La Résistance du Peuple à la Fondation des Premières Missions Catholiques au Rwanda
Pendant les premières années de leur séjour au Rwanda, les missionnaires n’eurent pas seulement à vaincre les « Mauvaises volontés » et les résistances provoquées et soutenues par Musinga et son entourage, ils eurent aussi à faire face aux « mauvaises manières du peuple qui les attaquait, volait leurs biens et qui allait jusqu’à brûler leurs premières maisons. Alors que l’attitude du roi et des grands chefs s’explique par la recherche de la sauvegarde de l’indépendance nationale et du Pouvoir monarchique, nous trouvons que le peuple s’est opposé à l’installation des missionnaires par ce qu’il ne tolérait pas que des étrangers vinssent s’établir sur son territoire, à son plein milieu.
D’un trait, nous comprenons que du dominé au dominant, la population rwandaise était jalouse de l’intégrité de son pays qu’elle considérait comme le plus beau de tous car demeure d’Imana, Dieu du Rwanda. Cependant, même si nous rencontrons auprès de cette population une même idée-force, sous-jacente et commune qui justifie sa résistance, non seulement contre les missionnaires mais aussi contre tout le mouvement expansionniste de l’Europe de la fin du XIXème siècle – début XXème, nous ne sommes pas sans remarquer qu’il y eut deux camps qui agissaient séparément pour défendre une même cause et pour lutter contre un adversaire commun: d’un côté, les autorités rwandaises combattaient les missionnaires sans alerter le peuple, de l’autre, ce dernier s’opposait aux Pères Blancs sans aviser nécessairement les dirigeants.
Cette absence d’union des forces fut la faiblesse des Rwandais devant les missionnaires, cette discordance d’action fut la force des Pères Blancs. Ceux-ci purent se fixer définitivement au Rwanda parce qu’ils surent gagner les hommes de la majorité à leur cause et attirer, non sans difficultés, la minorité dirigeante à venir progressivement mais décidément à la Mission. Cependant, quand nous considérons le pays et sa population dans leur ensemble, nous trouvons qu’à l’arrivée des Pères Blancs au Rwanda, aucune région du royaume n’était prête à recevoir en ami un groupe de personnes venu pour se fixer sur le sol rwandais. Même si depuis 1894, les explorateurs européens avaient franchi les frontières du pays et qu’ils avaient réussi à le parcourir de part en part sans beaucoup de heurts, ils n’étaient pas sans constater qu’ils circulaient au milieu d’un peuple qui les détestait et qui aurait aimé les exterminer si la force des armes ne lui avait pas fait défaut. Ils étaient ainsi mal vus alors qu’ils ne faisaient que passer sans manifester extérieurement leur intention de s’établir définitivement dans ce pays. Que devait-il advenir aux missionnaires qui cherchaient à s’installer au Rwanda pour y rester?
Les Pères Blancs eurent à contourner les pièges tendus par la Cour royale et les grands chefs, ils firent face aussi à l’hostilité populaire. Cependant, celle-ci ne fut pas également subie dans toutes les régions du pays, mais fut rencontrée d’une façon particulière dans deux provinces du nord: dans le Bugoyi où est construite Nyundo et dans le Mulera où est fondée la Mission de Rwaza.
Le choix de ces deux provinces comme principaux foyers de la résistance populaire aux missionnaires peut paraître surprenant. En effet comment peut-on comprendre pourquoi, nous avons laissé de côté la région de Mibilizi, de Zaza et de Save alors que tous les cinq premiers postes de Mission ont été établis, suivant le plan de la Cour royale, dans des endroits réputés pour leur hostilité envers les étrangers? De prime abord, il y a moyen d’être tenté de considérer les cinq régions où se sont fixées les cinq premières missions comme foyers de la résistance populaire aux missionnaires. Mais en abordant les documents laissés par les Pères Blancs eux-mêmes, la tendance de tout englober cède la place au procédé par élimination qui nous laisse Bugoyi et Mulera comme vrais modèles de la résistance populaire au Rwanda.
