Organisations Socio-Familiales De L’Ancien Rwanda (Chap. X, Art 1 au 34)
L’Education Initiale Des Enfants: La Femme Au Foyer
I. La place de la femme.
- Il serait sans portée d’insister sur le rôle irremplaçable du foyer en général, car cet aspect est le même dans tous les pays. Le même partout, non pas cependant sous une conception uniforme, mais en tant qu’influence comportant un parallélisme constant, vérifiable en toute société. On comprendra, par exemple, que la vie du foyer clans un pays d’Europe ne comportera ni le même règlement, ni les mêmes conceptions sociales, économiques, pédagogiques, et autres qu’un foyer autochtone du centre africain. Mais tous ces aspects propres à la culture d’Europe auront leurs pendants dans le foyer du Rwanda, suivant la structure de notre société.
- Disons tout d’abord qu’au Rwanda le mari est, vis-à-vis des autorités, le seul chef du foyer. C’est à lui seul qu’elles s’adresseront pour toutes les formes de prestations. Si le mari est absent, les représentants de l’autorité ne pourront jamais molester sa femme, car elles n’ont rien à voir avec la mère de foyer. Elle pourra seulement exécuter certaines formes de prestations, si son mari l’en a prévenue. Cette attitude de l’autorité vis-à-vis d’une femme quelconque, doit être soulignée : c’est une forme spéciale de ce respect dû et universellement reconnu à la dignité de mère de foyer (Cette attitude de l’autorité est à noter : la femme dépend uniquement de son mari. Il n’en est pas de même dans certaines régions environnantes, où les chefs politiques pouvaient ou peuvent même actuellement atteindre la femme en vue de prestations à fournir, parallèlement avec son mari).
- a) L’époux, tout en étant chef du foyer, n’interviendra jamais comme superviseur dans les affaires domestiques. Tout ce qui concerne l’économie domestique relève de la femme. C’est elle qui doit constituer la réserve nécessaire à la subsistance du foyer, mettre de côté la part qui assurera la semence, prévoir les produits supplémentaires saisonniers, et autres ; nous dirions donc que le budget domestique dépend absolument de la femme. b) Lorsque son mari s’immisce dans l’économie domestique, on lui applique l’infamant qualificatif : aragera = il rationne ! Il ne laisse pas à sa femme la liberté de gérer son ménage.
- a) C’est une vérité bien connue, que le fait d’avoir une économie domestique affermie = kugira urugo rukomeye, c’est avoir une femme bonne économe. Un homme réputé riche, doit sa situation à la gérance éclairée de sa femme. Par contre, que cette femme meure ou divorce, et que son mari en épouse une autre moins experte en économie domestique, alors tout s’écroule. L’ancien riche tombé dans la misère dira : ma première femme avait bâti mon enclos : umugore wa mbere yaranyubakiye ; et ma deuxième femme a détruit mon enclos : umugore wa kabili aransenyera! b) Aussi l’époux ne peut jamais rien vendre des vivres stockés, sans que la femme ait donné son consentement. Chez les Hamites, le mari ne pourra non plus donner la moindre tête de gros bétail à personne, sans en avoir conféré préalablement avec la mère de foyer. Tout dépenden principe de l’homme, car il est le chef ; mais il associe son épouse à toutes ses décisions.
