L’expansion de l’économie monétaire

 C’est à partir de 1966 que l’économie monétaire rwandaise connut une véritable expansion. Cette expansion fut le résultat d’abord de la reprise des productions agricoles, minières et industrielles, entamée dès 1964; ensuite de la réforme totale du régime monétaire et du rajustement consécutif apporté à la définition du franc rwandais et à la rémunération des producteurs et des travailleurs; et enfin, à l’accroissement substantiel des aides financières extérieures…

Cette expansion fut accompagnée d’une amélioration du réseau des institutions de crédit et d’épargne. Au sommet de celles-ci, la Banque Nationale avait entamé ses activités en avril 1964, sous la direction d’experts internationaux successifs exerçant les fonctions de Gouverneur en collaboration avec un Gouverneur-adjoint rwandais; puis, à partir de 1971, sous la direction d’un Gouverneur rwandais en la personne de M. Jean Birara. Autres institutions publiques d’épargne et de crédit : l’Office des Chèques Postaux vit le nombre de ses bureaux s’étendre de 10 en 1962 à 12 en 1972, le volume des placements des particuliers y restant à peu près stationnaire aux alentours de 45 millions de francs; la Caisse Sociale, organisée en novembre 1962 selon un système d’épargne forcée, étendit le nombre de ses affiliés de 44 000 en 1963 à 73 000 en 1970, le total de ses avoirs nets passant de 14 millions de francs en 1963 à 297 millions en 1970; la Caisse d’Épargne, créée en juin 1963, eut recours dès le départ à l’intermédiaire des bureaux de poste, y ajoutant progressivement, outre son siège principal de Kigali, 2 succursales et 4 bureaux auxiliaires : le nombre d’épargnants passant d’un bon millier en 1964 à plus de 34 000 en 1970, et le montant des dépôts d’épargne passant dans le même temps de 104 millions à près de 270 millions; le Fonds d’Égalisation de l’OCIR, que l’on pourrait considérer comme un fonds d’épargne forcée des producteurs de café, a vu son encaisse passer de 67 millions en 1964 à 220 en 1970; et enfin, une Caisse de Crédit à l’Habitat rural, créée en avril 1964, commença ses activités en 1966, le nombre de ses emprunteurs passant de 74 en 1966 à 548 en 1970, et les montants prêtés passant dans le même temps d’un peu plus d’un million à 12 millions et demi.

Ce réseau se compléta de plusieurs institutions bancaires privées : la Banque Commerciale du Rwanda, fondée en 1962, et qui créa des succursales progressivement à Butare (1964), Gisenyi (1965), Cyangugu (1967), Kanombe-aéroport (1970), Byumba (1971), sans compter un service mobile desservant les centres de Kibungo et Rwamagana (1968); et la Banque de Kigali, fondée en 1967, et qui créa une première succursale à Ruhengeri (1968).

Résultat de la réforme monétaire, des déficits budgétaires, et de la monétarisation croissante de l’économie, la circulation monétaire se gonfla de 1380 millions de francs en 1965 à 2 468 millions en 1970.

Quant aux productions minières et industrielles, elles contribuèrent également à cette expansion dans une mesure importante. Les exportations de minerais, évaluées globalement à 140 millions de francs en 1963, passèrent à 272 millions en 1965, puis à 840,6 millions en 1970 8. Cette progression, qui correspondait à une production croissante de cassitérite (1817 tonnes en 1963, 1972 en 1965, et 2156 en 1970) et de wolfram (12 tonnes en 1963, 231 en 1965, et 1004 en 1970), ne se fit pas sans un certain nombre de problèmes.

En premier lieu, le problème de l’« actualisation » des droits de recherche et d’exploitation minières concédés en vertu de la législation antérieure à l’indépendance. En février 1963, cette législation avait en effet été abrogée et remplacée ; et tous les anciens titres miniers avaient été annulés, leurs titulaires pouvant en obtenir le renouvellement s’ils réalisaient certaines conditions nécessaires d’exploitation. Les demandes introduites en ce sens par les sociétés minières posèrent aux autorités des problèmes complexes, et leur instruction dura plus longtemps que prévu : jusqu’en avril 1971, date à laquelle le Gouvernement rwandais put statuer définitivement sur l’ensemble de ces demandes, les activités minières reposèrent en conséquence sur un certain « modus vivendi ». Le sort indécis des titres miniers durant cette période ne fut, dans la réalité, pas favorable à des investissements nouveaux par les sociétés en place.

Un second et grave problème qui se posa au Gouvernement et aux sociétés minières fut celui de la fraude de minerai vers l’Uganda et la Tanzanie et des vols de minerai sur les chantiers. La réforme monétaire de 1966, en rétablissant une juste équivalence entre monnaies voisines, eut l’heureux effet d’ôter tout profit à la fraude. Quant aux vols, ils eurent la vie plus dure, mais purent finalement être assez bien combattus par les entreprises minières soutenues par les Services gouvernementaux compétents.

Un autre problème fut celui de la formation de personnel de maîtrise rwandais. L’évolution des techniques d’exploitation minière allait, en effet, exiger un encadrement plus poussé, et il importait de pouvoir disposer de personnel rwandais, moins coûteux que les cadres étrangers expatriés. Une nouvelle section d’enseignement professionnel fut en conséquence projetée au sein de l’École Technique officielle de Kicukiro.

Un autre problème enfin, bien connu déjà avant 1962, fut celui de l’épuisement prochain des gisements superficiels et détritiques exploités par les sociétés. Afin de préserver l’avenir, le Gouvernement fit réaliser pour son compte d’importantes prospections minières : sur la crête Congo-Nil, dans les marais de la Kamiranzovu, dans la région de Kifurwe (la « tungsten belt»), dans le Sud du Parc de la Kagera et enfin systématiquement sur l’ensemble du pays, par la méthode de la géophysique aéroportée et au sol. Mais cet effort de prospection ne pouvaitsuffire. Il fallait en effet permettre à tous les grands chantiers miniers de s’attaquer aux gisements primaires, situés en profondeur, et de disposer en conséquence d’une énergie électrique abondante et bon marché indispensable. Déjà plusieurs grandes mines avaient été raccordées au réseau de la Ntaruka fin 1959 : Rutongo, Musha, Rwinkwavu… Mais d’autres devaient, par contre, travailler encore au moteur diesel : Gatumba, Mwaka, Nemba, Rutsiru-Sebeya…

Or la production d’électricité constituait, en elle-même, un problème préoccupant pour le Gouvernement rwandais. Selon les évaluations, la centrale hydro-électrique de Ntaruka devait arriver très vite à saturation et il fallait rechercher d’urgence une source d’énergie complémentaire. Le Plan Quinquennal recommanda donc dans l’immédiat la négociation d’un Accord avec le Congo devant permettre d’utiliser « dans l’intérêt des deux pays » le potentiel de la centrale de Mururu. En cas de succès, il faudrait réaliser « dans les délais les plus rapides » l’interconnexion de la centrale de Mururu avec le réseau de Ntaruka à Kigali, via Kigoma, par le moyen d’une ligne HT de 110 kV sur pylônes métalliques. En cas d’échec, le Plan recommanda la construction « d’extrême urgence » d’une nouvelle centrale sur la Mukungwa.

Outre cet investissement de base, le Plan prévit le raccordement au réseau, par lignes MT de 30 kV, des chantiers miniers de Gatumba et Mwaka, des agglomérations de Ruhengeri et de Byumba, de la vallée de la Mulindi, et par lignes MT de 15 kV, des petits centres de Shagasha et de Nyamasheke.

Dans la pratique, la consommation sur le réseau de la Ntaruka connut comme prévu, entre 1966 et 70, une très forte augmentation : 123 %, soit quelque 17,4 % par an. Comme prévu aussi, certains gros clients ont suspendu, par crainte de manquer du courant nécessaire, leurs programmes de consommation.

Quant au projet d’utilisation commune de la centrale de Mururu, préalable à l’interconnexion Mururu-Kigali, il a été finalement, le 15 juillet 1970, confié à l’étude d’une « société tripartite », constituée sous les auspices du FED par le Rwanda, le Congo et le Burundi. En attendant que cette étude porte ses fruits, l’implantation de la ligne HT Kigali-Kigoma et de ses deux extensions en MT Kigoma-Butare-Gikongoro et Kigoma-Gitarama-Gatumba, a été étudiée et sera réalisée, sur financement du FED, entre 1972 et 1974. Quant à la ligne HT Kigoma-Mururu, son étude doit s’achever fin 1972, et sa réalisation fin 1975, sur financement du FED également.

Enfin, pour parer à tout retard éventuel de ce grand projet énergétique de base, l’étude de l’aménagement de la Mukungwa a été entreprise fin 1971, sur le même financement.

