Imana, l’Être suprême.

Selon FESTUS, dans un texte sans doute emprunté au Livre des Pontifes, religiones stramenta erant: les religions étaient des nœuds de paille, des tabous, et sans doute aussi des noeuds de paille avec lesquels étaient nouées les pièces du Pons Supplicius, c’est-à-dire le Pont que les Pontifes devaient entretenir sur le Tibre. Religio se rattache à la même racine que religare: relier. Subjectivement, la religion est l’idée et le sentiment d’une dépendance à l’égard d’une ou de plusieurs puissances personnelles supraterrestres avec lesquelles on prétend entrer en relations. Objectivement, c’est l’ensemble des actes extérieurs dans lesquels s’exprime la religion subjective et par lesquels elle se manifeste : prière, sacrifices, sacrements, liturgie, ascèse, prescriptions morales.

La religion rattache l’homme au monde surnaturel ; de plus, il n’y a pas de religion sans culte, car elle proclame certains préceptes. Elle dicte un code de choses défendues. Elle légifère sur la sanction des actes et le rachat des fautes. Elle rattache ses propres sanctions à celles de l’autorité supérieure, éternelle, divine, au nom de qui elle parle. Dans le même sens, la religion c’est l’ensemble des croyances et des pratiques par lesquelles l’homme reconnaît le monde surnaturel, s’acquitte envers lui de ses devoirs et lui demande son assistance ; les croyances, les pratiques superstitieuses, les charmes, les maléfices ne sont pas de la religion, mais de la magie.

Le rappel de ces définitions de la religion était indispensable avant d’aborder l’étude des phénomènes religieux chez les indigènes primitifs du Ruanda-Urundi. A proprement parler, il n’existe pas de religion reliant ces primitifs à un être supérieur, en dehors des religions chrétienne et islamique d’introduction toute récente.

Hormis une prescience de Dieu = IMANA, nous ne trouverons au Ruanda-Urundi que le culte païen des ancêtres, ainsi que celui des esprits divinisés, et enfin la magie.

Le Munyarwanda et le Murundi croient en un Être suprême, créateur et ordonnateur de toutes choses ; ils lui donnent le nom d’IMANA.

ASIRELLI a cru pouvoir identifier ce nom avec celui de MANA de Mélanésie et de Polynésie. Si l’on considère que le « I » n’est qu’un préfixe, il y a identité de nom et en outre similitude de sens : le MANA océanien est la force sacrée, obscure, mystérieuse, dominant les manifestations les plus variées de la vie universelle. D’autre part, le R. P. JOHANSSEN (Die Gottesvorstellung eines Bantusvolkes, dans Miss. Zeit., 1923) démontra d’une façon assez précise qu’ImANA n’est associé à aucun mythe, ni solaire, ni lunaire, ni lié à un culte des morts des ancêtres.

Pour MAUSS, la notion de MANA apparaît tout à fait universelle. C’est CODRINGTON qui a signalé l’existence de la notion de MANA chez les Mélanésiens de l’Ile Banks. MANA y veut dire autorité, en même temps que chose spirituelle ; est mana l’objet ou l’esprit qui exerce un pouvoir sur l’individu (2 ).

De même, le chanoine DE LACGER a établi un rapprochement entre l’IMANA du Ruanda et le MANA mélanésien; il a même conclu qu’il n’était pas un mot de la langue des Grands Lacs.

Nous croyons, au contraire, qu’ImANA est bien un vocable purement local dérivé du verbe « Kumenya »: savoir, connaître, et notre affirmation se renforce par le fait que Dieu est appelé KAMANYA (celui qui sait tout) chez les Babende du Tanganyika Territory.

ASIRELLI abonde dans le même sens en disant : seraitce beaucoup errer que de faire remonter ce mot mana à une racine man, men : qui signifie : savoir, penser, répandue en Afrique et en Asie. Notons que cette racine se retrouve également en latin et en français dans le mot mânes, dans l’adjectif immanent : qui existe, réside, agit par soi-même. Aux îles Samoa, « manao » signifie « vouloir », «manatu » veut dire « penser, se souvenir ». En Afrique centrale, chez les Nandi, « iman » signifie « vérité », chez les Wasandwi, on invoque Dieu en disant : « Warangwe amana»: «Dieu le sait ». Comme le fait très bien remarquer ASIRELLI, avec IMANA, nous avons rejoint un terme qui paraît représenter une des grandes phases, sinon la dernière, de la religiosité africaine. Il est un des points d’aboutissement de la croyance au Dieu céleste, de ce monothéisme primordial, hors d’état de sortir de la sphère du mythe pour arriver à celui du pur concept et de l’idée pure de la divinité, sans que cela toutefois interdise de penser que l’homme primitif n’y puisse accéder (voir LANG, le R. P. SCHMIDT). Toutefois, il s’agit d’un monothéisme sans temples ni autels, ni sacerdoce.

Le chanoine DE LACGER  nous a fourni une remarquable étude sur l’IMANA du Ruanda. Le R. P. ZUURE a, de son côté, publié une étude approfondie sur la même matière. Le chanoine DE LACGER signale que l’un des synonymes d’IMANA est GIHANGA. Il nous semble évident que l’on se trouve cette fois en présence d’un terme non autochtone, mais introduit par les Batutsi-Bahima qui, au Bunyoro (Uganda) et au lac Victoria désignent Dieu sous le nom de RUHANGA ou de NYAMUHANGA. Gi- est un préfixe augmentatif. GIHANGA est également le nom d’un mwami mythique du Ruanda. RUHANGA signifie le créateur, il dérive du verbe guhanga: faire apparaître, susciter, créer. Nous y reviendrons. Le nom d’IMANA est parfois remplacé par celui de RULEMA, KALEMA, MUREMA, autant de formes dérivées du verbe kulema signifiant créer, produire.

Pour l’indigène, IMANA est partout : Ntaho Imana itari : il n’y a pas d’endroit où IMANA ne soit. Il est donc universel et omniprésent.

