Les relations régionales et les problèmes de l’intégration

 Durant les premières années qui suivirent l’indépendance du Rwanda, les relations entre celui-ci et ses voisins immédiats restèrent relativement limitées.

Le Congo, en proie à d’inextricables problèmes internes, n’était pas un partenaire fort intéressant. Quant au Burundi, naguère pourtant étroitement associé, il avait très vite épousé la querelle des extrémistes de l’UNAR contre le Rwanda républicain, dans la crainte apparemment d’une contagion révolutionnaire.

C’est donc par la force des choses avec ses voisins anglophones de l’Est que le Rwanda établit ses premières relations suivies. Encore ces contacts furent-ils assez restreints dans les débuts, en raison d’une part de la «barrière » linguistique, et d’autre part du cloisonnement de fait qui, durant de si longues années, avait existé entre les différents « ensembles coloniaux».

Dès le 16 août 1962, la République du Tanganyika, devenue indépendante le 9 décembre précédent, délégua à Kigali une première Mission, conduite par M. Job M. Lusinde, alors Ministre de l’Intérieur et de la Fonction Publique. Son premier objectif était de proposer aux autorités rwandaises une révision du « bail perpétuel » jadis concédé à la Belgique par la Grande-Bretagne sur des quais portuaires à Dar-es-Salaam et Kigoma. Il était en effet devenu indispensable de procéder à une telle révision, car quelques mois plus tôt, le Premier Ministre tanganyikais, M. Julius K. Nyerere, avait déclaré nulle cette concession perpétuelle, la Grande-Bretagne ayant en l’occurrence outrepassé ses droits de Puissance Mandataire.

Dès ce premier contact, les autorités rwandaises posèrent également la question de l’ouverture entre les deux pays d’une voie de communication directe (l’ancien projet ferroviaire allemand Rusumo-Isaka étant toutefois écarté, comme trop onéreux dans l’immédiat). Elles échangèrent enfin, avec leurs interlocuteurs tanganyikais, tous les renseignements nécessaires pour coordonner les positions des deux pays vis-à-vis des réfugiés politiques, de la lutte contre le terrorisme et de l’extradition des criminels fugitifs. A la suite de ces premiers entretiens, le Gouvernement tanganyikais organisa à Dar-es-Salaam une Conférence réunissant le Rwanda, le Burundi et le Congo, pour mettre au point la réorganisation proposée des quais portuaires. Cette Conférence aboutit, le 23 mars 1963, au paraphe d’une Convention quadripartite, qui donnait ces quais en bail de 99 ans, et contre loyer symbolique de 1 Sh.EA, à une Commission Paritaire à Quatre. Dorénavant, les investissements portuaires effectués par le Congo, le Rwanda et le Burundi seraient considérés comme des prêts à cette Commission, remboursables sur les bénéfices de leur exploitation. Cette réorganisation de principe ne fut en réalité pas suivie d’effets concrets, l’évaluation des installations portuaires, base indispensable de travail, n’ayant pas été réalisée comme il l’aurait fallu.

Les relations entre le Rwanda et le Tanganyika, devenu depuis avril 1964 la République Unie de Tanzanie, prirent des dimensions nouvelles lorsqu’en janvier 1965, le Président Kayibanda envoya dans les trois États de l’Est-Africain une première « Mission de Bon Voisinage ».

Conduite par M. Balthazar Bicamumpaka, Ministre de l’Intérieur et du Travail, cette Mission put mettre au point avec les autorités de Dar-es-Salaam une série d’arrangements : non seulement un nouveau Traité d’Extradition, susceptible de faire réfléchir les « Inyenzi », mais aussi et surtout une première entente de principe pour l’ouverture d’une grand-route commerciale directe entre les deux pays. Quelques mois plus tard, l’Ambassadeur rwandais à Kampala fut accrédité en même temps à Dar-es-Salaam.

Le 11 août 1966, le grand projet de route directe entre les deux pays fit l’objet d’un Accord en bonne et due forme à l’occasion d’une deuxième « Mission de Bon Voisinage », conduite cette fois par M. Thaddée Bagaragaza, Ministre de la Coopération Internationale et du Plan. Cet Accord prévoyait la construction d’un pont à trafic international sur le Nil-Kagera à la hauteur des chutes de Rusumo. Au cours de cette Mission, furent également proposés pour la première fois à l’attention des autorités tanzaniennes un projet d’aménagement hydro-électrique des chutes du Nil-Kagera à Rusumo, ainsi qu’un projet d’Accord visant le transport aérien entre Kigali et Dar-es-Salaam.

