LA RESTAURATION DE LA DYNASTIE ET LA STABILISATION DE LA FRONTIERE OCCIDENTALE. (de Ruganzu II Ndoli à Yuhi III Mazimpaka, + 1510 à 1675)

1° LE REGNE DE RUGANZU II NDOLI. 14ème Roi :± de 1510 à 1543 

  1. Ruganzu II le légendaire et les « Féaux ».
  1. Ruganzu II Ndoli est sans conteste le plus fameux monarque de la lignée des Banyiginya. Sa popularité en a fait un personnage légendaire : tel cavité curieuse sur un rocher a été imprimée par sa massue ; tels dessins vaguement esquissés par les pluies millénaires ou par les caprices de la nature nous sont représentés comme l’empreinte de ses pieds. La grosse pierre appelée lbuye lya Bagenge =le Rocher de Bagenge, en la localité Gakenke (Commune de Nyarutovu, Préfecture Ruhengeri), se promenait la nuit et écrasait tout sur son passage. Ruganzu II, qui avait logé chez le nominé Bagenge, le poursuivit la nuit, lui asséna un coup de massue et, lui donna l’ordre de ne plus bouger de là : la pierre lui obéit depuis. Les nombreux Récits purement littéraires consacrés à son règne nous ressassent ses innombrables prodiges et ses exploits imaginaires. (cfr Pagès: Un Royaume Hamite au centre de l’Afrique, p. 251-324) On ne prête qu’aux riches : ce monarque trouvait le Rwanda dans l’anarchie la plus complète et le remit en selle, pour lui ajouter ensuite des conquêtes d’une superficie supérieure à celle du domaine de ses prédécesseurs. Dans une situation exceptionnellement défavorable, il fut l’homme qu’il fallait, comme il s’en est sporadiquement rencontré en différentes époques de l’Histoire. Le jugement des générations suivantes ne fut du reste pas trop partial : ses guerriers d’élite, les Ibisumizi = les Lutteursencorpsàcorps, partagent à leur échelon la même popularité. Ils furent les premiers dont les Mémorialistes retinrent certains noms, et il faudra attendre quatre règnes après eux pour revoir émerger des noms propres de certains héros.
  1. Il convient cependant de citer les noms de ses collaborateurs, les légitimistes de l’intérieur, les Abalyankuna (cfr n° 153), qui préparèrent le terrain et organisèrent le retour de Ndoli. Ceux que les Mémorialistes ont retenus comme Chefs de file sont les suivants :

1) D’abord le prince Kibogo, fils de Ndahiro II et demi-frère de Ncloli, qui habitait à Buhoro près Nyundo (en la Commune actuelle de TaMbwe, Préfecture de Gitarama).

2) Le prince Karangana, fils de Yuhi II Gahima II, qui habitait dans le Kona. près Mashyoza (en la Commune actuelle de Mugina, Préfecture de GiMrama).

3) Le prince Binama,, que nous connaissons déjà (n° 145) ; il est dit qu’il habitait à Jali près, Rubingo (Commune actuelle de Rutongo, Préfecture Kigali), donc à l’Est de la Nyabarongo, domaine des usurpateurs.

4) Nyirampilima, fils de Rubuga, qui habitait au ‘Muhindo près Gitovu (Commune actuelle. de Ntongwe, Préfecture de Gitarama).

5) Mpande ya Rusanga (c.à.d. AuxcôtésduRusanga), enfant que, durant une famine, sa mère avait abandonné en le déposant à côté du Rusanga (l’un des taureaux du trône) à la Cour. Recueilli et élevé chez le Roi, il devint plus tard un grand personnage ; il habitait à Cyotamakara, au Buhanga (en la Commune actuelle de Ntyazo, Préfecture de Butare).

6).Nyiragahira, une femme qui habitait à Mukingo près Mwanabili (cfr. n° 153).

7)Nkoma, fils de Nkondogoro, fameux sorcier du Marangara. La localité de sa résidence a pérennisé son nom-Nkoma-en la Commune actuelle de Mushubati, Préfecture de Gitarama. Il est l’ancêtre éponyme de la Famille des Abakoma.

8) Mpyisi, fils de Sagisengo, le Mwiru qui habitait à Gihinga près Ruzege (cfr n° 114).

9) Mugabe, fils de Ngwije, qui habitait dans le Museke près Rubingo (cfr n° 149-150).

10)Buseyimana, qui habitait dans le Museke comme le précédent.

11)Nkima (II ?) fils de Butare (cfr n° 99 ssv) le Mwiruroi du Nyamweru.