L’indigène croit en la providence d’IMANA, cette croyance se retrouve inscrite dans certains noms qu’il donne à ses enfants : HARORIMANA : IMANA Voit (l’avenir) — BIZIMANA : IMANA sait (toutes choses) — HAVUGIMANA : IMANA prédit — BYIMANA, CYIMANA, BIGIRIMANA, KAMANA : (l’enfant est une petite chose) de Dieu

— NYIRIMANA : rétentrice d’ImANA — NGENDAHIMANA : IMANA avec nous — NYIRANTEZIMANA : IMANA y pourvoira.

IMANA est censé venir en aide aux devins-guérisseurs. Selon le proverbe : Haragura Imana, hakiza Imana, ariko, abapfumu bakayifasha, c’est Imana qui agit, qui éclaire, les devins guérisseurs ne sont en cela que ses instruments.

Les Barundi disent d’IMANA : Itanga vyinshi, ntitanga rimwe: Il offre beaucoup, il n’offre point qu’une fois.

Il donne la fertilité aux champs, les veaux aux vaches et les enfants aux femmes. A cette fin, celles-ci déposent un peu d’eau dans une cruche qui doit demeurer constamment dans la hutte : c’est l’eau d’IMANA.

IMANA est infiniment bon, rien de mauvais ne peut arriver par lui. Si un malheur survient, c’est qu’IMANA s’est retiré. Les indigènes ont une confiance illimitée en sa générosité et ils l’ont inscrite dans leurs proverbes qui datent tous d’avant la pénétration européenne.

Ugende, Imana izagusohoze, izakuzane: Pars, IMANA sera ton étoile et te conduira (au terme de ton voyage).

Iyo, mbona Imana : Dieu me garde.

Imanga y’ Imana iruta ikigarama ciijisho : Mieux vaut courir au précipice avec IMANA que marcher en plaine sans lui.

Ntawiha icyo Imana itamuhaye: On ne peut posséder que ce qu’il plaît à IMANA de donner. Kumana : Adieu.

Le nom d’IMANA n’est jamais blasphémé. Et, puisqu’IMANA est créateur, qu’il est bon et providentiel, son nom sera donné, par extension à des personnes, des objets, des arbres, des animaux dont on attend un pouvoir bénéfique, pacifique ou créateur, comme s’ils étaient la représentation ou l’incarnation d’IMANA.

Sont IMANA : le Mwami, certains Européens généreux, les faiseurs de pluie et les bénisseurs de cultures. Sont IMANA le taureau étalon d’un troupeau de vaches, le mouton blanc Nyirabuhoro, insigne de la paix divine. Sont IMANA OU  amamana les animaux : taurillons, béliers, poussins destinés à la divination par la consultation des entrailles ; par extension, seront IMANA ces entrailles mêmes, si elles se révèlent d’augure favorable et tout spécialement le nodule de graisse blanche, trouvé bien en place sur un repli du mésentère par le sacrificateur : c’est le « MANA blanc)) ou Imana yeze. Celui-ci sera recueilli et déposé dans la hutte ou porté au cou en qualité de charme IMANA. Parfois il était enterré à l’endroit propice à la construction d’une hutte, plus tard lorsque les ficus formant l’enceinte avaient pris racine et s’élevaient majestueusement vers le ciel, ils prenaient également le nom d’IMANA.

Sont IMANA le tambour Karinga; enseigne de la monarchie, IMANA les charmes en fer Nyarushara sur lesquels le Mwami s’endormait le soir ; IMANA, le taurillon et le bélier qui tiraient de la fosse le Mwami et sa mère lors de la cérémonie annuelle de l’expiation nationale.

Par extension toujours, il existe une apostrophe : Imana mbi signifiant littéralement « le mauvais Dieu » ; en fait, il faut y voir tout simplement l’expression du mauvais sort, de la déveine qui frappe quelqu’un ou des présages maléfiques qui s’annoncent. Cette locution ne signifie nullement qu’il existe un second Dieu.

Existe-t-il un culte à IMANA ?

Comme nous l’avons déjà dit, il n’existe aucun culte public organisé, ni temples, ni autels, ni sacerdoce en faveur d’IMANA. Notons toutefois que le repos dominical était observé par la population tous les cinq jours et que cette journée était intitulée : icyumweru cya Gihanga : le jour blanc (faste) de GIHANGA (synonyme d’IMANA).

Au point de vue individuel, il existe certains rites tels que celui de placer de l’eau pour IMANA dans les huttes afin qu’il favorise les naissances. Le R. P. ARNOUX signala qu’au Mulera (Ruhengeri) : « les indigènes païens aiment se réunir presque chaque soir au fond de la hutte près du ruhimbi ; et là, ils adressent au créateur des prières circonstanciées qui sont la preuve d’un véritable abandon filial à IMANA ». Le chanoine DE LACGER souligne de son côté qu’il existe incontestablement un culte intérieur, spirituel et individuel à IMANA ; son nom est constamment sur toutes les lèvres, mais également dans le cœur des indigènes dont la prière toutefois ne va pas au-delà d’une invocation, d’une exclamation. On la retrouve dans les noms suivants :

NSENGIMANA : j’adore Dieu

— NDAYISENGA : je l’adore

— NDAMUTSIMANA : je salue IMANA — NSABIYUMVA : je le prie d’entendre ce que je demande, etc.

Certes, il ne faut pas exagérer la portée de ces noms et exclamations qui ne dépassent bien souvent pas en valeur nos expressions : « A la grâce de Dieu », « Bon Dieu ! », « Dieu vous bénisse ! ».

Pourquoi n’existait-il pas de culte public ni de sacrifices en faveur d’IMANA ?

1) Parce que la société indigène était réellement primitive;

2) Parce que, dans cette société, l’on n’accorde des présents qu’aux esprits vindicatifs tels que les mânes des ancêtres OU de RYANGOMBE — KIRANGA. IMANA, créateur perpétuel, infiniment bon et généreux, n’est pas craint ; en conséquence, il ne demande pas à être apaisé ;

3) Il ne semble pas qu’il faille arguer du fait qu’IMANA, nous apparaissant comme étant lm pur esprit, ne se serait pas accommodé, dans la mentalité indigène, d’hommages matériels. L’on sait, au contraire, combien toute conception primitive est matérialiste.

