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  1. Le Colon Muhutu, Artisan Domestique Et Petit Eleveur.

Labourage et pâturage, les deux mamelles, le mot historique de Sully s’applique au Ruanda actuel encore plus qu’à la France de son temps : labourage c’est l’affaire des bahutu, pâturage celle des batutsi, du moins à l’origine. Ce sont les bahutu qui ont ouvert la voie aux batutsi en déboisant en grand, donnant lieu de la sorte à la constitution de vastes pâquis.

Il y a peu d’années l’aspect général du Ruanda était en saison humide celui d’immenses étendues mamelonnées d’un vert sombre, la prairie, parsemées sur les plateaux et les pentes de taches d’un vert tendre, les bananeries, dissimulant des habitations. Ce paysage artificiel et proprement humain est l’oeuvre du laborieux cultivateur, le muhinzi.

Les bahutu ont créé la colonisation au Ruanda par noyaux de peuplement installés au-dessus et à proximité des points d’eau. Pas de grands domaines ; de toutes petites exploitations, deux hectares environ suffisant à l’alimentation frugale d’une famille entière ; une culture intensive de caractère horticole. La bananerie fournit le fruit et le cidre, des planches, ensemencées de céréales, de légumineuses, de tubercules, procurent polenta, brouet, mets de résistance, bière, une ruche d’abeilles donne de quoi fabriquer le capiteux hydromel.

La demeure est une cabane cylindrique à couverture conique, bâtie non en briques ni en pierres, mais en boiserie et chaume. Elle occupe le fond d’une cour ronde qu’entoure une clôture en pals de sycomore, reliés par un clayonnage, le rugo. Le seuil de cette humble résidence, le mulyango„ flanqué de deux perches solides montant la garde à l’entrée, prend la valeur d’un symbole. Umulyango, comme chez nous le terme de « feu » ou «  foyer », désigne par métonymie la famille au sens large, cellule sociale, sujet responsable de l’impôt, la maisonnée ou mesnie : chez le nomade du steppe, la tente.

Ce cultivateur est un artisan, mais adonné seulement à des industries domestiques, il sait moudre le grain, bâtir sa chaumière, tresser des fibres, appointir un pal, creuser un mortier et une cuve, voire une pirogue, dans un tronc d’arbre, modeler un pot. A l’origine il dut cultiver avec une houe de bois : en temps de deuil la coutume l’oblige à n’user que de cet outillage primitif : les rites religieux, on le sait, canonisent les vieux usages traditionnels. Mais en pénétrant en Afrique, il a trouvé une industrie du fer : dès lors il a adopté pioche, hache, massue, couteau, serpette, erminette, framée, sagaie, grelot, anneau métallique.. Il ne descend pas en ligne droite du chasseur ni du pasteur petit ou grand. Ce qui le prouve c’est qu’il répugne à manger aucune viande de gibier ni de petit bétail ; il ne boit même pas le lait de la brebis ni de la chèvre qu’il élève. S’il a mangé du boeuf et bu du lait de vache, c’est par une sorte de snobisme, pour imiter le noble étranger, le mututsi.

  1. — La Conquête Du Sol Par Le Muhutu.

Ce colon végétarien, accroché au sol, progressant à pas de tortue, faisant reculer devant lui, par le feu plus que par le fer, le bush et la forêt inextricables, repoussant hommes chasseurs et bêtes sauvages. Gagnant d’une colline à l’autre à travers fleuves et marécages, sans intention arrêtée, sans objectif lointain et perçu par avance, par une force d’instinct, à la recherche de terres neuves. Peuplant tout grâce à une natalité surabondante, la nature stimulée par un labeur obstiné satisfaisant aux besoins croissants, c’est lui qui a conquis et créé réellement le Ruanda, qui l’a doté du mode d’existence aujourd’hui général, qui lui a imprimé le cachet de sa langue et de ses institutions, qui a baptisé tous ses sites, ses monts, ses cours d’eau, ses «pays» ou cantons, ses collines et sections de collines. La pénétration silencieuse de ce pionnier, qui a exigé sans doute des siècles, pour atteindre. son terme, est de la nature de celle du, Slave au moyen âge dans l’Europe orientale, de celle dit Canadien et de l’Anglo-Saxon modernes dans le Far-West américain. Grâce à lui la terre s’est remplie et humanisée, l’antique organisation tribale s’est muée en régime de gouvernement territorial.