En septembre 1967, la question des quais portuaires connut un rebondissement. La Tanzanie et la Zambie venaient en effet de s’entendre sur la construction d’un nouveau chemin de fer, le « Tazara », entre Lusaka et le port de Dar-es-Salaam. Ce dernier devrait donc à l’avenir assurer le trafic cumulé non seulement de la Tanzanie, du Congo, du Rwanda et du Burundi, mais en outre celui de la plus grande partie du commerce extérieur zambien. Cette perspective inespérée pour Dar-es-Salaam impliquait une extension planifiée de ce port et sa gestion par une autorité unique et centralisée. Dès lors, le Président Nyerere fit savoir aux Chefs d’État du Congo, du Rwanda et du Burundi qu’il souhaitait revoir entièrement, dans un cadre élargi, la réorganisation convenue en mars 1963.

Peu après, dans le courant du mois de décembre, répondant à l’invitation du Président Nyerere, le Président Kayibanda se rendit en Tanzanie pour une visite officielle de trois jours. Nouvelle étape sur la voie d’une étroite et chaleureuse amitié entre les deux pays, cette visite fut l’occasion de passer en revue à l’échelon suprême les projets d’intérêt commun : la route commerciale directe, l’aménagement hydro-électrique de Rusumo, la coopération sanitaire, les réfugiés, et enfin la réorganisation du port de Dar-es-Salaam. Quant à cette dernière question, le Rwanda acceptait les propositions tanzaniennes, en requérant toutefois une série de garanties préalables. Enfin, désireux de valoriser l’harmonie de leurs politiques, les deux Présidents convinrent de multiplier les contacts à la fois au niveau des Gouvernements, des Partis, et des institutions parastatales.

En réciprocité, le Président Nyerere fit à son tour, en juillet 1968, un voyage officiel au Rwanda, où il put visiter de nombreuses réalisations. Et cette fois encore, l’éventail de la coopération entre les deux pays s’élargit de plusieurs projets nouveaux, dans les domaines du commerce, du tourisme et de l’émigration. A la demande de la Tanzanie, le projet hydro-électrique de Rusumo fut élargi en un projet nouveau comprenant l’étude d’un plan de développement de l’ensemble du vaste bassin du Nil-Kagera. Étude dont il fut convenu de demander la réalisation au PNUD, conjointement avec le Burundi et l’Uganda.

Ainsi grâce à l’initiative rwandaise, la vallée marécageuse du Nil-Kagera, naguère obstacle infranchissable à l’intégration régionale, était en passe de devenir un trait d’union entre les pays riverains.

En mai 1969, dans la perspective de l’ouverture prochaine de la grand-route directe entre les deux pays, une Mission commerciale tanzanienne se rendit à Kigali pour échanger avec les autorités rwandaises un maximum d’informations sur les développements prévisibles des relations commerciales.

Enfin, la Tanzanie et le Congo n’ayant pu accorder leurs points de vue sur la réorganisation des quais portuaires de Dar-es-Salaam et de Kigoma, le Président Nyerere, pressé par le temps, décida de reprendre ceux-ci sous sa totale autorité à la date du 31 janvier 1971, quitte à ce que les conditions équitables de cette reprise soient convenues ultérieurement. Après cette décision, diverses conférences à quatre furent donc organisées, aboutissant finalement à une réorganisation de principe dans le cadre de l’« East African Harbours ».

En octobre 1971 encore, à la suite de la fermeture par l’Uganda de ses frontières avec le Rwanda pendant tout un mois, le Gouvernement Tanzanien mit à la disposition des autorités rwandaises un bac permettant le passage du Nil-Kagera à Rusumo sans attendre la construction du pont. Ce bac, d’une capacité de 5 à 6 tonnes, fut inauguré le 8 octobre par les Ministres des Travaux Publics des deux pays. Telles furent dans les grandes lignes les relations bilatérales développées par le Rwanda avec la Tanzanie.