Par ailleurs, la société parastatale congolaise « Forces de l’Est » actionnaire presqu’exclusif des centrales de Mururu et de Ntaruka, a entrepris d’en compléter les équipements. A Ntaruka le troisième groupe turbine-alternateur de 3 750 kW, groupe de sécurité (et qui n’est donc pas destiné à accroître la production électrique), a été mis en place fin 1971. Et les deux groupes de 7 800 kW qui manquaient pour donner à Mururu sa pleine puissance doivent être mis en place pour fin 1972.

Quant aux lignes secondaires à MT prévues par le Plan, elles ont été en partie réalisées : la ligne Mururu-Shagasha, financée par le FED, est entrée en service fin 1969; la ligne Rulindo-Byumba-Mulindi, financée par la KFW, a été achevée début 1972; la ligne Ntaruka-Ruhengeri et la ligne de bouclage du réseau de Kigali (devant desservir notamment le futur zoning industriel) doivent être mises en service respectivement fin 1972 et début 1973, toutes deux sur financement du FED.

Enfin, le projet de centrale hydro-électrique au fil de l’eau aux chutes du Nil-Kagera à Rusumo, envisagé par le Plan comme un des grands développements possibles de l’équipement énergétique de base du pays, a été proposé à l’examen des plus hautes autorités tanzaniennes. Ce projet, susceptible d’intéresser le Rwanda, la Tanzanie et le Burundi, a été inséré de commun accord dans un projet plus vaste, visant le développement de l’ensemble du bassin du Nil-Kagera.

A côté de l’accroissement des productions agricoles et minières, le Rwanda a également connu durant ces dix dernières années une progression des activités industrielles. Au début de 1964, la rupture de l’Union Économique et Douanière avec le Burundi avait eu pour effet de réduire de moitié le marché industriel pour chacun des deux pays. Regrettable dans cette mesure, cette rupture avait eu par contre, pour le Rwanda, un effet extrêmement bénéfique car, le schéma des communications rwandaises avait été entièrement restructuré, et Kigali, lentement mais sûrement, avait pu acquérir les dimensions, les équipements et le dynamisme d’un réel pôle de développement. Et dès 1964, les activités industrielles s’étaient trouvées relancées dans le pays, en particulier par l’implantation d’entreprises nouvelles en provenance de Bujumbura.

Pour tenter de stimuler ces activités, le Gouvernement adopta successivement une série de mesures. En avril 1964 d’abord, un Code des Investissements fut mis en vigueur, dont le but était à la fois de garantir les nouveaux investissements de capitaux étrangers, et de leur assurer certains régimes de faveur définis dans chaque cas en fonction de leur utilité pour le développement national. Reprenant une grande idée du Plan Décennal, ce Code permettait notamment d’exonérer de tous droits de douane les importations de matières premières et leur réexportation sous forme de produits transformés.

Ensuite, le Gouvernement créa un Bureau de Promotion Industrielle, service administratif spécialisé, qui entra en activité en 1967. Puis, le 5 août de la même année, fut instituée la nouvelle Banque Rwandaise de Développement (BRD), qui reçut pour tâche de financer en tout ou en partie des entreprises, industrielles ou autres, importantes pour le développement du pays. Par après, le Gouvernement rwandais obtint du FED le financement à Kigali d’un premier zoning industriel de 25 ha, dont les travaux ont débuté au cours des premiers mois de 1972. Et enfin, un laboratoire d’études techniques et économiques industrielles fut prévu dans le cadre de l’usine pilote d’extraction de pyréthrine financée par le PNUD.

Ces efforts pour l’industrialisation ont abouti d’abord à diverses réalisations valorisant des produits de l’agriculture. Les usines de traitement du café (investissements privés) sont passées de 5 en 1960 à 9 en 1970, atteignant une capacité totale théorique de 340 tonnes de café marchand par 24 heures. Les usines de traitement du thé (investissements publics) sont passées de 2 en 1960 à 5 en 1972, l’usine de la Mulindi étant en outre complètement modernisée ; leur capacité a ainsi atteint 3100 tonnes de thé sec par an. Une sucrerie de type rural (financement de la Coopération chinoise) est entrée en activité dans la vallée de la Nyabugogo en 1969, avec une capacité de production annuelle de 200 tonnes de sucre blanc. A côté d’une huilerie de type artisanal (financement de la Coopération belge) mise en route en 1968, et d’une capacité de 100 tonnes d’huile par an, une grande huilerie a débuté à Kigali en 1971 avec une capacité de production théorique de 3500 tonnes d’huile. Une confiturerie coopérative (financement Misereor-Caritas) est entrée en activité à Gihindamuyaga en 1968, avec une production annuelle de 25 tonnes. Une usine d’extraction de pyréthrine (financement du PNUD, de l’aide belge et de la BRD) est entrée en activité à Ruhengeri au début de 1972, avec une capacité annuelle théorique de production de 200 tonnes d’extraits, à partir de 3000 tonnes de fleurs sèches. Une usine pilote fabriquant du jus et du vin de banane (financement de la Coopération belge) doit être réalisée avant 1975. Et enfin, une cigaretterie doit en principe faire prochainement l’objet d’un investissement privé.

D’autres réalisations industrielles, valorisant cette fois des produits de l’élevage, ont vu le jour. La laiterie de Nyabisindu a été remise en activité et modernisée en mai 1969 (avec un financement combiné du budget de développement, de l’Unicef, et de la FAO; et depuis 1971 essentiellement avec une aide allemande) et se trouve théoriquement à même de pasteuriser et conditionner 10000 litres de lait et 500 kg de beurre par jour. Une petite tannerie privée s’est fondée à Gisenyi en 1967; et une tannerie importante (financement du PNUD, de la Belgique, et du budget de développement) devrait démarrer à Kigali en 1972 avec une production annuelle théorique de 25000 pieds carrés de cuir au chrome et 50000 pieds carrés de basane, à partir des peaux de bovidés, moutons et porcs du pays. Un abattoir doit débuter à Kigali fin 1972 (financement de la Coopération belge), pouvant assurer l’abattage et le traitement frigorifique de 20 têtes de gros bétail et 25 de petit bétail par jour, soit de 800 à 1000 tonnes de carcasses par an.

Enfin, une petite unité de traitement de cire d’abeille (financement de la Coopération belge) est entrée en production à Kigali en 1969, avec une capacité théorique de 30 tonnes par an.

En dehors des réalisations industrielles valorisant les produits de l’agriculture et de l’élevage, d’autres entreprises ont encore vu le jour. Une fabrique de radios à transistors a été créée à Gatagara en 1965, puis déplacée à Kigali et transformée en coopérative; sa capacité de production en 1971 était de 500 postes par mois, vendus près de deux fois moins cher que les postes importés de même qualité. Deux importants ateliers privés de confection en série se sont créés à Kigali et Gatagara en 1963 et 1970. Diverses fabriques se sont créées, produisant des meubles métalliques, des meubles en bois, des peintures et vernis, des chaussures en plastique, des clous, des matériaux de construction. La brasserie de Gisenyi s’est fortement agrandie, augmentant sa capacité annuelle théorique de production de 160.000 hectolitres en 1959 à 210.000 en 1971. Une limonaderie doit être construite à Kigali en 1972, pour entrer en production en 1973 avec une capacité annuelle initiale de 48.000 hectolitres, susceptible d’être doublée en travaillant à deux équipes. Les deux imprimeries existantes se sont développées et ont acquis de nouveaux et importants équipements. L’usine des savonneries de Kigali s’est complètement modernisée, augmentant sa capacité de production de 2 tonnes par jour à une tonne par heure. Enfin, l’industrie de la construction a durant ces dix ans, connu une très vigoureuse expansion, et Kigali, ville-champignon, a vu pousser d’innombrables maisons d’habitation, des immeubles à étages à usage de bureaux ou d’hôtellerie, et un certain nombre d’importants établissements scolaires…

Toutes ces diverses industries ont pu se développer malgré les dimensions réduites du marché rwandais. Et pour permettre à certaines d’entre elles de démarrer, des mesures protectionnistes ont dû être prises.

