L’effort de planification et les nouveaux moyens extérieurs

Dès avant l’indépendance de son pays, le Président Kayibanda avait clairement discerné l’urgence d’entreprendre une double tâche. D’abord planifier. Planifier l’ensemble des activités nationales, afin que, même avec des moyens limités, l’on soit assuré d’un maximum d’efficacité. Et ensuite, rechercher à l’étranger les nouveaux moyens financiers et techniques indispensables à la réalisation du futur Plan de développement.

Le Président avait donc très vite, dès octobre 1961, confié la tâche de planification à l’un de ses Départements Ministériels : celui des Finances, des Affaires Économiques et du Plan. Puis quelques mois plus tard, en mai 1962, il avait transféré cette compétence au Ministère des Relations Extérieures qui devait être, dès l’indépendance, le mieux placé pour rechercher et gérer les aides extérieures nécessaires à la réalisation du Plan. Ensuite, afin que l’étude puis l’exécution de celui-ci devienne effectivement l’une des préoccupations majeures de son Gouvernement, le Président avait, le 2 juin 1962, constitué une Commission Gouvernementale du Plan, en principe présidée par lui-même.

Un an plus tard, à l’occasion du remaniement ministériel du 6 février 1963, les Services du Plan et de l’aide extérieure furent détachés des Affaires Étrangères et constitués en un Ministère séparé, confié à M. Thaddée Bagaragaza,qui allait ainsi devenir le principal artisan du premier Plan Quinquennal rwandais.

L’un des matériaux de base du premier travail de planification accompli durant ces années devait être l’Étude Globale pour le Développement du Rwanda-Burundi, réalisée en 1960 pour servir éventuellement de nouveau Plan décennal aux deux Etats indépendants. Cette Étude partait malheureusement d’une hypothèse non vérifiée : celle de l’existence d’une union étroite et harmonieuse entre les deux pays et leurs politiques économiques. Cette hypothèse ne s’étant pas réalisée, il importait donc de repenser tous les problèmes de développement en partant d’une optique adaptée aux réalités nouvelles.

En juin 1964, cette fois pour que le Plan devienne l’œuvre de tous les milieux responsables du pays, le Président créa de nouveaux organes de travail, au niveau des études techniques. En dessous de la Commission Gouvernementale du Plan, et sous la haute direction du Ministre du Plan, fut mis en place un Comité national du Plan, subdivisé en 13 Commissions, elles-mêmes subdivisées en sous-commissions le cas échéant. Et dès lors, les études progressèrent vivement.

Mais parallèlement à ces efforts déployés dans le domaine de la planification, le Président Kayibanda entreprit, dès le lendemain de l’indépendance de son pays, de rechercher de nouvelles aides extérieures. Celles-ci se limitaient en effet, au départ, à une aide financière et technique belge (substituée aux anciennes « Avances » de la Tutelle et à son ancien personnel administratif), à une aide financière et technique du Fonds Européen de Développement (FED), et à une aide technique très réduite de l’ONU.

Dès septembre et octobre 1962, au lendemain de la Conférence des Chefs d’État de l’UAM à Libreville, le Président Kayibanda avait effectué une importante tournée de contacts au niveau des instances onusiennes, puis dans les capitales de certains pays industrialisés d’Europe et d’Amérique. Il avait exposé les grands problèmes de son pays au Secrétaire Général Dag Hammarskjôld d’abord, puis au Président Kennedy, au Roi Baudouin et au Gouvernement belge, aux responsables du Fonds Européen de Développement, et successivement aux autorités de Bonn, de Paris, de Londres, de Berne et de Rome. Dans le même temps, il avait envoyé des délégations ministérielles en Chine Nationaliste, puis en Israël.

 

Il compléta cet ensemble de démarches en accréditant bientôt des Ambassades dans un certain nombre de pays susceptibles d’aider le Rwanda, et leur donna la mission essentielle « d’attirer la coopération », car disait-il « c’est par elle que nous parviendrons à l’amélioration plus ou moins rapide dumieux-être de nos populations, et c’est aussi par elle que nous serons à même de réaliser toutes nos nombreuses et louables ambitions ». Ces diverses démarches portèrent de nombreux fruits au cours des années suivantes.

La France, pour laquelle les autorités rwandaises éprouvaient une particulière sympathie, fut la première à leur répondre favorablement. Sans doute par solidarité de cultures francophones d’abord, et ensuite en raison des affinités politiques et de l’affiliation projetée du Rwanda à l’Union Africaine et Malgache. Dès le 20 octobre 1962, date de la visite à Paris du Président Kayibanda, fut signé un Accord d’Amitié et de Coopération. Et celui-ci fut suivi très vite, le 4 décembre, par la conclusion à Kigali de trois Accords fixant le cadre général de la future coopération entre les deux pays dans les domaines culturel, technique, radiophonique et économique.