12) Bukarara, fils de Bunyege, qui habitait dans le Kiliza, en l’an-demie province du Mayaga.  Nous supposons que cette forme Kiliza est l’abréviation de Kilizaboro = le Faisantpleurerles manants, localité existant dans la zone indiquée, mais dans une Commune non encore connue. Précisons, en plus, que les noms Bukarara fils de Bunyege appartiennent à l’ascendance du tout premier Nkima, roi du Nyamweru, qui vivait sous Cyilima I Rugwe (n° 99 ssv). Il aura pu se faire que le nommé Bunyege, simple homonymie, se soit amusé à donner à son fils le nom de Bukarara, comme il en avait été antérieurement.

13) Minyaruko, fils de Nyamikenke (noms dynastiques  dans la Famille) roi-pluviateur du Busigi (cfr n° 149).

14) Le Mutwa  Mihwabaro, surnommé Bwami bwa Muliro= Royauté du Feu, qui habitait à Kanyinya près Rubingo (Commune actuelle de Shyorongi, Préfecture de Kigali). Notons que le Code ésotérique le désigne par son surnom, du fait que les descendants de ce personnage jouent un rôle important dans certaines céré-monies de ce Code.

15) Gitandura le jeune, le Mwiru que nous connaissons déjà (n° 156), qui habitait aux Mbizi près Magoma (en la Commune actuelle . de Mugina, Préfecture de Gitarama). Son habitation était Située près du Rocher appelé Impaburabagenz=. le Faisant marcher longuement les voyageurs. Il était naturel que Gitandura fût parmi les Féaux ; mais, comme nous le verrons plus loin, il n’était plus en vie lorsque Ndoli rentra dans le pays ; autrement il aurait présenté lui-même le tambour Çyimumugizi, au lieu qu’il fût découvert accidentellement (cfr n° 172).

16) Kavuna, dont le sort nous est déjà connu (cfr n° 153). Les traditions ont gardé pour lui beaucoup de sympathie en le désignant sous la formule Kavuna Akalya-nkuna = Kavuna le Féal par excellence, et en lui consacrant un dicton : kuruha uwa Kavuna = déployer un dévouement épuisant à la Kavuna ; c.à.d. épuiser ses forces au succès d’une entreprise de grande importance qui devra finalement ne profiter qu’aux autres, sans la plus petite récompense pour vous.

  1. L’état du Rwanda avant le retour de Ndoli.
  1. Après la mort de Ndahiro II, Ntsibura I Nyebunga aurait donc occupe le Rwanda « occidental » pendant 11 ans (cfr n° 157). Mais au retour de Ndoli, le Rwanda « oriental » n’était plus dans ses limites traditionnelles. Le Ndorwa avait profité d’une certaine circonstance pour lui arracher des territoires. Nous voyons, en effet, qu’à l’époque de la reconquête vers” l’Est et le Nord, sous Cyilima II Rujugira, le cours de la Muyanza est devenu la frontière entre le Rwanda et le Ndorwa. Or nous avons vu que Yuhi II Gahima II a attaqué Cyubaka, fils de Nyabikezi, Roi. du Mubali (cfr n° 144). Cette tradition est formellement affirmée dans le poème dynastique n° 49 : Liratukuye ishyembe icumita ibindi bihugu = Elle est ensanglantée la corne qu’il enfonce dans le sein des autres pays, composé sous Ruganzu II Ndoli par l’Aède Rwozi, en collaboration, disent les traditions, avec le monarque en personne. Il s’agissait (autour des années 1510-1544) du règne de son grand-père, le passage en question se trouvant dans le paragraphe consacré au règne de Yuhi II. Or ceci ne se comprendrait pas rationnellement si le Rwanda d’alors n’avait pas frontière commune avec le Mubali. Avant de s’attaquer audit pays, Yuhi II eût préalablement combattu le Ndorwa, pour reprendre ce territoire qu’il devait traverser, antérieurement arraché au Rwanda, par exemple à l’occasion de la retraite des Abanyoro, comme l’avait fait Kimenyi II Shumbusho du Gisaka à la même occasion (cfr n° 137). On ne conçoit pas non plus le Ndorwa conquérir ce territoire à partir de Ruganzu II Ndoli, car il se serait heurté à un adversaire trop puissant. Nous pouvons donc conclure que la meilleure époque pour le Ndorwa, aura été celle de l’anarchie coïncidant avec le règne et la mort de Ndahiro II Cyamatare. La zone orientale,- celle des usurpateurs,-  laissées à ses propres forces, se prêtait le mieux à pareilles entreprises de l’étranger.