Il n’en demeure pas moins que la vie de l’indigène au Ruanda-Urundi est imprégnée de pensée élevée vers Dieu.

Conceptions cosmogoniques fondamentales

Les indigènes du Ruanda-Urundi professent l’idée que le grand dieu IMANA créa d’abord le pays d’en haut : le ciel où le soleil, tel l’homme, est suivi de la lune, sa femme, et des étoiles, leurs enfants. Puis il créa le pays d’en bas, la terre, où tout devint travail, misère et souffrance. Avant cette double création, seul IMANA existait, incréé. C’est au ciel qu’IMANA créa les plantes d’abord, les animaux ensuite et l’homme enfin. Les hommes vivaient au ciel près d’IMANA ; ils jouissaient, sans travail, des plantes et des animaux. Ils étaient pleinement heureux et ne connaissaient ni maladie ni souffrance. Les uns croient que les hommes ne mouraient pas au ciel, tandis que d’autres sont persuadés qu’ils y mouraient, mais qu’IMANA les ressuscitait au bout de trois jours. L’on admet que pour créer le premier homme, IMANA façonna une statuette de glaise à laquelle il communiqua la vie en l’enduisant de sa salive génératrice imbuto.

C’est à IMANA que l’on devrait la division en trois races des hommes noirs qui peuplent le Ruanda-Urundi : nobles pasteurs batutsi, roturiers bahutu et pygmées batwa. Cette division raciale serait basée sur la fidélité des premiers à IMANA et sur la désobéissance des deux autres. [MANA, après avoir donné la vie aux trois frères GATUTSI, GAHUTU et GATWA, résolut de les soumettre à une épreuve afin de connaître le plus digne de commander aux autres. Il confia à chacun d’eux un pot de lait tout en recommandant de le laisser intact et de le veiller jusqu’au lendemain matin. Dès qu’il reçut le sien, le gourmand GATWA n’y tint pas, et en avala le contenu sur le champ. Quant à GAHUTU, s’il ne but pas, il s’endormit avec tant de maladresse que durant son sommeil il renversa sa cruche. Seul GATUTSI veilla jusqu’au lendemain et maintint son gage intact. IMANA voua GATWA à la malédiction, fulmina contre GAHUTU et accorda à GATUTSI la primauté sur ses frères.

IMANA Soumit GATUTSI, GAHUTU et GATWA à une autre épreuve. Il les convoqua séparément et leur présenta un nouveau-né, en disant : « Tue cet enfant, et je te comblerai de richesses ». GATUTSI et GAHUTU refusèrent énergiquement de se soumettre à cette tentation criminelle. Quant à GATWA, sortant son glaive, il fendit l’enfant en deux ; IMANA s’emporta violemment contre lui : « Maudit sois-tu, tu seras considéré comme un chien par tes frères et tu te nourriras de leurs restes ». L’on sait que les Batwa remplissaient notamment les fonctions de bourreaux officiels à la Cour du mwami.

C’est à une intervention d’IMANA que l’on devrait la création du lac Tanganika et celle du lac Kivu. L’emplacement occupé par ce dernier était auparavant une plaine herbue où paissaient de multiples troupeaux de vaches grasses. Mais à certain moment, ces troupeaux semblaient voués à l’extinction faute de géniteur. IMANA, prié par un noble pasteur mututsi, envoya un magnifique taureau sur les lieux tout en recommandant de le tenir caché dans le kraal et de ne point révéler son origine divine, faute de quoi un grand malheur s’abattrait sur les lieux afin de punir l’indiscret. Les voisins du pasteur, jaloux de voir se reproduire miraculeusement son troupeau tandis que le leur périclitait, résolurent de percer le mystère en envoyant un séducteur faire parler la femme du pasteur, alors que celui-ci était parti faire sa cour au roi. Le séducteur obtint, non sans difficultés, que la femme lui révélât l’origine du taureau prolifique. A ce moment précis, des craquements sinistres se produisirent, la terre s’entrouvrit et toute la région environnante s’effondra subitement, formant un gouffre béant que les eaux, en un véritable déluge, emplirent rapidement. Rentrant chez lui, le pasteur ne put que contempler, brillant sous le ciel bleu, le magnifique lac Kivu parsemé d’îles vertes, là où quelques semaines auparavant se trouvait son foyer. Devant l’immensité de la catastrophe, il eut l’intuition de l’infidélité et de l’indiscrétion commises par sa femme, et n’eut plus que la ressource, clans son infortune, de retourner chez le roi, solliciter de sa magnanimité un nouveau troupeau qui lui fut accordé par compassion. La tradition accorde une origine divine aux bami.

Cette prétention à l’origine céleste de la dynastie des Banyiginya au Ruanda, avec sa répercussion en Urundi, ressort non seulement de la légende concernant la chute des premiers Batutsi au Mubari (Ruanda), mais encore de la généalogie même, purement mythique, des premiers rois.

NKUBA (litt. lafoudre) ou Umwami wo hejuru (le roi céleste) habitait au ciel avec sa femme NYAGASANI ; ils eurent de nombreux enfants et trois d’entre eux : MUTUTSI, son frère SABIZEZE alias KIGWA 011 KIMANUKA, et leur soeur NYAMPUNDU tombèrent des nuages au Mubari (Kibungu-Ruanda), à l’endroit Rweya près de la Kagera. SABIZEZE ne trouvant pas de femme mututsi dans le pays, dut épouser sa sœur NYAMPUNDU, et ils eurent un enfant MUNTU (litt. l’homme), ancêtre de la dynastie des Banyiginya, et une fille SUKIRANYA. Celle-ci fut épousée par son oncle MUTUTSI alias MWEGA (litt. la rive opposée, du fait qu’il s’installa préalablement sur l’autre rive de la Kagera, changeant le nom de son clan en Umwega ; par ce stratège, il levait l’interdit dû à l’inceste).