Toujours en 1962, un second État, celui d’Israël, se détermina à apporter son soutien au Rwanda, et à signer avec lui, le 23 octobre, un Accord-cadre de coopération technique, tout en promettant l’envoi à Kigali d’une mission exploratoire.

Au cours de l’année 1963, qui fut – ainsi qu’on l’a vu déjà – une année sombre et difficile à bien des points de vue, purent être amorcées, d’une part une première relance de la coopération avec la Belgique, la CEE et l’ONU, et d’autre part une coopération entièrement nouvelle avec quatre pays : la République Fédérale d’Allemagne, la Chine nationaliste, la Confédération Helvétique et le Canada.

Pour ce qui concerne la Belgique, le Gouvernement rwandais avait commencé par éprouver une vive déception. L’aide promise par les autorités belges pour l’année 1963 avait été en effet fixée à 75 millions de francs belges; montant que, du côté rwandais, l’on avait jugé tout à fait insuffisant, étant donné les énormes besoins d’équipement du pays. Cela, d’autant plus que, parvenu à l’indépendance dans une situation fortement « désavantagée par rapport au Burundi, qui serait le seul à tirer profit de la plupart des investissements » effectués par l’ancienne Autorité du Tutelle, le Rwanda estimait pouvoir compter sur un effort tout particulier de la Belgique à son égard. La déception rwandaise se trouva heureusement atténuée par la décision bientôt prise par le Gouvernement belge de porter à 100 millions son aide pour 1963, de mettre en place à Murambi un centre de formation de cadres, et de financer en outre « hors quota », à Kigali, un aérodrome pour avions du type DC7 et certains équipements de télécommunication indispensables.

Pour ce qui concerne l’aide financière et technique de la CEE, le Rwanda connut également des moments difficiles. Le temps était arrivé en effet où, le premier FED étant venu à épuisement, les Six et les Dix-Huit devaient veiller au renouvellement de leur association. Ils se réunirent donc à Yaoundé (Cameroun), et y signèrent le 20 juillet 1963 une Convention d’association valable 5 ans (entrée en vigueur le 1erjuin 1964), et en exécution de laquelle les Six constituèrent un deuxième FED, d’un montant total de 666 millions d’Unités de Compte(unité de compte équivalant à 1$ ou 50 francs rwandais de l’époque). Sur ce montant, environ 593 millions devaient bénéficier directement aux Dix-Huit. Et le Rwanda, si excessivement désavantagé sous le premier FED, devait à présent batailler ferme pour que l’équité soit mieux respectée à son égard.

N’ayant reçu du premier FED qu’un peu plus de 1,50 $ par habitant, alors que la moyenne des autres Etats associés en avait reçu 10, et certains même 27 et 40… le Gouvernement rwandais insista pour que sa part dans le deuxième FED rejoigne au moins la moyenne de 10 $ par habitant. Pour obtenir une proportion au moins égale aux autres, le Rwanda dut invoquer des difficultés bien supérieures à celles des autres. Il dut faire remarquer notamment qu’il se trouvait « acculé à l’extrême, plus que n’importe quel autre pays d’Afrique, par la pression démographique, le manque d’espace et l’éloignement ». Résultat de ces efforts, le Rwanda bénéficia finalement d’une aide de 16 758 000 $, c’est-à-dire d’environ 3 % de l’aide totale attribuée aux Dix-Huit. La population rwandaise représentant près de 5 % de celle de l’ensemble de ces pays, l’aide reçue, quoiqu’en net progrès par rapport au 1er FED, resta très inférieure à ce que l’on aurait dû en attendre. Et au lieu des 10 $ par habitant espérés, le Rwanda n’en reçut qu’environ 4,5 à peine.

Pour ce qui concerne l’ONU enfin, les promesses d’aide se concrétisèrent quelque peu par la signature d’un Accord-cadre général d’assistance technique le 23 janvier 1963, puis de deux Accords prévoyant une aide technique consultative et opérationnelle de l’OMS.

A côté de cette relance des aides belge, européenne et onusienne, le Gouvernement rwandais obtint en 1963 l’aide nouvelle de la République Fédérale d’Allemagne. Informé du souhait de cette dernière d’installer en Afrique centrale un relai radiophonique de la « Voix de l’Allemagne », il lui avait gracieusement offert d’accueillir cette installation en territoire rwandais. Les autorités allemandes, par ailleurs enclines à renouer avec le Rwanda des liens interrompus en 1916, acceptèrent cette proposition et, en contrepartie, offrirent au Rwanda d’abord un émetteur de radiodiffusion de 50 kW, frais de fonctionnement compris, et ensuite des aides remboursables et non remboursables qui allèrent tout doucement en s’accroissant.

