Les Composantes de la Population Rwandaise à l’Arrivée des Pères Blancs.
LES RACES AU RUANDA
Un président de la Confédération helvétique s’exprimait ainsi naguère à propos de la Suisse : « Trina di favella, ma una di cuore.» Trois langues mais un seul cœur. Changeons le premier substantif et la formule s’applique au Ruanda : trois races, une seule âme.
Les Batwa, les Bahutu, les Batutsi, voilà les trois races qui forment la population actuelle du Ruanda : nous disons la population actuelle, car des fouilles ont établi l’existence d’au moins un autre groupement ethnique antérieur aujourd’hui disparu.
Les Batwa
Les occupants les plus anciens sont les Batwa. De figure grossièrement ciselée, de forme trapue, ils exhibent généralement une taille médiocre supérieure pourtant à celle des Wambuti, les vrais pygmées, fixés dans notre Vicariat du Lac albert. Du reste, un examen isolé du visage et de la stature induirait aisément en erreur. Nous avons connu près de Babgayé, à Kavumu, des Batwa que rien ne distinguait des Bahutu et nous les eussions confondus avec ceux-ci sans la rumeur publique et une visite faite à leur domicile : une hutte de deux mètres de largeur à peine et couverte d’un chaume en décomposition. Autour de la maison, pas d’enceinte, pas de champs, pas de bananeraies.
Mais en revanche, nous découvrîmes un amoncellement de vases d’argile au style monotone, déjà passés à la flamme ou prêts à subir une légère cuisson. Or, ces traits réunis caractérisent justement les Batwa de l’intérieur du Ruanda. Ils y vivent disséminés, une ou deux familles par colline, par chefferie, y exerçant le métier de potiers.
Il existe des groupes plus compacts de ces Négrilles, aux environs de la capitale indigène, où ils remplissent les fonctions de porteurs de la litière royale, de chanteurs, de danseurs, d’histrions. Fins psychologues, ils notent à la volée les défauts, manies des Noirs… et des Blancs, puis excellent à les singer, aux applaudissements des spectateurs. Il est regrettable que dans les scènes reconstruites par ces comédiens, la délicatesse et la décence ne demeurent pas indemnes et nous avons dû, un jour, congédier d’une mission, où il s’était égaré, un de ces mimes don les gestes équivoques menaçaient de tourner au scandale.
C’est au nord et l’ouest du Ruanda, dans les forêts profondes, que campent la majeure partie des Batwa, dont le nombre total oscille autour de 10.000. Un Père Blanc, le P. Schumacher, chargé par S.S. Pie XI d’identifier les mœurs de ces Noirs, les a dépeints comme des chasseurs endurants, d’un courage à toute épreuve. Armés de flèches et de lances énormes, ils s’attaquent aux éléphants, aux buffles, aux ions, aux singes, mus par le double objectif de se procurer de la viande, base de la nourriture, et des peaux si prisées des Batutsi et du roi. D’après le même explorateur qui pouvait les interroger en leur langue, les croyances religieuses des Batwa recouvrent exactement celles des autres races du Ruanda et leur moralité s’avère convenable. Ils s’éloignent de leurs clairières juste pour échanger des vivres, des vêtements ou les instruments de fer nécessaire à leurs exploits cynégétiques, puis pour porter à la capitale les redevances imposées ou enfin … pour dévaster, en coup de vent, les champs des inoffensifs cultivateurs.
Les Bahutu abhorrent toute relation avec les Négrilles : relations de table, de beuverie, alliances matrimoniales, en premier lieu. Les Batutsi, eux, les fréquenteraient avec moins de répugnance. N’a-t-on pas vu un monarque accorder autrefois sa fille en mariage à un mutwa ? De ce cas unique sans doute naquit un proverbe popularisé sous forme optative : «Puisses-tu avoir la chance de Bushyete.» Nom, désormais historique, de l’heureux gendre royal.