Ayant invoqué IMANA, Dieu leur envoya la vache INGIZI accompagnée du taureau RUGIZI, le mouton NYABUHORO et le bélier RUGEYO, la poule INTUNDA et le coq RUTUNDA ainsi que le Mutwa MIWABARO et sa femme ; des semences et le moyen de fabriquer du fer. Notons que l’ancêtre par excellence, NKUBA, est demeuré dans les cieux. Ils trouvèrent sur place des représentants du groupe des Basinga chassés du ciel avant eux et occupés à vivre de produits naturels.

L’alignement des noms des premiers bami du Ruanda suffit, par l’étymologie même, à nous convaincre que l’on a tenté de faire croire à l’origine divine de la monarchie : NKUBA (la foudre), KIGWA (qui tombe), KIMANUKA (qui descend), KI JURU (du ciel), MUNTU (l’homme, s.-e. l’ancêtre), KOBO (par le petit trou, s.-e. du ciel), MERANO (l’origine), KAZI (la racine, s.-e. l’origine), RANDA (de kuranda: traîner, être sur terre). L’équation posée pourrait se traduire comme suit : l’homme-ancêtre, origine de la dynastie des Banyiginya qui se trouve ici-bas, est descendu du ciel par un petit trou, il a pour père le Dieu-tonnerre. Le fait est, qu’hormis GIHANGA (et encore ici l’on se trouve tout simplement en présence d’un leurre), on ne trouve nulle part les tombeaux de ces premiers rois dont la liste est constamment bouleversée par les chroniqueurs.

Avec le mwami GIHANGA, on assiste en effet à une recrudescence du mythe de l’origine divine de la monarchie du Ruanda, étendu cette fois aux pays voisins. GIHANGA provient de guhanga: créer, susciter pour la première fois. GIHANGA (préfixe augmentatif gi- et Ruhanga ou Nyamuhanga) est le Dieu universel chez les Bahima de l’Uganda. Il est créateur et grand voyageur. C’est sous son règne que la vache serait apparue, d’abord domestiquée par NYIRARUCYABA, fille de GIHANGA ; ensuite celui-ci vit et s’empara d’un taureau aux cornes flottantes, RUTENDERI, sortant des eaux. GIHANGA, à l’instar de NKUBA, est considéré comme l’inventeur du feu, d’où le feu sacré que les Biru, gardiens attitrés des traditions, devaient entretenir à la Cour.

Au Bunyoro, sous le nom de RUHANGA, il est le créateur universel : Kazoba Nyamuhanga ayahangire ensozi n’emigongo = le grand soleil, celui qui a créé les montagnes et les collines . En fait, GIHANGA c’est ATOUMRA, le soleil, le créateur des Égyptiens. Le soleil a été l’objet d’adoration de la plupart des peuples primitifs, on le retrouve comme Être Suprême sous le nom de ISOAKO chez les Kindigas, chasseurs des steppes de l’Afrique orientale, on le retrouve avec la racine hanga dans Mulungu, Dieu de l’Afrique orientale, il est Dieu chez les Pares, Tavetas, Giryamas, Bantous du nord-est où il existe un mythe selon lequel le soleil est le créateur du monde ; chez les Nandis, Nilotes « chamitiques », on adore le soleil en qualité de Dieu suprême, ainsi que chez les autres Nilotes ; dans le cercle abyssin, HEKO, le Dieu suprême, est identifié au soleil, il en est de même chez les peuples voltaïques. Nous verrons plus loin que le jour férié au Ruanda-Urundi, formant cinquième jour de la semaine coutumière, s’intitulait icyumweru cya Gihanga = celui qui est faste de GIHANGA ; mais, est-ce que notre « dimanche » n’était pas le jour consacré, à l’origine, notamment dans la tradition islamique, au soleil ?

On donne à GIHANGA des fils qui seraient les ancêtres éponymes de la plupart des régions environnantes : KANYARWANDA alias GAHIMA pour le Ruanda, KAGESERA alias MUGONDO pour le Bugesera, KANYAGISAKA pour le Gisaka, KANYANDORWA alias SEBUGABO pour le Ndorwa. SABUGABO, père de MUSHAMBO aurait été le fondateur de la dynastie des Bashambo en Uganda. NGABO alias KANYABUNGO aurait créé le Bunyabungo au Kivu, GAFOMO alias GASHUBI est donné comme ancêtre éponyme pour le Bushubi, KANYABUKUNZI pour le Bukunzi (Shangugu) alors que la famille régnante était réellement mushi d’origine congolaise. En Urundi, GIHANGA est présenté comme le père du premier roi de ce pays : NTARE-RUSHATSI alias RUSHONJE-RUZOKIRA alias KANYABURUNDI, père de l’Urundi. Au Ruanda, MUSINDI, fils de GAHIMA-KANYARWANDA, devint l’ancêtre éponyme des Basindi, et il inaugura, dit-on, la dynastie actuelle des Banyiginya. Au Kivu, on prétend que GIHANGA longea le lac à l’ouest ; son fils KANYIRAMBI alias GAHUNDE donna naissance au clan des Bahunde (Buhavu et Kinyaga) et des Basibula (Idjwi), tandis que son autre fils KANYINDU occupa la vallée de l’Ulindi sous le nom de NALWINDI, donnant naissance aux clans des Banyindu, ancêtres des Bahinja, des Bafunda, etc. GIHANGA aurait ensuite gagné l’Urundi par le pont de pierres enjambant la Ruzizi près de Bugarama. On donne en outre à GIHANGA la paternité des trois races Batutsi, Bahutu et Batwa, représentées comme ses fils au Ruanda SOUS les noms de GATUTSI, GAHUTU et GATWA ; en Uganda, ils s’intitulent GAKAMA-MVALE (le roi), GAHIMA (le pasteur) et KAYIRU (l’agriculteur).

En fait, nous nous trouvons ici en présence d’un vieux cliché qui représente les peuples, sans égard aux erreurs ethnographiques et même géographiques, comme issus d’un ancêtre commun : selon la tradition biblique, NOÉ est le père de tous les peuples, des Sémites, des Chamites, et des Européens par JAPHET. A leur tour, SEM, CHAM et JAPHET deviennent les ancêtres éponymes des quelques pays connus des écrivains bibliques. Les rapports ethnographiques et géographiques réels ou supposés nous sont présentés de père à fils, les noms des pays sont devenus ceux des ancêtres qu’on leur attribue.