Une coopération un peu semblable s’instaura durant ces mêmes années avec l’Uganda. D’abord pour le règlement du problème des réfugiés rwandais et pour la lutte contre le terrorisme « Inyenzi ». Et ensuite, pour le développement rapide des transports de transit en provenance et à destination du Rwanda. L’on a vu déjà comment, sous la direction de M. Milton Obote, Premier Ministre puis Président de la République, le Gouvernement ugandais prit à l’égard des réfugiés, puis des terroristes des mesures de plus en plus efficaces. L’on a vu aussi comment le Gouvernement rwandais, au lendemain de la rupture de l’Union Économique et Douanière avec le Burundi et des incursions terroristes soutenues par le Mwami de ce pays, fut amené à faire transiter par l’Uganda (la « voie du Nord») la quasi-totalité de son commerce extérieur.

Les multiples relations nées entre le Rwanda et l’Uganda en ces divers domaines avaient été soutenues dès 1963 par l’ouverture d’une Ambassade rwandaise à Kampala.’.

En septembre 1964, le Rwanda reçut la visite du Ministre ugandais du Plan et du Développement Communautaire, M. Adoko Neykon, venu pour tenter d’étendre la coopération économique entre les deux pays.

Les relations bilatérales apparaissaient donc assez prometteuses. Toutefois, il se fait que, malgré les bonnes dispositions réciproques, elles furent de temps à autre entravées durant ces années par l’action en coulisses de certains réfugiés de l’UNAR engagés dans des fonctions importantes de l’Administration et des Cabinets politiques de l’Uganda.

Ainsi, la première Mission rwandaise de Bon Voisinage envoyée dans l’Est-Africain en janvier 1965 ne fut-elle quasiment pas reçue par les autorités de Kampala.

Par contre, la seconde Mission du même genre envoyée au mois d’août 1966 fut heureusement beaucoup mieux accueillie cette fois par le Président Obote en personne, puis par tous les Ministres intéressés.

Les entretiens cordiaux que cette Mission eut alors à Kampala sur une large série de questions pendantes depuis plusieurs années furent suivis par des réunions au niveau technique, et permirent dans l’immédiat la coordination des Administrations respectives d’abord pour le drainage des marais de la Mulindi de part et d’autre de la frontière, et ensuite pour l’aménagement projeté de la grand-route Kigali-Kampala dans son nouveau tracé par Byumba, Gatuna et Kabale.

En octobre 1967, cette coopération s’étendit au domaine des télécommunications, une liaison par faisceau hertzien étant décidée entre les capitales respectives, dans le cadre du plan des télécommunications panafricaines élaboré au sein de l’UIT.

En mai 1969, suite lointaine de la Mission de Bon Voisinage de 1966, une Délégation commerciale ugandaise fut reçue à Kigali. Cette rencontre aboutit à la signature d’un Accord de procédure douanière, dont le projet datait de cinq ans, ainsi qu’à une série de recommandations destinées à promouvoir certains échanges commerciaux.

A partir de mai 1970, dans le cadre d’un programme général d’«ugandisation» de son économie, l’Uganda prit à l’égard des étrangers installés sur son territoire une série de mesures de rapatriement. Nombreux étaient les Rwandais et Kenyans émigrés de longue date qui auraient dû être frappés par ces mesures. Par bonheur, l’intervention du Rwanda et du Kenya pour faire rapporter celles-ci porta effet, et leur application fut en fin de compte abandonnée.

Le 17 juin suivant, le projet de modernisation de l’axe Kigali-Kampala se concrétisa par la signature d’un contrat d’emprunt de 9 300 000 $ avec l’Association Internationale de Développement (AID). Grâce à ce nouveau financement, la route jusqu’alors secondaire reliant Kigali à Byumba et Kabale serait entièrement aménagée et asphaltée, et remplacerait l’ancienne voie de Kagitumba comme axe principal entre Kigali et Kampala. La distance entre ces deux capitales serait ainsi diminuée de 73 km.

