1. b) A quelle époque Kigeli IV fut-il intronisé ?

 

  1. Nous avons dit plus haut (no 349) que Mutare II Rwogera mourut en 1853, après avoir célébré la fête des Prémices, soit après le mois de Kamena (Juin). Nous l’avons dit en nous basant sur une information que nous avons déjà relatée et commentée dans la notion de génération appliquée à la généalogie dynastique et à l’Histoire du Rwanda (Bruxelles, 1959, p. 62-70).

Lorsque, en 1945 nous transcrivions le texte du Code ésotérique sous la dictée de dix d’entre ses détenteurs, il arriva à plusieurs remises qu’ils mentionnaient la fête des Prémices célébrée par Kigeli IV en telle ou telle localité. Ses déplacements ayant été incessants, la célébration se faisait régulièrement en des localités différentes. Dans le chef de mes informateurs, cette fête des prémices

 

n’était pas un fait quelconque, car le souvenir de pareils événements entre dans les intekerezo= commentaire historique, l’une des sections du Code lui-même (no 158, 3).

 

Les plus grands détenteurs du Code étaient, en effet, ceux qui étaient les plus forts dans les intekerezo. Or mes informateurs comptaient parmi eux le plus fort en la matière qui s’appelait Sezibera, fils de Rutikanga, (celui-ci fils de Nkuliyingoina no 356). Ces gens-là retenaient ces événements et les transmettaient pour que la Cour pût être toujours renseignée, en vue de reproduire éventuellement les mêmes gestes dans l’avenir. Que telle épidémie ou telle peste bovine, etc., ravageât le pays, on recherchait dans le passé la localité où résidait le monarque d’alors quand s’étei-gnit une catastrophe semblable. Pour en triompher, le monarque régnant devait aller résider dans la même localité, y accomplir la même cérémonie d’autrefois. Aussi ces fonctionnaires avaient-ils retenu toutes les localités où les-monarques ont fixé leur résidence, et pour chaque résidence, — il y en a 124, — les noms des monar-ques qui y ont séjourné depuis la première inauguration.

 

  1. Lors donc que me vint l’idée d’en profiter pour dresser la liste des localités où Kigeli IV avait célébré la fête des Prémices, je ne voulus pas la dresser toute nue : je demandai qu’à chaque célé-bration énoncée fut adjoint un événement de l’époque ayant coïn-cidé avec la fête, ou l’ayant de peu précédée ou suivie. De cette manière, du moins pour la plupart de ces événements, je trouverais un moyen de contrôle dans les récits que je possédais déjà des Mémorialistes, en grand nombre sur le règne ; (et je devais en recueillir encore davantage dans la suite, chose à laquelle je ne songeais pas sur le moment).

Les événements cependant qui encadrent ces célébrations ne seront pas repris ci-après : les uns ne sont pas d’une portée telle qu’ils doivent figurer dans une étude en principe résumée, tandis que ceux qui le méritent devront venir à leur place logique dans la chronique que nous condensons du règne.

 

Il importe cependant de signaler ici une particularité sur la célé-bration de cette fête des Prémices. La plus grande solennité était réservée à la manducation de la première pâte de sorgho au mois de Kamena (juin). Mais elle était précédée d’une autre célébration moins connue du public, qui s’appelait Umurorano, consistant en la manducation de la pâte d’éleusine et du haricot sennonais, au mois lunaire de Werurwe (mars). Cette célébration préliminaire rappelait le rite le plus ancien, tel qu’il était pratiqué initialement avant l’introduction du sorgho dans le Rwanda. Le monarque restait pour l’ordinaire dans la localité où avait été célébré ce rite ancien et y attendait le mois de Kamena pour la solennité qui constituait la fête Nationale.