- a) Lorsque la mère de foyer est une femme forte, intelligente et très discrète, elle sera la conseillère la plus écoutée de son époux. Il arrive même assez souvent que l’époux est tellement sûr de la sagesse de sa femme, qu’il adopte vis-à-vis d’elle une attitude de soumission ; on dit alors que cet homme est inganzwa= subjugué. On emploie cependant cette formule dans le cas où un homme de caractère faible a épousé une femme forte ; mais on dira alors : «Il a eu de la chance ! Il est né avec un tempérament de femme, et il a épousé une femme douée d’un coeur viril ! » b) Lorsque l’époux est un homme énergique, et qu’il adopte cette attitude de soumission vis-à-vis de sa femme, on ne dira pas qu’il est inganzwa (subjugué) ; on dira plutôt : arakundwakaza = il éprouve pour sa femme une tendresse extrême ! (chap. XII, n° 12)
- Beaucoup d’anecdotes historiques illustrent cette attitude d’hommes énergiques de par ailleurs, mais qui étaient à genoux devant leurs femmes. Je n’en prends que ce seul exemple : sous le règne de Yuhi IV Gahindiro, quatrième ancêtre du roi actuel, les Rwandais engagèrent une bataille malheureuse contre les Barundi. Parmi les guerriers rwandais défaits, un homme du nom de Hurako parvint à se dissimuler dans un taillis, en compagnie de son fils. Ce dernier surveillait soigneusement les environs, afin de voir si les guerriers vainqueurs du Burundi ne s’étaient pas encore repliés vers leur camp. Il fallait, en effet, pour nos deux fuyards, songer à rentrer chez eux. «Je vois six guerriers Barundi », dit le fils ! — « Six seulement ? demanda le père ; examine bien mon fils, s’ils sont simplement six Barundi, et si ta mère ne se trouve pas parmi eux ! » — « Ma mère, parmi eux ? » demanda le fils étonné ! — « Eh ! oui, mon fils ! répliqua Hurako ; je suis capable de triompher de six Barundi ! Quant à ta mère, c’est la seule personne au monde devant laquelle je sens s’évanouir tout mon courage ! »
- Lorsqu’il s’agit de foyers des classes laborieuses, comme les cultivateurs, l’homme travaille avec sa femme. En général, l’homme prendra la pioche et la femme s’occupera de jeter la semence en terre, s’il s’agit de haricots et de patates douces. Lorsqu’il s’agit d’assécher les eaux dormantes dans les marais, tâche qui exige un habillement écourté, seul l’homme s’en acquittera et la femme viendra simplement planter la tige de patate en terrains labourés par l’époux. En général donc, la femme fait le travail le moins dur.
- La femme doit veiller à la préparation des aliments ; son mari pourra lui donner un coup de main, en puisant de l’eau à la fontaine, en lavant à l’eau les patates douces (kuronga), ou en triant les haricots et petits pois avant de les mettre dans la marmitte. Elle doit également veiller à la propreté, non seulement de la case, mais encore de tout l’enclos, en maniant le balai = gukubura. C’est une occupation féminine, où l’homme n’a même pas la pensée d’intervenir(Dans d’autres zones de l’Afrique centrale, la femme est plutôt une espèce d’esclave, au service de son soi-disant mari. Ce dernier ne s’abaisse pas jusqu’à travailler; sa femme s’occupe seule de cette corvée.)
II. La mère et son bébé.
9. Lorsque la femme est enceinte, son mari s’occupe pratiquement des travaux qui fatigueraient son épouse. Cette dernière, par le fait même de son état de grossesse, est soumise à des interdictions et à des pratiques qui ne sont cependant pas dans la ligne de ce texte. Nous décrivons, en effet, les organisations socio-familiales, mais pas encore sous l’angle des croyances et pratiques, religieuses et magiques.
- Concevoir se dit gutwita. L’état de grossesse est inda (littéralement : ventre), et être enceinte = kugira inda (avoir le ventre). Enfanter et engendrer se traduisent par le même terme : kubyara. D’où le terme de umubyeyi = parent, aussi bien père et mère, que l’ensemble des ascendants. Urubyaro signifie progéniture, l’ensemble des descendants (par voie de génération).