Mais quant aux grands projets industriels envisagés, nul n’a jusqu’ici pu voir le jour : ni le projet de cimenterie à partir des 5 millions de tonnes de calcaire de Mibilizi; ni les industries projetées à partir du gisement de méthane du lac Kivu; ni les industries de produits à la fois chers et légers, recommandées par la CEA pour les pays enclavés au centre du continent…

Une usine de fabrication de couvertures [Zamu, gafuku : ndlr] en coton, qui devait ouvrir ses portes à Kigali fin 1965, est restée en panne jusqu’à la fin de 1971, et semble avoir pris son départ au début de 1972, avec une capacité théorique de production de 30.000 couvertures par mois. Il est apparu assez clairement que la réalisation de ces projets industriels de plus grande envergure est à présent conditionnée par une nouvelle détermination à prendre : celle de négocier avec certains États voisins l’abaissement des droits de douanes et l’élargissement du marché pour les productions industrielles envisagées, par le moyen de concessions réciproques équivalentes. Le domaine de l’artisanat a connu également certains progrès : tailleurs, menuisiers, charpentiers, maçons, briquetiers, garagistes et boulangers ont vu croître leurs activités en même temps que s’améliorait le pouvoir d’achat des populations. Une quinzaine de coopératives d’artisans ont ainsi pu démarrer avec succès. Quant à l’organisation des métiers à l’échelon national, soit pour leur faciliter les achats en gros, soit pour standardiser et moderniser leurs productions, soit pour étendre leur marché à l’extérieur, soit encore pour leur assurer des crédits, elle n’a pu être mise au point. Des aides locales ont été apportées à certains artisanats : par une équipe chinoise de démonstration artisanale d’abord, à Butare; puis par la création à Nyabisindu d’un centre de perfectionnement pour forgerons en 1970. Des activités nouvelles ont vu ou verront le jour bientôt : un premier atelier privé d’orfèvrerie s’est créé en 1963 à Gihindamuyaga; et l’entrée en activité prochaine de la tannerie de Kigali permettra aux artisans du cuir d’accroître et diversifier considérablement leurs activités : cordonnerie, corroierie, taxidermie, etc…

Quant à l’industrie hôtelière, elle a connu quelques progrès durant ces années : plusieurs hôtels anciens ont été remis à neuf; un motel privé de 12 appartements s’est ouvert à Kigali en 1966; deux hôtels financés par l’État, et totalisant une soixantaine de chambres, sont entrés en service à Kigali en 1970; et un nouvel hôtel privé de 66 chambres a été mis en chantier depuis décembre 1971 et sera achevé en octobre 1973. En outre, d’importants progrès ont été réalisés sur la voie d’une véritable exploitation du potentiel touristique national : en premier lieu grâce à l’entrée en service de l’aérodrome national accessible aux quadriréacteurs intercontinentaux; et ensuite grâce à un effort persévérant des autorités rwandaises pour convaincre les aides extérieures et les capitaux privés des grandes possibilités existant en ce domaine : brochures illustrées, prospectus, action des Ambassades rwandaises à l’étranger, participation à de nombreuses foires et expositions internationales, exécution d’études de développement touristique, films publicitaires… Dans les premiers temps, les investisseurs ont pu craindre, semble-t-il, que leurs projets hôteliers restent isolés et en conséquence pénibles à rentabiliser; de plus, les désordres du Congo [akabaye icwende…ndlr], et plus tard l’affaire des mercenaires de Bukavu, ont découragé et fait échouer certains projets. Mais finalement, un premier vrai programme d’aide financière au développement touristique a pu être mis au point avec la Coopération belge : 295 millions de francs y seront consacrés entre 1971 et 1975. Des financements ont également été promis par la Coopération allemande; et une mission de la BIRD est venue fin 1971 se rendre compte de l’opportunité d’un prêt au Rwanda en ce domaine.

A côté des productions agricoles, minières, industrielles, un autre facteur de l’expansion de l’économie monétaire fut l’augmentation des emplois rémunérés à l’intérieur du pays. Évalués en 1964 à 74300, soit 11 % de la population adulte masculine, ils passèrent à environ 90 000 en 1968, soit 15,5 % de la même population.

Le salaire global minimum pour des travaux manuels ordinaires avait été fixé en 1961 à l’équivalent d’environ 20 F par jour, par référence au coût présumé du budget type d’un travailleur célibataire. Après la réforme monétaire de 1966, ce minimum fut porté à environ 31 F. Durant ces années, diverses importantes mesures furent adoptées dans le domaine de la sécurité sociale, de la réglementation du contrat de travail, et de l’organisation du marché du travail.

Fin 1962, l’ancien régime des pensions dut être réformé : l’ancienne Caisse des Pensions du Congo, du Rwanda et du Burundi, déjà réduite à ces deux derniers pays en 1960, fut remplacée par la « Caisse Sociale du Rwanda ». Celle-ci, ne pouvant plus fonctionner selon le système des assurances en raison de la diminution du nombre des affiliés à ce moment, fut organisée comme une caisse d’épargne capitalisée obligatoire, en attendant que les conditions aient évolué. Ce système, moins avantageux pour les affiliés que l’ancien, présentait au moins le mérite de ne pas devoir être subsidié à fonds perdus par l’État. Les cotisations obligatoires à la Caisse furent fixées à 3 % pour le travailleur et 3 % pour l’employeur, celui-ci devant en outre verser une cotisation de 2 % pour assurer les travailleurs contre les risques professionnels.

En 1967, un nouveau Code du Travail fut adopté, s’appliquant à la fois aux travailleurs rwandais et aux travailleurs étrangers, sans plus distinguer entre contrat de travail et contrat d’emploi. Ce Code apporta un certain nombre d’améliorations, notamment aux conditions de travail des femmes, des enfants, des apprentis, etc. Une Commission paritaire Consultative du Travail fut constituée à l’échelon du Ministère. Et une certaine organisation et protection du marché du travail furent assurées : une carte de travail fut rendue obligatoire en mars 1966; puis en mai 1967, le recrutement de travailleurs étrangers fut soumis à l’obtention d’un permis d’engagement; enfin en mai 1968, un Bureau de l’Emploi fut créé à Kigali, de façon à centraliser les offres et les demandes d’emplois.

Quant à l’émigration temporaire de travailleurs vers les pays voisins, elle eut tendance à diminuer sensiblement depuis 1962. En 1970, le Gouvernement Ougandais prit à l’égard des travailleurs étrangers (surtout asiatiques et Kenyans, mais aussi Rwandais) des mesures d’expulsion, visant à élargir les possibilités d’emploi pour les Ougandais eux-mêmes. Ces mesures furent toutefois bientôt abandonnées en ce qui concerne le Kenya et le Rwanda, à la suite de l’intervention des autorités de ces deux pays.

Cette expansion dans les divers domaines de la production s’accompagna d’une augmentation générale du pouvoir d’achat des populations, d’une monétarisation croissante de l’économie, et donc d’une multiplication considérable des échanges commerciaux.

Pour stimuler ceux-ci, et favoriser la « rwandisation » du commerce national, le Gouvernement encouragea la multiplication des Centres Commerciaux et des Centres de Négoce qui passèrent respectivement de 25 et 56 en 1960, à 24 et 141 (autant que de Communes) en 1965, et à 24 et 160 en 1970. Quant aux marchés campagnards, dénombrés à 283 en 1965, ils étaient 330 en 1970.

Dans la même optique, l’inscription au registre de commerce avait été décentralisée en février 1963, pour tous les commerçants, auprès des dix Tribunaux de 1èreInstance. En 1965, le nombre des commerçants inscrits atteignit 2355, parmi lesquels 81 % de Rwandais et 19 % d’étrangers. Mais sur ce nombre, seuls 360 déclarèrent des revenus supérieurs à 25 000 F. Et sur l’ensemble des revenus ainsi déclarés, totalisant quelque 102 millions de francs, la part des commerçants rwandais atteignait à peine 6 %, et celle des étrangers 94% . En 1970, le nombre total des commerçants inscrits atteignit 6286 ; et la part des commerçants rwandais dans les revenus globaux de la profession s’était notablement accrue : depuis 1969, en effet, sans porter préjudice aux droits acquis, le Gouvernement de Kigali a réservé aux seuls nationaux rwandais le commerce général de détail.

Après la réforme monétaire de 1966, le commerce intérieur connut une expansion nouvelle. Et le jeu d’une concurrence dynamique entraina très vite une certaine rationalisation des circuits commerciaux, désorganisés par les quasi-monopoles de certains commerçants en gros, en même temps que par le parasitage du réseau de distribution au détail. L’État rwandais appuya cette rationalisation par une série d’interventions. Parmi celles-ci : le contrôle des prix; la fixation de marges bénéficiaires maxima pour les commerçants; la fixation depuis 1966 de prix maxima pour la farine, le pain, et les produits pétroliers ; la création à Kigali (Gikondo), en collaboration avec diverses sociétés privées, de vastes entrepôts devant faciliter le commerce d’import-export; la constitution de stocks de produits vivriers destinés à régulariser les prix et enfin, l’invitation faite aux sociétés pétrolières de prévoir au moins 3 mois de réserves pour garantir la sécurité de leurs approvisionnements…

Dans ce mouvement de rationalisation, les sociétés coopératives et principalement la Trafipro, jouèrent un rôle capital pour le bien des populations en « arbitrant » les prix et en obligeant les autres commerçants à maintenir leurs bénéfices dans des limites raisonnables. La coopérative Trafipro, confrontée depuis plusieurs années avec de graves problèmes financiers et organisationnels, bénéficia à partir de 1963 d’une importante aide technique et financière de la Coopération suisse. Pour réussir dans sa tâche, elle dut déjouer bien des manœuvres hostiles. Ainsi que le déclarait son directeur en février 1965, elle devait être « prête à briser les monopoles, les ententes entre commerçants étrangers, en pratiquant une saine politique de prix, couvrant ses frais, mais ne lui donnant pas de profits exagérés ». En fait, grâce à cette politique persévérante, elle put faire baisser, sur l’ensemble du marché, les prix de la plupart des produits de grande consommation populaire : houes, sel, tissus, et bien d’autres.