Une aide nouvelle fut également obtenue en 1963 de la Chine nationaliste. Après un échange de diverses missions au niveau ministériel, un Accord de coopération fut signé à Taïpeï le 14 octobre, en vertu duquel une très efficace équipe chinoise fut envoyée au Rwanda pour introduire la riziculture dans les marais de la Nyabugogo. Cette aide agricole allait être suivie un peu plus tard d’une aide expérimentale à l’artisanat.

Une nouvelle aide bilatérale encore, obtenue en 1963, fut celle de la Confédération Helvétique. Celle-ci s’était en effet laissée séduire par le cas du Rwanda, pays relativement petit, et donc à la mesure des moyens d’une Coopération Suisse encore à ses débuts. Pays aussi, qui présentait avec la Suisse un certain nombre de similitudes conformation montagneuse, éloignement des mers, vocation de carrefour continental, et donc vocation de neutralité… Pour ces motifs, auxquels s’ajoutait une sympathie particulière pour la politique austère et volontaire du Président Kayibanda, ainsi que certaines affinités de personnes la Suisse concentra sur le Rwanda sa première aide au Tiers-Monde. Le 15 octobre 1962, furent signés deux Accords de base : le premier fixant le cadre général de la coopération technique et scientifique entre les deux pays, et le second déterminant les modalités de l’aide technique et financière de la Suisse à la coopérative Trafipro. Cette dernière formule d’aide devait bientôt s’avérer comme l’une des plus audacieuses et des plus efficaces réalisations de l’aide extérieure au Rwanda.

Enfin, la quatrième aide bilatérale nouvelle obtenue en 1963, celle du Canada, emprunta au départ le canal de l’initiative privée : elle soutint en effet financièrement le démarrage à Butare de l’Université Nationale du Rwanda, entrepris à la demande du Président Kayibanda par le R.P. G-H. Lévesque et la Province canadienne de l’Ordre des Dominicains.

Tout en s’assurant ainsi diverses aides non remboursables, le Gouvernement rwandais s’était en 1963 encore affilié à quatre grands organismes internationaux de crédit : la Banque Internationale pour la Reconstruction et le Développement (BIRD), le Fonds Monétaire International (FMI), l’Association Internationale pour le Développement (AID) et enfin la Banque Africaine de Développement (BAD). Les lourdes charges consenties pour ces affiliations ne devaient toutefois être que partiellement rentabilisées dans l’immédiat. Si en effet le FMI apporta très vite une aide efficace au système monétaire rwandais, par contre PAID n’accorda un prêt au Rwanda qu’en juin 1970. Et quant aux possibilités de crédit acquises auprès des deux autres organismes, elles restent encore inexploitées à l’heure actuelle.

En 1963, le Gouvernement rwandais avait – ainsi qu’on le voit – conclu une série de conventions internationales qui devaient lui permettre de disposer, au cours des années suivantes, de moyens financiers et techniques extérieurs substantiels.

Ce succès relatif n’était toutefois encore qu’un succès d’écritures, ne se traduisant par aucun effet sensible. Et le marasme économique général du pays était entre-temps durement ressenti. D’autant plus qu’au mois de mai de cette année, le Rwandaavait connu des pluies catastrophiques, provoquant inondations et glissements de terrains, emportant des routes et des ponts, détruisant de nombreuses cultures et des milliers d’habitations, et faisant 162 morts et plus de 24 000 sinistrés.

Évoquant la situation du Rwanda et du Burundi devant l’Assemblée Générale des Nations Unies en octobre 1963, le Ministre belge Spaak devait déclarer, avec une vigueur tempérée de diplomatie : « … il me faut constater que tant de promesses chaleureuses qui avaient été faites (à ces deux pays) au moment où ils demandaient leur indépendance n’ont pas été tout à fait tenues ». Et quelques mois plus tard, une personnalité apparemment très au fait de la situation, écrivait à propos du « progrès de la pauvreté au Rwanda » : « Seule une aide ordinaire substantielle (un demi-milliard pendant une quinzaine d’années au moins) peut assurer un accroissement de la productivité proportionnel à l’expansion démographique! »

Tandis que se dessinaient alors pour le Rwanda les premiers espoirs d’une aide extérieure substantielle et diversifiée, les travaux de la planification du développement suivaient leur cours. Le 9 novembre 1965, un nouveau Gouvernement ayant été formé à la suite des élections présidentielles et législatives du 3 octobre précédent, le Département du Plan, de la Coopération et de l’Assistance Techniques et celui des Affaires Étrangères furent à nouveau groupés en un seul et vaste Ministère, qui fut confié à M. Th. Bagaragaza.

