Allocution Du Président Kayibanda Prononcé A L’Occasion Du 50ème Anniversaire De La Fondation Du Petit Séminaire De Kabgayi.
Dilecti condiscipuli,
Magistri venerabiles,
Hujus sacrosanctae Domus primae Fundationis memoria quam celebrat hodiernus conventus noster tam ineffabilis est ut mihi illa veteris scriptoris reddere liceat Nec lingua valet dicere, Nec littera exprimere, Expertus potest credere, quid sit hoc in Seminario primitias vitae peregisse.
Ita mihi loquanda non multa, insuper mensae hoc fraternitatis epulis extructae videntur nostros affectus melius exprimere posse quam allocutiones academicce.
Desiderio tamen illustrissinni Rectoris Seminarii Kabgayiensis obtemperans, non academice simulans, quaedann brevia dicam quocumque remota apparatu.
Et gallice dicam cum germanice non satis expertum me sciam, swahilice non fluenter dicerem, materna expressione proesentes extranei quidam uti non consueverint ; nec latine pergere non licet mihi cum ex nobis quidam aeternum Ciceronis eloquium obliscere potuisse putari possint.
Excellences,
Mesdames, Messieurs,
Monsieur le Recteur,
Mes chers petits frères,
Ces murs cinquantenaires auraient peut-être souhaité qu’un ancien élève du Séminaire retrace aux enfants et aux jeunes gens qu’ils abritent aujourd’hui, l’histoire du Séminaire de Kabgayi depuis sa fondation jusqu’en 1963.
Ce n’est pas moi qui le ferai : d’autres le feront mieux que moi. Le Président de la République est très heureux de pouvoir dire un mot fraternel à cette honorable assemblée réunie à l’occasion du cinquantième anniversaire de la Fondation du Petit Séminaire de Kabgayi.
Ma pensée va d’abord aux courageux fondateurs et aux illustres continuateurs de cette Pépinière. Parmi ces continuateurs, qu’il Nous soit permis de citer le Révérend Père Antoine Van Overschelde, dont l’esprit d’organisation a fait de ce Séminaire ce qu’il est; dont l’intelligence et la ténacité ont préservé le Séminaire de Kabgayi des destructions de la guerre et de la famine de 1944, dont sens réaliste et pratique ont empêché le Séminaire de sombrer dans l’euphorie des premières réussites qui furent plus que spectaculaires.
Je citerai également le Révérend Père Boutry qui le premier s’est occupé des anciens qui ne s’orientaient pas définitivement vers la prêtrise : il a su entretenir la flamme jusqu’au moment où nous primes conscience de nous-mêmes; il avait été le promoteur de l’Ami qui fut pour ainsi dire un mouvement, concrétisé dans la Revue, dans la Librairie, et dans l’Amicale des Anciens Elèves du Séminaire, laquelle a contribué, tel un tremplin lointain, aux prises de consciences ultérieures.
A tous, fondateurs, continuateurs, directeurs et professeurs, va notre estime et notre gratitude. Leur œuvre a servi l’Eglise catholique, comme il se devait; il a été également très utile à la patrie. Il appartiendra à l’historien objectif de relever l’influence heureuse qu’a eu ce Séminaire sur les destinées du Rwanda.
Je suis sûr d’exprimer non seulement le souhait de mes anciens condisciples, mais aussi de tout le Pays, en vous demandant, chers fondateurs, continuateurs, directeurs et professeurs du Séminaire de Kabgayi de continuer à prier pour la prospérité des arbres, des fruits et de la pépinière.
De la pépinière sont sortis des plants, les plants sont devenus de gros arbres, les arbres produisent de bons fruits : la République Rwandaise progresse pacifiquement dans la liberté.
Je ne me perdrai pas en éloges pour les Semeurs; la Sagesse dit : A fructibus eorum et ailleurs : Electi mei non laborabunt frustra neque generabunt in conturbatione; quia semen benedictorum Domini est, et nepotes eorum cum eis… Et assumam ex eis in sacerdotes et levitas, dicit Dominus; quia sicut coeli novi et terra nova quae faciostare coram me, dicit Dominus, sic stabit semen vestrum et nomen vestrum.