La troisième ou quatrième année de la mission de Kabgayé, nous vîmes, non sans émoi, un jeune mutwa à la mine éveillée rôder durant plusieurs jours autour des salles de catéchisme. Un après-midi, il s’enhardit même à prendre place près d’un groupe de Bahutu qui recevaient l’instruction. A peine sa présence fut-elle signalée qu’un remous dépouru de la plus élémentaire charité se produisit dans l’assistance ; les plus proches s’éloignaient avec prestesse de l’intrus en glissant sur leur natte. Les rappels à la convenance se perdaient dans le vide et le malheureux dut se retirer confus. Il fallait démasquer aux yeux des postulants la grossièreté et le non fondé de leur attitude ; nous posâmes donc à haute voix la question bien connue du catéchisme : « Abantu bose babyawe nande? Quelle est l’origine commune des hommes ?» Quelle est l’origine commune des hommes ?» Sans la moindre hésitation, la salle entière répondit avec l’ardeur accoutumée : « Abantu bose babyawe na Adamu na Eva : tous les hommes doivent leur origine à Adam et Eve.» L e sens de cette phrase vous a-t-il donc pratiquement échappé ? Puisque nous sommes tous, Batwa compris, frères en Adam, pourquoi votre exclusivisme choquant ? Laissant alors l’aspect religieux du problème, nous insistâmes sur les illogismes flagrants des Bahutu. Vous méprisez les Batwa et pourtant c’est chez eux que vous commandez toute votre vaisselle, en particulier vos marmites ; les aliments que vous y cuisez ne sentent-ils pas le mutwa ?Et cette pipe en terre sans cesse suspendue à vos lèvres, qui l’a moulée sinon le mutwa ou sa femme ? Soyez donc conséquents, cessez tous les rapports avec cette race ou bien acceptez-les tous, sans exclure les rapports religieux. Encore une anomalie de votre part : plusieurs d’entre vous, atteints de mal de peau spécifique, n’ont-ils pas porté jadis sur eux un os de mutwa ramassé au cimetière ?
Mais notre argumentation tombait manifestement dans le vide, contrariée par des préjugés indéracinables. Cette antipathie envers les Batwa persiste même dans les milieux qui devraient être les plus accueillants : les Soeurs indigènes. Dans un entretien, un Père déclarait aux Religieuses dont il était chargé : « Parfois, il m’arrive de voir déjà, par la pensée, une fille de mutwa prendre le voile parmi vous et y tendre, tout comme les autres, à la perfection. » Chez ces excellentes auditrices, la réaction fut instantanée, celle qu’on éprouverait en face d’une impossibilité métaphysique, ou d’une perspective souverainement écoeurante.
Les Bahutu.
Les sujets de la deuxième race, les Bahutu, l’emportent de beaucoup en nombre sur les autres. Si les Batwa comportent à peine une dizaine de milliers et les Batutsi quelque 50.000, les Bahutu sont 1 million 800.000, approximativement. Leur type est celui du Noir ordinaire dont on recueille des échantillons équivalents ou presque dans toute l’Afrique et même la Mélanaisie: bien découplé, de couleur ordinairement foncée, parfois bronzée, nez camard, d’un angle facial réduit, d’une taille de 1 m.65 à 1 m.70 en moyenne.
Le muhutu s’affiche comme l’homme de la terre par excellence. Pour exprimer la fierté qu’il éprouve de ses accointances avec la mère nourricière, il cite, à l’occasion, un proverbe très populaire. Quand nous exigions des cultivateurs au service de la mission l’extirpation totale de l’envahissant chiendent, nous recevions cette réplique : « Il faut en laisser quelque peu : nta muhutu uch’undi ; aucun muhutu n’en exile un autre ; comme nous, le chiendent tire tout de la terre, nous sommes frères et devons vivre ensemble.» Il fut un temps où les Banya-Rwanda se montraient peu actifs. Pourquoi ? Parce que faibles, sous-alimentés, ils étaient vite fatigués. Parce que le travail coûte à la nature ; on préférait la pauvreté à la richesse péniblement acquise. Mais surtout, du moins autrefois, parce que les récoltes abondantes apportaient avec elles nombre de soucis. Quand on est riche, on excite la jalousie, les représailles ; on attire les voleurs, et pour écarter ces pillards ou se défendre contre eux, il faudrait monter la garde, donc se condamner à une vigilance très onéreuse. De plus, ceux qui réussissent sont facilement soupçonnés de maléfices ; « ce sont des sorciers, des gens dangereux ; ils ont empoisonné les récoltes des autres qui n’ont rien ramassé.»