- a) Ressentir les douleurs de l’enfantement, se dit kuramukwa, littéralement : être sous l’action du jour ; nous tentons de traduire ainsi étymologiquement cette forme curieuse qui semble se rattacher au verbe kuramuka = avoir passé la nuit. b) Naître se dit kuvuka. Lorsque l’enfant vient de naître, l’une des sages femmes présentes lui met l’index dans la bouche, la nettoie et manipule la petite langue. Sans cette cérémonie appelée gukiza ivata = enlever la matière visqueuse, le nouveau-né deviendrait muet, ou du moins sa parole serait d’une lenteur désagréable. c) Pour des motifs analogues, on lui souffle dans les deux oreilles, car autrement il deviendrait sourd.
- On attend que sa mère reprenne connaissance, si besoin en était, pour procéder à la section du cordon ombilical = inkundi. On détache, d’une tige de roseau, des écorces tranchantes appelées imikebyo, au singulier umukebyo ; on en prépare 4 paires. La mère, tenant son bébé sur les genoux, fait toucher les 8 objets au cordon ombilical, en disant : « Si je t’adresse un juron, qu’il ne t’arrive rien de correspondant à mes paroles ». Elle passe ensuite en revue toutes les formules d’insultes, de jurons, que les mamans, dans un moment d’irritation, adressent comme des souhaits de malheurs à leurs enfants. — Si je t’insulte en disant : que la javeline te tue ! que rien de semblable ne t’arrive. — Si je t’insulte en disant : que tu meures sans postérité ! que rien de semblable ne t’arrive. — Si je t’insulte en disant : que tu sois foudroyé ! que rien de semblable ne t’arrive ! — Et ainsi de suite.
- Précaution vraiment maternelle, n’est-ce pas ? On sait que, chez certaines femmes, la parole part d’abord, puis la réflexion vient après. (Le même phénomène se vérifie cependant chez certains hommes, peut-être dans la même proportion, mais le préjugé, lancé sans doute par des représentants du sexe fort, a décidé que ce défaut est le monopole des femmes !) Du moins la femme rwandaise a maternellement prévenu tout accident dont elle serait la cause vis-à-vis de son enfant. Elle pourra désormais, sans danger aucun, décharger toute sa mauvaise humeur ou ses colères, se soulager peut-être au plus grand bien de sa tension psychique, sachant que ses formules en apparence terribles, sont absolument inoffensives pour son cher enfant.
- La sage femme qui assiste la mère, prend ensuite l’une des 8 écorces tranchantes, coupe le cordon ombilical = kugenya, à une distance raisonnable du nombril. Si la sage femme est peut-être improvisée, et qu’elle tranche plus courtement le cordon, il s’ensuit une hernie ombilicale plus ou moins prononcée, suivant la gravité de l’erreur. En ce cas, au lieu d’avoir un nombril = umukondo, au pluriel imikondo, de forme normale, l’enfant sera affligé d’un iromba, au pluriel amaromba = hernie ombilicale.
- Dès que la femme vient d’enfanter, on commence la claustration natale = kurema ikilili ; littéralement : aménager la couche vaste. La mère ne peut plus se coucher sur le lit marital : elle doit reposer sur une couche assez vaste, arrangée auprès de l’âtre. Rien ne peut quitter la case : on ne peut absolument rien faire sortir. On fait aussi un grand feu attisé sans discontinuer, jusqu’au huitième jour après l’heureux événement ; cette date marque, en effet, la fin de la claustration natale (Cette pratique de la claustration diffère de mode, de ce que les ethnologues ont dénommé la couvade. Dans ce dernier cas, c’est le père de l’enfant qui passe les jours de claustration en couvant le nouveau-né. Tandis que la mère se lève et se démène, durant tout ce temps, servant avec sollicitude le père du bébé, qui ne quitte pas la couche natale ! Voir à ce propos HANs-F. K. GUNTHER, Le mariage, ses formes, son origine, Paris, 1952, pp. 163-165).
