territoire à lui confié, sans accepter la collaboration de qui ne fût membre de son organisation, et où les Evêques de la vielle Chrétienté et les Chefs de certains Ordres Religieux « garrotaient » les bras du Corps de l’Egoise, en retenant jalousement chez eux tant de Prêtres qui s’y aggloméraient à l’infini.

 

L’apport actuel des Prêtres « Fidei Donum » n’est en réalité pas une nouveauté, mais un retour aux sources qui transcende le juridisme paralysant de la Culture Européo-Américaine, juridisme que les Sociétés Missionnaires elles-mêmes véhiculaient jusqu’au fond de notre brousse africaine.

  1. Ainsi donc le Clergé autochtone n’a pas le droit d’exclusivité dans l’évangélisation de sa zone culturelle respective. Mais il a le devoir que lui confère la nature des choses, en même temps que les directives les plus claires de l’Autorité Supérieure de l’Eglise. Et ce devoir est celui d’indigéniser le Christianisme, de l’acculturer et d’aider ses collaborateurs de Cultures différentes à. indigéniser eux-mêmes sur le même modèle leur apostolat. Faute de cette indigénisation de l’apostolat et de la doctrine, en effet, l’évangélisation manquerait d’authenticité et aboutirait à la création d’Eglises locales hybrides, artificielles. Tous ces Envoyés qui nous arrivent •de l’étranger doivent, en conséquence, en être conscients. Là où ils trouvent un Clergé autochtone juridiquement chargé de l’Apostolat, ils sont ses collaborateurs, et c’est lui qui leur doit servir de thermomètre dans les innovations éventuelles à introduire. S’il en arrivait de certains pays en crise, doctrinalement parlant, des séquelles du déséquilibre économico-culturel, dont la zone à évangéliser est indemne, ils se rappelleront que ce n’est pas là un article d’importation automatique ; qu’ils auront été Envoyés pour implanter l’Evangélisation et non pour propager une crise artificielle.

Il peut arriver, en effet, que certains nous deviennent plutôt une source d’embarras et de tracas, qu’une aide dans la tâche de l’Apostolat. Cela peut s’amorcer par des innovations liturgiques en opposition avec les directives des Evêques. Et comme la règle du Culte emboîte le pas à la règle doctrinale, pareilles initiatives dénoteraient déjà une Théologie claudicante. N’en voit-on pas qui, imperturbables, s’autorisent d’aller jusqu’à la modification des formes essentielles .de certains sacrements, tels que traditionnellement l’Eglise les a jusqu’ici confectionnés et administrés ?

862 .Les anciennes Autorités de la Tutelle, d’autre part, avaient été si profondément marquées par la mentalité d’un « Parti Politique Catholique », — sollicitant les suffrages même de non-chrétiens, — qu’elles nous ont légué une notion équivoque, dans le chef de certains, de ce titre de Catholique, ne correspondant pas sui toute la ligne à celle de Chrétien. Ainsi existe-t-il une catégorie d’étrangers, constitués en un certain brain trust, qui s’évertuent à propager la charité fraternelle évangélique par l’incitation aux oppositions ethniques. Se posant, en apparence, en défenseurs de l’ethnie majoritaire, qui a démontré cependant de multiples manières qu’elle se souffit à elle-même et qu’elle n’a besoin d’aucune protection de l’extérieur, ils s’attaquent à l’ethnie minoritaire, considérée par eux comme l’unique empêcheur de danser en rond. Ils sont ainsi sous l’emprise du vieux préjugé (cfr no 678-679) en vertu duquel la perspicacité de l’ethnie majoritaire est sous-estimée. Elle n’y verra que du feu et se laissera imposer surnoisement l’influence culturelle des intéressés. L’ethnie minoritaire est train’ ée par eux aux gémonies, parce qu’elle constituerait à leurs yeux l’unique obstacle à la réalisation de leurs visées par sa perspicacité surestimée, dont elle a démontré cependant tout le contraire à l’époque stratégique des premières hostilités.

Il s’ensuit que, dans la mesure où certains Evêques considèrent ce courant d’idées et tout son encadrement comme évangéliques, tandis que d’autres les condamnent, on pourrait se demander à juste titre s’il y a en réalité une unique Confession Catholique au Rwanda. A coup sûr, si nous en étions encore aux (5ème  – 6ème   siècle, l’Eglise étant alors jeune et chatouilleuse sur cet article, nous au-rions été l’objet d’un Concile, au moins Général, pour mettre la doctrine au point.

Appendice conclusif

 

1) Encore de la mésentente entre le Burundi et le Rwanda.

 

  1. A partir du mois d’avril 1972, de regrettables et lugubres événements se produisirent au Burundi. D’abord une attaque exterminatrice déclenchée de l’étranger contre les membres d’une ethnie. Ensuite, une répression sans pitié contre les assaillants et ceux que l’Autorité considérait comme leurs complices de l’intérieur. A ce

stade dut s’y mêler sans doute le règlement de comptes personnels qui accentua l’ampleur des massacres, comme il en va toujours lorsque les Autorités perdent le contrôle de la situation. Au Rwanda nous en savons quelque chose. Les trois pays voisins du Burundi furent alors submergés par des milliers de Réfugiés Bahutu. Il en arrivait à jet continu au Rwanda et ils nous racontaient des faits vécus à peine croyables.

Emu par le nombre croissant de ces Réfugiés, et du fait que, à cette phase de la répression, ces derniers étaient uniquement des Bahutu, le Gouvernement du Rwanda porta l’affaire devant les instances de l’O.N.U. Le Burundi riposta en faisant resurgir les événements de 1959-1964 au Rwanda, au moment de la Révolution dont nous avons abondamment parlé en notre XIème  chapitre et à l’occasion de l’attaque des Inyenzi (n° 807-811. Il  s’ensuivit, de part et d’autre de la Kanyaru, un cliquetis d’ondes radiophonique, pas des plus amènes.

 

A cette occasion cependant, les deux pays donnèrent à l’Afrique entière un bel exemple d’une colère mêlée de pondération : à aucun moment la tempête ne toucha en rien aux Relations Diplomatiques. Les deux pays possèdent en commun un proverbe qui nous dit : umanika agati wicaye, wajyakukamanura ugahaguruka= Assis tu suspends une brindille et pour la reprendre tu dois te lever. A quoi bon couper le pont de la Kanyaru, alors qu’il faudra tout de même le remettre en place… ce qui exigera de l’un ou de l’autre un premier pas trop coûteux !