Jadis les chefs étaient portés, de ce fait, à imposer à leurs sujets plus fortunés des redevances considérables, à les déposséder, à les chasser de leur territoire. « Ces gens-là n’auraient pas tant de greniers pleins, tant de têtes de bétail s’ils n’avaient pas volé ! » En outre, les conditions matérielles ne se prêtaient pas à la conservation des récoltes ; les charançons détruisent une partie des produits amassés ; alors à quoi bon engranger ce que l’on ne pourra manger?
Aujourd’hui que changent les climats d’existence, qu’il y a plus de sécurité, que les exigences des chefs sont mieux contrôlées, qu’on est recevable à se plaindre de leurs exactions devant les tribunaux, que les procédés arbitraires de la part des chefs ont diminué, le travail qui rapporte, même s’il est pénible, est considéré par les indigènes avec plus de faveur.
Sauf dans les bas-fonds et dans le voisinage des volcans, le sol du Ruanda, de valeur plutôt médiocre, rarement amendé, réclame du muhutu des efforts énormes et dispense avec parcimonie des récoltes à peine suffisantes pour une famille ordinaire. La houe de fer, qui, encastrée dans un manche grossier, déchire la glèbe à 25 centimètres, a constitue longtemps, au moins partiellement, la dot de mariage et a servi de monnaie d’échange …si toutefois le tronc supporte cette expression. Autrefois, on évaluait toute richesse par rapport à la houe, à la fraction de houe : 25 colliers de perles, une houe ; trois régimes de bananes, de même ; une chèvre pour trois houes, un taureau pour 45, etc…
L’habitation du muhutu, de forme conique, ne diffère que par ses dimensions des huttes Batwa et de Batutsi ; plus spacieuse que celle des potiers, elle se laisse détrôner par les « palais » des chefs. Figurez-vous une quarantaine de fortes branches fixées dans le sol sur une circonférence de 8 ou 9 m. et réunies à leur sommet, voilà l’ossature de la demeure. Entre ces piliers s’insèrent des roseaux verticaux rapprochés les uns des autres et retenus par des tresses horizontales. On couvre le tout de vulgaires graminées au travers desquelles la fumée s’échappe tant bien que mal. La lumière ne pénètre que par l’unique porte.
Ce genre de construction offre au moins des facilités incomparables pour les déplacements. Quand le propriétaire, avec l’approbation du sorcier, jugera utile de déménager, il suffira de convoquer une douzaine de solides gaillards, qui, excités par des libations de bière de bananes, enlèveront prestement la toiture de paille et transporteront la carcasse à l’endroit préparé ; opération, en somme, moins coûteuse qu’une construction à neuf. La hutte voisine avec une double cour entourée d’une haie d’euphorbiacées et de ficus. Les étrangers ne pénètrent dans cette enceinte que sur autorisation demandée à distance. Chaque demeure possède sa propre clôture protectrice. Cependant le père de famille concède volontiers à ses fils la faveur, d’ailleurs dommageable aux bonnes moeurs, d’installer leur femme dans la cour commune. A l’intérieur de cet enclos, les troupeaux passent la nuit, près des greniers à vivres ; les moutons et les veaux délicats jouissent de l’hospitalité dans la maison même et une telle promiscuité est allègrement supportée.
Ce cheptel bovin, le cultivateur l’a acheté sur les marchés ; mais, pour la plus grande partie, il l’a reçu des Batutsi, la dernière race dont il nous reste à parler.
Les Batutsi : les Nobles.