16. Dans l’après-midi du huitième jour, on prépare une grande quantité de nourriture, et on invite tous les petits enfants de la localité, pour prendre part à ce repas appelé ubunnyano. Les petits invités sont conduits à l’extérieur de l’habitation, armés de bâtons ou branches à crochets, en guise de houes, et ils simulent le travail des champs. Pendant ce temps, on fait sortir de la case les déchets du nouveau-né qui ont été soigneusement conservés durant les 8 jours (puisque rien ne pouvait sortir) ; on place les paquets de ces déchets sous un grand van = intara. Au-dessus de ce van, on dispose les aliments qui ont été préparés à cet effet ; les jeunes invités qui simulent les labours dehors, vont faire leur entrée. a) L’un des adultes prenant part à la cérémonie, prend de l’eau dans une calebasse, et va en asperger légèrement les jeunes invités. Il leur dit: «Oh ! cultivateurs, rentrez pour vous abriter ! il pleut ! il pleut ! » Et les jeunes enfants s’en vont en courant, pour s’abriter. Ils font leur entrée dans la cour qui précède la case où la claustration a eu lieu. Les adultes invités, leur disent : « Oh ! voilà nos cultivateurs qui rentrent des champs ! il faut les récompenser ! Asseyez-vous, jeunes amis : voici de la nourriture qui vous a été préparée, en récompense de votre travail ». Les enfants mangent sans se douter de rien. Quelques années plus tard, lorsqu’ils auront appris que le van couvre, en cette cérémonie, les déchets du nouveau-né, ils ne voudront plus prendre part à ce repas. Mais on laisse toujours les tout-petits dans l’ignorance de ce fait, car ils doivent accepter l’invitation rituelle qui leur est adressée. b) Pendant que les jeunes invités mangent, la mère est là, assise sur un siège, et tenant sur ses genoux le nouveau-né que fêtent ses petits aînés de la localité. Les grandes personnes invitées à la cérémonie reçoivent de la bonne boisson, dont la qualité est proportionnée à leur situation sociale et à celle des parents qui invitent.
- a) La mère, durant la cérémonie, tient le bébé sur son giron, et ceint son chef du rugoli = couronne de la maternité. Urugoli, au pluriel ingoli, est confectionnée en tiges de sorgho. Une femme qui n’a pas d’enfant en vie ne peut porter cette couronne de la maternité. Les mères doivent s’en ceindre la tête lorsqu’elles prennent part à de grandes solennités, ou lorsqu’elles vont à la rencontre du Roi. b) Lorsque les jeunes invités ont fini de manger et de boire, on les invite à imposer chacun le nom au bébé. Chaque enfant s’avance, reçoit le bébé entre ses mains, et dit : Je le nomme Untel ! — Les assistants adultes félicitent successivement les jeunes enfants pour les noms qu’ils ont imaginés. Cette cérémonie terminée, les invités rentrent chez eux, car il est alors assez tard.
- Si le père de l’enfant est absent, on invite le Muse du clan qui imposera provisoirement le nom au nouveau-né en attendant que son père rentre à la maison. Jusqu’à l’arrivée de ce dernier, le bébé sera désigné sous le nom imposé par le Muse (chap. IX, n° 4). Il arrive du reste, parfois, que ce nom soit retenu et continue à désigner l’enfant.
- a) Dès que le père du nouveau-né est présent, il accomplit la cérémonie la plus intime. La mère de l’enfant, le matin au réveil, prend la main droite de son bébé, et y crache quelques gouttes de sa salive, en disant : Je te maudis ! = Ndakuvumye! — Elle recommence le même geste et dit NdakuvumUye = J’annulle ma malédiction! — Ce geste parallèle au n° 12 est destiné à sauvegarder l’enfant, contre d’éventuelles malédictions, qu’elle lui lancerait inconsidérément. Par cette annulation initiale de pareil danger, la mère ne peut jamais maudire son enfant, même si elle le voulait réellement. b) Tandis que le père de l’enfant ne fait pas ce geste, parce qu’il garde pour lui le pouvoir de maudire valablement son enfant, si jamais le besoin s’en faisait sentir ultérieurement. La malédiction du père comporte une efficacité que chaque enfant redoute ; pour éviter ce danger, il n’y a rien qu’il ne ferait pour que son père ne le maudisse jamais, même simplement de coeur (chap. XII, n° 28). c) La mère tient le bébé entre ses mains, l’élève légèrement, et dit : Grandis ! Je te nomme Untel ! — Le père de l’enfant le prend aussi, fait le même geste et dit : Grandis ! Je te nomme Untel ! — C’est en général le nom du père de l’enfant qui doit être retenu. Les deux conjoints accomplissent l’acte conjugal qui est appelé guterura = donner le nom ; littéralement : soulever, à cause du geste que l’on fait avant d’imposer le nom.
