LE REGNE DE NDAHIRO H CYAMATARE. 13ème  Roi, de 1477 à 1510

a) Les luttes de compétition au trône.

 

  1.  A la mort de Yuhi II Gahima II, il se forma un parti d’opposition à son successeur Ndahiro II Cyamatare. Les princes Juru, Bamara,Bwimba et Mutezi étaient de ce parti ; les princes Binama, Gacu et Karangana restèrent fidèles à NdahiroII. Les opposants intronisèrent Après la première phase de ces luttes intestines, Ndahiro II ne put imposer son autorité à tout le territoire du Rwanda : toutes les provinces situées à l’Est de la Nyabarongo furent occupées par Juru, tandis que son rival régna sur les régions sises à l’Ouest de la rivière.

 

  1. Mais la zone orientale, quoique soumise à Juru, ne manquait pas de légitimistes qui, sans se démasquer, restaient de coeur avec Ndahiro II. Parmi ces derniers étaient principalement Minyaruko, le grand pluviateur qui commandait le Busigi et le nommé Mugobe fils de Ngwije, de la Famille des Abakwobwa, habitant dans le Museke dit de Rubingo (cfr finale du no 125). En leur qualité de grands notables (Mugobe était Détenteur du Code ésotérique) ils étaient parmi les familiers de celui qui, à leurs yeux, était un usurpateur. C’est ainsi que Minyaruko envoya à Ndahiro II un messager pour lui apprendre que Juru se préparait à inaugurer une nouvelle résidence à Gitambi (en la Commune actuelle de Mugambazi, ancienne province du Buriza). Les Mémorialistes nous disent que Ndahiro II organisa une expédition en règle pour attaquer son rival à l’improviste le jour même de l’inauguration. Mais cette expédition peut avoir, été envoyée très discrètement pour se mêler à une foule en fête, qui ne se doutait de Au cours des fêtes, Juru fut tué, et les membres de l’expédition se regroupèrent. pour se retirer en bon ordre, s’attendant à être poursuivis.

 

  1. Le prince Mutezi qui désespérait de s’y mesurer, proposa un duel : «Que l’un d’entre vous, dit-il, vienne se mesurer avec moi en combat singulier. S’il triomphe de moi, ceux de mon parti se soumettront à Cyamatare.  Dans le cas contraire, ceux du parti de Cyamatare se soumettront à nous . La proposition ayant été acceptée, Mugobe fils de Ngwije s’avança et tua Mutezi. Mais le parti du vaincu ne se soumit pas : les autres en auraient fait autant, bien entendu. Seulement, on ne voit pas bien comment un prince peut aller s’exposer en un combat singulier, sans que les siens s’y opposent : surtout que Juru venait d’être tué. Il serait plutôt normal de croire que Mugobe, au cours de la mêlée, aurait tué Mutezi en un combat « singulier » en son genre, et que les Mémorialistes en aient fait un duel officiel. On ne s’explique pas non plus rationnellement comment Mugobe, habitant à l’Est de la Nyabarongo, – quoique de coeur avec Ndahiro II, – aurait pu se démasquer et rester quand même dans le Museke, où nous le retrouverons sous le règne suivant. Si le fait de la mort de Mutezi, en conséquence, a eu lieu, les Mémorialistes auront emprunté le nom d’un personnage connu pour sa fidélité à Ndahiro II, lui attribuant un exploit indû.

 

  1. A Juru devait succéder l’un de ses fils, car en examinant le Poème généalogique de la Dynastie des Banyiginya, il en laissait trois : Muyogoma, Cyankumba et Kinanira (cfr Inganji Karinga II, 8, 11, 12, 13). Il faut croire qu’il y eut un coup d’Etat de plus, car le parti d’opposition intronisa plutôt Bamara, fils de Yuhi II. Bamara régna donc à l’Est de la Nyabarongo et Ndahiro II ne put l’en déroger.

b) Ntsibura I Nyebunga attaque le Rwanda et tue Ndabiro II

 

152. Tandis que le Rwanda était ainsi divisé et occupé à ses luttes in-testines, une puissance redoutable, venant de l’Ouest, menaçait le pays. Nous connaissons déjà Ntsibura I, fils de Murira-Muhoyo : il était né dans le Bugesera, et les messagers du Bunyabungo étaient venus le prendre pour en faire leur monarque (cfr n° 139).