Apparentés, sans aucun doute, aux Abyssins, les Batutsi vinrent au Rwanda très longtemps après les autres races. Ceux d’entre eux qui descendent de souche non mêlée se reconnaissent à leur figure sémite, à leurs trains fins, réguliers, à leur teint bronzé plutôt que noir, à leur sveltesse mais surtout à leur taille élevée : 1 m.80 en moyenne (le plus élancé dont nous avons vérifié la hauteur dans l’Urundi atteignait 2 m. 5). Ignorant les travaux manuels de fatigue, ils pratiquent dès le jeune âge des sports variés où ils excellent et s’adonnent de préférence à la surveillance des troupeaux ; pasteurs avant tout, comme avant tout les Bahutu sont cultivateurs et les Batwa céramistes ou chasseurs de gibier.
Les bovins, voilà bien surtout par quoi les Batutsi exercent leur domination sur les races inférieures, dans le cadre d’un système féodal équivalent exact de celui qui a fleuri en Europe au Moyen Age. En vue d’en obtenir protection, secours variés, vaches, le muhutu se met à la remorque d’un seigneur puissant, chef ou non, se proclame son homme, son serf. Loin de lui la pensée de rougir de cette dépendance astreignante ; il s’en prévaut bruyamment, au contraire, et l’affiche en toute occasion: Yampaye inka X : un tel m’a octroyé une vache. Grâce à ces exclamations lancées cent fois par jours, les missionnaires glanent, pour la connaissance de leur milieu, de précieux renseignement sur les liens existant, du fait du servage, entre tel muhutu et tel mututsi, ou entre un mututsi et un autre de sa race. Car les Batutsi, de condition modeste, gravitent, eux aussi, dans l’orbite d’un congénère plus considéré, et tous, quelle que soit leur élévation, s’enorgueillissent de tenir du souverain lui-même une partie de leurs troupeaux. Ces richesses ne se multiplieront dans la même famille, sauf si l’un de ses membres commet une félonie impardonnable (1).
Pour traduire d’une manière sensible leur dépendance et leur gratitude à l’égard du protecteur, les clients lui offrent, à dates régulières, des cadeaux : nourriture, boisson, une ou deux têtes de bétail, puis prennent leur TOUR DE GARDE 0 SON DOMICILE ; Ayant été appelé de nuit à porter les derniers sacrements à une fillette mututsi, nous dûmes, avant de parvenir à la malade, enjamber plusieurs Bahutu couchés à l’intérieur de la hutte ; c’étaient les serfs de semaine.
Déjà maîtres de la situation, comme hauts propriétaires des bovins, les Batutsi s’entendent à merveille à conquérir le respect et la soumission des autres classes par un extérieur distingué, des manières nobles et surtout la pleine possession d’eux-mêmes. Que de fois nous avons relevé, admiré même, le mot n’est pas trop fort, la dignité avec laquelle de grans chefs intimaient des ordres à leurs subordonnés revêches et mal éduqués ! Des Européens, témoins de cette domination des princes sur leurs réflexes, ont affirmé en avoir reçu une inoubliable leçon de politesse et de douceur. Peut-être, dans ces circonstances, les nobles avaient-ils visé à s’en imposer, car… ils s’oublient aussi quelquefois. Ils affectèrent, pour nous, de longues années, un dédain superbe, un mépris conscient (2).
Nous reviendrons sur les Batutsi à propos du gouvernement au Ruanda.
Entre les trois races dont se compose la population du Ruanda, pas de cloisons étanches ; rien qui corresponde aux castes jalousement fermées, mais une solidarité, une harmonie suffisantes.
Les Batutsi et les Bahutu contractent sans trop de répugnances des mariages qui durent. Outre leurs fruits légitimes, d’autres trop nombreux doivent leur naissance à des unions passagères entre le chef et l’épouse de ses serfs. Ceux-ci subissent bien à contre-coeur ce « jus domini », ces familiarités, mais les tolèrent ; des exigences outrées leur aliéneraient les faveurs du patron.
Des Batusti déchoient de leur rang d’influence, de richesse et s’abaissent jusqu’à manier la houe ; par contre, des Bahutu s’élèvent sur l’échelle sociale, deviennent pasteurs et réunissent autour d’eux des bénéficiaires auxquels ils distribuent vaches et lots de terrain. Ainsi se forme la classe de nouveaux riches, de la « petite noblesse » et ces heureuses ruptures d’équilibre rapprochent les races.
