Stabilisation des réfugiés et liquidation du terrorisme « Inyenzi »

 L’on se souvient qu’à la veille de l’indépendance, le problème de la réinstallation des personnes déplacées à la suite des événements de 1959 avait connu un certain apaisement.

A l’intérieur du pays d’une part, beaucoup de ces personnes avaient pu être réintégrées dans leurs Communes et remises en possession de leurs terres, après que le Gouvernement eut incité les populations à la mansuétude. De plus, à l’instigation des autorités communales, de nombreuses habitations incendiées lors de la Révolution et appartenant à ces personnes, avaient volontairement été reconstruites par les populations Hutu. Quant aux personnes dont l’attitude passée rendait toute éventualité de retour en Commune insupportable pour leur ancien voisinage, elles avaient reçu gratuitement des terres, des habitations, des équipements et une aide alimentaire provisoire dans des paysannats créés à leur intention à Nyamata et Rukumberi.

 D’autre part, les personnes réfugiées dans les pays voisins avaient été semblablement réinstallées dans des paysannats avec l’aide des autorités de ces pays, ainsi que de plusieurs organisations internationales de secours : le Haut-Commissariat des Nations Unies aux Réfugiés, la Croix-Rouge internationale, Caritas Catholica, l’Union des Eglises Protestantes, l’Oxford Committee for Famine Relief, etc. La stabilisation des personnes déplacées obtenue par ces diverses mesures avait abouti, dans les derniers mois ayant précédé l’indépendance, à un considérable ralentissement des retours de réfugiés dans le pays. Et le coûteux dispositif d’accueil mis en place en 1961 avait pu être supprimé en juin 1962, les rapatriés volontaires devant dorénavant se présenter aux Services ordinaires de l’Immigration aux frontières, et aux administrations des Préfectures périphériques, selon une procédure qui fut améliorée au courant des années suivantes. Mais cette stabilisation, qui n’avait pas été sans peine, restait journellement troublée par les consignes données en sous-main par les leaders extrémistes de l’Unar. Selon ces consignes, les personnes réinstallées dans des paysannats à l’intérieur comme à l’extérieur du pays devaient notamment s’abstenir de cultiver, et de poursuivre leur installation : se tenant ainsi prêtes à combattre, et à restaurer l’ancien régime des Bami. Et dans tous les paysannats, des groupes de jeunes gens détruisaient à la faveur de la nuit les plantations qui avaient pu être faites durant le jour à l’encontre des consignes.

Cette attitude négative imposée aux réfugiés par leurs leaders les plus extrémistes aboutit bientôt à irriter à la fois les autorités des pays d’asile et les instances internationales, déçues de voir leur aide coûteuse délibérément gaspillée. En juillet 1963 encore, les réfugiés installés au Tanganyika durent être invités officiellement par les autorités de ce pays à travailler pour vivre et à ne plus être une charge pour l’État tanganyikais. Une attitude semblable dut être prise par les autorités ugandaises. Et le Haut-Commissariat des Nations Unies aux Réfugiés se vit recommander par ses propres experts de cesser son aide alimentaire aux réfugiés installés au Burundi et au Kivu, afin de vaincre leur inactivité délibérée « dans les champs qui leur ont étépréparés, avec les outils qui leur ont été donnés, près des habitations qui leur ont été construites ». Au Rwanda même, les récalcitrants avaient dès avant l’indépendance été contraints de travailler sous la menace faite par l’autorité de couper radicalement les vivres.