- a) Il y aura une autre cérémonie, lorsque l’enfant aura poussé la première dent. Son père doit veiller à être présent ; s’il est absent, on ira le chercher d’urgence. A partir de ce moment, en effet, les parents de l’enfant ne peuvent plus rien partager avec les autres, car les premières dents du bébé sont censées les contraindre à une interdiction terrible. Cette interdiction sera levée par l’accomplissement de l’acte conjugal appelé kulyaamenyo = littéralement : manger les dents. b) Notons que si les premières dents sont de la mâchoire supérieure, les parents recourent au muhannyi, (chap. IX, n° 5, b) qui indiquera la cérémonie supplémentaire à accomplir pour conjurer les suites funestes de ce phénomène insolite.
III. La naissance de jumeaux.
- a) Signalons les particularités attachées à la naissance de jumeaux. Si les enfants sont du même sexe, on les appelle impanga. S’ils forment un couple on les appelle amahasha. Dans ce dernier cas, la différence de sexe était considérée comme un signe de malheurs. En conséquence, les enfants ne pouvaient pas vivre tous les deux : on étranglait le garçon. Quant à la fille, on la conservait, se référant à l’axiome que la jeune fille est une providence = umukwobwa ni nyampinga. La faveur réservée ici au sexe faible chez l’homme est curieusement le contrepied de la même coutume concernant les bovidés, au sujet desquels on devait étrangler la femelle et conserver le mâle. b) Celui des jumeaux qui naît le premier porte le nom (commun) de gakuru = le petit aîné, tandis que le deuxième est gato = le petit cadet. Les deux noms communs peuvent devenir des noms propres désignant définitivement les intéressés. Si on leur impose d’autres noms, on en choisit d’ordinaire de très semblables, ayant une assonance si prononcée, qu’en les entendant on devine immédiatement qu’il s’agit de jumeaux.
- a) Le jour où prend fin la claustration natale, la mère se fait assister d’une jeune fille, pour tenir l’un des jumeaux ; la jeune fille joue, pour le bébé, le rôle de mère, durant le repas offert aux petits enfants de la localité. Cette jeune fille ceint également son front du rugoli = couronne de la maternité. De la sorte, il n’y a pas disproportion ou jalousie entre les deux bébés ; puisque chacun des deux repose sur le giron de sa mère. b) Les deux ingoli = couronnes de la maternité, qu’emploient la mère et la jeune fille, ont été envoyés en cadeaux, l’une par les parents de la femme, et l’autre par ceux du père des jumeaux. c) Il en a été de même des deux ingobyi = peaux servant à porter les bébés au dos. La naissance de jumeaux, comme on le voit, intéresse particulièrement les deux foyers où sont nés les heureux conjoints.
- a) Les parents doivent veiller à ce que rien ne soit fait pour l’un des jumeaux, sans que son frère y prenne part. On leur donnera les vêtements de la même espèce et de la même couleur. Si l’un commet une faute, on devra punir les deux ; si l’un des deux accomplit une action qui mérite une récompense, on en donnera un montant égal à son frère. b) Filles ou garçons, on doit les marier la même nuit ; de la sorte, si l’une des jumelles est fiancée, elle devra attendre que la même démarche soit effectuée concernant sa soeur. Elles accompliront le même jour le cérémonial du protocole postnuptial (chap. VII). Si l’une des deux enfante avant l’autre, et que la jeune mère vient montrer son bébé à ses parents, sa soeur prendra part au même cérémonial avec un bébé emprunté ; de cette manière chacune recevra sa vache de relevailles =inka y’urugoli; littéralement : vache de la couronne de la maternité (chap. VII, n° 30). c) Les jumeaux seront recommandés (chap. XI, n° 6) au même patron : celui-ci les investira le même jour et toutes les fois qu’il voudra donner à l’un un nouveau fief, il aura la délicatesse d’agir mêmement pour son frère.