Et vous chers amis, encore en pépinière : le Président de la République se tourne vers vous pour vous encourager. Je vous encourage à quatre choses fondamentales pour l’avenir de chacun de vous, pour l’avenir de votre patrie.
— Soyez sages, c.à.d. saisissez toujours davantage le sens de cette Maison qui abrite votre jeune âge. Courbez-vous volontairement à sa discipline. Soyez convaincus que sans la discipline, personnelle et collective, rien n’aboutit. La discipline vous aidera à étudier et à vous former.
—Appliquez-vous aux études. Cherchez méthodiquement à assimiler ce que l’on vous enseigne. Habituez-vous dès votre jeune âge à réfléchir sur ce que vous apprenez : vous le comprendrez mieux, vous le jugerez sainement, vous pourrez mieux l’utiliser plus tard. Sachez que quelle que soit la voie de la Providence pour chacun de vous, votre pays a besoin de leaders instruits.
—Exercez-vous à la vie de charité : cette charité doit être si profonde, si sublime que les haines, les envies et les autres déficiences de la vie courante d’aujourd’hui et de demain, manquent de prise pour la ronger. Faites en sorte qu’après votre Séminaire, une fois devenus adultes, vous ne puissiez être repaganisés.
—Tenez à votre formation physique et civique. La matière, le corps sont bons, ils doivent être développés : c’est la volonté de votre Pays, obéissant elle-même à celle de la Providence : le développement de votre corps, de vos muscles, de vos membres peut redoubler votre efficacité.
Vous devez aussi être les enfants de votre pays : il faut le connaître, en connaître la géographie, les Institutions, les orientations fondamentales. Vous pourrez ainsi le mieux aimer et vous n’ignorez pas que l’amour de votre pays constitue un des éléments nécessaires de la piété.
Quant aux anciens Elèves du Séminaire, qu’ils me permettent de leur adresser une invitation : celle de rester fidèles au Séminaire.
Les deux sorties providentielles du Séminaire ont donné lieu au fait de deux groupes parmi les anciens Elèves de cette maison : le groupe sacré des prêtres et celui qu’on appelle les laïcs.
La fidélité au Séminaire consisterait, pour les prêtres, à répondre à l’attente de la Société Rwandaise actuelle et accroître en eux les qualités nécessaires, la sainteté, la science, l’ouverture sereine et calme au Rwanda d’aujourd’hui.
Les laïcs sont exigeants et on peut les en féliciter : ce n’est qu’un bon signe. Nous voulons des Thomas d’Aquin, des Paul de Tarse, des Ketteler, des Vincent de Paul, et bien entendu marque 1964. La République n’aurait que faire de politiciens féodaux camouflés dans la soutane : la République veut que qui veut faire de la politique soit honnête et descende dans l’arène destiné à la politique : les âmes pieuses ne doivent être dupées par le camouflage.
Répondez donc, Messieurs les Abbés, à la Providence qui à déjà récompensé si magnifiquement la fidélité de plusieurs à leur Séminaire : car n’est-ce pas une récompense magnifique que la présence au milieu de cette assemblée de trois Evêques anciens élèves du Séminaire de Kabgayi. Son Excellence Monseigneur Bigirumwami, Son Excellence Monseigneur SIBOMANA, Son Excellence Monseigneur GAHAMANYI, desquels nous pourrions dire : vos gloria Jerusalem, Vos laetitia Israël Vos Honorificentia Seminarii nostri.
Pour les laïcs, cette fidélité au Séminaire a également un sens. Elle consiste :
— à garder l’acquis intellectuel : on peut peut-être laisser tomber les déclinaisons puisqu’on n’aura vraisemblablement pas à intervenir au Concile! Mais s’abrutir est un déshonneur en même temps qu’un péché.
— Nous avons à augmenter le bagage intellectuel acquis au Séminaire : ne fut-ce que la partie littéraire de ce bagage : c’est un moyen d’enrichissement pour nous que le contact intelligent avec les cultures de l’homme européen : le développement et la promotion de notre culture nationale ne fera qu’y gagner.
— Nous devons élargir notre ouverture au monde réel où nous vivons : cette ouverture au Monde est le propre de l’Humanisme.
Cette ouverture sera une ouverture respectueuse. Respectueuse de tout ce qui est bien; même de ce que nous ne savons pas, de ce que nous ne pouvons encore qu’entrevoir : dans l’homme, dans les choses, dans les transformations de la Société.