En fait, les efforts déployés par les leaders extrémistes de l’Unar pour empêcher la masse des réfugiés de se stabiliser constituait une disposition stratégique de base. S’appuyant sur ces forces en principes mobilisables, ils croyaient pouvoir réaliser un jour ou l’autre le grand coup qui permettrait la restauration de leur pouvoir. En attendant ce grand coup, ils poursuivirent et s’efforcèrent d’amplifier leurs anciennes activités terroristes : rien qu’en avril 1962, une quinzaine d’attentats furent ainsi perpétrés de nuit en Préfectures de Byumba et de Kigali à partir des camps de réfugiés de l’Uganda. Les autorités de ce pays, qui n’avait pas encore acquis son indépendance, décidèrent alors de prendre une série de mesures de sécurité. En premier lieu, elles écartèrent les camps de réfugiés, auparavant installés jusqu’à un mile de la frontière, à un minimum de 5 miles. Ensuite, elles interdirent le mouvement politique des « Inyenzi ». Et enfin, elles expulsèrent du pays plus de 20 réfugiés politiques suspectés d’avoir trempé dans les attentats terroristes. Au Tanganyika, des mesures similaires furent prises : les groupements de réfugiés furent éloignés de la frontière, scindés et dispersés; des terroristes furent extradés et livrés à la Justice rwandaise; etc.

Peu après, le Rwanda étant devenu indépendant et ne pouvant donc plus compter que sur ses propres forces militaires, les leaders « Inyenzi », réunis depuis peu par Kigeri au sein d’un « gouvernement en exil » (De ce « gouvernement », faisaient notamment partie, selon Lemarchand (p. 203), Fr. Rukeba, ler Ministre, et un certain Hamoud ben Salim, Ministre de la « défense ») , s’enhardirent. Apparemment illusionnés par le succès des petits attentats terroristes, commis pour la plupart sans risques dans des régions retirées et sans défense, ils résolurent de tenter des opérations de plus grand style.

Le 4 juillet d’abord, une centaine de terroristes venus duKivu où ils avaient pu échapper à la surveillance des forces de l’ordre congolaises, s’infiltrèrent dans la forêt du Karisimbi et y plantèrent leur camp.

Rapidement repérés et signalés aux autorités locales, ils furent approchés par un peloton de la Garde Nationale et par une section de policiers. Surpris et soumis à un terrible feu croisé, ils n’eurent pas le temps de résister : un tiers d’entre eux resta sur le terrain, un autre tiers fut fait prisonnier, et les autres prirent la fuite.

Une deuxième opération de la même envergure fut tentée, quelques jours plus tard, le 17 juillet. Cette fois, une soixantaine de terroristes venus de l’Uganda et du Tanganyika tentèrent de surprendre deux sections de la Garde Nationale campant à Nyagatare. Leur projet ayant été éventé, ils tombèrent eux-mêmes dans une embuscade, et sous un feu si nourri qu’aucun prisonnier ne put être fait. Seuls les chefs de l’expédition, restés en retrait, purent s’échapper.

Ces deux opérations terroristes poussèrent les autorités de Kigali à renforcer leur dispositif militaire. La Garde Nationale reçut de nouveaux équipements. En janvier 1963, des forces militaires de réserve furent organisées, en dix circonscriptions aisément mobilisables. Puis, au mois de juillet suivant, le commandement supérieur des troupes fut remis entre les mains du Lieutenant Juvénal Habyalimana, le plus brillant élément de la première promotion d’Officiers.

Quant aux « Inyenzi », ils restèrent, après leur double échec durement ressenti de juillet 1962, comme privés de forces durant près d’un an. En mai 1963, des disputes survenues au sein de leur « gouvernement en exil » entraînèrent un remaniement de celui-ci, et dès lors, une nouvelle opération terroriste d’envergure fut activement préparée, le but poursuivi étant d’empêcher le bon déroulement des élections communales prévues au Rwanda pour le mois d’août suivant.

Les plans de cette opération furent heureusement une nouvelle fois éventés. Et cette fois, les autorités de l’Uganda (devenu indépendant en octobre 1962) réagirent vigoureusement.