Au Ruanda, l’on devrait à GIHANGA anthropomorphisé sous l’aspect d’un mwami, l’usage des tamboursenseignes, la législation sur les gages matrimoniaux, la musique de corne urusengo, le fer et le feu.

Parmi les éléments cosmogoniques qui frappent spécialement l’attention de l’indigène au Ruanda-Urundi, signalons le ciel, ijuru, conçu comme l’habitacle originel des premiers hommes et comme source de tous les biens. Le ciel continue d’occuper une place prépondérante dans les préoccupations naturalistes d’un peuple essentiellement cultivateur et pasteur, qu’une famine peut décimer faute de pluie à point nommé. C’est vers le ciel que les faiseurs de pluie dirigent leurs incantations et leur rituel mimétique.

La foudre inkuba appelée également « le roi d’en haut : umwami wo hejuru», occupe une place tellement importante dans les conceptions cosmogoniques des Banyarwanda et des Barundi, que nous lui réserverons un examen spécial. Il en est de même de la lune. Tout en reconnaissant la puissance du soleil, izuba, on le craint plutôt à raison de la sécheresse dévastatrice qu’il répand sur le pays en temps de famine. Néanmoins lorsque les récoltes s’annoncent importantes et que la saison des pluies tarde trop à s’arrêter, on prétend retenir le soleil indispensable à la maturité en exposant en plein air la pierre à moudre ingasire. L’éclipse de soleil ubwira kabiri (faire nuit pour la seconde fois) constitue un phénomène que l’on ne voit pas arriver sans une vive appréhension.

Quant aux autres connaissances astronomiques des indigènes, elles concernent uniquement la planète Vénus : NYAMUHIRIBONA, les étoiles filantes : imboneranyi, la comète : nyakotsi (celle à la fumée, s.-e. à la queue) ; les étoiles portent le nom d’inyenyeri.

Les indigènes prétendent qu’en se couchant, le soleil se rend chez MUGWAMPORO ; pendant la nuit, tandis que les gens dorment, le soleil revient à son point de départ pour réapparaître le matin suivant.

L’on prétend que connaîtront l’éternité ceux qui ont la chance de voir, de nuit, le soleil retournant d’ouest en est ; toutefois il leur est strictement interdit d’en parler, sinon ils mourraient sur-le-champ.

A l’heure actuelle, certains autochtones non instruits croient que le soleil tourne autour de la terre. Le ciel, dans leur esprit, serait soutenu par un inkingi (pilier de hutte) invisible aux humains. La terre n’a pas de commencement ni de fin, elle est immense, infinie, mais l’on ne professe aucune opinion quant à sa forme. Dans l’imagination populaire, la pluie et les nuages sont dus à l’intervention des faiseurs de pluie qui pratiquent leur art grâce à l’intervention de Dieu.

L’arc-en-ciel (umukororombya) a la réputation d’empêcher la pluie de tomber et d’être envoyé par de mauvais faiseurs de pluie.

La trombe d’eau (isato) qui émerge parfois des lacs, est dans l’esprit de l’indigène un python isato qui vit au ciel et qui tout à coup vient se désaltérer ; à la première gorgée d’eau, il retournerait au ciel la donner à sa tante NYIRASENGE qui le tient par la queue afin qu’il ne se noie pas, ensuite il revient boire à nouveau et finalement rentre de lui-même au ciel. Pour l’éloigner, les indigènes poussent des cris d’alarme induru.

Dans la conception autochtone, la grêle (urubura, amahindu) est un amas de petits cailloux de quartz blanc amasarabgayi. Au Bugoyi (Kisenyi), le fait pour les petits gardiens de bétail de déposer par terre leur pèlerine isinde en feuilles de bananier, en dirigeant l’intérieur vers le ciel, aurait pour résultat d’attirer la grêle ; il en est de même de la houe posée de la même manière. Afin de s’en préserver, car ses conséquences peuvent être redoutables pour les cultures, on a recours à différents moyens magiques. Dans les cruches attirepluie, on disposait des cailloux en quartz qui étaient censés la repousser. Si néanmoins la grêle tombe, on pousse des cris d’alarme induru. La voyant arriver, la femme se place sur le seuil de sa hutte tout en simulant le geste de traire une vache dans un pot à lait, besogne qui lui est coutumièrement interdite; elle s’imagine que de même qu’il ne lui est pas permis de traire, Dieu ne permettra pas à la grêle de tomber. Ou bien on place à l’extérieur de la hutte une lance enduite de beurre en disant : « Comme le beurre fond, que la grêle tourne en eau ». L’on dispose encore une hache par terre, le tranchant en l’air, convaincu que la grêle n’osera pas tomber, de crainte de venir s’y couper. On peut encore : appliquer une branche d’umuyenzi à suc laiteux sur le sein d’un homme en disant à l’adresse de la grêle : « Disparais comme cet homme n’a pas de sein »; jeter sur le toit d’une hutte un bambou sec en disant : « Disparais vers la forêt d’où provient ce bambou »; prendre une poignée de cendres et la disperser dans la direction de la pluie en disant : « Disparais comme cette cendre » ; on prétend que les houes de provenance exotique auraient le pouvoir de repousser la grêle. Si elle tombait au cours d’un jour de travail de la semaine coutumière, il fallait cesser de cultiver le lendemain en signe de deuil, faute de quoi elle aurait persisté à tomber. Les vents (imiyaga) sont envoyés par Dieu IMANA.

Le tremblement de terre (umushitsi) constitue le signe prémonitoire de la mort prochaine du Mwami ou d’un grand chef ; précédemment on prétendait encore qu’il annonçait la mise à mort d’un de ses feudataires par le mwami.