En janvier 1971, le Président Obote, en visite au Burundi, fut invité à effectuer une étape rapide à Kigali où il fut reçu par le Président Kayibanda. Il fut convenu qu’il reviendrait plus longuement en septembre suivant à l’occasion du Xe anniversaire des premières élections législatives et du référendum de 1961. Quelques jours plus tard, le Président Obote fut toutefois renversé par un coup d’état qui donna le pouvoir au Général Amin. Le Gouvernement rwandais, désireux de ne pas entrer dans les conflits internes de ses voisins, ne formula pas une reconnaissance particulière du nouveau Gouvernement ugandais. Celui-ci, qui souhaitait pouvoir s’appuyer sur des reconnaissances bilatérales pour renforcer sa position au sein de l’OUA, crut devoir exercer une certaine pression sur son voisin du Sud et ferma ses frontières durant tout un mois. Finalement, grâce à l’intervention de divers pays, dont le Kenya, l’Uganda mit fin à cette mesure, incompatible avec les principes du droit international.

Tout en entretenant avec la Tanzanie et l’Uganda ces relations bilatérales diverses, le Gouvernement rwandais entrepritbientôt d’étudier l’éventualité d’une association économique plus poussée avec eux. Appelé par tous ses planificateurs successifs à une vocation industrielle, et acculé à cette vocation par la pression démographique, le Rwanda devait en effet songer à élargir sans tarder son marché de consommation industrielle. La question était de savoir si cet élargissement pourrait se concevoir, par exemple, avec ses voisins de l’Est-Africain.

Cette question étant loin d’être mûre, le Rwanda avait, au sein de la Commission Économique des Nations Unies pour l’Afrique (CEA), défini sa position comme émargeant à la fois à la sous-région de l’Afrique de l’Est et à celle de l’Afrique du centre. Il restait de la sorte intéressé aux efforts d’intégration régionale réalisés d’un côté comme de l’autre.

En mai 1966, les États de toute la sous-région d’Afrique de l’Est, réunis sous les auspices de la CEA à Addis-Abeba, entreprirent de constituer entre eux une Communauté Économique à l’échelle de leur sous-région. En attendant la mise au point d’un Traité d’association à étudier, ils signèrent un Protocole d’association, créant un Conseil des Ministres intérimaire chargé de mener à bien leur projet. Ce dernier prit toutefois assez vite une tournure nouvelle, lorsque les premières études eurent conduit les experts de la CEA à proposer la formation de la nouvelle Communauté à partir du noyau préexistant formé par l’« East African Community » (EAC). Celle-ci groupait en effet déjà, sous des institutions communes bien au point, la Tanzanie, l’Uganda et le Kenya. A partir de ce moment, un certain nombre de pays de la sous-région de l’Afrique de l’Est (la Zambie, la Somalie, l’Éthiopie, et le Burundi) demandèrent successivement leur admission à l’EAC. Le Rwanda lui-même envoya, en octobre 1968 à Arusha (Tanzanie), la capitale communautaire de l’EAC, une Mission exploratoire, et fit réaliser diverses études sur la portée exacte d’une telle demande.

Mais tandis que s’étaient développées ainsi les relations du Rwanda avec ses voisins d’Afrique orientale, quels étaient ses rapports avec le Congo ?

Les grands bouleversements vécus par ce pays depuis 1960 étaient évidemment loin d’avoir exercé sur ses voisins une quelconque attraction économique. Aussi, les relations que le Rwanda avait entretenues avec lui étaient-elles restées limitées soit aux tentatives de règlement des contentieux nés de l’indépendance, soit à des questions à caractère plutôt politique : question des réfugiés rwandais d’abord, puis question des réfugiés congolais, européens et autres fuyant les troubles du Congo, et enfin coopération du pouvoir légal des deux pays soit contre le terrorisme « Inyenzi », soit contre les rébellions dans l’Est du Congo. Et en effet, si le Rwanda put compter sur une collaboration congolaise efficace en ce domaine, il eut lui-même à deux reprises au moins l’occasion de sauver le Kivu de l’anarchie complète en permettant le débarquement « in extremis » de renforts militaires congolais à son aérodrome de Kamembe, face à Bukavu.

A travers les péripéties de ces années, l’Ambassade rwandaise ouverte à Kinshasa en 1963 put entretenir et développer progressivement de nombreuses sympathies dans les milieux dirigeants du Congo. Toutefois, comme à Kampala, et comme à Bujumbura, ces bonnes dispositions furent par moment soumises à un certain sabotage exercé par des réfugiés de l’UNAR malencontreusement engagés à certains hauts postes de l’Administration ou des Cabinets politiques congolais.