Quant à l’enclave de Gasura (cfr n° 249), elle aura été ultérieure- ment conquise sur le Gisaka, à l’occasion d’une guerre antérieure à celle dans laquelle intervint Kigeli II Nyamuheshera. Ceci expliquerait que, le Bwanacyambwe rétrocédé au Rwanda, ladite tête de pont demeura dans la même situation tandis que Kigeli II recouvrait ce qui appartenait alors au Gisaka. Ce n’est pas après le retour du Bwanacyambwe que le Ndorwa aurait pu s’attaquer au Rwanda pour lui arracher l’enclave en question.

  1. Le refuge de Ndoli était bien connu des ennemis de sa lignée. Bamara essaya de le faire assassiner, pour ne plus avoir d’inquiétude sur l’avenir de sa propre Maison. Il devait se rendre compte que le Rwanda ne le reconnaîtrait définitivement qu’à la mort de Ndoli, espoir des légitimistes. Le prince Bwimba, fils de Yuhi II, fut chargé de cette opération: il pouvait tout naturellement rendre visite à sa soeur Nyabunyana; comme celle-ci, la présence de Ndoli chez elle le démontrait, favorisait le parti légitimiste, peut-être Bwimba feignit-il d’être revenu à de meilleurs sentiments. Les traditions veulent donc qu’il se présenta à Nyabunyana et que celle-ci le reçut comme il se devait. Lorsque le prince exprima le désir de voir Ndoli, sa soeur lui posa la question convenue comme mot de passe (cfr n° 153). Le visiteur ayant démontré qu’il n’avait eu aucun contact avec les partisans de Ndahiro II, puisqu’il ignorait la réponse, Nyabunyana lui déclara que Ndoli était absent. Sur le chemin du retour, des tueurs envoyés par la Cour du Karagwe mirent fin aux jours de Bwimba. Bamara mourut et son fils Byinshi lui succéda.
  1. e) Le retour de Ndoli dans le pays.
  1. Dès que Ntsibura I Nyebunga mourut, les Féaux activèrent les préparatifs pour faire revenir le prince Ndoli. Une fois tout le programme arrêté, Kavuna se rendit au Karagwe mettre Ndoli au courant et prendre les dispositions du voyage de retour, qui devait s’effectuer dans le plus grand secret.

Les traditions nous affirment que Ndoli reçut une escorte d’hommes de confiance, sous le commandement de Muyango, fils de Ruhinda et frère de Karemera I Ndagara. Une fois Ndoli intronisé, ce Muyango devait recevoir une épouse de la famille royale, comme cadeau de remerciement pour l’hospitalité accordée au fugitif. Il est bien naturel que Ndoli ait reçu ladite escorte, même si les traditions n’en parlaient pas, et quelle que soit la réalité de ce Muyango qui ne reparaîtra plus dans les Récits.

Mais ce qu’on peut considérer comme très fondé est que le monarque du Kararagwe sollicita de Ndoli, la promesse d’un mémorial plus significatif ; à savoir que le nom dynastique de Karemera serait adopté comme dynastique aussi dans la lignée des Banyiginya. Ndoli accéda à cette demande (cfr n° 221). Il ajouta une autre décision qui, comme la précédente, relève du Code ésotérique : à savoir qu’aucun monarque Rwandais ne ferait jamais la guerre contre le Karagwe, et qu’en plus le monarque du Karagwe serait le « conseiller extraordinaire » de celui du Rwanda.

  1. Au moment de traverser la Kagera, Ndoli atteignit la rive occidentale et donna l’ordre de ne pas faire passer la rivière à Kavuna. Le Féal par excellence ne voulut pas survivre à cette disgrâce et se suicida immédiatement en se noyant dans la Kagera. Nous savons déjà que cette décision de Ndoli relevait du Code ésotérique (cfr n° 153).

Les voyageurs qui traversaient incognito le Ndorwa, domaine de la dynastie des Abasharnbo, arrivèrent à Gatsibo, localité bien con-nue, dans l’actuelle Commune du même nom, en Préfecture de Byumba. Ce fut là qu’ils trouvèrent d’autres voyageurs venant du Rwanda. C’était une délégation des Féaux, envoyés pour introniser Ndoli dans cette localité, que Gihanga, fondateur de la Dynastie, aurait habitée. Ils apportaient du Rwanda un tambour nouvellement taillé, appelé Nangamadumbu (contraction de : Nanga-amadumbu) = Je-hais-les-révolutions. Ce tambour tenait lieu du Rwoga capturé naguère par Ntsibura I Nyebunga. Ces Dépositaires du Code ésotérique accomplirent en ce lieu les cérémonies de l’intronisation et imposèrent au nouveau monarque le nom dynastique de Ruganzu : Ruganzu II Ndoli.