Les trois autres provinces nous offrent un modèle différent qu’il est bon de montrer. A Save comme à Mibilizi, le peuple s’est approché timidement mais progressivement des missionnaires. Ceci ne dit pas que les gens se sont vite convertis au christianisme, mais qu’ils n’ont pas assailli les Missions pour les dévaliser, qu’ils y sont allés plutôt pour demander des soins médicaux, des objets exotiques (habits, perles…) etc. Souvent même, le peuple suivait, en simple spectateur, les manoeuvres des dirigeants qui s’attelaient â déloger les prêtres catholiques des terrains qu’ils leur avaient concédés. Cependant, cette attitude nous semble étrange et demande quelques éclaircissements. En tentant d’élucider ce phénomène, nous ne prétendons pas épuiser tous les éléments de l’explication. Toutefois, nous pensons que pour le moment deux faits peuvent être retenus comme base de la position du peuple de Save et de Mibilizi. D’une part, voyant que les missionnaires étaient aux prises avec les dirigeants du pays, les habitants de ces régions ont peut-être jugé qu’il s’agissait de chicanes entre deux puissances et que par conséquent, il n’y avait pas de place pour eux dans le conflit. D’autre part, ces régions étant encore plus ou moins insoumises à la couronne, 1eurs populations supportaient mal l’autorité centrale et ses nombreuses impositions si bien qu’un moindre incident pouvait être une occasion pour elles de se débarrasser de l’administration royale de Nyanza. Elles n’auraient donc pas attaqué les missionnaires parce qu’elles voyaient dans leur présence cette occasion propice de reconquérir leur liberté.
Nous rencontrons une attitude semblable auprès de la population de la province du Gisaka où est fondée la Mission de Zaza. Mais là plus qu’ailleurs, l’accueil aux missionnaires fut triomphal. Ce cas unique au Rwanda mérite encore un peu de notre attention. Certes, le désir de retrouver sa liberté a influencé sa position. Mais un autre facteur non moins important pour le peuple est venu garantir aux missionnaires le droit de cité dans ce Gisaka qui passait pour remuant et très dangereux: la pluie du seigneur météo:
« Dieu qui veut la mission en ce pays nous envoya sa bénédiction dès le premier jour. Nous n’étions pas encore arrivés au village où on devait établir le camp, que la première averse que ces pauvres gens eussent vue depuis longtemps commença à tomber; elle fut si violente que notre caravane en souffrit beaucoup; mais à notre arrivée, et encore en pleine pluie, nous sommes reçus comme en triomphe par les habitants. »
Dans une région où sévissait la famine causée par la sécheresse, l’averse était un événement capital. Elle venait soulager le peuple qui avait tout fait pour obtenir du ciel un peu de pluie mais qui avait toujours échoué lamentablement. Ses faiseurs de pluie, nombreux dans la région, avaient, à plusieurs reprises, tenté leurs chances sans enregistrer de succès. Le Mwami lui-même, en sa qualité de grand prêtre et de grand représentant de Imana sur Terre, s’était avoué incapable de sauver ce peuple du mal qui l’accablait. Comme Sa Majesté le roi, tous les autres faiseurs de pluie et tous les grands sacrificateurs du pays n’avaient pas pu avoir du ciel la pluie qui féconde la terre et qu’à l’arrivée des Pères Blancs dans la région la première grosse averse est tombée, la population a cru que c’étaient des missionnaires qui l’ont apportée, que Imana leur avait délégué sa puissance. Ainsi les hommes les embrassèrent les genoux et les supplièrent de rester au milieu d’eux afin de dissiper complètement la famine. Mgr Hirth de conclure: « C’était de bonne augure, pour nous qui arrivions précisément dans cette province de Kissaka avec l’intention de nous y fixer. »
Cette « bonne augure »‘ allait-elle se rencontrer partout où les Pères Blancs se portaient pour fonder leurs premières Missions? Au lieu de l’accueil timide ou triomphal, le Père Brard qui entreprenait un voyage dans le Bugoyi en vue d’une création d’une nouvelle Mission, fut salué par une opposition violente de la population qui ne voulait pas des missionnaires et qui ne supportait pas qu’un étranger s’établisse sur son territoire. L’opposition à l’intrusion du christianisme dans le Bugoyi s’illustra surtout par le massacre de deux auxiliaires noirs des Pères Blancs, Toby et Kabika.