Tout en réalisant cela, la Trafipro réussit à étendre son réseau de succursales de 11 en1962 à 26 en 1971, sans compter deux succursales transformées en coopératives autonomes à Janjaen 1969 et Mibilizi en 1970. Et cela, non sans avoir dû résoudre bien des problèmes internes : notamment celui des transports entre les succursales, celui du contrôle des comptabilités décentralisées, et celui de la formation coopérative de ses cadres ainsi que de la masse des coopérateurs. Pour résoudre ce dernier problème, une école de formation coopérative et un journal furent créés au siège de la Trafipro à Gitarama, avec l’aide de la Suisse.

Appelée à devenir une organisation faîtière de coopératives autonomes, la Trafipro s’est spécialement appliquée depuis quelques années à susciter de nouvelles coopératives au niveau de ses différentes succursales. Et ces efforts ont porté progressivement des fruits remarquables et encourageants.

A côté de cet effort des sociétés coopératives, plusieurs commerçants rwandais ont réussi, surtout depuis 1966, à se tailler une place solide sur le marché de détail. Le Gouvernement s’est efforcé de soutenir leur progression, notamment en leur réservant (ainsi qu’on l’a vu déjà) le commerce général de détail, puis en organisant des stages de formation comptable pour les commerçants privés et leur personnel, et en suscitant enfin une Association des Commerçants Rwandais Indépendants (Ascori), coopérative d’achat dont le démarrage effectif est prévu pour 1972.

Au niveau des échanges extérieurs, la balance commerciale a traduit fidèlement, au cours de ces années, les péripéties de l’évolution économique déjà esquissée. Au temps de l’Union Économique et Douanière avec le Burundi, la valeur des exportations par rapport à celle des importations était passée de 83 % en 1960, à 78 % en 1961, 63 % en 1962, puis 70 % en 1963. Après la rupture de l’Union, cette proportion remonta à 96 % en 1964, pour redescendre à 65 % en 1965. Enfin, après la réforme monétaire, l’on remonta à 98 % en 1967, 93 % en 1968, 85 % en 1969 et finalement 109 % en 1970 grâce à un fort accroissement de la production de café.

Quelle fut, dans ce commerce, la part réservée aux pays voisins (y compris le Kenya)? Chiffrée en 1965 à 4 % des exportations et 31 % des importations /, cette part évolua doucement à 4,6 et 21,7 % en 1967, puis 12 et 20,8 % en 1970.

En dehors de ces échanges régionaux, le commerce extérieur rwandais se développa comme par le passé principalement avec de grands clients lointains en Europe, en Amérique et en Extrême-Orient. A partir du 1erjuin 1964, les produits originaires des 18 États africains et malgache furent exonérés de tous droits de douane à leur entrée sur le marché des 6 de la CEE. En réciprocité, les 18 s’engagèrent à réduire leurs droits, mais plus progressivement, afin de ne pas se priver brutalement de recettes nécessaires à leur équilibre budgétaire. Pour sa part, le Rwanda réduisit, en date du 1erjuillet 1966, ses droits de douane de 15 %, tout en percevant des taxes fiscales auxquelles il ne fut pas touché.

Les principaux clients du Rwanda à l’exportation durant ces années furent les États-Unis et l’UEBL (Union Economique Belgo-Luxembourgeoise). Leurs parts dans les exportations rwandaises totales s’éleva en 1965 respectivement à 50 et 38 %; en 1967 à46,3 et 30,9 %; et en 1970 à 39,2 et 22,6%.

Quant aux principaux clients du Rwanda à l’importation, ils furent par ordre d’importance : en 1965, la CEE (avec 44 %, dont 26 % pour l’UEBL et 11,2 % pour la RFA), puis les États-Unis, le Japon et la Grande-Bretagne (avec 4 à 4,5 % chacun). En 1967, ce furent la CEE (avec 45,6 %, dont 27,8 % pour l’UEBL et 9,2 % pour la RFA), puis le Japon (12,3 %), les USA (6,9 %) et la Grande-Bretagne (3,5 %). Enfin en 1970, ce furent la CEE (avec 36,5 %, dont 19,7 % pour l’UEBL et 8,6 % pour la RFA), puis le Japon (13,3 %), les USA (8,1 %) et la Grande-Bretagne (5,1 %).

 

La politique éducationnelle, sociale et culturelle

Le Président Kayibanda a toujours considéré que la formation, le progrès social et l’épanouissement culturel des masses populaires devaient être le but et en même temps la meilleure garantie d’une politique stable et continue de progrès.

« Chacun de nous, déclarait-il le 1er janvier 1967 à l’occasion d’un Message de nouvel an, est convaincu que plus les masses populaires seront éduquées, plus facile, plus rapide et plus rentable sera le travail des leaders de chaque secteur de développement; moins exploitables seront ces masses populaires, qui participeront plus efficacement à l’effort des dirigeants; et plus démocratique sera le développement national ».

Partant de ce principe fondamental, le Gouvernement rwandais s’est efforcé de mettre en œuvre un maximum de moyens éducationnels : à la fois pour former et informer les populations, et pour leur donner les cadres dont elles ont besoin.

Dans le domaine de l’enseignement proprement dit, l’effort gouvernemental a été réellement considérable. L’enseignement primaire fut, dans la Constitution de 1962 puis dans la loi scolaire de 1966, déclaré gratuit (La Constitution reprend le principe de l’enseignement gratuit en tout ou en partie jusqu’à l’âge de 15 ans pour tout élève dont les parents sont financièrement incapables de payer le minerval.)et théoriquement obligatoire pour tous les enfants en âge de scolarité. Il s’en suivit un afflux d’élèves, qui nécessita l’instauration d’un nouveau système, de « double vacation », mis en route dès l’année scolaire 1961-62; dorénavant, dans les trois premières classes primaires, chaque maître enseigna à un double contingent d’élèves : un le matin et l’autre l’après-midi. En ces « années héroïques », ce nouveau système fut adopté d’enthousiasme. Et sa portée fut tout de suite spectaculaire : le nombre des enfants du primaire passa de 160.000 en 1960-61, à 217.000 en 1961-62, puis 280.000 en 1964-65, et 409.000 (dont 43 % de filles) en 1969-70.

Tout en adoptant ce système, le Gouvernement décida en 1962, pour mettre fin à toute inégalité, de prendre en charge les quelque 700 classes créées et entretenues par les parents en dehors du réseau d’enseignement ordinaire depuis 1954. Cette même année 1962, il décida d’étendre à l’ensemble du personnel enseignant les principales dispositions du Statut des fonctionnaires de l’Administration Centrale à la fois en ce qui concerne les barèmes de rémunération et les compétences hiérarchiques et disciplinaires.

Des problèmes pratiques s’élevèrent toutefois pour l’application de ces dispositions, le système de l’enseignement libre subsidié impliquant l’intervention d’une structure non administrative. Et c’est pour parachever la réorganisation ainsi entreprise, que quelques années plus tard, en 1966, l’ensemble des structures et de l’organisation de l’enseignement furent centralisées et rationalisées par la loi : les moniteurs, regroupés sous la direction de maîtres principaux, furent dorénavant inspectés, dirigés et payés par des fonctionnaires (inspecteurs de secteur et, au-dessus, inspecteurs d’arrondissement). L’enseignement primaire ainsi réintégré dans la hiérarchie administrative devait obligatoirement comporter des cours de religion ou de morale.

Compte tenu du dédoublement des classes en « double vacation » et de la reprise des anciennes « classes de parents », le personnel enseignant primaire passa de 2386 unités en 1960, à 5441 en 1965, et 7025 en 1970. L’effectif moyen des élèves par classe se chiffrait à une quarantaine en 1965, et à 38 en 1970-71; ce qui n’était pas excessif, les enfants rwandais étant d’une façon générale fort appliqués à leur petit travail.

Le système de « double vacation » qui visait l’alphabétisation de toute la jeunesse du pays endéans les 5 ans, ne donna pas, dans les années suivantes, tous les fruits qu’on en attendait. D’abord parce que les maîtres étaient pour la plupart d’une formation pédagogique insuffisante; ensuite parce que, avec un temps d’imprégnation scolaire réduit de moitié, le contenu de l’enseignement n’avait pas pu être amélioré et mieux adapté aux nécessités du développement harmonisé de la société rwandaise; et enfin parce que les moyens matériels avaient au départ fait gravement défaut. Durant l’année scolaire 1963-64 en particulier, la situation des écoles primaires devint effectivement misérable : « un livre, une ardoise pour plusieurs élèves (les réserves de matériel étaient épuisées), des classes dépourvues de craies et de touches, des bâtiments commençant à s’effriter…».