Le 1er août 1963, le Premier Ministre Oboté adressa aux réfugiés politiques rwandais un avertissement solennel : « Nous n’avons pas l’intention, déclara-t-il, dans le contexte de l’esprit et de la Charte d’Addis-Abeba , de permettre que l’Uganda soit utilisé comme une base pour des agressions ou subversions contre aucun État africain… Si l’on abuse de notre hospitalité, et si des réfugiés utilisent ou tentent d’utiliser l’Uganda comme une base pour attaquer nos voisins, nous n’aurons pas d’autre alternative que de retirer la protection que nous avons accordée à ces gens. »

« Il devrait être bien compris, dit-il encore, qu’il est de l’intérêt de tous les réfugiés de dissuader, de contrôler et de signaler à la police tous terroristes se trouvant dans leurs rangs. Si cela n’est pas fait volontairement et sans délai, alors mon Gouvernement se considérera comme en droit de (renvoyer les réfugiés vers leur pays d’origine). »

Le même jour, le Gouvernement ougandais prit à l’égard de plusieurs réfugiés compromis, parmi lesquels l’ex-Mwami Kigeri, une mesure de déportation à exécuter dans les 48 heures. Il était apparu en effet que Kigeri, qui vivait depuis près d’un an à Kampala, avait noué des liens étroits d’amitié avec le Kabaka du Buganda et son Ministre des Finances, recevant d’eux une aide qu’il utilisait probablement à financer les activités des «Inyenzi ».

Dans le même temps, le Gouvernement ougandais décida d’interdire l’« Organisation de la Jeunesse Rwandaise », considérée comme dangereuse pour la paix et le bon ordre, et qui, selon le journal « Uganda Nation », était « simplement une couverture pour exactement la même sorte d’activité que celle menée par le mouvement « Inyenzi ».

Peu après ces diverses mesures, Kigeri, qui avait, dit-on, reçu de Chine communiste une somme de 120 000 $, en aurait adressé 23 000 à son «Ministre de la défense », Fr. Rukeba. Celui-ci, qui se trouvait alors dans le Kivu congolais et y fraternisait avec les rebelles de Soumialot, fut bientôt suspecté d’avoir, avec un comparse, mis cette somme en poche. Et ce serait – selonun bruit largement répandu dans la suite – pour tenter d’en « justifier » l’usage, qu’il aurait alors organisé avec l’aide des rebelles congolais et de certains politiciens burundais (arrosés, dit-on, par les diplomates de la Chine Populaire à Bujumbura) les déplorables incursions de décembre 1963 contre le Rwanda.

Ces incursions commencèrent par un faux départ. Le 14 novembre, un fort contingent de réfugiés politiques, embrigadés et armés par Rukeba, se rassembla au Burundi et prit la direction de la frontière rwandaise. Heureusement, certaines Ambassades étrangères ainsi que le représentant du Haut-Commissaire des Nations Unies pour les Réfugiés à Bujumbura, mis au courant, exercèrent une vive pression sur le Gouvernement burundais. Et celui-ci dut faire intercepter les assaillants par sa Police et les renvoyer d’où ils étaient partis. Un stock d’armes à feu et de munitions fut saisi en cette occasion, tandis que quatre meneurs, dont Rukeba, étaient appréhendés. L’extradition de ceux-ci fut aussitôt demandée par le Rwanda, mais au lieu d’être livrés à la Justice, ils furent bientôt relâchés.

Un mois plus tard, les mêmes « Inyenzi » se trouvaient prêts pour une nouvelle tentative. Dans la nuit du 20 décembre, une nombreuse bande armée franchit la frontière Sud du Rwanda, pénétra dans la région du Bugesera, et y massacra par surprise la petite garnison installée sur le chantier du futur camp militaire de Gako. Elle progressa ensuite jusqu’à Nyamata, où elle perdit un temps précieux à fêter sa rencontre avec les occupants Tutsi du paysannat. Cette perte de temps permit au Haut-Commandement de la Garde Nationale, prévenu entre-temps, de verrouiller le pont de Kanzenze sur le Nil-Nyabarongo et, en une journée, de refouler les assaillants jusqu’à la frontière du Burundi. Plusieurs centaines d’« Inyenzi » et une poignée de rebelles congolais furent abattus au cours de cette opération.