Le 16 juillet 1966, fut institué un « Budget de Développement », dans lequel furent regroupés tous les moyens financiers (fonds de l’État et fonds de l’aide extérieure) affectés à des investissements. Cette formule de budget devait permettre aux autorités compétentes de disposer chaque année d’un tableau complet des moyens utilisés pour la réalisation du Plan au niveau des investissements. Malheureusement, certaines difficultés étant apparues lors de la comptabilisation des aides extérieures en fin d’année, cette formule fut abandonnée; et dans les années suivantes, le Budget de Développement ne reprit plus que les investissements à réaliser sur fonds propres à l’Etat.

Puis enfin, les travaux d’élaboration du premier Plan quinquennal rwandais (1966-1970) aboutirent. Un document de synthèse, présenté à l’Assemblée Nationale, fut approuvé en date du 4 août 1967 comme Plan à valeur indicative, « sous réserve des adaptations et ajustements rendus nécessaires, en particulier par l’évolution de la conjoncture, et qui pourront être décidés par le Gouvernement ».

Étant donné les incertitudes existant quant aux disponibilités de l’aide extérieure et quant à la reprise économique devant résulter de la réforme monétaire de 1966, ce Plan fut présenté comme un programme très souple. Il laissait le Gouvernement libre de choisir les opérations à réaliser en fonction des possibilités, tout en respectant les orientations générales, les objectifs principaux, et les priorités définies.

Le lendemain de l’approbation légale de ce Plan, fut créée une Banque Rwandaise de Développement (s.a.r.l.) composée à 55 % de capitaux apportés par l’État rwandais et les organismes, établissements ou offices publics ou semi-publics rwandais, et à 45 % de capitaux privés. L’objectif de cette Banque serait de financer sous forme de placements ou de crédits, en tout ou en partie, des entreprises importantes pour le développement du pays. Son capital fut fixé au départ à 50 millions de francs rwandais. Elle ne commença toutefois pas ses opérations financières avant la fin de 1968.

Un an plus tard, le 21 octobre 1969, un nouveau Gouvernement ayant été formé suite aux élections présidentielles et législatives du 28 septembre précédent, le Plan fut détaché du Ministère de la Coopération Internationale, et confié à un Secrétariat d’État ayant pour titulaire M. Emmanuel Hitayezu. C’est donc à celui-ci qu’incomba désormais la tâche de poursuivre les études de planification, et de coordonner les différents projets de développement.

Entre-temps, depuis 1964, l’aide extérieure s’était considérablement développée.

La Belgique d’abord avait maintenu le volume de son aide, puis l’avait peu à peu augmenté, surtout à partir de 1966. Audébut de cette année-là, répondant à l’invitation du Roi Baudouin, le Président Kayibanda avait effectué en Belgique une visite officielle à l’occasion de laquelle il avait pu prendre de multiples contacts non seulement avec les autorités de Bruxelles, mais aussi avec deux institutions particulières pouvant être intéressées à la coopération belgo-rwandaise : l’Université de Gand, et la Faculté Agronomique de Gembloux.

Fin 1966, pour soutenir la réforme monétaire rwandaise, la Belgique avait ajouté à son aide annuelle normale une aide exceptionnelle. Puis, de 1967 à 1970, son aide financière annuelle elle-même était passée de 136 à 209, puis 260, puis 400 millions de francs rwandais.

En 1970 encore, puis en 1971, elle ajouta à son aide annuelle la fourniture de deux fois 2 500 tonnes de blé tendre, destiné à être vendu sur le marché rwandais au profit de l’État.

La conception à la fois élevée, réaliste et vigoureuse que le Ministre belge de la Coopération au Développement, M. Raymond Scheyven, se faisait de l’aide économique au Tiers-Monde avait abouti peu à peu à cette efficacité finale de la coopération belgo-rwandaise.