  1. Une fois les cérémonies terminées, Ruganzu II passa la frontière du Ndorwa et arriva toujours incognito dans la zone orientale du Rwanda, où régnait son cousin Byinshi, qui avait succédé à son père Bamara. Le rapatrié comptait certainement sur de nombreux légitimistes en cette zone. Il attaqua à l’improviste l’usurpateur de l’Est en sa résidence de Bweramvura près Kabuye et le tua sans rencontrer aucune résistance, du fait que Byinshi ne s’attendait pas à cette attaque. Mais une lutte acharnée s’ensuivit. Des Récits purement littéraires nous détaillent ces combats en des termes aussi prolixes que visiblement symboliques. A les en croire, Ruganzu II y allait de sa propre personne, en isolé, chose qu’on ne peut s’imaginer un seul instant.
  1. Un épisode de ces Récits doit retenir notre attention. Une femme, appelée Nyirarumaga, qui aurait habité à Gihogwe, (versant oriental du massif Jali, en la Commune actuelle de Rutongo) fut choisie comme Reine mère adoptive du nouveau monarque. Lesdits Récits, oeuvres de Mémorialistes coupés du Code ésotérique, se trompent grossièrement en nous présentant cette dignité comme récompense pour services signalés rendus à Ruganzu II au cours de cette lutte. Ces Mémorialistes « profanes » ignoraient les dispositions du Code ésotérique, qui ordonnaient que le monarque, dont la mère serait morte auparavant, (et c’était le cas pour Ruganzu II, (cfr n° 156) fût intronisé en même temps qu’une Reine- mère Il s’ensuit ainsi que Nyirarumaga avait été choisie à l’avance à l’initiative des Dépositaires dudit Code, et avait se trouver à Gatsibo pour prendre part aux cérémonies au cours desquelles sa dignité lui fut conférée, ainsi qu’à Ruganzu.II, par le même acte indivisible. Aucune tradition ne nous l’affirme explicitement, certes, mais le fait est absolument sûr, en raison des stipulations du Code ésotérique, lesquelles furent du reste trois fois mises en pratique dans la suite_ II n’était pas au pouvoir de Ruganzu II de choisir lui-même sa Reine mère : il a dû se la voir imposer, en vertu d’une décision antérieure à son avènement.
  1. La nouvelle Reine mère était cependant du Clan des Abasinga, exclus de cette dignité par Ruganzu I Bwimba (cfr n° 94). La réponse à cette difficulté est que la décision de l’ancien monarque concernait uniquement la maternité naturelle: la mère de Ruganzu Il était du clan des Abakan°. Nous devons penser que le choix dont Nyirarumaga fut l’objet, recelait un symbolisme : le premier Ruganzu (Bwimba) avait une mère du Clan des Abasinga et il était mort en Libérateur. Le deuxième Ruganzu (Ndoli) qu’on se préparait à introniser, vu qu’il n’avait plus de mère naturelle, n’en profitait-on pas pour incarner en lui les vertus magiques du sang jadis versé en Libérateur par l’ancêtre dont il reprenait le nom? Et quoi de plus naturel que d’associer au nouveau Ruganzu le sang du Clan dont était issu son homonyme du passé ?
  2. Quoi qu’il en soit, la nouvelle Reine mère devait s’illustrer en notre Histoire par ses propres moyens, sans devoir rien emprunter au renom de son fils adoptif. Ce fut elle, en effet; aux dires d’une tradition incontestée, qui créa la forme actuelle du genre littéraire de la Poésie Dynastique -Ibisigo. Le genre existait avant ce règne et les morceaux s’appelaient Ibinyeto (dérivé du verbe archaïque kunyeta = grandir). Chacune de ces compositions antiques se réduisait à quelques vers « et n’exaltait qu’un seul monarque. Nyirarumaga, femme de Cour; était poétesse : elle inaugura une forme nouvelle du poème dynastique. Au lieu de consacrer quelques dix vers à un seul monarque isolément, elle embrassa tous les règnes en un seul morceau, le paragraphe consacré à chaque monarque étant séparé des autres par un refrain. Le poème ainsi allongé fut appelé, non plus ikinyeto (au pluriel ibinyeto), mais Igisigo (au pluriel Ibisigo), c’est-à-dire `: tradition, ou plus littéralement : le laissé-après-soi (dérivé du verbe gusiga) Elle créa ainsi l’instrument le plus propre à véhiculer les principaux événements du passé (cfr n° 7-9). A partir de ce modèle, les Aèdes dynastiques (Abasizi) adoptèrent la nouvelle forme et leur profession fut érigée en fonction officielle de la Cour, sous la haute direction d’un Préfet des Aèdes dynastiques : = Intebe y’Abasizi.
  1. b) L’Intronisation du « Karinga »
  1. La soumission de la zone orientale fut rapidement acquise, du fait que les plus grands notables comptaient parmi eux de nombreux légitimistes. Il est à supposer que Ruganzu II pacifia également la zone occidentale, qui avait reconnu naguère l’autorité de son père Aucune tradition ne s’est intéressée à ces petits détails qui allaient de soi.