- a) L’enfant qui naît immédiatement après les jumeaux porte le nom (commun) de cyiza = la belle chose. On en rencontre qui ont reçu cette appellation comme nom propre définitif. b) Si l’un des jumeaux meurt, le survivant portera le nom (commun) de bitorwa = celui qui a été ramassé par terre (chap. XII, n° 46).
- a) La mère de jumeaux jouit du privilège de saluer la première = Kuramutsa, ses parents, ses beauxparents et les personnages plus âgés qu’elles. C’est-à-dire qu’elle pourra prononcer la première, la formule de salutation, et que ces personnes répondront par la formule correspondante. Dans les cas ordinaires, la personne la moins digne répond, mais ne prononce pas la formule initiale. On doit noter cependant que bien des mères de jumeaux n’usent pas de ce privilège, par crainte sans doute d’étonner les témoins qui ne seraient pas au courant du fait, et qui prendraient ces privilégiées pour des mal élevées. b) Bien plus, dès qu’apparaît la nouvelle lune, la mère de jumeaux peut appeler, par son nom propre, son beaupère, sa belle-mère, et les autres personnes de la même génération, enfreignant ainsi impunément l’interdiction que nous avons signalée ailleurs (chap. VI, n° 47-50)
IV. La succession des enfantements.
26. Le premier enfantement se dit ubiliza, et la femme qui a donné le jour à son premier bébé s’appelle iliza, au pluriel amaliza. Le deuxième enfantement se dit ubuheta, et la mère, en ce cas, s’appelle impete. Le troisième enfantement se dit ubuheture, et la mère est alors impeture. Ces dénominations ne concernent que la pure succession des naissances, abstraction faite de toute autre considération, par exemple ayant trait à l’âge de la mère ou à l’intervalle jeté entre les événements heureux du foyer.
27.a) Dans cet ordre d’idée, l’enfant qui naît le premier de sa mère (ubuliza), se dit impfura. Le deuxième et le troisième enfant seront respectivement appelés ubuheta et ubuheture ; yavutse ubuheta = il est né deuxième; yavutse ubuheture = il est né troisième. b) Toutes ces dénominations se disent des enfants par rapport à leur mère ; seul l’aîné sera envisagé comme impfura par rapport à son père.
28. Lorsque la femme atteint l’âge d’environ 40-45 ans, elle est appelée ijigija, au pluriel amajigija ; cet âge approximatif de ijigija peut durer jusque vers les 50-55 ans. On ne peut le déterminer qu’en se basant sur l’aspect physique de l’intéressée ; or cet aspect extérieur dépend de plusieurs facteurs : une femme maladive ou prolifique vieillit plus vite qu’une autre moins sujette à ces facteurs. b) Après les 55 ans, la femme devient umugoreukuze =une femme assez âgée. Dès les 60-65 ans, elle est umukecuru = une vieille.