Mais l’incursion terroriste du Bugesera devait, selon les plans des « Inyenzi », coïncider avec diverses attaques-éclairs réalisées à partir des camps de réfugiés du Congo et de l’Uganda. Leurs commandos du Sud et du Nord devaient en principe réaliser leur jonction à Kigali, suivant l’axe Mutara-Buganza-Bugesera (trois régions à forte population Tutsi). En réalité, l’intervention des autorités congolaises et ougandaises, et un fatal manque de coordination dans les dates, empêcha ces projets d’aboutir. En région de Cyangugu d’une part, seul un groupe réduit parvint à pénétrer au Rwanda, pour y être d’ailleurs très vite neutralisé. Sur la frontière Nord, les troupes ougandaises interceptèrent un important groupe d’« Inyenzi », mais un second groupe, fort de quelque 600 hommes, put entrer en territoire rwandais dans la région de Rubilizi-Rwempasha. Rapidement localisé, il fut pris à partie par la Garde Nationale rwandaise et refoulé vers la frontière, la moitié de son effectif restant sur le terrain.

L’épisode des incursions terroristes de décembre 1963 ne se limita malheureusement pas à ces combats. En effet, pour compléter et appuyer leur action, les « Inyenzi » avaient imaginé de recourir à la guerre psychologique, et de désorganiser le pays en y créant la panique. Ils avaient donc chargé un certain nombre de leurs adeptes de s’infiltrer en Préfectures de Gikongoro et de Butare, et d’y répandre, au lendemain de l’attaque du Bugesera, la fausse nouvelle d’une restauration du pouvoir du Mwami à Kigali et d’une victoire des terroristes.

Apparemment inconscients du danger qui devait découler d’une telle entreprise, les émissaires de l’Unar en exil commencèrent donc leur campagne de faux bruits : et ce faisant, ils vouaient délibérément à la mort un grand nombre de leurs frères de race qui, jusque-là, menaient dans le pays une vie paisible. C’est qu’en effet, avec la peur, naquit dans les régions atteintes par cette campagne une terrible et incontrôlable colère populaire. Et l’inévitable arriva : dans ces régions, de nombreux habitants Tutsi furent massacrés par les populations Hutu.

Dès le début de cette réaction populaire, les autorités de Kigali s’efforcèrent de rétablir le calme et la raison. Des réunions de Préfets, de Bourgmestres et de conseillers communaux furent organisées, tandis que chaque Préfecture était confiée à un Ministre chargé d’y apaiser les esprits. D’autre part, dès qu’elles furent disponibles pour cette tâche, la Garde Nationale et la Police furent lancées dans les campagnes pour y éteindre l’agitation.

Mais, comme l’on devait s’y attendre, ces diverses mesures ne purent empêcher le massacre de nombreux innocents.

Écrasés sous l’avalanche des maux, les leaders « Inyenzi »n‘eurent plus à ce moment que la ressource de crier. Et ils crièrent. Ils crièrent au génocide, au crime, à l’infamie. Partout où ils avaient des adeptes, ils lancèrent contre le Gouvernement de Kigali mille accusations, comme s’ils n’étaient eux-mêmes que d’innocentes brebis persécutées.

A ces cris s’ajoutèrent bientôt ceux du Gouvernement du Mwami du Burundi. Après avoir, quelques jours auparavant, provoqué la rupture de l’union économique avec le Rwanda, il tenait en effet à masquer autant que possible l’aide qu’il avait simultanément accordée aux « Inyenzi ». La radio de Bujumbura s’attacha dès lors, plusieurs mois durant, à répandre un flot de récits horrifiants, d’insultes et de calomnies contre la République Rwandaise et contre le Président Kayibanda. A travers le monde, plusieurs journaux à sensation s’empressèrent de reprendre ces récits hauts en couleurs, sans s’être souciés d’en vérifier l’exactitude : on put lire dans leurs colonnes qu’il y avait eu au Rwanda « 8000 tués par jour depuis le début des troubles », ou encore « 18000 géants Tutsi exterminés », ou encore «8000 cadavres charriés par la Rusizi »…