En juillet 1970, sur l’invitation du Président Kayibanda, le Roi Baudouin et la Reine Fabiola firent au Rwanda une visite officielle qui, pour les deux pays, devait être un moment magnifique : la simplicité des deux Chefs d’État, leur dévouement total au même idéal, leur permirent d’atteindre, semble-t-il, à une véritable amitié (A l’occasion d’un dîner offert aux Souverains belges, le Président Kayibanda, usant de cette manière rwandaise, à la fois sérieuse et plaisante, qui permet d’exprimer légèrement ses sentiments profonds, commenta en ces termes la présence de la Reine des Belges : « …Notre peuple apprécie la femme à sa simplicité, à sa droiture, à sa collaboration aux responsabilités de son mari, à sa préoccupation aux diverses oeuvres politico-sociales : Nous savons que la Reine Fabiola dépasse toutes les femmes en ce domaine. Nous connaissons son dévouement pour les plus petits. Nous avons tentation de l’appeler Parmehutu… ) C’est en tout cas la signature d’un Traité d’Amitié entre les deux pays, qui paracheva cette rencontre.

Dernière étape du perfectionnement de la coopération belge au Rwanda : la conclusion, en date du 20 mars 1971, d’un Protocole programmant sur 5 ans une aide financière belge de deux milliards cinq cent soixante-six millions de francs rwandais. L’année précédente, une « mission d’évaluation » avait été envoyée au Rwanda par le Ministère belge de la Coopération au Développement, dansle but de s’assurer de la pleine efficacité économique des moyens mis en œuvre. Le rapport établi par cette mission, et le souhait exprimé par les autorités rwandaises d’arriver à une parfaite intégration de l’aide belge dans la planification rwandaise, avaient été à la base de la négociation de ce Protocole. Dépassant les procédures routinières des premières années, l’on était arrivé à un modèle de coopération intégrée, dans laquelle chaque élément serait dorénavant examiné en fonction de son rôle organique réel.

Une deuxième Coopération à se développer à partir de 1964 et surtout de 1966, fut celle de l’ONU. Entre 1964 et 1970, une douzaine de Plans d’Opérations furent signés avec le Programme des Nations Unies pour le Développement (PNUD), organisme ayant pour rôle de coordonner l’aide au développement des diverses institutions spécialisées des Nations Unies : OMS, UNICEF, UNESCO, FAO, ONUDI, OMM, etc.

Une troisième Coopération, nouvelle celle-là, commença à se développer également dès 1964 : celle des États-Unis d’Amérique. Elle se manifesta essentiellement lorsque le Rwanda eut à affronter des difficultés particulières’ : au lendemain des incursions terroristes de fin 1963, elle fournit aux forces de l’ordre rwandaises des équipements relativement importants (jeeps, camions, avions, matériel radio…); puis, à l’occasion des difficultés monétaires, elle apporta à l’Etat rwandais une aide financière et en devises successivement de 872500 et de 1000 000 $. A ces interventions substantielles s’ajoutèrent encore un certain nombre de réalisations américaines de moindre portée.

La Coopération Suisse connut également un sensible accroissement au cours de ces années : elle poursuivit régulièrement son aide à la Coopérative Trafipro, y ajouta une nouvelle action agricole et sylvicole en Préfecture de Kibuye, une aide à l’artisanat de la forge, et finalement des fournitures successives de 600, 800 et 1 600 tonnes de farine de froment.

 

Quant à la Coopération Allemande, elle se poursuivit sur le plan radiophonique, et se développa dans le domaine des travaux publics, de l’électrification, de la formation de la police, de l’agriculture, et enfin du tourisme.

La France étendit également son aide dans le domaine de l’information, de l’enseignement moyen et supérieur, de la planification, du génie rural et de la santé publique.

Puis, à partir de février 1966, suite à une visite privée du Président Kayibanda aux Pays-Bas et au Grand-Duché de Luxembourg, le Rwanda obtint de ces deux pays une aide entièrement nouvelle. Le premier offrit son aide financière pour l’extension de l’enseignement technique officiel d’abord, et ensuite pour l’établissement d’une liaison de télécommunications à très haute fréquence Kigali-Kampala puis Kigali-Bujumbura. Quant au second, il apporta son aide financière et technique à l’extension de l’enseignement médical féminin.

Quelques mois plus tard, c’est avec l’URSS que des relations nouvelles s’instaurèrent. Ce grand pays qui naguère, sous l’influence des extrémistes de l’UNAR, s’était si complètement trompé sur le compte du Rwanda révolutionnaire, avait depuis lors peu à peu rectifié son jugement. Ses offres d’ouvrir une Ambassade à Kigali avaient pu aboutir en juin 1964; puis à l’occasion du 1ermai 1966, il avait invité une première mission rwandaise à visiter Moscou. Et c’est cette mission, conduite par M. Anastase Makuza, Ministre du Commerce, des Mines et de l’Industrie, qui négocia et conclut à Moscou, le 6 mai 1966, un Accord-cadre de coopération culturelle et scientifique avec l’URSS. Cet Accord ne fut, tout au moins dans l’immédiat, pas suivi d’une aide fort importante sauf toutefois dans le domaine des bourses d’étude.