29. a) Notons, en passant, que le terme umukecuru = vieille, n’offusque pas les Rwandaises et qu’il peut être plutôt un titre recherché. A un enfant, dont la mère est une femme de 40-45 ans, on posera la question : Umukecuru wawe ameze ate? littéralementta vieille maman tienne se porte comment ? — Par cette formule, l’interpellateur honore cette femme comme matrone vénérable. La formule umukecuru wwawe a le sens de : ta vénérable mère. b) Il est entendu que, dans ce cas, le mot umukecuru ne peut être directement adressé à la même femme ; mais il pourra être employé en s’adressant directement à une femme âgée, ayant atteint le stade désigné par ce mot. On pourra donc dire : Mukecuru, ntiwandangira inzira : littéralement = Vieille, ne pourrais-tu pas m’indiquer le chemin ? — Dans le contexte culturel précis, le terme « vieille)) renferme la nuance de vénération pour le grand âge de la personne interpellée. On l’appellera également nyogokuru = grand’mère, dans les circonstances analogues, sans l’offusquer, au contraire.
30. a) Le septième enfant se dit nyandwi = septième, nom commun qui peut lui être imposé de fait. Si cette naissance a lieu du vivant de ses 6 aînés, on dit que la mère s’est ornée de la septaine = yashe indwi. b) Le verbe kwasa, employé ici au parfait (yashe), pourrait induire certains en erreur, du fait qu’il existe un verbe homophone du langage courant : kwasa = fendre du bois. Ce dernier verbe comporte les dérivés umwashi = le bûcheron ; umwase = bûche ; ubwiyase = la fêlure. c) Tandis que le verbe kwasa, employé pour la naissance du septième enfant, a un sens religieux, sacré. Ses dérivés sont d’un ordre différent : 1° Le substantif umwasiro = décoration accordée au guerrier qui abat le septième ou le neuvième ennemi, expiré sur le champ de bataille. On sait que cette distinction se nomme également umudende = cloche, à cause des grelots dont elle se compose. 2° Le verbe dérivé kwasira = décorer un tambour dynastique pour le septième ou neuvième roi étranger dont il est orné de dépouilles. d) La mère qui donne le jour à son septième enfant est donc considérée comme une héroïne dans un ordre différent. Elle a atteint le nombre sacré, sans que la mort ait endeuillé sa joie maternelle. Cet événement est célébré par un cérémonial religieux, analogue à la décoration dite collier de la septaine.
31. Le nombre huit n’est pas sacré. Mais le huitième enfant porte le nom commun de Nyaminani (le huitième). Certains le portent comme leur nom propre, sous cette même forme, ou un peu modifié, comme Kanani = le petit-huitième, ou Minani = les huitains.
32. Le nombre neuf, comme le nombre 7, est sacré. Le neuvième enfant est Nyabyenda (le neuvième) dont la forme ne souffre pas modification, tout comme dans Nyandwi (septième). Si les parents décident de l’imposer à leur enfant comme son nom propre, il le portera tel quel.
33. a) Le dixième enfant, au Rwanda, ne s’accompagne d’aucune signification que je sache ; il en va autrement au Burundi, où il porte le nom commun de bucumi(le dixième). Par contre, le onzième enfant au Rwanda porte le nom de misago = le supplément. b) Ces noms, pour être valables, rappelons-le, encore une fois, supposent que tous les aînés sont en vie. Dans ce cas, en effet, les enfants sont inkulikirane = successions ininterrompues. Si l’un des enfants meurt, son aîné et son cadet ne sont plus inkulikirane ; on dira : hagati haciye undi= un autre a passé entre les deux ; sous-entendu : mais il n’est plus en vie.
34. a) Le dernier enfant de la famille est umuhererezi = celui qui clôt le déroulement, la marche. Ce terme peut-être cependant relatif : il peut arriver que le muhererezi perde son rang par la naissance d’un autre.
b) Le tout dernier enfant de la mère, se dit bucura. Après lui, sa mère n’enfantera plus jamais. On dit que pareil enfant, avant de sortir du sein maternel, y dépose un brin d’excrément.
c) Il est évident que la mère peut en arriver à son tout dernier enfant, alors que son époux n’en est pas au même stade. S’il est polygame, sa plus jeune femme peut continuer à lui donner d’autres enfants. Le dernier enfant de son père, est appelé nkunkumuye-isaho = j’ai complètement vidé le sachet (de la fécondation).