Le Secrétaire Général des Nations Unies, U Thant, saisi de la question par le Président rwandais, envoya sur place un Représentant Spécial en la personne de M. Max Dorsinville. Et quelques semaines plus tard, celui-ci fut à même de rédiger, après une enquête objective, un rapport qui non seulement lavait les autorités rwandaises de toutes ces accusations mensongères, mais qui dans le même temps dénonçait les exagérations peu scrupuleuses de la presse à sensation. Il fit notamment un sort aux 8000 cadavres de la Rusizi et les ramena à « 7 », en tout et pour tout, se référant au témoignage donné par la Police de Bujumbura elle-même. Évoquant les massacres qui avaient eu lieu dans certaines régions du pays, il put en outre déclarer formellement que « ces actes brutaux ne furent en aucune manière dictés par le Gouvernement de Kigali, mais qu’ils eurent plutôt lieu dans des régions sur lesquelles le Gouvernement avait peu de contrôle en raison du manque de troupes ».

Afin de réparer autant que possible le mal causé au pays par les accusations mensongères, le Président de l’Assemblée Nationale, M. Anastase Makuza, effectua alors une tournée en Afrique et en Europe occidentale pour y donner une série de conférences de presse.

Mais que devenait Kigeri durant ce temps-là? Toujours désireux de profiter de l’aide financière et « technique » que lui avait offerte, dit-on, la Chine Populaire, il avait, en novembre, gagné Pékin dans le même temps qu’un premier groupe d’une dizaine d’«Inyenzi» venus recevoir un court entraînement à la guerilla. Au retour de ce voyage, il se retrouva indésirable en Uganda, interdit de séjour au Tanganyika, et il s’installa finalement dans une villa à proximité de Nairobi. Quelque temps après les incursions terroristes manquées de décembre 1963, il regagna Pékin, où il parvint encore à entretenir les illusions que les autorités chinoises nourrissaient sur son compte : il continua par conséquent à en recevoir une aide en finances (17 000 £ auraient été versées à son compte personnel à Dar-es-Salaam en juin suivant par les Affaires Étrangères de Pékin), ainsi qu’en armes et en munitions.

Mais en réalité, il semble que dès ce moment, non seulement son ancien «gouvernement en exil » mais encore la plupart des leaders de l’Unar lui firent défaut. Cette désaffection lui venait à la fois du découragement général de ses anciens adeptes, et de leur ressentiment face à ses continuels et coûteux voyages et à sa prodigalité. Les gaspillages financiers furent d’ailleurs l’occasion d’importantes dissensions entre leaders, et notamment entre Rukeba et Kayihura, le premier accusant le second d’avoir avec son « ministre des finances » gaspillé les quelque « 100000 $ représentant le montant total des fonds que l’Unar avait recueillis au cours des années, directement ou indirectement, du Catholic Relief Fund, de l’Oxford Committee for Famine Relief et de divers pays communistes ou neutres ».

Au Rwanda, il s’agissait à présent de tirer la leçon de l’aventure. Attaquant le problème à la base, le Gouvernement rwandais demanda au Haut-Commissariat des Nations Unies pour les Réfugiés de veiller à la stabilisation des groupes de réfugiés rwandais et, en collaboration avec l’Administration du Burundi,de neutraliser les meneurs qui entraînaient les émigrés à se livrer au terrorisme.

Au cours des années suivantes, le terrorisme « Inyenzi » réapparut encore épisodiquement, mais sous une forme que l’on pourrait qualifier de bénigne. Prenant toujours pour base le Burundi, qui lui accordait plus discrètement son appui, il suivit en fait les fluctuations de la politique intérieure de ce pays. Il put ainsi se manifester par exemple en janvier 1966, lors d’une crise anti-républicaine du Gouvernement de Kitega, qui avait peu avant, par le massacre des leaders Hutu burundais, provoqué l’exode de quelque 2000 réfugiés Hutu vers le Rwanda.