Il ne manque pas de lieux maudits et hantés dans le pays. Il s’agit notamment des marais à feux-follets, des grottes, des lacs et de certains cours d’eau qui sont hantés, croit-on, par des fantômes : ibihume, impaca, ibigashari et les mânes des ancêtres ibinyakuzimu. Le volcan Muhabura serait occupé en permanence par l’esprit divinisé de RYANGOMBE qui y pratique ses cultures de bananier, de sorgho et de tabac, celui-ci consistant en lobélies géantes. L’indigène a pour habitude de déserter tous lieux où se produisirent des mortalités suspectes ou répétées, que ce soit parmi les humains ou dans le cheptel.

La journée était divisée selon les activités du gros bétail ; la semaine comportait quatre jours ouvrables et un jour férié, l’année était dotée de douze mois lunaires; au Ruanda l’on introduisit, au siècle dernier, un treizième mois équivalent à notre mois de mai.

La foudre.

Chez de nombreux peuples, la foudre fut considérée comme une divinité. Chez les anciens Grecs, la foudre était une émanation de JUPITER. En Mésopotamie.

ADAD était le dieu des sommets et de l’orage, il avait pour arme la foudre et son animal était le taureau. KHERIESHO (Dieu-roi de légende méroïte ; Méroé fut un royaume créé en 300 av. J. C. par les Éthiopiens au sud de la Nubie) était un dieu-foudre. Le Dahomey contemporain entretient le souvenir d’un dieu KHERIESHO (si semblable aux dieux-rois fondateurs des dynasties égyptiennes) qui est, sous le même nom, honoré chez les Ewé, Guin, Fon, Nago, Yorouba du Togo, du Dahomey et du Nigeria. Chez les pasteurs Nandi il existe également des dieux bienfaisants et malfaisants associés au tonnerre qui correspond probablement à ILAT — la divinité de la pluie — des Souk. Chez les Aniania (Afrique orientale) on croit à l’existence d’un Etre suprême : MPAMBE qui signifie tonnerre en certains endroits.

Au Ruanda-Urundi, la foudre est également considérée comme un dieu céleste auquel on donne le nom d’Inkuba, substantif dérivé du verbe kuba : être ; la foudre est donc considérée comme une divinité incréée, qui est par elle-même. C’est l’ Umwami wo hejuru : le Roi du ciel, qu’il ne faut pas confondre avec Dieu — IMANA. Rien d’étonnant dès lors que la monarchie mututsi du Ruanda, qui se prétend d’origine divine, ait adopté pour son premier roi mythique le nom de NKUBA, auquel succédera KIGWA (qui tombe du ciel) ; chez les Bahutu, par contre, la foudre est la représentation de l’esprit divinisé de KAGORO en Uganda, de MASHYIRA (fils du tonnerre, fils du père de l’humanité : MASHYIRA WA NKUBA WA SAMUGANDO) au Ruanda, et de SENGOGA (le rapide) en Urundi.

Quelle est l’opinion des Banyarwanda et des Barundi à l’égard de cette divinité ? Pour les vivants, c’est un danger dont il faut se défier à l’aide des moyens de la magie défensive ; pour les foudroyés, elle constitue un véritable mariage sacro-saint. C’est dans ce dernier ordre d’idée que l’ex-mwami MUSINGA écrivait à sa fille MUSHESHAMBUGU qui voulait devenir chrétienne, une lettre en date du 5 janvier 1930 dans laquelle il lui disait : « J’ai maudit quiconque parmi mes enfants se fera chrétien. Si l’un d’eux le devient, puisse-t-il être privé de tout avoir, qu’il soit abhorré par le mwami d’en bas (lui, MUSINGA) et par le mwami d’en haut NKUBA ».

Examinons rapidement l’attitude que prendront les primitifs du Ruanda-Urundi avant, pendant et après la foudre.

1) RITES DE PROTECTION AVANT LA FOUDRE.

On fait appel au magicien umukingizi, l’immunité qu’il procure dure une saison. Les procédés qu’il mettra en œuvre pour repousser la foudre seront une simple transposition au spirituel d’éléments désagréables au physique : sifflements stridents tirés de l’urwamururo ; il est armé d’un outil tranchant, sorte de ciseau de menuisier igihosho (ce qui chasse les forces hostiles) ; il prononce des prières destinées à éloigner l’orage : Subya: va-t-en ; tandis qu’il invoque les esprits divinisés capables de venir en aide aux humains en cette matière. Il effectue avec ses clients une libation en commun à base d’extraits de racines d’herbes bénéfiques.

Il plante, près du kraal à protéger, des boutures de sansevières (umubamba) aux pointes acérées ainsi que des aloès (igikakarubamba) à fleurs rouges et à feuilles dentelées, et enfin, près de l’entrée, il réunit deux tiges de roseaux dont les feuilles sont tranchantes comme des lames de sabre.

Au lac Tanganika, le bitume gifwanga qui surnage à certains endroits, possède la réputation de constituer des excréments de la foudre : amavyi y’inkuba. Au marché de Kitega, on vendait des pilules de bitume à raison d’un franc la pièce. L’exorciste en place un peu dans un coquillage tandis qu’il y pique une pointe en bois. Se mettant en bouche de l’eau lustrale tiède à base de kaolin et tenant en main l’instrument précité, l’homme de l’art le promène dans l’enclos et dans la hutte, et en touche les personnes et les bêtes qu’il immunise ainsi contre la foudre. Il reprend son escargot parafoudre et s’en va vers d’autres lieux à exorciser.

2) RITES DE PROTECTION CONTRE LA FOUDRE PENDANT L’ORAGE.

Ici encore ce sont des moyens magiques absolument puérils qui sont mis en œuvre:

Le rouge attirant le rouge, il en résulte l’interdiction de fumer pendant l’orage, le devoir de jeter au dehors le tabac incandescent, l’interdiction de stationner en dessous de l’érythrine à fleurs rouges, d’arracher des patates douces de la variété rouge nsengumugabo ou karucurira. Il est défendu de baratter afin de ne pas attirer la foudre par un bruit relativement semblable. Les actions relatives à la vie sont suspendues eu égard au danger de mort qui plane : interdiction de boire, de manger, de pratiquer l’acte sexuel : les époux devront se tourner le dos, la mère de famille enlève sa couronne de fécondité urugore et la cache au plus profond de la hutte. Comme moyen préventif de riposte contre la foudre, on dispose une lance à l’extérieur de la hutte ; à l’intérieur on pose la faucille, préalablement chauffée, contre une pierre du foyer, le tranchant en l’air. La partie conservant la valeur du tout par suite du contact, il est interdit de traverser une rigole où s’écoule de l’eau de pluie durant un orage. On crache par terre de dédain en disant à la foudre : « Subya = tourne en eau ».