En mai 1966 encore, la Chine nationaliste adopta pour son aide agricole au Rwanda un nouveau et remarquable programme de 5 ans, estimé par elle à 1 million et demi de dollars.

Ce fut ensuite au Canada à réorganiser et renforcer son aide : le 24 mai 1967, fut signé un Accord-cadre de coopération technique,puis deux mois plus tard, un Accord visant un soutien technique et financier de 750 000 $ par an durant 5 ans à l’Université Nationale du Rwanda (UNR).

En juin 1967 encore, une coopération nouvelle s’instaura avec l’Italie, par la conclusion d’un Accord-cadre de coopération technique. Accord qui fut bientôt suivi du financement de l’étude d’un projet de mise en valeur des grandes vallées marécageuses du Mutara.

Enfin, l’année 1969 fut celle du renouvellement de l’association des Dix-Huit africains et malgache avec la CEE. Après une longue préparation, les Dix-Huit et les Six signèrent, le 29 juillet à Yaoundé, une nouvelle Convention en exécution de laquelle les Six constituèrent un 3èmeFonds Européen de Développement (FED), d’un montant total de 828 millions d’Unités de Compte…

A cet éventail d’aides d’origine publique, s’ajouta encore une série d’aides émanant d’associations privées étrangères, la plupart d’inspiration religieuse chrétienne, mais certaines aussi à caractère purement civil.

 A la poursuite de la démocratie et de l’efficacité

 La deuxième législature, inaugurée en novembre 1965 par la formation du nouveau bureau de l’Assemblée Nationale et d’une nouvelle équipe gouvernementale, débuta sous le signe du renouveau économique.

En définissant le 9 novembre 1965 le programme à accomplir par son Gouvernement, le Président Kayibanda avait – ainsi qu’on l’a vu- donné priorité à l’efficacité, à la production et au démarrage économique. Puis étaient venus les effets bienfaisants de la réforme monétaire et la forte extension de l’aide extérieure, et le pays s’était trouvé tout entier animé d’un dynamisme nouveau.

Mais en même temps que ces réalités nouvelles pleines de promesses, des tendances moins heureuses se manifestèrent : des rivalités parfois fort âpres se firent jour entre certains leaders démocrates, mettant en danger l’unité même du Parti. Plusieurs circonstances y avaient assurément contribué. D’abord les élections d’octobre 1965, au cours desquelles des candidats rivaux s’étaient fatalement affrontés sans douceur. Ensuite la formation du nouveau Gouvernement, qui avait déçu plusieurs ministrables non appelés. Ensuite dans une certaine mesure peut-être la disparition des petits partis d’opposition de l’arène politique et la liquidation quasiment totale du terrorisme « Inyenzi », facteurs de cohésion bien malgré eux des forces démocratiques. Et enfin, l’action de la minorité hostile au régime, intéressée à attiser les discordes.

Le danger d’une désunion secoua fortement l’ensemble du Parti Parmehutu. Et celui-ci, réuni fin octobre 1966 à Gitarama pour son VIIIème Congrès National Extraordinaire, adopta une série de Recommandations visant à mettre chacun face à ses responsabilités. Ces recommandations rappelèrent tout d’abord la priorité absolue à donner à l’engagement social des militants, et ensuite le devoir de ceux-ci de combattre avec vigueur la division, l’intrigue et les faux bruits, et de les signaler le cas échéant à la sûreté nationale.

Afin que le grand programme social du Parti reste la préoccupation unique des militants et des leaders, et que les mésententes personnelles soient reléguées à l’arrière-plan, le Congrès décida de procéder à une restructuration des organes du Parti. A côté du Congrès National lui-même, organe populaire d’orientation et de contrôle, et à côté du Conseil des Représentants, du Président et du Secrétaire Exécutif, furent instituées d’abord sept Commissions Spécialisées chargées d’approfondir les programmes sectoriels de développement, et ensuite un Comité National d’arbitrage chargé de trancher les litiges pouvant nuire à la bonne marche du Parti. Il fut décidé en outre de faire un effort spécial pour construire autant que possible auprès de chaque Secrétariat Régional du Parti, des bureaux devant permettre d’accueillir les militants, de les former, de les informer et de les entraîner.

L’année suivante, le 9 juillet 1967, le Congrès National du MDR Parmehutu élut son Secrétaire Exécutif National sur une liste de 5 candidats présentés par le Conseil des Représentants. Les suffrages désignèrent M. L.Mpakaniye, alorsMinistre de l’Éducation Nationale, et personnalité unanimement appréciée pour sa droiture et son esprit de coopération.