Lorsque le Congo eut acquis, au lendemain de la prise du pouvoir par le Général Mobutu le 24 novembre 1965, une stabilité nouvelle, le Président Kayibanda décida de relancer les bonnes relations entre les deux pays. Il envoya donc à Kinshasa une première « Mission d’Amitié » conduite par son Ministre des Postes, Télécommunications et Transports, M. Otto Rusingizandekwe. Cette mission entreprit avec les autorités congolaises des discussions techniques qui aboutirent à une large entente sur une série de questions d’intérêt commun, et plus particulièrement à la signature de sept Conventions. Celles-ci organisaient la coopération des deux pays en matière de justice, de santé publique, de douane, de commerce frontalier, ainsi que pour l’usage de certaines infrastructures publiques. Il fut aussi entendu que les autorités compétentes des deux pays s’appliqueraient à étudier des projets de Conventions en matière d’établissement et de sécurité sociale, ainsi que les modalités d’une procédure accélérée de naturalisation pour les populations d’origine rwandaise émigrées jadis dans la Province du Kivu(A ce moment, la nationalité congolaise n’était pas encore légalement reconnue à ces populations. Elles ont en fait requis la nationalité zaïroise, avec effet rétroactif au 30 juin 1960, en vertu de la loi n° 72-002 promulguée par le Président Mobutu le 5 janvier 1972). Enfin, il fut aussi décidé de renforcer entre les deux pays l’entraide et la coopération, principalement en matière économique et sociale, de se consulter périodiquement pour harmoniser les politiques respectives, et de coordonner les efforts pour la réalisation de projets d’infrastructure d’intérêt commun.

Après cette Mission qui fut apparemment un sommet dans les bonnes relations entre les deux pays, le Gouvernement congolais montra un intérêt particulier pour la reconstitution d’une communauté d’intérêt entre le Congo, le Rwanda et le Burundi. Il s’efforça d’arriver à ce but tout en exerçant un rôle de conciliateur entre ses anciens partenaires. Tel fut le cas lorsqu’il organisa à Kinshasa en août 1966 une Conférence à Trois : à l’issue de celle-ci, furent signés non seulement un Accord Tripartite de coopération en matière de sécurité, mais aussi diverses Résolutions, dont la première déclarait nécessaire la création d’« une Organisation Commune ayant pour but de promouvoir entre les trois États une coopération en matières économique financière, culturelle, sociale, judiciaire et autres ».

Tel fut le cas encore lorsque le Congo organisa à Goma le 20 mars 1967, c’est-à-dire quatre mois après l’instauration de la République au Burundi, une première Conférence Tripartite au Sommet : en cette occasion, les trois Chefs d’État non seulement confirmèrent formellement leur engagement de coopérer en matière de sécurité, mais aussi évoquèrent « une solidarité intégrée au sein d’une unité plus vaste qui transcende les particularités nationales ».

La politique poursuivie par le Congo en ce sens, se trouva bouleversée et interrompue quelques mois plus tard, à la suite d’une révolte de mercenaires étrangers et d’ex-gendarmes katangais dans l’Est du Congo. Cet épisode qui provoqua une interruption de plus d’un an des relations entre le Rwanda et le Congo, mérite d’être exposé avec quelque détail.

Après avoir sillonné une bonne partie du territoire congolais, mercenaires et ex-gendarmes katangais révoltés s’était finalement retranchés, en août 1966, dans la ville de Bukavu, à deux pas de la frontière rwandaise. L’Armée congolaise éprouvant de grandes difficultés à vaincre ces adversaires qui combattaient avec la vigueur du désespoir, le Gouvernement de Kinshasa envoya M. J.M. Bomboko, Ministre des Affaires Étrangères, demander aux autorités de Kigali ce qu’elles penseraient d’exercer éventuellement une médiation en cette affaire. Peu disposé à une telle démarche, le Gouvernement rwandais refusa catégoriquement que les mercenaires transitent par le Rwanda et conseilla au Gouvernement congolais de ne pas négocier avec eux mais plutôt de les neutraliser et de prendre contre eux les sanctions légales qui s’imposent Et pour faciliter cette action, il mit une nouvelle fois à la disposition des forces armées du Congo son aérodrome de Kamembe.