Pour tenter de surmonter ces grandes difficultés, le Gouvernement s’efforça d’abord de former d’urgence des maîtres plus qualifiés : comme mesure d’urgence, un cycle de 2 ans pour la formation de moniteurs et de monitrices auxiliaires fut mis en route en 1963, s’ajoutant aux cycles existants de 4 et de 7 ans pratiqués dans les Écoles Normales inférieures et moyennes. Puis en 1964, fut créé un « centre de formation pédagogique » ayant pour but de perfectionner en six mois de stage des directeurs d’école destinés à devenir inspecteurs dans le cadre d’un enseignement primaire réorganisé au niveau de chaque Préfecture en différents secteurs. En janvier de cette même année 1964, le Ministère de l’Éducation Nationale avait lancé une nouvelle Revue Pédagogique, destinée à élargir l’horizon des enseignants sur les techniques d’enseignement, et à rompre leur isolement; il avait, dans le même temps, créé un Centre de Documentation et de Recherche Pédagogique, que l’UNESCO favorisa de plusieurs subsides non négligeables.

En 1964, à la suggestion d’une mission de l’Unesco, l’enseignement primaire fut redivisé en deux cycles : le premier de 4 ans, et le second de deux. L’ancienne 7èmepréparatoire au Secondaire fut supprimée et remplacée par un concours général simultané dans tout le pays pour tous les élèves sortant de la 6e primaire.

Pour les enfants non scolarisés, une expérience nouvelle fut entreprise à partir de 1965 par l’«Université Radiophonique de Gitarama (URG)[fondée par les Dominicains : ndlr] » qui mit en activité aux environs de cette localité une douzaine de centres audio-visuels, donnant à un millier d’enfants un programme d’enseignement « ruralisé » de 4 ans. Pour les enfants scolarisés mais ne pouvant accéder au Secondaire, des programmes spéciaux furent organisés.

Pour les filles, fut instaurée dès 1962 une « année complémentaire familiale», venant remplacer les 8 anciennes écoles ménagères post-primaires (cycle de 3 ans en internat) qui n’atteignaient qu’un peu plus de 400 jeunes filles privilégiées. Ce complément familial d’un an, qui visait essentiellement à préparer de futures bonnes mères de famille, fut en 1968 et 69 étendu à 2 puis 3 ans. Si bien que de 37 classes en 1962, l’on passa en 1971 à 74 écoles comportant en tout 207 classes, c’est-à-dire plus de 4000 élèves. Cette même année, le nombre des directrices et des monitrices desservant ces classes se chiffrait à 260, quasiment toutes formées dans les Écoles Techniques Féminines de Mubuga, Nyanza et Remera (cycle terminal de 2 ans après le tronc commun); un cycle moyen de 4 ans a été récemment organisé à Kibuye, pour la formation de futures directrices; et le contrôle de l’ensemble de ce personnel a été exercé par deux inspectrices nationales. Une des particularités de cet enseignement complémentaire est qu’après une dotation initiale de chaque école parle Ministère de l’Éducation Nationale (matériel didactique et premier approvisionnement), elles s’autofinancent par leur propre travail, sauf pour ce qui concerne le personnel. Venant compléter cet effort pour un enseignement familial, le Ministère a lancé en janvier 1971 une forte bonne revue trimestrielle intitulée « Vie féminine et enseignement familial», destinée aux monitrices. Pour les garçons n’ayant pas accès au Secondaire, quelques « centres d’éducation rurale et artisanale » (cycle de 3 ans) ont été créés en 1970 à titre expérimental. Mais dès 1964, un Service Civique de la Jeunesse avait été institué au sein du Ministère de la Garde Nationale pour donner aux jeunes volontaires de 15 à 19 ans un complément de formation devant les aider à trouver ultérieurement une occupation intéressante dans l’agriculture, l’artisanat, etc.; cela, tout en participant à certains programmes d’utilité publique, comme une main-d’œuvre polyvalente bien formée et disciplinée. De 1965 à 68, quelque 450 jeunes gens ont été ainsi annuellement formés dans 9 Camps de Jeunesse préfectoraux, avec un encadrement de gradés de la Garde Nationale. Depuis 1968, une cinquantaine d’instructeurs spécialisés ont été formés (stage de 6 mois, après le tronc commun); et en 1969, fut construit à Kanombe un Camp Central de la Jeunesse, formant 160 jeunes gens par an. A partir de 1970, tous les Camps Préfectoraux ont pu être confiés aux nouveaux instructeurs, appliquant dès lors un programme uniforme. A côté de ces Camps ont été créés deux centres spéciaux : l’un pour le reclassement agricole, à Mayan.ge, et l’autre pour la rééducation et la réadaptation de jeunes délinquants à Gitagata. Un millier de jeunes gens sont ainsi encadrés annuellement par le Service Civique de la Jeunesse. Quant à l’Enseignement Secondaire, il avait été également quelque peu restructuré, à la suite de la mission de l’Unesco de 1964. 11 comporta à partir de cette époque, en plus des humanités classiques (latin-mathématiques, latin-sciences et gréco- latines), un premier cycle d’orientation de 3 ans : le « tronc commun ». Généralisé à partir de 1968, ce cycle donnait accès soit à un cycle supérieur d’humanités modernes débouchant sur l’enseignement universitaire et supérieur, soit aux cycles techniques moyens (agricole, vétérinaire, médical, administratif,commercial et pédagogique) et terminaux (pédagogique, technique féminin et professionnel).

En 1960, l’enseignement secondaire général était assuré pour le Rwanda par 24 établissements : le Groupe Scolaire de Butare, 3 collèges pour garçons (Bujumbura, Nyanza et Kigali), 4 Petits Séminaires (Kabgayi, Nyundo, Rwesero et Kansi),1lycée pour filles (Gisenyi), 14 écoles normales inférieures, une école normale moyenne et une école technique professionnelle (Kicukiro).

En 1971-72, douze ans plus tard, l’effort gouvernemental a porté le nombre de ces établissements à 631. Pour les garçons : le cycle commun d’orientation est assuré dans 17 établissements; les cycles supérieurs diversifiés dans 19 établissements, y compris les Petits Séminaires et les études secondaires techniques (agricole, vétérinaire, médical, etc.); l’enseignement normal inférieur et moyen respectivement dans 6 et 5 établissements; et l’enseignement professionnel, donné à Kicukiro, a été étendu de 250 à 307 élèves.

Pour les filles : le cycle commun d’orientation est assuré dans 17 établissements ; les cycles supérieurs diversifiés dans 2 établissements; l’enseignement normal inférieur et moyen dans respectivement 8 et 4 établissements; l’enseignement social, médical et ménager respectivement dans 1, 2 et 4 établissements.

En 1970-71, le nombre des diplômés sortant du Secondaire atteignit 883, dont 283 pour le cycle supérieur des humanités, 393 pour l’enseignement normal, 169 pour l’enseignement professionnel, et 38 pour l’enseignement technique.

Pour remédier à la grande pénurie de matériel didactique dans le Secondaire et le Primaire, le Rwanda a reçu des aides diverses : fin 1963, une campagne de solidarité dans les écoles de Belgique a donné environ 20 tonnes de bonnes fournitures classiques qui furent affectées par priorité à l’enseignement secondaire l’armée suivante; en 1964 et 65, des campagnes similaires ont été entreprises au Québec par le Comité Québec-Rwanda, l’une d’elles donnant 400 caisses de fournitures classiques, 800 manuels scolaires, 11000 $, etc… ; entre 1965 et 67, plus de 100 000 manuels scolaires furent donnés par la France.

Puis en 1970, le Ministère de l’Éducation Nationale put faire imprimer des livres scolaires proprement rwandais et mieux adaptés que tous autres aux réalités pédagogiques rwandaises. Et un Bureau Pédagogique fut prévu au sein du Centre d’Étude et de Recherches Pédagogiques.

Dans le domaine de l’enseignement supérieur et universitaire, un effort considérable a également été réalisé : dès 1962, le Président Kayibanda réussit à intéresser l’Ordre des Dominicains et en particulier la province canadienne de cet Ordre à un projet d’Université nationale rwandaise. Et le 3 novembre 1963, six mois après la signature d’une Convention entre le Gouvernement et l’Ordre des Dominicains, l’Université Nationale du Rwanda (UNR) ouvrit ses portes. Non confessionnelle mais d’inspiration chrétienne, elle débuta avec une cinquantaine d’étudiants répartis en quatre Facultés : Médecine, Lettres, Sciences sociales et, l’année suivante, Sciences. Elle bénéficia dès le départ d’une aide canadienne officielle, à laquelle s’ajoutèrent bientôt des aides belge, américaine et française.