Le porteur d’une peau de mouton se gardera bien de la placer à l’envers lorsqu’il pleut, car ce serait attirer la foudre. Si l’on ressent l’impérieux besoin de fumer, on entoure d’abord la pipe d’un brin d’herbe ishinge que l’on jette ensuite à l’extérieur de la hutte en disant à l’adresse de la foudre : « Prends ton tabac ». Pour éteindre les éclairs, on jette à l’extérieur les braises du foyer.

Différents moyens sont employés pour s’éviter les effets néfastes de la foudre tandis qu’il tonne : mouiller le petit doigt et souffler dessus en disant à l’adresse du tonnerre : «Bêle, bêle, mais ne gronde pas n; élever la faucille dans la direction de l’orage en disant : « Nous sommes vos descendants (nyirankuba), nous ne circulons pas la nuit n; quand les éclairs ne cessent de sillonner le ciel, on allume un feu en disant : « Allume le tien n; ceux qui mangent jettent un peu de nourriture à l’extérieur en disant à la foudre : « Prends ta part », puis ils cessent de manger.

Au plus fort de l’orage, l’indigène quitte le siège sur lequel il est assis, pour se réfugier contre la terre-mère.

3) RITES ACCOMPLIS LORSQU’UN ÊTRE HUMAIN, UN BOVIN, UNE HUTTE OU UNE BANANERAIE ONT ÉTÉ ATTEINTS PAR LA FOUDRE.

Ces rites reposent sur la conception que la foudre, en atteignant un être ou un objet, l’épouse ; en conséquence, aucune tristesse ne sera manifestée, aucun deuil ne sera porté, mais au contraire, on accomplira des rites semblables à ceux du mariage. On opère la désacralisation des foudroyés.

Au Ruanda comme en Urundi, si la foudre frappe quelqu’un, tous les voisins se mettent à pousser des cris de jubilation (impundu) qui doivent annoncer au pays que le roi du ciel vient de glorifier un homme : n’umwami w’ijuru ukuje umuntu. Le foudroyé est l’impôt (inkuke) vivant prélevé par le roi d’en haut sur son sujet choisi (intore). On ne dira pas d’un foudroyé : arapluye (il est mort), mais umwami wo hejuru yaramuhamagaye (le roi d’en haut l’a rappelé), ou bien : il a été épousé par la foudre = yaramurongoye, yarakundwakaye.

Les cérémonies rituelles ne commencent que vingtquatre heures après l’accident ; entretemps, le cadavre est veillé ; ces cérémonies sont présidées, au Ruanda, par l’umugangahuzi, purificateur (de kugangahura : purifier). Le foudroyé reçoit une couronne d’herbe fétide umwishywa, ensuite il est purifié à l’eau lustrale — dilution de kaolin — de même que les lieux du sinistre, les assistants et la hutte. Par la suite, l’umugangahuzi fiche en terre quelques branches d’érythrine, d’ishyoza, d’umurembe et d’ivubgwe, afin d’exorciser les lieux. Une libation de communion a lieu à l’aide d’une boisson à base d’eau et de plantes spéciales, préparée par l’umugangahuzi qui en verse de force dans la bouche du foudroyé et qui en présente ensuite aux assistants. On chante, on danse, on bat du tambour.

En Urundi, le prêtre de KIRANGA intervient : il s’assied près du foudroyé, tandis que l’un de ses bishegu menace de sa lance les mauvais esprits et arrache un peu d’herbe qu’il offre en hommage à KIRANGA. Tout est mis en œuvre pour écarter les esprits malins. Le médium de KIRANGA porte sa lance pointue, on crie, on chante, on danse les doigts projetés en avant, on remue des grelots et on bat le tambour spécial amené par le prêtre. Le cadavre du foudroyé est purifié au kaolin.

On ne porte jamais le deuil pour les foudroyés. L’autopsie du corps de l’accidenté est interdite, on ne lui fait pas prendre la position fœtale. On l’étend comme un roi. Au Ruanda, on ne le met pas en terre, mais on le transporte entouré d’une natte, au sommet d’une colline où il est déposé à découvert : le dérober aux regards de la foudre serait s’exposer aux con 3équences de l’irascibilité qui la caractérise. En principe, en Urundi, on n’enterre pas non plus le foudroyé, mais on construit un lit au carrefour le plus proche sur lequel on l’étend tout badigeonné de kaolin ; dans certaines régions, on l’enterre, mais en ayant soin de le placer sur un lit comme on fait pour les grands ; on laisse un bras dépasser hors de terre, faute de quoi la foudre ressusciterait le mort, croit-on. En Urundi, le médium de KIRANGA se rend ensuite à l’eau avec ses bishegu afin de se purifier.

Des rites semblables sont accomplis si la foudre a frappé le bétail, une bananeraie, ou a incendié une hutte. En ce qui concerne les bovins, la viande sera distribuée gratuitement, car « on ne peut pas vendre ce qui appartient au mwami d’en haut ».

Si une partie du troupeau a péri foudroyée, le patron et les clients du préjudicié lui feront remise de génisses inshumbushanyo (de remplacement). Si une hutte a été incendiée, il y a interdiction de copulation chez ses anciens habitants ainsi que parmi les animaux du voisinage durant un temps déterminé. Le purificateur public umugangahuzi s’amène avec de l’eau lustrale, dont il asperge les assistants, et avec différentes plantes à pointes : roseaux de pennisetum et chardons pour éloigner les mauvais esprits. Une nouvelle hutte miniature est construite sur les lieux. Les propriétaires s’y retirent et accomplissent, à titre de rite de revivification, un simulacre de copulation baryamana (litt. : ils mangent Dieu). Cette hutte est ensuite incendiée en application de la maxime classique de la médecine homéopathique : similia similibus curantur (les semblables se guérissent par les semblables).