En cette occasion, un groupe d’« Inyenzi », commandé par Hamoud, fit une incursion en Préfecture de Cyangugu, à Bweyeye, où il se fit contrer par la Garde Nationale. Une quarantaine de terroristes furent tués, et un certain nombre d’armes furent saisies.

Conscient de ce que le progrès de tout État africain était conditionné par la paix et l’entente avec chacun de ses voisins, et répondant favorablement aux sollicitations faites en ce sens par les autres membres de l’OUA, le Rwanda se montra toujours et malgré tout disposé à une réconciliation et à l’ouverture de relations diplomatiques avec le Burundi.

En avril 1966, il invita le Gouvernement de ce pays à participer à Gisenyi à une Table Ronde, et au cours de celle-ci proposa notamment la conclusion d’un Accord de coopération en matière de sécurité. Les négociateurs burundais ne voulurent toutefois pas aboutir à un engagement concret, affirmant n’avoir pas reçu les pleins pouvoirs nécessaires. Cette Table Ronde fut suivie, le 29 août à Kinshasa, d’une Conférence tripartite au cours de laquelle le projet d’Accord fut finalement signé par les deux pays en même temps que par le Congo. Mais du côté burundais, l’on n’en continua pas moins à fermer les yeux sur les activités en pleine recrudescence des terroristes. Le 20 septembre, une nouvelle incursion terroriste s’effectua à partir du Burundi, via la Tanzanie, à Gafunzo en Préfecture de Kibungo, où elle fut rapidement dispersée. Puis le 31 octobre, environ 300 « Inyenzi » s’attaquèrent de nuit au camp de la Garde Nationale à Gako, et laissèrent 5 des leurs sur le terrain. Puis le 7 novembre, une nouvelle attaque de nuit fut dirigée contre le peloton de Nemba,qui perdit 2 hommes contre 4 aux «Inyenzi ». Et enfin, une semaine plus tard, environ 500 «Inyenzi» s’infiltrèrent en Préfecture de Gikongoro et dans la forêt de montagne, d’où la Garde Nationale dut les déloger par une vaste opération de nettoyage. Cette recrudescence des attaques « Inyenzi » à partir du Burundi entraîna le rappel sous les drapeaux, le 22 novembre, des réservistes de Butare et de Gikongoro. Décision fut prise d’acheter un certain nombre d’auto-mitrailleuses blindées et d’hélicoptères, devant permettre des interventions rapides à n’importe quel point du pays. Et l’on put craindre un conflit ouvert entre le Rwanda et son voisin du Sud. Le Gouvernement rwandais ayant avisé de ce nouveau danger la Conférence des Chefs d’État de l’OUA, celle-ci chargea alors le Congo d’une mission de médiation.

Et voilà que subitement le 28 novembre 1966, un coup d’État éclata au Burundi : le Mwami y fut renversé et la République proclamée.

Au Rwanda, la nouvelle fut accueillie avec un vif contentement. Le Président Kayibanda fut l’un des tous premiers à reconnaître « de facto » le nouveau Gouvernement de Bujumbura et à adresser un télégramme en ce sens au nouveau Président de la République du Burundi, le Capitaine Micombero.

Dès ce moment, de nombreux contacts s’établirent entre le Rwanda et le Burundi; et bientôt, à l’occasion d’une Conférence organisée le 18 mars 1967 à Goma par les bons soins du médiateur congolais, les Chefs d’État des deux pays, pour la première fois depuis le 1erjuillet 1962, se donnèrent sincèrement l’accolade. Dans une Déclaration commune, les Chefs d’État du Rwanda, du Burundi et du Congo s’engagèrent ensemble à respecter scrupuleusement l’Accord de Sécurité du 29 août 1966, à prendre des mesures énergiques pour empêcher tout trafic et détention d’armes par les réfugiés politiques respectifs, et à sommer les dits réfugiés de remettre leurs armes à l’autorité officielle endéans un mois.

Ainsi, au moment où se dessinait le prélude d’un rapprochement entre le Rwanda et le Burundi, le terrorisme « Inyenzi » sembla s’anémier définitivement.