L’inauguration de PUNR fut l’occasion pour le Chef de l’État rwandais de préciser sa pensée sur le cadre culturel que l’Université aurait à respecter :« La culture que nous voulons pour notre peuple, dit-il, doit être une culture qui ne soit pas entachée de paternalisme, mais qui soit une culture authentiquement rwandaise, africaine, internationale, démocratique, et inscrite dans une perspective chrétienne. Elle sera rwandaise si l’on tient compte des valeurs individuelles, interpersonnelles, sociales, socio-économiques des habitants du pays… » Et insistant sur le caractère démocratique de l’Université, il dit encore : « Il faut que les étudiants sortent convaincus qu’on se cultive non seulement pour soi, mais principalement pour les autres. Il faudra que ceux ou celles qui auront été formés à l’Université Nationale se reconfondent en quelque façon à la masse de leur peuple pour ne faire qu’un avec cette masse, et lui communiquent les bienfaits qu’ils auront reçus. » A partir de 1967, la Faculté de Médecine de Butare a été prise en charge par l’Université de Gand, qui lui assura un niveau technique réellement efficace; et cette même année, l’hôpital de Butare devint hôpital universitaire. Une nouvelle formation d’ingénieurs civils doit être assurée à partir de 1972, grâce au concours de l’Université de Gand. Quant à la Faculté de Lettres, elle bénéficie depuis cette même année d’une aide technique et financière de la Coopération française.

En 1967, le Canada avait décidé d’amplifier son aide à l’UNR et de lui apporter le considérable subside de 75 millions de francs par an durant 5 ans’. Les hautes fonctions de Recteur de l’Université, assurées jusqu’en octobre 1971 par le P. G.-H. Lévesque OFP, furent confiées à partir de cette date à M. S. Nsanzimana, jusque-là Ministre de la Coopération Internationale.

Le nombre des étudiants inscrits à l’Université passa à 127 en 1965-66, et plus de 470 en 1971-72. A cette formation au Rwanda même, s’ajoutait depuis le début une formation dans plusieurs Universités étrangères où le Gouvernement rwandais reçut un nombre croissant de bourses d’études (427 en 1971-72, contre 351 en 1965-66 : en Belgique, en République du Zaïre, en France, en RFA, en Suisse, en URSS, et en EAC (Makerere), etc.

Autre enseignement supérieur, délivré au Rwanda dès 1961 : celui de l’École d’Officiers de Kigali, qui de 1961 à 1972 a sorti douze promotions pour la Garde Nationale et, de 1968 à 1972, trois promotions (Deux premières promotions avaient été formées à l’Ecole de Police de Ruhengeri) pour la Police Nationale.

Enfin, un enseignement supérieur a également été organisé à l’Institut Pédagogique National de Butare (depuis 1966, cycle de 3 ans), à l’École Supérieure des Sciences Infirmières de Butare (depuis 1969, cycle de 3 ans), et à l’École Technique Féminine Supérieure de Save (depuis 1971, cycle de 3 ans).

A côté de ce considérable déploiement d’efforts dans le domaine de l’enseignement, le Gouvernement entreprit dès 1962 une action particulièrement soutenue pour la promotion de l’ensemble des femmes adultes et des jeunes filles. En vue de cette action, la formation de Monitrices Sociales (cycle de 4 ans post-primaires) puis d’Assistantes Sociales (cycle de 7 ans à partir de 1964) a été assurée par l’Ecole Sociale de Karubanda (Butare)fondée en 1956. Quant aux Monitrices Communales, elles ont été formées (cycle accéléré de 6 mois), et recyclées, par les Foyers Sociaux de Préfecture, puis à partir de 1969 par les deux Foyers Sociaux de Gisenyi et Butare.

Pour l’organisation de l’action sociale, le Gouvernement rwandais a porté de 3 à 10 le nombre des Centres Sociaux principaux : un par Préfecture. Sous la supervision de ceux-ci, ont été créés une quarantaine de Centres Sociaux de Secteur, supervisant eux-mêmes quelque 375 Centres Sociaux Communaux (dont 15 non gouvernementaux) en 1972. Réparties dans les différents Centres, l’on comptait en 1962 8 Assistantes Sociales (toutes étrangères), 10 Monitrices Sociales, et 300 Monitrices Communales; et en 1971, respectivement 17 (dont une seule étrangère), 73 et environ 550.

Le programme d’action poursuivi par ces cadres sociaux a visé à l’amélioration des connaissances des femmes dans tous les domaines de leurs activités (ménage, éducation des enfants, couture, travaux des champs, etc.), soit en recevant les candidates aux Centres, soit par des visites à domicile. Les obstacles à l’efficacité de cette action n’ont toutefois pas manqué : insuffisance de matériel didactique, difficultés de supervision, insuffisance des recyclages, insuffisance de l’appui des autorités communales, etc.

A côté de cette action sociale au bénéfice des femmes adultes et des jeunes filles, une action encore modeste a été entreprise pour l’alphabétisation des adultes à partir d’une quarantaine de centres en 1968, et d’une soixantaine en 1970. Entre 2 000 et 3 000 adultes ont été ainsi alphabétisés par an.

Un autre grand moyen mis en œuvre pour la formation des masses fut encore la presse. Presse radiodiffusée d’abord, grâce au nouvel émetteur de 50 kW pouvant être entendu à travers tout le pays, et grâce à la multiplication des petits récepteurs à transistors fabriqués par la Coopérative Mera n. Les émissions éducatives sont passées approximativement de 7 heures par semaine en 1965 à 11 heures en 1971. La presse écrite, ensuite, groupant les périodiques Imvaho, Kinyamateka, le journal de Trafipro et plusieurs publications à tirage réduit.

Enfin, se plaçant au niveau des grands principes fondamentaux devant régir la vie et le progrès de la Nation, le Président Kayibanda décida d’assurer la pérennité et l’épanouissement de la culture rwandaise et son intégration dans le processus du développement national. Et à cette fin, il créa le 20 février 1971 une Académie rwandaise de Culturel.

Dans une lettre adressée le 27 septembre 1970 aux principales autorités responsables de la culture nationale,il avait défini les deux grands objectifs à atteindre : donner une base vitale et culturelle harmonieuse aux efforts de développement; et participer à l’épanouissement des valeurs africaines dans la région centrale du continent.

« Si une Nation perd sa culture, écrivait-il, elle perd son âme; et perdant son âme, elle perd ses forces les plus profondes et les plus vives. Elle est alors ballotée par tous les vents d’idées et de pensées et elle n’a plus de base où fonder son développement national. Elle ne sait démocratiser ce qui n’existe plus ou ce qui se trouve en pleine confusion. Les transformations et mutations qui tourmentent le développement vont au hasard, et ni les masses populaires ni les leaders n’ont de référence pour orienter les changements nécessaires…».

Et abordant le second objectif à atteindre, il précisait ainsi sa pensée : « Le Rwanda -carrefour en Afrique centrale – a un rôle considérable à jouer. S’il n’a pas de prétention de leadership politique, il a de par sa position géographique, de par sa psychologie, de par la cohésion de ses enfants instruits, une place importante et un devoir auquel il ne peut se dérober : à savoir celui de maintenir les vraies valeurs africaines, surtout culturelles, de la partie centrale du continent africain, et de participer à l’action qui guidera ces valeurs. »

Dans la nouvelle Académie devaient être réunies les personnalités les plus représentatives de la culture rwandaise, leur tâche pratique étant de rechercher les moyens les plus appropriés de « réunir l’héritage valable du passé,de l’analyser, de le mettre au diapason de l’âme actuelle de notre peuple, de recueillir et d’analyser les éléments nouveaux provenant de cultures étrangères, de faire la synthèse de la culture actuellement valable pour un Développement moderne du Rwanda et de l’Afrique, et de conduire rationnellement l’évolution de ce secteur de la vie nationale ».

En fondant la nouvelle Académie, le Président Kayibanda a tenu à définir quelle devrait être sa position objective dans la perspective de justice et de fraternité nationale qui est celle de sa politique révolutionnaire depuis le départ. Le Rwanda, écrivit-il dans sa lettre du 27 septembre 1970, (…) a « l’avantage d’avoir su recueillir bien des richesses du passé, (…) d’être un pays large et ouvert grâce à la symbiose des ethnies qui l’habitent; les événements politiques des années passées, la Révolution de novembre 1959, n’ont fait qu’éjecter les éléments qui n’avaient pas, pour des égoïsmes divers, accepté cette symbiose, cette voie constructive d’une société qui se veut solide et efficace ».