 

  1. La liste des localités a été dictée dans l’ordre ascendant à partir de la toute dernière, de 1895, jusqu’à la toute première. Je la donne tout d’abord et j’y ajouterai quelques commentaires :

1854 à Bweranvura près Kinihira (Commune actuelle de Masango, Préfecture de (Gitarama)

1855 à Mwima près Mushirarungu (Commune actuelle de Nyabisindu, Préfecture de Butare)

1856 à Mwirna une deuxième fois.

1857 à Rukambura (Commune actuelle de Musambira, Préfecture de Gitarama)

1858 à Mata près Muhanga (Commune actuelle de Mushubati, Préfecture de Gitarama)

1859 à Mwulire près Save (Commune actuelle de Mbazi, Préfecture de Butare)

1860 à Giseke (Commune actuelle de Rusatira, Préfecture de Butare)

1861 à Muganzacyaro près Runda (Commune actuelle de Runda, Préfecture de Gitarama)

1862 partie aux Ngara, partie à. Gasabo (Commune actuelle de Gikomero, Préfecture de Kigali)

1863 à Gasabo (umurorano seulement, pas la solennité, les oracles divinatoires ayant été défavorables).

1864 à Kayanga près Rutunga (Commune actuelle de Gikomero, Préfecture de Kigali) –

1865 à Nyarubuye du Kigali (Commune actuelle de Kiyovu, Préfecture de Kigali)

1866 à Kabuye près Jabana (Commune actuelle de Rutongo, Préfecture de Kigali)

1867 à Gatsibo (Commune actuelle de Ngarama, Préfecture de Byurnba)

1868 à Kabasanza près Runda (Commune actuelle de Runda, Préfecture de Gitarama)

1869 à Nyamagana près Nyanza (Commune actuelle de Masango, Préfecture de Gitarama)

1870 à Giseke une 2’eme fois

1871 au Ruhango du Kigali (Commune Kiyovu, Préfecture de Kigali)

1872 à Gitovu près Mhemba, (Commune Ntongwe, Préfecture Gitarama)

1873 à Rwamaraba près Matsinsi (Commune actuelle de Nyama-buye, Préfecture de Gitarama)

1874 à Rubengera (Commune actuelle de Mabanza, Préfecture de Kibuye)

1875 à Rubengera une 2ème fois

1876 à Mata près Kigarama (Commune actuelle de Kigombe, Préfecture de Ruhengeri)

1877 à Rugeshi près Kigarama (Commune actuelle de Kigombe, Préfecture de Ruhengeri)

1878 à Mabungo, au Bufumbira (actuellement dans le Kigezi, en Uganda)

1879 à Rubengera une 3ème fois 1880 à Rubengera une 4ème fois 1881 à Rubengera une Sème fois

1882 à Mayebe du Kabagali (Commune actuelle de Masango, Préfecture de Gitarama)

1883 à Ijuru près Kamonyi (Commune actuelle de Runda, Préfec-ture de Gitarama)

1884 à Mukingo près Mwanabili (Commune actuelle de Kigoma, Préfecture de Gitarama)

1885 à Bubazi près Bizu (Commune actuelle de Mabanza, Préfec-ture de Kibuye)

1886 à Rwamagana, (Commune actuelle de Rutonde, Préfecture de Kibungo)

1887 à Mwima près Mushirarungu une 3ème fois

1888 à Munyaga, (Commune actuelle de Rutonde, Préfecture de Kibungo)

1889 à Mabungo, au Bufunbira, une 2ème fois)

1890 à Ngeli (Commune actuelle de Mubuga, Préfecture de Giko-ngoro)

1891 à Rubengera une 6ème fois

1892 à Rubengera une 7ème fois

1893 à Ruganda, (Commune actuelle de Nyakabuye, Préfecture de Cyangugu)

1894 à Nyamasheke (Commune actuelle de Kagano, Préfecture de Cyangugu)

1895 à Mayumbu près Butozo (Commune actuelle de Kiyombe, Préfecture de B3rumba) (poste de la Mulindi). Mort du Roi en septembre.