Cette revitalisation du Parti n’empêcha pas la vie politique rwandaise de devenir progressivement de plus en plus complexe.

D’autant plus que le milieu politique lui-même se trouvait déjà compliqué au départ en raison de certaines caractéristiques propres. L’une de celles-ci était la nouveauté à la fois des institutions politiques, et de leurs cadres législatifs, administratifs et judiciaires : ni aux unes, ni aux autres, le temps n’avait encore pu imposer des règles et des usages impératifs, en mesure de primer sur les questions de personnes.

Il y avait ensuite le jeu inévitable des forces de solidarité; soit familiales, soit régionales, soit tout simplement amicales, particulièrement fortes et enchevêtrées dans un milieu où, du moins au niveau des cadres, tout le monde finissait par connaître tout le monde.

Et il y avait enfin, cette méthode subtile et indirecte de procéder, généralement fort répandue dans les milieux politiques rwandais, et qui imposait à quiconque voulait y voir clair une prudence et une patience inépuisables.

Or, le temps passant, les cadres politiques, administratifs et judiciaires connaissaient un certain nombre de déviations ou de défaillances : profitariat, détournements, nominations ou commissionnements inspirés par le régionalisme ou le népotisme; indolence, absentéisme ; et au niveau des juges et Bourgmestres : recours à des pratiques que la Révolution avait voulu abolir (cadeaux exigés ou acceptés, etc.)…

Pour circonscrire ces quelques défaillances, les empêcher de déteindre sur l’ensemble du milieu politique, et conserver celui-ci aussi « pur et dur » que possible, le MDR Parmehutu et à sa tête le Président Kayibanda recoururent constamment à la stimulation idéologique des élites, à la formation politique des populations, et à l’implantation dans la vie de celles-ci d’une mentalité et d’habitudes démocratiques souhaitées irréversibles. Ayant ainsi visé à donner progressivement aux populations une clairvoyance politique, le Président Kayibanda a dans la suite, systématiquement refusé d’emprunter pour arriver à ses fins l’un ou l’autre de ces raccourcis par lesquels tant d’hommes d’État se laissent tenter : coercitions arbitraires, démagogies,

Compromissions, manœuvres tortueuses… Dans le Rwanda démocratique tel que les veulent le Parmehutu et son chef de file, les seules valeurs politiques à terme réellement stables doivent être l’objectivité, la justice, et la loyauté au mandat de « l’émancipation des masses du peuple »

Il était assez probable que si cet effort politique était poursuivi suffisamment longtemps, il serait dans l’avenir beaucoup plus difficile à des Gouvernants et politiciens exploiteurs d’accéder au pouvoir et de s’y maintenir.

Pour lutter plus concrètement contre les défaillances et les abus intervenus au cours de ces années, divers mécanismes de contrôle ont été utilisés : censure des autorités politiques en place par un retour toujours recommencé au scrutin à la base, soit au niveau des organes nationaux, régionaux et locaux du Parti, soit au niveau du corps électoral national ou communal. Censure aussi, des autorités en place, par les organes permanents du Parti. Organisation de Commissions d’enquête spéciales. Organisation de voies de recours aussi étendues que possible pour les administrés et les justiciables. Sans compter les mécanismes répressifs ou disciplinaires.

Le Président Kayibanda, pour sa part, ne manqua jamais de fustiger les défaillances en termes sévères. Ainsi le 1erjuillet 1968, après avoir félicité chaleureusement l’ensemble des militants du Parti pour leur persévérance au service du pays, devait-il déclarer : « …L’intrigue, la corruption, les petits arrangements démagogues sont une vulgaire lâcheté; l’embourgeoisement est une ironie, une insulte à un peuple encore sous-développé et qui fait appel à ses enfants les plus favorisés, les voulant comme leaders, comme cadres techniques ou administratifs, comme animateurs dynamiques d’un progrès démocratique. (…) L’embourgeoisement, les égoïsmes, l’intrigue, cela divisera les Rwandais, cela divisera les militants de la Démocratie; mais l’émancipation de notre Peuple, cela nous unira. »

En janvier 1969, il répétera ses incitations à l’unité en exprimant le souhait que reviennent au Parti les éléments frappés par celui-ci de mesures disciplinaires pour s’être écartés de ses principes de base.

Enfin, la seconde législature toucha à son terme. Et le 28 septembre 1969, furent organisées de nouvelles élections législatives et présidentielles.