Mais un problème majeur occupait le monarque et ses Dépositaires du Code ésotérique : il fallait introniser un nouveau tambour-emblème de la Dynastie qui succéderait au Rwoga. Il y avait certes le Nangamadumbu sous le signe duquel Ruganzu II avait été intronisé. Mais il fut écarté de cet honneur, parce qu’il représentait le même inconvénient que le Rwoga : il ne fallait plus un tambour unique, dont la perte, même accidentelle, mettrait à nouveau le Rwanda dans les mêmes perplexités.

Ainsi fut-il décidé que le tambour-emblème de la Dynastie devait désormais avoir d’autres tambours suppléants, taillés dans le même arbre que lui. Que s’il venait à disparaître, on lui substituerait l’un de ces derniers, à l’insu du « profane », et que le nouveau tambour porterait le même nom que le précédent.

  1. Ruganzu II résidait alors à Ruganda, dans la Commune actuelle de Tare, ancienne province du Bumbogo, en Préfecture de Kigali. Les préparatifs furent organisés à partir de chez le grand pluvia-teur Minyaruko, fils de Nyamikenke, roitelet du Busigi (cfr n° 149). Nyamigezi, fils de Minyaruko, se rendit au Buberuka, région alors située en dehors du Rwanda. Dans la localité appelée Cyungo (Commune actuelle du même nom, en Préfecture de Byumba), il y avait une forêt où l’on trouvait des arbres gigantesques de l’espèce appelée imyungo (au singulier umwungo). C’est de cette espèce d’arbre que la localité a tiré son nom : iCyungo signifie : le mwungo touffu. Ayant choisi l’arbre qui lui convenait, Nyamigezi le coupa en cinq tranches, dont il tailla autant de tambours qu’il fit transporter au Busigi, sous l’appellation fallacieuse de amasekuru (au singulier isekuru) mortier à grains. On les arrangea ensuite en tambours dans le plus grand secret sous la direction des Dépositaires du Code ésotérique auxquels cette tâche revenait. Tout se fit dans la maison de Nyamigezi, qui en fut temporairement le gardien. Cette fonction resta à ses descendants à perpétuité, à la Cour, jusqu’à notre époque.
  1. Le tambour de la tranche de base du tronc devint le Bariba ; la tranche suivante fut le Karinga, et la troisième devint le Kalihejuru. Les deux suivantes n’entrent pas dans le cycle concerné. Le Karinga, c.à.d. Gage d’espérance (du verbe archaïque kuringa, devenu réfléchi dans la langue actuelle : kwiringira ; cfr. Les Milices n° 12), fut choisi comme tambour-emblème de la Dynastie. Le Kalihejuru=le-Petit-qui-est-au-dessus (du Karinga) fut désigné comme le suppléant n°1, et le Bariba comme n° 2. Ainsi dans le cas où le Karinga viendrait à faire défaut, le Kalihejuru serait automatiquement tambour-emblème sous le nom de Karinga, à l’insu du « profane », comme si rien ne se serait passé. Il en serait de même du Bariba, si jamais le premier suppléant venait à péricliter.
  1. Le Nangamadumbu, supplanté par le Karinga, resta à la çour, associé au Karinga, pour symboliser l’élément féminin, jusqu’au moment où Ruganzu II vint fixer sa résidence à Mata près Muhanga (Commune actuelle de Mushubati, ancienne province du Marangara, Préfecture de Gitarama). Les traditions rapportent qu’à cette époque des pâtres, à la poursuite d’une chèvre qui avait pénétré dans une grotte, dans les gorges de la vallée appelée Rutaka, y découvrirent un tambour, protégé au fond au moyen de branches épineuses. Dès que la nouvelle en parvint à la Cour, une délégation se rendit sur les lieux. Les Dépositaires du Code ésotérique reconnurent le Cyimumugizi, que son gardien, Gitandura le jeune (cfr n° 156) avait sauvé lors de la catastrophe de Rubi près Nyundo. Ceci nous démontre que ce Gitandura était mort avant le retour de Ruganzu II, et que son secret n’avait pas été révélé à ses collègues, comportement qui est loin d’être isolé dans les agissements des Dépositaires du Code ésotérique.