L’officiant repique en terre des boutures de plantes bénéfiques: irarire,ireke,ishyoza, ibogeri, umuhoko, ubugangabukari et enfin l’aloès igikakarubamba dont les feuilles pourvues de dents acérées écarteront la foudre à jamais. Si la personne foudroyée n’a pas été frappée à mort, il appartient, en Urundi, au prêtre de KIRANGA, de la faire revenir à elle ; à cet effet, il emploie un coq qu’il fait crier en le frappant et dont il touche l’accidenté. Une fois revenu à lui, le foudroyé est blanchi au kaolin et à son tour, il en marque les assistants ; il prend la lance de KIRANGA, il est honoré et prié par tout le monde. Il est purifié à l’eau, puis il reçoit une couronne et deux amulettes dont il se ceint la tête ; KIRANGA les lui enlève par la suite, tandis qu’il lui impose un nom d’igishegu.

Si la foudre est tombée sur un enclos sans l’incendier, on ne peut plus l’habiter avant que l’ umugangahuzi ne soit venu le désacraliser ; de même si elle frappe un grenier contenant des provisions : elles ne pourront être mangées avant l’arrivée de l’homme de l’art.

On ne travaille pas le lendemain du jour où la foudre est tombée sur l’enclos.

On ne peut faire du feu avec le bois provenant d’un arbre foudroyé.

On ne peut égrener du maïs pendant l’orage, la personne de la famille qui se trouve encore au champ serait frappée par la foudre. Il en est de même pour les haricots, pois, etc. ; en fait, toute occupation est suspendue pendant l’orage.

Conséquences pour les foudroyés rescapés.

Ils ont été épousés par le mwami d’en haut, en conséquence, on les traite comme des veufs ou des divorcés et, s’ils sont célibataires, leur futur mariage se passera comme en secondes noces, c’est-à-dire sans cérémonie. Dans certaines parties du Ruanda, un ami doit même se substituer au foudroyé lors de ses noces.

Si la foudre tombe près du kraal d’un ménage où la dot n’a pas encore été versée, le mari devra s’en acquitter immédiatement ou répudier sa femme ; si la femme est l’épouse légitime d’un autre homme, elle doit réintégrer immédiatement son domicile conjugal, sinon sa vie serait en péril

La lune.

La lune = ukwezi (de kwera : blanchir, être pur, être favorable) est l’objet d’une certaine vénération au Ruanda-Urundi.

Cette vénération se retrouve chez différents peuples dès la plus haute antiquité. Ur, en Mésopotamie adorait le dieu-lune SIN, équivalent sémitique du sumérien NANNAR. Dans la forme du vaisseau aux extrémités très relevées en Mésopotamie (le bélem actuel), il y a une réminiscence du quartier de lune considéré comme la bague de SIN voguant dans le ciel. Les Égyptiens, après avoir adopté ce bateau, le conservèrent comme barque sacrée. Les Araméens adoraient eux-mêmes le dieu lune sous le nom de SHABAR. On relate dans la Bible que lors de l’apparition de la nouvelle lune (Nom. XX VIII, 11, 15), avaient lieu des célébrations extraordinaires, les Néoménies: sacrifices de deux taureaux, de sept agneaux, d’un bélier et d’un bouc pour l’expiation des péchés. En Égypte, plusieurs divinités représentaient la lune selon ses différents aspects.

A l’heure actuelle, certaines nations musulmanes ont conservé un croissant de lune comme symbole sur leur drapeau.

Le culte de la lune est signalé chez les pasteurs Todas des Indes, parmi lesquels nous avons cru trouver certains caractères somatiques et de civilisation semblables à ceux des Batutsi. Chez les pasteurs d’Afrique, on signale chez les Gallas que le chef de maison, agissant comme prêtre, effectue un sacrifice à chaque nouvelle lune, adjurant la lune invisible de prier celle qui va venir de continuer à protéger son bétail. Le culte de la lune paraît avoir été prédominant à une certaine époque parmi les Hottentots, mais ce culte doit avoir disparu, quoique la lune ait une place prépondérante dans un de leurs mythes où elle est associée à l’origine de la mort.

Au Ruanda-Urundi, à la réapparition de la lune, tout le pays est en émoi, les travaux agricoles sont suspendus durant un jour. Les gens crient à la lune : « Tu as tes bras et moi j’ai les miens, déjà le mois dernier je t’ai vue ainsi » ; et ils lui tendent les bras en forme de croissant. Il faut lever en même temps le bras et le pied droits pour saluer l’apparition du premier croissant. Par ailleurs, pour s’en concilier les effets, il faut « charmer » la lune ; à cette fin, tous les instruments de musique sont mis en branle, on chante et l’on danse.

Au Ruanda, on raconte qu’au renouvellement de l’astre de nuit, les devins de la cour le scrutaient religieusement pour y découvrir des signes prémonitoires affectant la destinée de la personne du mwami, et l’on ajoute que celui-ci ne pouvait, en sa qualité de souverain-vacher, le contempler, le premier soir de son apparition, qu’en regardant son reflet dans un récipient de lait. La lune rousse est censée avoir des conséquences néfastes sur l’heur des indigènes.

On retrouve le dessin du croissant de lune au Ruanda, tout spécialement dans la coiffure des hommes et des jeunes filles, sur les anciens boucliers, dans les tatouages, à l’entrée des huttes, dans le foyer icyoto des Batutsi, dans la faucille et dans la houe autochtone semi-lunaire. En Urundi, suivant un cycle quaternaire immuable, un roi portera le nom de Mwezi ; dans ce pays, les derniers bami furent inhumés à la colline Mwezi (Territoire de Ngozi). Tant au Ruanda qu’en Urundi, on ne connaissait que les mois lunaires : Nzeri, Ukwakira, etc. ; l’astre présidant, croit-on, à la chute des pluies et au changement des saisons.