L’écueil de cette conquête par le labour c’est l’émiettement politique. Les groupes de cultivateurs, s’engendrent les uns les autres, se détachent par essaims successifs, colonisent toujours plus au loin et ne gardent entre eux que des liens moraux et religieux. Ils forment des bourgs distincts, qui parfois s’opposent et se querellent, et qui ainsi s’offrent en proie à l’envahisseur étranger. Le Ruanda, au terme du processus, offrait l’aspect «une mosaïque de principautés ou toparchies parentes, parlant toutes la même langue, conservant chacune leur individualité politique, bornées dans leurs ambitions, de force et puissance trop équivalentes pour que l’une d’elles rompit l’équilibre et créât à son profit un empire imposant le respect et décourageant les agressions.

9 -Provenance Et Type Anthropologique Des Bahutu.

D’où venaient ces conquérants pacifiques, et à quel rameau de la grande famille humaine se rattachent-ils ?

Ici encore, comme pour les batwa, l’histoire est muette. Seules la géographie, l’anthropologie, l’ethnographie projettent quelques clartés aidant à la solution du problème.

Le type physique du muhutu est le type le plus commun et le plus général du noir, non seulement de celui qui, parlant un dialecte des langues dites bantu, est répandu sur toute l’Afrique intertropicale, mais encore de celui qui peuple la Mélanésie océanienne: taille moyenne de 1,67 m, coloration très foncée de la peau et frisure des cheveux, brachycéphalie et prognathisme, nez écrasé et lèvres épaisses, belle proportion des membres ; ethno-logiquement et au moral, sédentarité, goût et aptitudes agronomiques, organisation patriarcale, simplicité des moeurs, sociabilité et jovialité ; en religion, hénothéisme et culte des mânes, confiance illimitée dans la sagesse et la technique surnaturelles des griots.

Plus prolifiques que les pygmées et pygmoïdes chasseurs et errants, ils se sont substitués à eux dans la même zone tropicale de la planète, les reléguant dans la forêt. Comme eux ils avaient, estime-t-on, pour berceau l’Australasie, et ils les suivirent dans leur odyssée, mais longtemps après. Tels on les voit en Papouasie, tels on les retrouve, avec des différences régionales, aux Mascareignes, à Madagascar, aux Comores. D’île en île ils auraient, autres conquistadors, atteint et découvert un nouveau continent. Mouillant au littoral de l’océan Indien, ils auraient gagné de proche en proche, vers l’ouest jusqu’aux rives de l’Atlantique, au nord et au sud jusqu’aux déserts du Sahara et du Kalahari, entrant en contact, là avec les blancs bronzés et les négritisant, ici avec les noirs aborigènes fusionnant avec eux, implantant partout par l’effet de leur sédentarité leurs croyances, leurs institutions et jusqu’à leur langue agglutinative, le «  bantu » la langue « humaine » par excellence, – bantu signifiant « les hommes », – fractionnée en maints dialectes.

On peut facilement imaginer que ce tâcheron Méthodique et opiniâtre qu’est le muhutu ne sera pas monté de son plein gré sur ces hauts plateaux du Ruanda-Urundi, régions froides, hérissées de sombres futaies et relativement peu fertiles. Les paysans n’abandonnent pas sans y être contraints les plaines chaudes et plantureuses où ils se sont déjà enracinés. Il faut qu’ils en soient délogés-, expulsés, par des intrus, étrangers ou de leur race, plus puissants qu’eux. La haute montagne se présente alors comme un pis aller, un refuge, un réduit naturellement fortifié, où il est enfin possible de respirer et de se défendre. Ainsi peut-on se représenter les bahutu gagnant la montagne sous la poussée de vagues humaines déferlant de l’est et du sud. Cette extrémité fut pour eux la plus heureuse des fortunes, l’accès de ces hautes terres ne leur réservant pas seulement la sécurité, mais encore une prospérité sans précédent.

A combien de millénaires en çà remonte ce peuplement intense ? Il semble que ce soit postérieurement à l’âge du fer, dont les débuts dans la région, au dire des préhistoriens, datent d’environ deux mille ans avant notre ère. Le Ruanda connaissait déjà par endroits le fer et la brique : le muhutu prit le fer et laissa la brique.

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