En septembre, ses troupes n’ayant pas fait de progrès notable, le Congo porta son problème devant les Chefs d’État de l’OUA réunis à Kinshasa pour leur IVèmeConférence au Sommet. A l’unanimité, ceux-ci décidèrent que les mercenaires seraient évacués par tous les moyens hors d’Afrique avec la vie sauve, et que les ex-gendarmes katangais seraient accueillis comme réfugiés dans un pays africain, à la condition qu’ils déposent tous les armes.

Le Rwanda, sollicité par la Conférence de permettre l’évacuation des rebelles par l’un de ses aérodromes, surmonta ses réticences. Il accéda à cette demande par volonté de solidarité, mais non sans exiger des garanties pour la rapidité de l’opération. Pour mener l’affaire à bonne fin, la conférence de l’OUA constitua encore un comité restreint de dix pays, dont le Rwanda, tandis que la Croix-Rouge Internationale offrait ses bons offices. Katangais et mercenaires résistèrent encore tout le mois d’octobre puis, le 5 novembre, sous la pression croissante de l’Armée congolaise, ils passèrent la frontière rwandaise en jetant leurs armes. Tandis qu’ils étaient immédiatement internés,le Gouvernement rwandais adressa aux Chefs d’État du Congo-Kinshasa, du Soudan et de la Zambie, ainsi qu’au Secrétaire Exécutif de l’OUA, un télégramme demandant que leur évacuation soit assurée d’urgence : les ex-gendarmes katangais vers la Zambie (qui leur avait offert asile), et les mercenaires hors d’Afrique. Une semaine plus tard, le « comité des dix », réuni à Kigali, mit au point les modalités pratiques de l’opération : les 129 mercenaires seraient, après soigneuse identification (fiche signalétique, photos, empreintes), renvoyés dans leurs pays, ceux-ci devant pour leur part garantir leur non-retour en Afrique; et quant aux 950 Katangais, leurs femmes et leurs enfants, ils seraient invités à opter pour l’endroit de leur évacuation. Sortant de cette réunion, le Secrétaire Exécutif de l’OUA devait déclarer : « il n’est pas apparu la moindre divergence entre le Gouvernement rwandais et le comité… ».

Peu après, le Président Mobutu ayant amnistié tous les ex-gendarmes Katangais et les ayant invités à rentrer au Congo, ceux-ci optèrent unanimement pour cette destination. Quant aux mercenaires, le Président congolais demanda que leur évacuation soit suspendue jusqu’à ce que les dégâts causés au Congo aient été réparés. Puis au début de 1968, il exigea leur extradition, invoquant une Résolution prise à Kampala lors d’une récente Conférence des Chefs d’État de l’Afrique centrale. Or une telle exigence ne pouvait être acceptée par le Rwanda que si tous les Chefs d’État de l’OUA acceptaient au préalable eux-mêmes, cette modification de leur décision antérieure. Et aucune consultation n’ayant été faite en ce sens, l’affaire aboutit subitement à une impasse : le 11 janvier, le Congo rompit ses relations diplomatiques avec le Rwanda et suspendit, unilatéralement, toutes les Conventions entre les deux pays.

Pour le Rwanda, la situation était paradoxale : alors qu’il avait initialement refusé de servir d’intermédiaire pour l’évacuation des rebelles, alors qu’il avait au contraire recommandé au Congo de « les écraser sans merci », voilà qu’il devait refuser à ce même pays une extradition qui irait à l’encontre des décisions de l’OUA. En cette occasion comme en d’autres, les autorités rwandaises firent montre d’un caractère réellement inflexible. L’OUA unanime avait décidé l’évacuation, son « comité des dix » en avait fixé les modalités : il ne s’agissait donc pas de céder aux passions faciles d’« après le danger ». Dans une déclaration faite le 10 janvier 1968, le Président Kayibanda devait dire : « Nous sommes un petit pays : tout le monde le sait et nous en avons conscience. Nous sommes grands cependant par le respect des conventions, par la stabilité et la cohésion de notre ligne de conduite, par la recherche d’une négociation loyale en vue de trouver une solution réaliste aux problèmes (…) ».