La nouvelle Assemblée issue de ce scrutin comptait, parmi ses 47 membres, 24 nouveaux venus. En outre, tous les Ministres du précédent Gouvernement sauf -un avaient sollicité et obtenu du corps électoral un mandat de Député. Quant à la Présidence de la République, elle fut une nouvelle fois confiée au candidat du MDR Parmehutu, M. Kayibanda, réélu à 99,6 % des voix.

Le 21 octobre, l’Assemblée ayant constitué son nouveau bureau,le Chef de l’État constitua un nouveau Gouvernement. Celui-ci ne comportait en fait aucune personnalité nouvelle; seules certaines permutations avaient été effectuées entre titulaires des différents Départements.

Tandis que se déroulait ainsi la vie politique, un certain nombre de mesures avaient été prises pour essayer d’améliorer l’efficacité immédiate des différents organes de l’Etat. D’abord, d’une façon générale, l’Administration avait recruté et incorporé dans ses cadres un nombre croissant de jeunes gens diplômés en bonne et due forme, et notamment de jeunes universitaires. Ensuite, dès 1964, un Centre de formation et de recyclage des cadres avait été créé à Murambi, formant ou recyclant, selon les besoins, des comptables de Préfecture, des Secrétaires et des comptables communaux, du personnel judiciaire, des agronomes, des vulgarisateurs agricoles, des agents des Postes, etc. Puis en novembre 1970, en vue de remédier à la grande pénurie de personnel judiciaire qualifié, un Centre spécial de formation judiciaire fut créé à Nyabisindu.

Dans le même temps, un grand effort fut entrepris pour assurer à l’Administration centrale et aux administrations décentralisées des locaux et des équipements convenables. De nouveaux bâtiments fonctionnels furent ainsi construits pour les Ministères des P.T.T., de la Coopération Internationale, du Commerce, des Finances; pour la Caisse d’Épargne; puis pour la Présidence de la République… De nouveaux bâtiments furent encore construits pour la Garde Nationale, la Police, les Douanes, puis pour l’installation de la nouvelle Préfecture de Gikongoro, et pour un bon nombre de Maisons Communales à travers tout le pays. Cet effort n’empêcha toutefois pas le Rwanda de rester excessivement sous-équipé en ce domaine, au détriment de l’efficacité des cadres administratifs et judiciaires.

D’autre part, l’efficacité des Administrations a été renforcée par le développement remarquable des moyens de communications intérieures et extérieures. Une pénurie restant toutefois durement ressentie en ce qui concerne les véhicules nécessaires aux services administratifs.

A partir de 1966, chaque Département Ministériel fut tenu d’établir un rapport annuel d’activité concret et détaillé. Cette obligation nouvelle avait notamment pour but de forcer chaque Service administratif à cadrer ses activités dans un programme clair, et à en confronter les résultats avec les objectifs visés. Deux ans plus tôt, le Président Kayibanda avait déjà incité ses Ministres à activer leurs Services administratifs : « Donnez des responsabilités à vos collaborateurs : Secrétaires Généraux,Directeurs Généraux, Directeurs, Chefs de Bureaux, Conseillers Techniques ; ils ne demanderont pas mieux. Suivez et dirigez leurs activités, c’est la meilleure façon d’éviter les corruptions, la passivité et les retards dans le développement national. »

Le 19 avril 1968, pour améliorer l’organisation de l’Exécutif et soulager certains Ministères excessivement vastes, furent créés deux Secrétariats d’État, chargés l’un du Plan National de Développement, et l’autre de la Fonction Publique.

Puis, le 19 mai 1969, le régime électoral fut modifié de façon à améliorer la compétence théorique des Députés et des Bourgmestres : dorénavant les premiers devraient avoir au moins le cycle complet des études primaires, ou une formation équivalente; quant aux seconds, ils devraient avoir au moins 4 années d’études primaires ou une formation équivalente… De plus, tout Bourgmestre serait dorénavant désigné par le Chef de l’Etat parmi les Conseillers communaux après proposition de ceux-ci sur la base du seul critère de son sens du développement national.

Ensuite, le 24 février 1970, le Président Kayibanda décida de créer deux nouvelles charges ministérielles, rattachées à la Présidence de la République, et ayant pour tâche de coordonner, la première toutes les Affaires Politiques et Administratives, et la seconde toutes les Affaires Économiques, Techniques et Financières gérées par les différents organes de l’État.

Enfin, le 21 février 1972, l’équipe gouvernementale fut remaniée, plusieurs personnalités nouvelles y étant introduites, et un nouveau Secrétariat d’État à la Jeunesse et aux Sports étant créé.