Il couvait la vengeance en son coeur ; bien que son père fût tué par les guerriers du Bugesera, il savait bien que le grand responsable, celui que devait poursuivre la vendetta, était la lignée régnante au Rwanda. C’était Mibambwe I qui avait organisé l’expédition pour venger la mort de sa mère. Ntsibura I, de son côté, entendait venger la mort de son père. Bien que le Rwanda fût alors divisé en deux, il savait que le monarque légitime était celui qui détenait le Rwoga, tambour-emblème de la Dynastie. Les Mémorialistes nous assurent qu’il aurait envoyé même des messagers à Bamara pour solliciter son alliance contre Ndahiro II, et que jamais il n’inquiéta dans la suite la zone située à l’Est de la Nyabarongo. Il aurait de même sollicité l’alliance de Nzira, fils et successeur de Muramira, monarque du Bugara, dont le Rwanda avait antérieurement annexé des provinces.

 

  1. Ntsibura I avait préalablement soumis à son autorité les îles du Kivu et les régions riveraines de part et d’autre du lac. L’annonce de son invasion prochaine inquiéta tellement Ndahiro II que, pour assurer les chances de sa lignée, il expédia son fils Ndoli au Karagwe, chez Karemera I Ndagara, époux de la princesse Nyabunyana. Il entendait mettre en sûreté son héritier désigné et ne le faire rentrer au Rwanda que lorsque la situation se serait normalisée. . Son autre fils, Kibogo, resta dans le pays. Ces dispositions auraient été prises à Mukingo (localité en la Commune actuelle de Kigoma, en Préfecture de Gitarama). Ndahiro II y aurait établi son testament, dont les exécuteurs alors présents portent l’appellation de Abalya-nkuna = les Féaux, plus exactement : ceux qui souffrirent au dernier degré faim et soif par dévouement à leur maître. Parmi ces Féaux, le nommé Kavuna, (coupable d’un délit dont il s’était à son insu rendu coupable du domaine du Code ésotérique), fut désigné comme messager entre Nyabunyana et Ndoli, d’une part, et les Abalya-nkuna, d’autre part. La punition qui l’attendait et qu’il ignorait : ce dévoué messager ne reviendrait jamais au Rwanda, si Ndoli y rentrait pour y être intronisé. Comme on pouvait craindre cependant que les partisans de Bamara ne tentassent d’aller assassiner Ndoli en son lieu de refuge, Ndahiro II fit ap
prendre à sa soeur Nyabunyana, un mot de passe. Quiconque se présenterait à la Cour du Karagwe devait connaître ce mot, et personne ne verrait jamais Ndoli s’il l’ignorait. Ce mot de passe aurait été le suivant :

 

Nyabunyana : « Mais dites, où nous sommes-nous vus la dernière fois ? »

le visiteur : « Nous nous sommes vus la dernière fois, assis sur une natte étendue sur un rocher lisse ».

 

A cette réponse, Nyabunyana saurait que le Rwandais qui Se présentait était parmi les hommes de confiance de Ndahiro II et pouvait voir Ndoli. Autrement, on ne le lui montrerait pas et le mécréant serait tué.

 

154. Ces dispositions ayant été prises, Ndahiro II, avec toute sa Cour, se déplaça du Nduga et alla fixer sa résidence à Gitarama, localité dans la Commune actuelle de Kibilira (ancienne province du Cyingogo, en sa région du Bugamba,”- Préfecture de Gisenyi). Il disposait de trois Compagnies guerrières appelées : Ingata = les Encercleurs, Abahunga = les Colossaux, et Inkindi = les Ornements-guerriers.

 

Ntsibura I Nyebunga dirigea ses innombrables guerriers sur Gitarama ; Nzira, monarque du Bugara, y envoya les siens sous le commandement d’un certain Mukongoro (d’où les Mémorialistes et Aèdes appellent ses guerriers Abakongoro -= les Aigles). Assailli d’abord par Ntsibura I qui arrivait de l’Ouest, Ndahiro II dut se replier de sa résidence et fut blessé au pied du Gitarama, dans la vallée qui fut depuis lors appelée Irasaniro = Lieuducombat. Il traversa la Kibilira, mêlant son sang aux eaux du ruisseau. En souvenir de ce fait, aucun monarque Rwandais ne pouvait traverser la Kibilira : il devait la contourner et passer en amont de sa source.

 

155. Ayant passé la Kibilira, Ndahiro Il atteignit le massif du Rugarama. Il fut achevé là par les guerriers du Bugara qui l’y attendaient et y avaient déjà probablement vaincu ses propres défenseurs.

Dans les traditions, aussi bien des Mémorialistes que des Aèdes dynastiques, ce massif de Rugarama est désigné sous l’appellation de Rubi rw’i Nyundo (Rubi. = le Mauvais, le Lugubre). Nyundo

est un monticule adossé au Rugarama, et servant à préciser ce Rugarama entre tant d’autres localités de même nom. Rubi rw’i Nyundo= le Lugubre près Nyundo.