Enfin, voulant faire de la Culture rwandaise une culture riche de tout l’acquis universel, le Gouvernement rwandais a développé une coopération culturelle croissante avec des pays divers : avec les pays de l’OCAM d’abord, puis avec les pays voisins; avec des pays d’Europe occidentale et orientale, et d’Amérique du Nord; et enfin d’une façon particulière, avec le monde francophone dans le cadre de l’Accord de Coopération Culturelle et Technique, conclu à Niamey, le 20 mars 1970.

Une remarquable initiative privée est venue contribuer ces dernières années à l’effort gouvernemental de promotion culturelle nationale : l’association « Caritas Rwanda », après avoir créé 4 librairies, 24 bibliothèques publiques, 90 bibliothèques pour étudiants en vacances, et 5 bibliothèques pour les prisons, a organisé des éditions rwandaises, et lancé un concours littéraire sous le haut patronage du Ministre de l’Éducation Nationale.

 Progrès du Christianisme

La Révolution de 1959 fut pour les populations rwandaises l’occasion d’un regain d’intérêt pour le Christianisme. L’Église Catholique, qui avait vigoureusement et courageusement dénoncé les anciennes injustices sociales, avait plus tard mis toute son influence en jeu pour tempérer, le cas échéant, les ardeurs révolutionnaires. Prêchant la tolérance et le pardon, elle avait contribué à la pacification des esprits.

Son souci de justice et de bonté impartiale en avait fait le refuge de quiconque se trouvait dans le malheur. Et lorsque, fin 1963, les attaques des «Inyenzi » avaient provoqué, dans les régions bouleversées par leur campagne de faux bruits, des réactions populaires incontrôlables, l’Eglise avait usé de la plus grande énergie pour blâmer les excès et pour contribuer à rétablir le calme.

De quelque ethnie qu’elles soient, les populations rwandaises avaient réalisé clairement que l’Église combattrait impartialement pour la justice, et qu’en elle se trouvait un idéal humain universel et éternel, par-delà les contingences, les particularismes, et les vicissitudes de la vie des gens et des peuples.

Par ailleurs, la grande modération des principaux leaders révolutionnaires, pour la plupart Chrétiens convaincus, et l’engagement chrétien de leur politique, contribuèrent à marquer profondément le Rwanda nouveau. La loi fondamentale de la République, adoptée le 24 novembre 1962 par l’Assemblée Constituante, consacra le fond chrétien de la pensée sociale et politique rwandaise : respect absolu et protection de la personne humaine, respect de la famille considérée comme cellule de base de la société, égalité des citoyens, respect des libertés et des droits fondamentaux tels que définis dans la Déclaration universelle des Droits de l’Homme. Et en particulier, respect de la liberté de conscience et de la liberté de professer et pratiquer sa religion, étant entendu que les institutions et communautés religieuses ne pouvaient empiéter sur les prérogatives de l’État, ni s’immiscer dans le domaine proprement politique.

Durant ces derniers dix ans, la communauté catholique a donc connu au Rwanda une extraordinaire expansion : le nombre des baptisés et des catéchumènes, estimé à 698 000 et 435 000 en 1960, passa à 909.000 et 403.000 en 1965, et à 1 439.0001 et 385.000en 1971…

Pour accueillir et servir ce nombre croissant de Chrétiens, l’Église catholique rwandaise s’efforça d’adapter son organisation communautaire. Un cinquième Évêché, celui de Kibungo, s’ajouta en 1968 aux Évêchés existant de Kabgayi-Kigali, Nyundo, Butare et Ruhengeri. Mgr Joseph Sibomana, à qui avait été confié en 1961 le Diocèse de Ruhengeri, fut chargé d’ouvrir le nouvel Évêché de Kibungo ; tandis qu’un nouvel Évêque était nommé à Ruhengeri, le 30 novembre 1968, en la personne de Mgr Phocas Nikwigize.

Le nombre des prêtres ne s’est accru que modestement depuis 1960. Dès l’année précédente, en effet, de nombreux étudiants Hutu des Séminaires avaient entendu l’appel de la nouvelle démocratie rwandaise, en grande pénurie de cadres supérieurs. Et un bon nombre d’entre eux avait bénéficié de bourses d’études et gagné les Universités ; tandis que plusieurs étudiants Tutsi s’expatriaient. Pour s’assurer un plus grand nombre de vocations sacerdotales, l’Église catholique institua à Cyanika (Butare) en 1967, puis à Rutongo (Kigali) en 1971, des « Séminaires d’Aînés » : ouverts aux candidats ayant déjà reçu une certaine formation secondaire en dehors des Petits Séminaires. En 1960, le pays comptait 107 prêtres rwandais et 152 prêtres étrangers; en 1965, respectivement 141 et 215; et en 1971, 155 et 242.

L’une des conséquences du Concile Vatican II fut l’effort général entrepris pour actualiser la liturgie, la rendre plus naturelle et moins hiératique, et aboutir à une foi plus personnelle et plus engagée au service de la communauté humaine. La hiérarchie catholique locale s’efforça notamment d’innover la liturgie, en fonction des usages et des modes d’expression les plus appropriésau Rwanda. Le Centre de catéchèse de Butare reçut pour tâche de mettre au point un nouveau programme de catéchèse pour les écoles primaires et secondaires, et pour le catéchuménat. Une série de manuels, et finalement le nouveau catéchisme publié en 1971, furent progressivement élaborés. De son côté, l’Institut Catéchétique de Butare, fondé en 1962, s’attacha à former des professeurs de religion pour les écoles, tandis que les catéchistes diplômés nécessaires pour les catéchuménats étaient formés dans les quatre écoles de Rutongo, Nyundo, Nyumba et Ruhengeri. Un effort étant fait pour utiliser progressivement les catéchumènes à plein temps, le nombre de ceux-ci a pu être quelque peu réduit, passant de 2512 en 1960 à 1923 en 1971.

Enfin, l’ancienne organisation en Paroisses, succursales centrales, chapelles-écoles et Conseils de voisinage chrétien (Inama) fut théoriquement adaptée et complétée; à la fois pour actualiser et approfondir l’engagement chrétien, et pour mieux servir une communauté chrétienne toujours plus large. Dorénavant les laïcs reçurent au sein de leur communauté religieuse un rôle considérablement accru. Dans un bon nombre de Paroisses, les Conseils de voisinage (Inama) furent regroupés en secteurs comptant chacun de 2000 à 4000 Chrétiens, et ayant à leur tête un comité de 8 élus (représentant les hommes, les femmes, les garçons et les filles). Là où ils avaient été formés, ces comités furent investis d’importantes responsabilités : célébration du dimanche en l’absence de prêtres; choix de ceux qui seraient chargés de distribuer la communion; admission des enfants ou des catéchumènes au baptême; gestion des biens locaux de la Paroisse, et ainsi de suite.

Les différents comités de secteurs furent ensuite réunis et constitués en conseils paroissiaux, ceux-ci ayant à prendre toutes les options et décisions importantes concernant la communauté paroissiale en sa totalité.

Puis au début de 1972, des conseils pastoraux diocésains furent mis en place, réunissant des laïcs représentant les diverses Paroisses et les enseignants du Secondaire, des prêtres représentant les différents doyennés, des religieux et religieuses, ainsi qu’une série de personnes désignées par l’Évêque notamment pour représenter la jeunesse.

A côté de cette nouvelle structuration communautaire, l’éventail déjà impressionnant des ordres, congrégations et associations chrétiennes œuvrant au sein de l’Eglise rwandaise s’enrichit de plusieurs apports nouveaux. Parallèlement, les Églises chrétiennes Anglicane, protestantes et Adventiste, ont étendu leur action et leur influence. Le diocèse anglican du Rwanda, dont le siège est à Kigali, fut confié le 6 mars 1966 à Mgr Adonia Sebununguli (sacré le 6 juin 1965). La Communauté anglicane comptait en 1971 environ 150.000 membres. Quant à l’Église Presbytérienne, elle a élu, le 9 août 1971, comme Président le Pasteur Naasson Hitimana. Les Églises Baptiste et Pentecôtiste ont intensifié leurs activités d’évangélisation dans le pays, surtout dans le Sud, l’Ouest et le Nord. Et les Adventistes du 7èmeJour enfin, répartis en quatre « Fields », ont maintenu courageusement leurs positions, mais sont restés plutôt fermés sur eux-mêmes.

A part cette réserve, du côté catholique comme du côté protestant, la grande tendance au rapprochement, à la collaboration et à l’unité visible de tous les Chrétiens s’est fait jour au Rwanda. A partir de 1961, des réunions périodiques de prêtres et de pasteurs furent organisées. Puis en 1969, une Fraternité Œcuménique fut créée à Kigali par la communauté protestante des Frères de Taizé et par les Bénédictins de Gihindamuyaga.