 

  1. Cette liste appelle quelques remarques.

 

1) Tout d’abord, quoique cela se comprenne de soi, les informateurs donnaient la liste des localités, sans référence aux années, celles-ci ne pouvant leur venir à l’esprit. Ils m’assurèrent que les événements, chronologiquement, d’une manière certaine, s’étaient succédé de 1854 à 1861, et de 1873 à 1895. Quant aux années 1862 à 1873, ils assuraient que les solennités s’étaient déroulées certainement en ces localités, mais qu’ils en ignoraient l’ordre chronologique. C’est à partir de ma documentation que j’ai moi-même établi cette succession chronologique, du fait que les événements signalés étaient en grade partie en ma possession.

2) Aucun des informateurs présents n’avait l’âge de raison avant 1874, année de la Comète de Coggia et Sezibera, qui était la principale autorité en la matière, était né à l’époque de l’Expédition du Gikore, en 1878-1879. C’était lui qui maîtrisait la liste et les autres le secondaient en détaillant les événements dont ils avaient entendu parler. Son autorité à lui venait du fait qu’il avait été soigneusement instruit par son oncle Mabare, fils de Nkuliyingoma (no 356), lequel, au témoignage de ceux qui l’avaient connu à la Cour de Nyanza, déclamait le nombre des fêtes des Prémices que chaque monarque avait solennisées depuis Yuhi III Mazimpaka jusqu’à Kigeli IV Rwabugili. Ce Mabare était, sous Yuhi V Musinga, l’autorité suprême parmi les détenteurs du Code ésotérique, à cause de sa maîtrise dans la section des Intekerezo. De ces fêtes des prémices du passé, Sezibera ne se rappelait, des leçons de son oncle, que les trois « anomalies » consignées plus haut (no 157, 226, 280).

 

Pour un lecteur qui n’a jamais vécu intimement dans une Culture sans écriture, et qui ignore par conséquent la phénoménale capacité d’une mémoire qui ne compte que sur elle-même uniquement pour jouer le rôle de « bibliothèque ambulante », pareilles traditions ne solliciteraient que l’attention des trop crédules.

3) En toute hypothèse cependant, la chronique du règne de Kigeli IV s’enchaîne rigoureusement quant aux faits, du début à la fin, même si nous faisions abstraction des années mises en parallèles avec ladite liste.

Que ce monarque ait régné 42 ans, ceci ne peut paraître anormal, puisqu’il fut intronisé enfant et mourut à l’âge appelé ijigija, soit de, 55 à 65 ans. Toutefois, en ce qui concerne le parallélisme entre .les événements et les années, nous tenons fermement qu’il est indubitable à partir de 1874, année de la Comète de Coggia. Les témoins-oculaires des faits, qui avaient l’âge de raison à l’époque considérée, soit durant les 22 dernières années du règne, —en dehors donc des détenteurs du Code ésotérique, — nous en ont fourni une vaste documentation permettant de se faire une conviction.

4) Pour avoir un moyen supplémentaire de contrôle, j’avais demandé aux informateurs de 1945 s’ils pouvaient reconstituer sur le même modèle la liste de la fête des Prémices sous Yuhi V Musinga, solennités dont ils avaient été tous témoins oculaires. Ils me répondirent qu’il était impossible de s’y essayer, parce que la fête était célébrée chaque année dans la même localité. En ce qui concerne Kigeli IV Rwabugili, au contraire, il se déplaçait constamment, lesdites solennités étant séparées par des événements différents. Par exemple la localité de Rubengera, qui en fut honorée jusqu’à 7 fois, était pour ainsi dire le quartier général pour les expéditions au-delà du lac : le monarque célébrait la fête soit avant, soit après telle expédition au Bunyabungo (Bushi) ou à l’île Ijwi.

La présentation de cette liste a constitué une parenthèse dans notre récit. Faisons un petit effort pour revenir au début du règne.