« Le deuxième jour, Toby est massacré à Mahanda par le chef mùhutu Ngomba-Lombi (Nkomayombi). Le nyampara du roi qui accompagnait le Père était allé demander de la nourriture à ce chef; il le menaça de sa lance; Toby et Kabika y allèrent à leur tour pour demander qu’on laissât au moins les indigènes venir vendre de la nourriture. On s’empara de leurs fusils sans aucune dispute; Kabika reçut 3 coups de muhoro (serpette) sur la tête, un coup à la gorge qui perfora la pomme d’Adam, et plusieurs coups sur tout le corps. Puis ces bandits vinrent attaquer le camp. Quelques coups de fusils les dispersèrent. C’est alors seulement que l’on trouva Tobiy dans le rugo (enclos) de Ngomba-Yombi (Nkomayombi) baigné dans son sang. Le Père leva le camp sans rien brûler et prit la route de Kisegwy (Gisenyi) où se trouvait une petite station allemande de 4 soldats. »
Cette résistance si violente qui a marqué les débuts de l’évangélisation dans le Bugoyi n’a pas perduré cependant car le 25 avril 1901, la Mission de Nyundo était définitivement fondée dans cette province. Les documents consultés ne nous ont pas dit comment les Pères Blancs ont pu finalement s’établir au milieu des Bagoyi (habitants du Bugoyi). Nous pensons qu’ils ont dû recourir à la force des militaires allemands afin de pouvoir s’installer dans cette région. Le roi et son peuple auraient alors cédé parce qu’ils s’avouaient incapables de résister à l’arme à feu que portaient et les missionnaires et les soldats allemands. Un facteur extérieur (l’intervention du pouvoir colonial allemand) aux parties en opposition (Pères Blancs-Bagoyi) aurait déterminé la victoire des missionnaires sur la population du Bugoyi. Toutefois, cette victoire n’était qu’apparente car les habitants de la région se sont refusés pendant longtemps de s’approcher décidément de la Mission. Ils ont fermé leurs coeurs à l’Evangile, ils ont continué leurs pratiques coutumières; bref, ils ont ignoré ce que les prêtres cherchaient à leur apprendre. En fin de compte, les Pères Blancs ont gagné sur le plan matériel tandis que les Bagoyi ont vaincu temporairement sur le plan spirituel. Il faudra attendre l’administration coloniale belge pour convertir décisivement le Bugoyi au catholicisme.
Les missionnaires catholiques eurent également à faire face aux attaques armées et ouvertes de la population de la province du Mulera. Cette région était elle aussi connue comme très remuante. A l’arrivée des Européens, le meurtre et la vendetta y étaient la loi, le vol et le pillage y étaient en vogue. Avant l’installation du pouvoir colonial européen, le monarque rwandais ne pouvant rien tirer de la population du Mulera, profitant plutôt de son attrait pour la lutte, ne la mettait en contribution que pour la guerre: elle composait l’armée du roi et par ce fait, elle échappait grandement aux travaux hebdomadaires que les Hutu devaient exécuter pour les chefs tutsi. Aussi, même si le Mulera était sous l’obédience de la couronne royale, il gardait toujours son esprit d’indépendance vis-à-vis du – pouvoir central et de ses représentants dans la région. Soulignons qu’il a été conquis au prix de plusieurs expéditions militaires des rois du Rwanda et qu’il était toujours prêt à se soulever car il digérait mal toute autorité venue du dehors. Il était contre toute immixtion étrangère dans ses affaires internes. C’est dire que les Pères Blancs s’y sont installés à leurs risques et périls!