Tout en étendant ainsi leur champ d’action sur le plan proprement religieux, l’Église catholique et les Églises chrétiennes séparées d’elle ont amplifié leur effort au service du développement du pays, avec l’aide des mouvements chrétiens internationaux et nationaux. Dans le domaine culturel d’abord, par la fondation et le fonctionnement de nombreux établissements scolaires nouveaux, ou encore par la création de librairies, de bibliothèques publiques, de clubs de lecture, et de maisons d’édition… Dans le domaine socio-économique ensuite, par le financement de nombreuses micro-réalisations (aide aux artisans, constructions d’utilité sociale, etc.), par l’aide et l’encouragement aux initiatives locales de développement rural, par l’aide aux centres nutritionnels et aux foyers sociaux par une aide alimentaire aux internats scolaires, une aide en médicaments aux hôpitaux et dispensaires, et par diverses initiatives en vue du reclassement des jeunes délinquants… Dans le domaine plus spécialement caritatif, elles ont apporté aide et réconfort aux plus pauvres, aux orphelins, aux vieillards, aux invalides et aux grands malades (notamment aux lépreux), aux prisonniers, etc.

 L’action poursuivie dans le domaine sanitaire

Les autorités rwandaises se sont attachées très vite à étudier une réorganisation rationnelle du système sanitaire en vigueur dans le pays. Ce système comportait essentiellement en 1960 un réseau d’installations fixes (20 hôpitaux et 67 dispensaires) délivrant des soins curatifs, la médecine préventive étant exercée par d’importantes campagnes occasionnelles (contre la malaria, la TBC, la variole, etc.).

La médecine préventive ne se trouvait supportée en fait par quasiment aucun dispositif fixe permanent. Ce qui réduisait à l’extrême son rôle dans la société rwandaise.

En 1962, le Gouvernement rwandais demanda donc à l’OMS l’envoi d’une mission pour l’étude, d’abord de la place à donner à la médecine curative et à la médecine préventive dans le dispositif sanitaire du pays, et ensuite de la réorganisation correspondante de l’ensemble des services dépendant du Ministère de la Santé Publique.

La principale conclusion de l’étude menée en cette occasion fut que priorité devrait être donnée dorénavant à la médecine préventive. L’on s’attaquerait par elle aux deux maux principaux qui affaiblissent la santé publique du pays : les mauvaises conditions de l’hygiène sociale et la malnutrition, qui ont pour effet de diminuer considérablement la résistance aux maladies. Grâce à cette action, les charges de la médecine curative seraient automatiquement allégées dans la suite.

Pour mettre en pratique cette option nouvelle, il fallait modifier l’action médicale au niveau des dispensaires ruraux, et transformer progressivement ceux-ci en « centre médico-sociaux ». Dans ces nouveaux centres, non seulement l’on donnerait des soins curatifs, mais en outre l’on assurerait l’éducation sanitaire des populations et l’on procéderait aux vaccinations et autres dispositions préventives. Ces centres devraient même, dans l’optique retenue par le Gouvernement rwandais, remplir des tâches plus larges : celles du dispensaire et du foyer social communal réunies. Ainsi y enseignerait-on comment se protéger contre les maladies; comment assurer la santé des mères et des femmes enceintes, la croissance des enfants. L’on y enseignerait les méthodes du planning familial; les meilleures pratiques ménagères et culinaires ; l’hygiène de la maison; l’amélioration des pratiques agricoles et zootechniques, la lecture et l’écriture; et encore l’organisation des loisirs et des sports…

Ainsi conçus, les centres médico-sociaux devaient jouer un rôle très efficace pour le développement communautaire.

Quoique cette mutation ait été retenue comme une priorité par le Plan Quinquennal, il fallut en pratique tenir compte des infrastructures préexistantes séparées des dispensaires et des foyers sociaux. Leur fusion ne pouvait donc être réalisée que progressivement, là où elle pourrait se faire sans gaspillage ou double emploi. En 1972, cinq centres médico-sociaux réellement importants ont pu voir le jour : à Kibilizi, Masaka, Butare, Kirinda et Gitarama. En outre, 38 centres nutritionnels (formule médico-sociale simplifiée) ont été créés depuis 1963; leur construction et leur démarrage ont été partiellement assurés par des aides privées,des primes en nature (lait écrémé, huile et gruau d’avoine) étant ensuite données aux parents pour encourager les visites régulières. Les parents ont cotisé à raison de 360 F par an, de telle sorte que les différents centres ont pu s’autofinancer généralement 6 mois après leur démarrage.

Parallèlement à cet effort dans le domaine de la médecine préventive, certaines réalisations importantes ont pu être obtenues au niveau des infrastructures et du fonctionnement de la médecine curative.

En 1962, l’ancien dépôt pharmaceutique de Bujumbura avait été scindé, et un Office Pharmaceutique national avait été mis en place à Kigali. Puis, en vertu d’une loi du 19 février 1964, les soins médicaux qui avaient été déclarés gratuits deux ans plus tôt, redevinrent payants afin de permettre un meilleur approvisionnement des hôpitaux et dispensaires en médicaments. Cet approvisionnement continua toutefois, et continue encore, à poser un problème financier. Diverses aides ont été reçues occasionnellement de certains pays et d’associations privées en ce domaine.

Sur les 20 hôpitaux existant en 1960, trois ont été considérablement développés : celui de Ruhengeri d’abord, porté de 227 à 356 lits et pris en charge aux 3/4 par la Coopération française; celui de Butare ensuite, porté de 343 à 369 lits et aménagé en hôpital universitaire; et celui de Kigali enfin, porté de 371 à 420 lits et transformé en un grand centre hospitalier pris en charge aux 3/4 par la Coopération belge. Par ailleurs, le home de Gatagara pour la rééducation des enfants handicapés s’est développé considérablement, traitant 80 cas en 1962 et 707 en 1972 (en ce compris les anciens cas). Puis, en 1968, un premier centre psychiatrique fut fondé dans le pays, à Ndera près de Kigali, par la congrégation des Frères de la Charité de Gand, pouvant soigner 120 malades mentaux par les méthodes médicinales et ergothérapeutiques.

Quant aux dispensaires médicaux, dénombrés à 67 en 1960, ils passèrent à 82 en 1965 : 63 du Gouvernement (dont 22 sans lits) et 19 des Paroisses chrétiennes (dont 10 sans lits). Puis ils passèrent à 142 en 1972: 101 du Gouvernement (dont 45 sans lits) et 41 des Paroisses chrétiennes (dont 13 sans lits), notamment grâce à une participation financière des populations intéressées. La capacité hospitalière totale est ainsi passée de 1951 lits en 1960 à 2 300 lits en 1965 et 4659 lits en 1972.

Pour assurer le service médical dans ce dispositif sanitaire en expansion, le Gouvernement rwandais s’efforça d’augmenter la formation de personnel qualifié à tous les niveaux. La formation des médecins fut assurée essentiellement par la Faculté de Médecine de l’Université Nationale : alors qu’en 1964, le Rwanda ne disposait que d’une trentaine de médecins, tous étrangers (soit environ 1 pour 100.000 habitants), il compte en 1972, 27 médecins rwandais et 61 médecins étrangers (soit, compte tenu de la croissance démographique, environ 1 pour 44 000 habitants).

Puis en 1969, fut organisée à Butare également une École Supérieure des Sciences Infirmières, formant des Infirmières de niveau Al.

Quant à la formation du personnel para-médical masculin moyen, elle fut assurée d’abord par le Groupe Scolaire de Butare (formant des assistants-médicaux A2), et par l’École médicale de Kigali (formant des infirmiers, puis à partir de 1970, des assistants-médicaux). Quant au personnel féminin moyen, il a été formé par l’École de Kabgayi et, à partir de 1970, par le nouvel Institut Grégoire Kayibanda deRwamagana (formant tous deux des infirmières accoucheuses et hospitalières A2); et par les Écoles de Kilinda et Rwamagana (formant des infirmières auxiliaires).

A côté de cet effort d’extension des services sanitaires généraux, diverses campagnes préventives furent encore entreprises. Contre la tuberculose d’abord : 1.700.000 personnes furent vaccinées entre 1965 et 70, soit 82 % de la classe d’âge de 0 à 20 ans; contre la variole ensuite : durant la même période, 3.255.000 personnes furent vaccinées, soit 91 % de la population totale. Outre ces deux campagnes, financées par l’OMS, l’UNICEF et le PNUD, une campagne a été lancée à partir de 1960 dans le Sud-Est du pays contre la tripanosomiase : par traitement aérien de 3000 ha, puis en 1969 et 1970 par désinsectisation manuelle et par le tracé d’un couloir anti-glossinaire le long de la frontière du Burundi. Si le nombre des cas de cette affection a sensiblement diminué dans le Sud (10 nouveaux cas en 1969, contre 25 en 1967), il a fallu faire face à une certaine extension dans l’une ou l’autre région de l’Est du pays depuis 1970.