En l’occurrence, l’inflexibilité du Rwanda ne manqua pas de lui valoir durant plusieurs mois un certain nombre de désagréments : rupture diplomatique du Congo, fermeture épisodique de frontières, freinage de certaines activités économiques, découragement de certains projets d’investissements étrangers (notamment touristiques)…

Par contre, lorsque l’affaire des mercenaires eut été réglée(ils furent évacués par avion le 24 avril 1968), grâce au soutien de la majorité des États de l’OUA, et notamment des États de l’OCAM, l’attitude droite, calme, et ferme du Rwanda lui attira un sentiment général d’estime.

Après cet épisode, les relations diplomatiques avec le Congo restèrent interrompues durant plus d’un an. Puis le temps ayant fait son œuvre, l’animosité du Gouvernement congolais se calma et, fin janvier 1969, à l’issue de la Conférence au Sommet de l’OCAM, les frontières entre les deux pays se rouvrirent. Quelques semaines plus tard, les relations diplomatiques étaient rétablies.

Le Congo ne tarda pas à reprendre son ancienne politique visant à créer une Organisation Commune avec le Rwanda et le Burundi. Et cette fois, à l’initiative de ce dernier, une conférence des Ministres des Affaires Étrangères des trois pays se réunit à Bujumbura en juin 1969 : des Commissions Techniques furent constituées et chargées de préparer un second Sommet à Trois envisagé pour la fin de l’année.Le Congo proposa, à cette occasion, un projet de Convention instituant une « Organisation de Coopération Economique en Afrique Centrale », comprenant budget annuel, Secrétariat Général, commission d’arbitrage, Conseil des Ministres, et Conférence des Chefs d’État…

De son côté, le Rwanda marqua sa préférence pour une méthode d’action différente. A ses yeux, il importait en premier lieu de réaliser ensemble des projets concrets d’intérêt commun : ensuite se dessinerait d’elle-même l’institution commune la plus appropriée.

Le deuxième Sommet des trois pays se tint à Gisenyi les 18 et 19 décembre 1969, après une réunion introductive des Ministres des Affaires Étrangères. Le Chef de l’État rwandais, qui lors de son discours d’ouverture avait parlé de « la nécessité d’une réaliste lenteur », préféra maintenir la position pragmatique déjà adoptée par son pays. Et c’est finalement à cette position que se rallièrent les Présidents Mobutu et Micombero. La Résolution finale signée le 19 décembre par les trois Chefs d’État put en effet se résumer comme suit : « tenant compte des expériences antérieures et des difficultés de fonctionnement de tels ensembles », les Ministres des Affaires Étrangères respectifs se réuniront d’une part pour synthétiser les résultats des travaux préparatoires, et d’autre part pour « proposer l’exécution, suivant un ordre de priorité établi de commun accord, des projets concrets intéressant (les) trois pays ».

Pour donner suite à cette Résolution, une Commission tripartite de Coordination se réunit d’abord, à Bujumbura en janvier 1971. Elle fut suivie, au mois d’avril, par une Conférence tripartite des Ministres des Affaires Étrangères, qui mit la dernière main à un projet de Résolution à soumettre aux trois Chefs d’État, projet prévoyant « la création d’un Comité permanent de coopération ». Devant se réunir deux fois par an, ce Comité aurait pour tâche d’élaborer des projets communs, de suggérer les sources de financement à solliciter, de suivre leur réalisation, de préparer les réunions tripartites, etc. Une liste de projets concrets d’intérêt commun fut également préparée.

Tel fut à peu près, jusqu’à la fin de l’année 1971, le cheminement des relations entre Kigali et Kinshasa.

Quant à son quatrième voisin, le Rwanda ne put établir avec lui de rapports réellement positifs qu’à partir de 1967. L’on a vu, en effet, que depuis fin 1963, la température de ces rapports avait été à peu de chose près celle des incursions « Inyenzi ». Le coup d’État du 28 novembre 1966, qui fit du Burundi une République et qui mit à sa tête le Président Micombero, rendit tout au moins possible un rapprochement entre les deux pays. Et ainsi qu’on vient de le voir, ce rapprochement prit tout d’abord la forme d’une coopération à trois avec le Zaïre.