Ces races se rencontrent aussi, se coudoient dans l’antichambre de certains spécialistes : devins, rebouteurs, etc … Un incident, en soi minime , nous a permis de saisir sur le vif ces rapports. Un chirurgien muhutu réduisait une clavicule fracturée chez un mututsi de seconde zone. Tout en opérant, il chantait avec fierté cette formule suggestive : « Voici le remède qui a guéri les rois du Ruanda ; je soigne et guéris les nobles, je soigne et guéris les Bahutu, soigne et guéris les Batwa ; je soigne même les chiens, sauf ceux qui n’ont pas de maîtres pour verser les honoraires.»
Dans les fêtes religieuses en l’honneur des Imandwa (dont il sera abondamment traité plus loin), les membres de toutes les classes s’agitent, évoluent, confondus les uns près des autres, s’avouent, au même degré, les clients, les mendiants du chef Lyangombé, leur protecteur commun, légat d’Imana, ce Dieu auquel ils doivent tous leur existence.
S’il en était besoin, les sujets des trois races uniraient volontiers leurs efforts et leur sang pour la défense de cette nation qu’ils placent au-dessus de toutes les autres. Nous avons eu, lors de la Béatification des vingt-deux martyrs Baganda, une preuve non évoquée du chauvinisme des Bany-Ruanda. Loin de se laisser gagner par l’enthousiasme à la pensée de la glorification de la race noire, nos indigènes ont accueilli cette nouvelle presque avec indifférence et les fêtes organisées n’ont pas revétu plus d’éclat que d’autres. La modération dans l’expression de la joie, on nous l’expliquait en ces termes : « Ces martyrs ne sont que des Baganda !», des étrangers pour nous (3). C’est dire qu’un mouvement pan-nègre aurait peu de chance de succès au Ruanda, à moins que ce pays ne se vie convié à prendre la tête du mouvement.
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1.En 1952, le souverain a introduit dans tout son royaume une modification capitale qui affectera le plus grand nombre de ses sujets. Désormais, tous les citoyens du Ruanda pourront accéder à la propriété personnelle du terrain et des troupeaux, richesses jusqu’à présent considérées comme appartenant au roi ou aux chefs, auxquels on devait les demander en se mettant à leur service : buhake. On jouissait de ces biens comme d’une chose prêtée (avec des redevances obligatoires), mais on n’en était pas le maître au point de pouvoir légalement les détruire ou de les transférer. Ainsi disparaît le régime féodal, une des caractéristiques les plus marquantes du pays.
2. L’impassibilité que l’on discerne chez les Batutsi est le fruit d’une éducation sévère. Le premier principe que les parents inculquent à leurs tout jeunes enfants s’exprime ainsi : « Quoi qu’on vous fasse, quels que soient la calomnie, le mépris, les injustices dont vous aurez à souffrir, gardez toujours un masque inaltérable ; qu’on ignore constamment autour de vous les sentiments vrais qui vous animent.» Cette leçon spartiate constamment répétée, à tous les âges de la vie, produit des résultats capables de déconcerter les Blancs et même les Bahutu qui, moins maîtres d’eux-mêmes, trahissent au moindre choc leurs dispositions intimes.
3.Dans un autre Vicariat, cette cérémonie souleva une légitime fierté chez les néophytes qui , moins étroits que ceux de Ruanda, se sentaient grandis eux – mêms par la déclaration pontificale. Néanmoins, l’esprit particulariste trouva là aussi l’occasion de manifester une incompréhension fâcheuse. Les Pères d’une station avaient élevé sur la vaste esplanade de leur église, à l’endroit jugé le plus honorable, une magnifique statue de Charles Lwanga, monument destiné à capter les regards sympathiques des passants, baptisés ou non. Mais les indigènes, méconnaissant les intentions généreuses des missionnaires, affichèrent aussitôt des sentiments difficilement prévisibles pour nos cerveaux obtus : « Voilà bien l’estime qu’on porte à notre race ! Nos saints à nous on les laisse dehors à la pluie, au soleil, alors que les Saints Européens logent tous à l’intérieur !»