Kabushinge, colline où est construite la Mission de Rwaza était entourée par deux clans réputés pour leur esprit guerrier: les Basinga et les Bagesera. Les missionnaires nous disent qu’à leur arrivée les premiers détenaient « la suprématie du désordre » et que les seconds se distinguaient par « l’insolence dans le brigandage ». Tous étaient des « écumeurs » de grands chemins qui tuaient pour tuer, qui dévalisaient sans prendre même la peine d’emporter le butin. Exagérée en plusieurs endroits, cette description des Pères Blancs reflète cependant quelques réalités du moment: le meurtre, le pillage, le vol, la lutte ouverte entre les clans, etc. Cette même description a cet intérêt de nous montrer comment de l’extérieur, la population était jugée; elle nous fournit un jugement qui nous met devant des gens difficiles à contenir et à détourner de leurs habitudes. De plus, cette population nous paraît divisée à cause des luttes intestines et incessantes entre les différents clans.
Opposés entre eux, comment les Balera (habitants du Mulera) ont-ils su mener une résistance contre les missionnaires? De prime abord, il est facile d’être tenté de dire que la division qui régnait parmi eux pouvait mettre les Pères Blancs à l’abri des attaques car la population n’avait pas un esprit d’union susceptible de guider son action commune. Mais en réalité, il se fait qu’une menace en provenance de l’extérieur des parties en luttes déclenchait une sorte de réconciliation temporaire, faisait oublier les querelles internes, rapprochait les voisins opposés et unissait la population pour défendre ses intérêts communs en danger. Attaquer les missionnaires était une affaire de tous car il fallait repousser les étrangers hors de leur territoire.
Mgr Michel Ntamakero qui a écrit sur les débuts « durs et pénibles » de la Mission de Rwaza veut que la population du Mulera a lutté contre les missionnaires parce qu’elle était frappée par « l’aspect repoussant de ces personnages insolites à peau rouge. » En réalité, ce n’est pas l’aspect physique des Pères Blancs qui a déclenché la résistance chez les Balera mais bien la fierté de leur indépendance sous toutes ses formes. La défense de l’intégrité de cette dernière fut l’élément de base de leur opposition contre les prêtres catholiques.
Leur résistance fut violente et incessante pendant la période coloniale allemande, surtout entre 1903 et 1910. Dès les débuts de la Mission de Rwaza, c’est-à-dire le 20 novembre 1903, les habitants environnants de Kabushinge attaquèrent les nouveaux arrivés, plus tard ils se tournèrent coutre leurs auxiliaires et leurs premières ouailles. Les attaques armées s’organisaient aussi bien pendant les jours que pendant les nuits, les prêtres pouvaient être assaillis à la Mission ou en dehors de celle-ci. Au cours des premières constructions du poste de Mission de Rwaza, les Basinga, au milieu desquels les prêtres élevèrent leur demeure, se mettaient en lignes de bataille et tiraient des flèches en direction des missionnaires. Au moindre coup de fusil tiré en l’air, la troupe se dispersait pour revenir quelques instants après. La scène se répétait ainsi chaque jour. Mais du jour au lendemain, l’opposition perdait de sa vigueur.
Est-ce la fatigue qui a dicté son attitude de découragement ou y eut-il une autre cause qui aurait été à l’origine de cette régression? Les missionnaires avaient réussi à attirer discrètement quelques Basinga qui détournaient à leur tour leurs congénères de leur mouvement d’opposition contre les Pères Blancs. Mais cette tolérance que les Basinga manifestèrent à l’endroit des missionnaires ne fut pas supportée par le reste de la province. Désormais,1a population fut divisée en deux factions: une pour les Pères Blancs, une autre contre ceux-ci. C’est ainsi que les Bagesera et les Bayoka, voulant déloger les missionnaires de la région, ont d’abord attaqué les Basinga, devenus amis des Pères. Leur lutte se solda par la victoire des Basinga, et par conséquent, par la victoire des missionnaires. Ceux-ci étaient arrivés au principe de « Diviser pour régner »!
Des cas semblables à ce dernier et qui témoignent de l’alliance ou de la collaboration entre les Pères Blancs et quelques Rwandais se produisirent plus d’une fois dans le Mulera. Cependant, les documents nous permettent de dire que la majorité de la population restait opposée aux missionnaires. Quand son hostilité n’arrivait pas à atteindre directement les Pères Blancs, elle s’abattait sur leurs catéchumènes et leurs premiers chrétiens. C’est ainsi que des familles eurent â subir des voies de fait à cause de leur attachement aux prêtres: un mari blessé gravement, une femme empoisonnée, un enfant tué, un habitué des constructions missionnaires tombé sous un coup de serpette, un gardien de bétail des Pères attaqué et blessé, etc.; bref, le Mulera. demeurait toujours opposé aux agents de l’Occident chrétien.