Le Cyimumugizi fut immédiatement placé aux côtés du Karinga, pour y représenter le même symbole qu’aux côtés de l’ancien Rwoga. Le Nangamadumbu fut confié aux descendants de Gitandura, comme mémorial du dévouement de leur ancêtre. Il se fit ainsi que le Cyimumugizi restait le plus ancien tambour d’entre ceux conservés à travers les siècles au Rwanda. C’est aux mêmes Abatandura que resta toujours la dignité de Gardien du Cyimumugizi (cfr n° 96, 2).

Les traditions familiales des Abatege rapportent que leur ancêtre éponyme Nyabutege (cfr n° 156) s’évada de l’île Ijwi et rejoignit Ruganzu II à Mata.

  1. e) Guerre de revanche et conquêtes nouvelles.
  1. Une fois le Rwanda pacifié et revenu à l’unité, Ruganzu II se mit à réaliser la signification de son nom : le Victorieux. Mais il lui fallait un instrument : une force guerrière appropriée. L’institution des Milices en la Culture Rwandaise a été longuement décrite dans Les Milices du Rwanda précolonial (Bruxelles, 1963). Il va de soi que les Chefs d’alors disposaient chacun de sa Milice et qu’il accompagnait le monarque en expéditions guerrières. Mais la Milice personnelle de Ruganzu II a éclipsé toutes les autres en renommée. Son nom est Ibisumizi= Lutteurs-en-corps-à-corps, appellation qui fut celle de la toute première Compagnie, du même âge que le monarque. Au dire des traditions, cette Milice se composa, jusqu’à la fin du régné, des Compagnies suivantes :

Ibisumizi =les Lutteurs-en-corps-à-corps

Ingangura-rugo= Assaillants-d’avant-garde.

Irnisambi =les Grues-couronnées.

Udusambi= les Elégantes-grues-couronnées.

Insambuzi =les Destructeurs-d’habitations.

Abadakonja =les Réfractaires-au-froid.

Abakonjabyuna = les Tordeurs-d’armes-en-fer.

Abaganda = les Marteleurs.

Le prince Semugeshi, futur successeur de Ruganzu II, sera recruté parmi ces derniers, dont à son avènement il fera sa Garde personnelle. Le commandant de toute la Milice était Muvunyi, fils de Karema, de la Famille des Abaturagara (cfr n° 83), membre de la Compagnie Ibisumizi.

  1. Le premier pays dont il fallait tirer vengeance était le Bunyabungo : on doit supposer, abstraction faite des traditions, que la lignée de Ntsibura I Nyebunga figurait en tête de ceux que Ruganzu II devait attaquer. Le monarque conquit d’abord toute la rive orientale du lac Kivu, jusqu’à la Rusizi. Il conquit ensuite l’île kiwi. Les traditions racontent, sans plus, que le Bulayabungo proprement dit fut attaqué et ravagé à plusieurs reprises.

Ruganzu II s’attaqua ensuite à Nzira, fils de Muramira, Roi du Bugara, dont les guerriers avaient secondé Ntsibura I Nyebunga lors de la mort de Ndahiro IL Un grand poème, dont on ne peut rien tirer sur le plan qui nous intéresse de l’Ethno-Histoire, nous détaille abondamment les exploits accomplis par le monarque en personne, sous le surnom de Cyambara-ntarna =l’Habillé-de-(peau)-de-brebis. Le seul point utile en ce fameux morceau est simplement que Ruganzu II attaqua Nzira et le tua. Le Bugara fut dès lors définitivement rattaché au Rwanda.

  1. Une fois satisfaite l’obligation de la vendetta, Ruganzu II entreprit des expéditions de conquêtes au dépens des principautés autochtones voisines. Il annexa le Bunyambilili, dont le roitelet Gisurera, habitant à Suti (en la Commune actuelle de Musange, Préfecture de Gikongoro), fut tué. Mais sa lignée ne fut pas éteinte : la Cour la remit en place en raison de sa fonction de abavumyi = maudisseurs des fléaux menaçant l’agriculture.