Cette ouverture sera une ouverture amoureuse : amoureuse des hommes, des choses, des développements divers qui s’effectuent dans ce monde de fin du 20ème siècle.
Cette ouverture sera une ouverture agissante, par laquelle chacun d’entre les anciens Elèves du Séminaire contribue réellement à l’épanouissement de notre pays : pour les uns ce sera en orientant la Politique, pour les autres ce sera en organisant l’économie, pour d’autres ce sera en promouvant la culture : il faut que notre ouverture au monde contribue à faire du Rwanda, une terre plus civilisée, plus développée.
Cette ouverture sera une ouverture simple et réaliste : certains ont pu de ce petit Séminaire passer au Grand Séminaire: des universités et autres Etablissements supérieurs sortiront des spécialistes en des domaines dont nous ne connaissons même pas l’ABC. Nous aurons à vivre, à collaborer tous pour l’avancement de notre pays dans une modestie et une simplicité intelligentes.
C’est cette ouverture au Monde, à notre Société qui nous a inspire l’Idéal de la Démocratie et de la Liberté des citoyens de notre Cher Rwanda. A cette liberté vous êtes tous invités à travailler sans relache.
Ce Séminaire lui-même dont nous fêtons aujourd’hui le cinquantième anniversaire, est invité à faire plus que ce qu’il a réalisé au cours de cette première période de son existence.
Et je voudrais profiter de cette occasion solennelle pour suggérer au Séminaire deux initiatives susceptibles d’accroître son efficacité, du point de vue laïc.
La première est à prendre en collaboration avec les autres établissements secondaires du Pays : il s’agit d’une Réunion périodique des professeurs des différents Etablissennents d’Enseignement secondaire dont le professorat de cette Pépinière pourrait prendre l’initiative.
Cette réunion périodique des Professeurs aurait pour but de revoir ensemble l’éducation qui est donnée à la Jeunesse Rwandaise, le niveau des études qui sont dispensées, les exigences qu’une authentique éducation civique impose à des éducateurs pour la plupart étrangers et la confrontation de ce devoir capital avec l’état et les orientations fondamentales de la Société rwandaise d’aujourd’hui et de demain. L’efficacité de nos maisons d’Education secondaire, l’enseignement supérieur, et la culture rwandaise ne pourraient que profiter d’une telle Institution dont la carence désavantage à longue échéance, la cohésion et la discipline de notre peuple et de ses futurs Elites.
La deuxième initiative que le Président de la République suggère au jubilaire, c’est la concrétisation de cette ouverture du Séminaire dont je parlais tout à l’heure.
Je songe ici à une salle de conférences, ouverte carrément sur la rue, aménagée de façon à servir tantôt les Séminaristes, tantôt et surtout les Anciens Elèves du Séminaire qui auraient besoin de tenir une réunion, de suivre une session d’études, ou d’organiser, sans déranger le cours normal pieux de la Pépinière, d’autres rencontres à niveau et à esprit sérieux dans le sens de la fidélité dont je parlais.
Nous connaissons ailleurs ce genre d’œuvres dont certaines maisons se flanquent en guise de complément; un tel complément est seul de nature à enlever à certains Etablissements sévères cette attitude château-fort qui rebute par son paternalisme muet et recroquevillé sur lui-même.
Par ailleurs, plusieurs d’entre nous, si pas tous, sont conscients qu’ils doivent beaucoup au Séminaire : il faut que cette maison nous permette de payer notre dette de reconnaissance, ne fut-ce qu’en fournissant aux uns et aux autres l’occasion de venir en passant, dire bonjour.
Telles sont les deux suggestions que je fais en cette occasion solennelle aux Responsables de ce Séminaire, en pensant avec eux à l’avenir de ce Haut Lieu.
En tous les cas j’espère, Excellences, Messieurs les Professeurs. Mesdames, Messieurs, chers amis, que le Séminaire de Kabgayi restera conscient que le Rwanda fonde beaucoup d’espoirs sur lui, et qu’avec le concours et les sympathies de tous, il fera son possible pour répondre à cette attente.
Kabgayi, le 23 juin 1963.
Le Président de la République Rwandaise
Gr. KAYIBANDA.