Il fut l’unique région du Rwanda qui a mis tragiquement fin aux jours d’un des premiers missionnaires de Rwaza, à l’occurrence le Père Loupias. Pour nous, l’assassinat de ce prêtre ne se situe pas nécessairement dans le cadre particulier de l’opposition populaire contre les Missions, il se place plutôt dans le cadre général de la résistance du peuple contre la domination européenne.
Quand nous prenons les écrits des Pères Blancs, nous constatons que le Père Loupias a été « malicieusement » attaqué et « honteusement » abattu. Quand nous analysons ce que les témoins directs de l’événement ont révélé à Mgr Michel Ntamakero, natif de la région, nous remarquons que: premièrement, Rukara, le présumé assassin, n’est pas celui qui a tué Loupias, que c’est plutôt un nommé Manuka (le neveu de Rukara) et Milindi (son associé) qui ont réellement assassiné le prêtre. Deuxièmement, nous apprenons que ces deux derniers ont volé au secours de Rukara parce qu’ils le voyaient se débattre contre le Père Loupias qui avait provoqué leur chef. Dans ce cas, il s’agit d’une vraie défense mais pas d’une attaque de la part de Manuka et de Milindi. Finalement, d’après les témoins rwandais, les causes de la mort de Loupias entrent plutôt dans le temporel que dans le spirituel. Le Père avait été supplié par le roi Musinga pour aller arranger une affaire de famille qui risquait de créer des troubles dans la province. Ici, nos deux sources d’information: écrits missionnaires et témoignages des Ruandais s’accordent – Sa présence et son jugement représentaient, aux yeux de la population, non pas le pouvoir royal, mais le pouvoir des Blancs. C’était, pour elle, de l’ingérence étrangère qu’elle n’était pas prête à digérer. C’ est pourquoi Rukara a refusé catégoriquement le jugement rendu par Loupias et a réclamé fortement celui du roi lui-même. Lésé, Loupias a forcé le chef Rukara à se soumettre; la force a provoqué la bagarre qui a conduit à la mort du missionnaire, le 1er avril 1910.
Devant ces faits, nous pouvons conclure que Loupias n’est pas mort parce qu’il était prêtre mais parce qu’il était Blanc et parce qu’il a voulu imposer son verdict par force. Si intérieurement il était parti avec l’intention de profiter de la mission qui lui a été conférée par le roi pour convertir la population de Gahunga (lieu de l’assassinat), il est tombé comme missionnaire. Mais comment le savoir puisque nous n’avons pas les preuves de ses intentions? Toutefois, l’événement de sa mort et les faits que nous avons vus plus haut nous laissent comprendre que la vie des missionnaires et de leurs premiers convertis n’était pas rose dans la région du nord. En voici un témoignage d’un des premiers missionnaires de la Mission de Rwaza:
« Agenouillé près de l’autel (…), le Père Jean songeait à des choses anciennes et à de plus récentes. En ce jour du neuvième anniversaire de son arrivée dans la montagne, il songeait aux incidents des premiers contacts. Il se revoyait au pas de sa tente, à peine dressée, spectateur impuissant du désolant spectacle: tout autour, à portée de voix, des huttes flambaient, incendiées par la malveillance, parce que les habitants ne s’étaient pas opposés de vive force au campement des Blancs sur la colline.
Il revoyait les manifestations hostiles de ces premiers jours, les coups de main, les attentats répétés, les trahisons suivies d’assassinats haineux. Les souvenirs venaient de partout au coeur du Père Jean et le pénétraient. Ils venaient du profond de la montagne où furent découpés, comme à l’étal, les plus jeunes de ses premiers catéchumènes, et de la savane rocailleuse du haut-plateau, où avaient succombé ses premiers auxiliaires, victimes d’un guet-apens. »