Un autre poème nous montre le conquérant soumettant la région globalement appelée uBwanamukali, en Préfecture de Butare, et tuant les notables Nyakarashi à Zivu, . (en la Commune actuelle  de Shyanda), puis Mpandahande, qui habitait à Ruhande (la colline de l’Université Nationale du Rwanda, centre urbain de Butare). Il s’attaqua ensuite à Nyaruzi, fils de Haramanga, roitelet du Burwi, qui fut tué dans le Mukindo près Makwaza (Commune actuelle de Kibayi). C’était le dernier représentant de l’ancienne Dynastie des Abarenge, dont le domaine était annexé par le Rwanda.

  1. Un autre poème non moins fameux met en scène Ruganzu II et son capitaine Muvunyi, fils de Karema se jetant le gant chacun des deux s’engageait, par pari, à tuer Kamima, fils de Kamirogosa, roitelet qui habitait dans la forêt de Ngabo, sur la rive Nord-orientale du lac Kivu, entre les anciennes provinces du Kanage et du Bugoyi. Rien d’autre ne saurait être tiré du poème, sinon l’indication que le conquérant contourna la Dorsale Zaïre-Nil pour conquérir les zones situées au Nord-Ouest du Bwishaza déjà annexé sous le règne de son grand-père Yuhi II Gahima II.

Ainsi Ruganzu conquit-il les régions du Bugoyi, du Byahi, du Bwishya, en un mot la zone proche au-delà des volcans. Le Bufumbira fut également conquis par lui, en tant que région faisant partie du Bugara.

  1. Ruganzu II était en relations d’amitié avec Rwagitare, monarque du Bugesera. Ce dernier pays s’étendait à l’Ouest jusque dans les environs de Ngozi, et les traditions rapportent qt1 sa frontière Sud était formée en partie par la Rubyironza, et an Sud-Est par la Ruvubu. Mais le royaume du Burundi l’avait progressivement démembré, le refoulant vers le Nord. Rwagitare, une fois en guerre contre Ntare II Kibogora, du Burundi, appela Rugnzu II au secours. Les Ibisumizi s’en allèrent guerroyer contre le Burundi, sous le commandement supérieur de Nyantabana, fils de Kamima, du Clan des Abega représentant son maître. Les guerriers de Ntare II furent battus par la coalition du Nord. Après la victoire, Rwagitare proposa à Nyantabana des troupeaux de vaches en cadeau de remerciement ; mais le Rwandais en informa d’abord Ruganzu II pour savoir s’il acceptait ce cadeau de remerciement. Le monarque déclina le cadeau proposé, affirmant que sa contribution à la victoire du Bugesera devait être considérée comme un geste d’amitié et non comme une corvée à rétribuer.
  1. Les traditions rapportent que sous Ruganzu II Ndoli, Lyangombe fit son apparition dans le Rwanda. C’était un puissant Chef magicien, à la tête d’un fort groupe de sa secte religieuse : les Il arrivait du Gitara, région au Nord du lac Rwicanzige (Edouard). La doctrine de sa secte était apparentée à celle du Kiranga, suivie de temps immémorial au Burundi.

Lyangombe, avant de s’engager sur le territoire du Rwanda, envoya un messager à Ruganzu II pour solliciter l’autorisation d’entrer librement et de circuler dans le pays. Ruganzu II, superstitieux

comme tout le monde, donna l’autorisation sollicitée. Il aurait fait la connaissance du magicien au lieu dit Nguli, au pied du volcan Muhabura, région du Bukamba. Lyangombe aurait même accompagné le monarque durant l’une de ses expéditions à l’île Ijwi. Pour se le rendre favorable, Ruganzu II lui aurait, dans la suite, donné la main de sa propre fille. Le grand magicien, aU cours d’une chasse, aurait été tué par une antilope à Kibingo (en la Commune actuelle de Gishamvu, ancienne province du Nyakare, en Préfecture de Butare).

f) La mort de Ruganzu II Ndoli.

  1. Revenant du Kinyaga, région sise à la rive Sud-orientale eu lac Kivu, Ruganzu II tomba dans une embuscade tendue par des montagnards de la région du Rusenyi, en la Préfecture de Kibuye. Le monarque et son escorte engagèrent le combat, contre les assaillants. Mais il fut blessé d’une flèche barbelée qui, lui creuvant un oeil, ne put être retirée. On le transporta dans cet état jusqu’à Matyazo, dans l’ancienne province du Nyantango. Il y avait là une Famille de forgerons : ils purent enlever la flèche, mais le monarque expira bientôt après dans la localité appelée depuis ku Gaciro = lieu de dernier soupir. Ladite Famille de forgerons fut appelée depuis Abakuro (dérivé du verbe gukura = arracher) en souvenir de ce que leurs ancêtres avaient arraché la flèche barbelée.