 

156. La Reine mère Nyirandahiro II Nyirangabo, avec les femmes du monarque vaincu, dont Nyabacuzi, mère du prince Ndoli, furent faites prisonnières. Elles devaient être mises cruellement à mort dans une localité de la région, désignée depuis sous le nom de mu Miko y’Abakwobwa = les Erythrina-des-nobles-Dames.

 

Le tambour-emblème de la Dynastie, le Rwoga fut pris par Ntsibura I et on ne sut jamais ce qu’il en fit. Le grand Mwiru Intronisateur appelé Nyabutege, fils de Tegerangoma, ancêtre éponyme des Abatege, fut fait prisonnier : on lui coupa les doigts et il fut emmené dans l’île ljwi, où, comme on devait s’en rendre compte plus tard, il fit souche. Quant au tambour-emblème Cyimumugizi (contraction de : cyima-umugizi = le pays est régi par un omnipotent), symbolisant l’élément féminin auprès du Bwoga, il fut sauvé par son gardien Gitandura le jeune, descendant du Gitandura l’ancien (cfr n° 91, 94, 96). Ce Gitandura le jeune, ancêtre éponyme de la Famille des Abatandura, cacha le tambour dans une grotte qu’il barricada de branches épineuses, en la localité dite mu-Rutaka sous le massif du Muhanga, non loin de la ville actuelle de Gitarama (à ne pas confondre avec le Gitarama du Bugamba ci-avant). Mais il mourut sans en avoir indiqué la cachette.

 

157. La mort de Ndahiro II survint durant le mois lunaire de Gicurasi (coïncidant avec le mois de Mai). Ce fut l’origine des deux semaines de Deuil que la Cour observait chaque année avant la célébration de la Fête des Prémices, celle-ci tombant à la nouvelle lune de Kamena (Juin). Ntsibura aurait occupé le Rwanda pendant 11 ans ; c’est-à-dire, au dire des traditions relevant du Code ésotérique, que le Rwanda passa 11 récoltes de sorgho sans célébrer la Fête des Prémices, omission considérée comme événement assez grave pour être retenu (n° 351, 2).

 

c) Traditions fermes à retenir de ce récit.

 

158. 1) Il est évident que la mort de Ndahiro II a eu lieu dans les circonstances narrées : il ne s’agissait pas d’un événement glorieux

à transmettre à la descendance, pour que les Mémorialistes inventassent un récit aussi humiliant pour le Rwanda. Ceci confirme, en conséquence, que Ntsibura I Nyebunga a réellement existé. On remarquera que nous nous arrêtons ici uniquement à son existence, en faisant abstraction des récits antérieurs qui l’introduisent. Nous pouvons dire, tout au plus, que l’expédition de Mibambwe I au Bunyabungo en devient probable ; simplement probable, car Ntsibura I aurait bien pu attaquer le Rwanda de son propre chef, en tant que conquérant, sans aucun mobile de vengeance.

 

2) En ce qui concerne le tabou interdisant aux monarques Rwandais de traverser la Kibilira, nous avons eu heureusement des témoins oculaires qui accompagnaient Kigeli IV Rwabugili. Il avait sa résidence à Kageyo, dans le voisinage du Rugarama et il contournait régulièrement le cours de la Kibilira. La même pratique était observée par son fils Mibambwe IV Rutarindwa après son intronisation comme corégnant. Ce tabou est donc un fait constaté et qui trouve son explication dans les traditions « vitales » du Code ésotérique.

 

3) On doit en dire autant de ce Deuil annuel que menait la Cour, en se référant explicitement à la mort de Ndahiro II. Ce Deuil comporte un Poème dans le Code ésotérique, (La Voie pour clôturer Gicurasi). Le Poème lui-même décrit le cérémonial du Deuil, sans parler de Ndahiro II. Mais on sait que la partie la plus importante de l’ Ubwiru. est consituée par les Intekerezo, c.à.d. Historique et ‘Commentaire du Code, sans lesquels ‘les Poèmes perdraient leur signification {cfr Zaïre, Avril 1947, p. 373).

 

4) Parmi ces Intekerezo justement, il est explicitement stipulé que plus aucun monarque ne porterait le nom dynastique de Ndahiro, parce que le tambour-emblème de la Dynastie a été arraché au dernier titulaire de ce nom.

 

5) La vaste Famille des Abagunga  a pour ancêtre éponyme Kigunga, fils du prince Kibogo, fils de Ndahiro II.

Tout ceci constitue un ensemble de traditions « vitales » que  personne ne saurait valablement récuser.