Avant d’expirer, Ruganzu II porta l’interdiction de rendre un culte quelconque à son esprit, parce qu’il entendait aller séjourner à perpétuité à l’intérieur du Karinga, afin de partager avec le tambour le culte qui serait rendu à ce dernier. Cette dernière volonté fut scrupuleusement respectée.

  1. Son échanson, un Muhutu appelé Rusenge, se suicida, ne voulant pas survivre à son maître. Ce suicide en ces circonstances, disent les traditions, aurait valu à Rusenge l’honneur que lui conféra la Cour en imposant son nom à la localité où il avait expiré, dans l’ancienne province du Nyantango. Cette tradition n’ayant aucun rapport avec le Code ésotérique, nous la signalons sans plus rien n’empêcherait que ladite localité ait été simplement l’homonyme de l’échanson qui serait mort là, ou dans le voisinage immédiat.

Les traditions rapportent que la Compagnie Ibisumizi décida d’un commun accord de se livrer à un suicide collectif, n’admettant pas qu’un simple serviteur de la Cour témoignât seul son attachement au monarque défunt. Les guerriers se seraient mis en route au début de la nuit, et le jour se serait levé au moment où ils atteignaient la localité appelée Butantsinda, en la Commune actuelle de Kigoma, en Préfecture de Gitarama. Là, ils se seraient divisés en deux camps et se seraient entre-tués. .Dès que l’un des deux camps avait perdu beaucoup d’hommes, on rompait les rangs pour faire un nouveau partage.

  1. Ruganzu II fut enterré à Butangampundu, cimetière des monarques morts dans les mêmes conditions (cfr n° 116). Le cimetière primitivement destiné aux Rois du nom Ruganzu était Ruhanga (Commune actuelle de Tare, Préfecture de Kigali). Ce fut là qu’on enterrera Nyiramavugo I Nyirakabogo, son épouse, le Code ésotérique stipulant que les Reines mères doivent être déposées dans la même localité que leurs époux.

Le tambour-des-audiences (Indamutsa) de Ruganzu II s’appelait Ntsinzabasazi (contraction de Ntsinze-abasazi) ,j’ai-triomphé-des-fous.

g) Conclusion : les traditions fermes concernant Ruganzu II .

  1. Les Récits sur le règne de Ruganzu II, vrais poèmes, oeuvres d’imagination, sont nombreux et fort étendus. On a soigneusement évité de s’en servir, comme il aura été remarqué. On s’est attaché plutôt à mettre en relief les traditions « vitales », et, avec les réserves qui s’imposaient, à signaler certaines traditions littéraires qu’il était simplement utile de citer. Il serait donc superflu de reprendre ici les traditions « vitales » déjà signalées : la personnalité du grand monarque, du reste, s’impose d’elle-même et personne ne pourrait valablement mettre en doute son existence.

Nous nous limiterons en conséquence, à rappeler ce qui suit :

1) La vaste Famille des Abaganzu descend de ce monarque, devenu son ancêtre éponyme, par son petit-fils Nzuki, fils de Mutara I

2) La Milice Ibisumizi déjà citée s’est perpétuée jusqu’à notre époque. Sous le règne de Cyilima II Rujugira, elle fut commise à la garde des tombeaux royaux du mont Rutare, à partir du moment où y fut transférée et inhumée la momie de Mutara I, fils de Ruganzu II.

3) Les deux Milices Abaruhije = les Intraitables, et Nyantango = les Initiaux (ou bien :l’Encerclement), furent également créées par Ruganzu II et commandées sous son règne par Mpande-ya-Rusanga (cfr n° 159,5). Le commandement en resta à sa descendance jusqu’au règne de Kigeli IV Rwabugili, qui en destitua le nommé Nyamuganza fils de Turatsinze. Les deux Milices furent tôt jumelées avec les Ibisumizi et en suivirent le commandement jusqu’à la destitution de Nyamuganza : Kigeli IV sépara les Nyantango qu’il confia à un Chef différent.

4) La Milice Nyakare = les Précoces (qui donna son nom à l’ancienne province de ce nom en la Préfecture de Butare) fut également constituée sous Ruganzu II ; le noyau en fut formé de guerriers immigrés du Burundi sous le Commandement de Bashana l’Ancien (cfr Les Milices n° 107-110).