LES BANYARWANDA DONNENT PARFOIS LE NOM D’IMANA A DES PERSONNES OU DES CHOSE ET DES NOMS QUI EXPRIMENT L’UN OU L’AUTRE DE SES ATTRIBUTS AUX NOUVEAUX-NÉS.

1. Au Rwanda, tout individu porte un nom qui lui est propre ; les noms de famille y sont inconnus ; c’est un peu celui du clan, ou du sous-clan auquel il appartient, qui les remplace.
Ce nom propre est donné à l’enfant environ huit jours après sa naissance ; c’est au père habituellement que revient ce privilège ; fréquemment il y exprime à Imana sa reconnaissance pour le don qu’il lui a fait de cet enfant, ou bien il le lui confie afin qu’il en prenne soin lui-même, car c’est lui qui donne les enfants (Habyara Imana: c’est Imana qui engendre) et il est, tout particulièrement, le Père des tout-petits (Sebibondo).
Parfois ce nom rappelle tout simplement l’un ou l’autre attribut d’Imana ou les devoirs que l’homme doit à son Créateur.
On en a déjà mentionné un certain nombre dans les pages précédentes : Habimana — Maniragaba — Hatangimana ; etc.

En voici quelques autres :
Hitimana: C’est Imana qui donne le nom à l’enfant.
Hitarurema : C’est le créateur qui donne le nom à l’enfant.
Hitarugira : C’est l’Auteur de toutes choses qui donne le nom à l’enfant.
Icyimanizanye : C’est Imana qui nous a apporté cet enfant.
Ayinkanziye : Cet enfant est le lait qu’Imana a trait pour moi.
Cyimpaye : Cet enfant est la chose qu’Imana m’a donnée.
Cyimana. Cet enfant est la chose d’Imana.
Akimana : Cet enfant est la petite chose d’Imana.
Munyemana : Cet enfant a la protection d’Imana ; il a Imana pour lui.
Kanyemana : (diminutif de Munyemana). Ce petit enfant possède Imana, appartient à Imana.
Nyiramana : (nom donné à une fille) ; même sens que Munyemana (Les noms des filles sont souvent précédés de nyira, tandis que ceux des garçons le sont souvent de munya, qui d’ailleurs a le même sens : celui qui possède ; on dit : umunyabintu, un riche qui possède de grands biens ; umunyabwenge , un homme qui a de l’intelligence).
Kamana : Cet enfant est un petit Imana … parce qu’il est né rutilant de santé.
Ndagijimana : Je mets cet enfant sous la protection d’ Imana.
Mbarushimana : En me donnant cet enfant, Imana m’a favorisé plus que d’autres.
Ndamutsimana: Je salue Imana.
Ndamizimana: Même sens.
Nyirantezimana : Imana y pourvoira (nom de fille).
Mpimana : J’ai donné cet enfant à Imana.
Nzabahimana : Je serai là où est Imana. Je vivrai toujours avec lui.
Cyitegetse ou Kwitegetse : Imana s’est commandé en me donnant cet enfant ; il ne dépend en effet de personne quand il donne aux mères d’enfanter.
Kurakure ou Sahinkuye : Imana l’a fait venir de loin. Nom donné à un enfant à la suite de sa guérison inattendue, car il était gravement malade.
Nyirarugira : Celle qui a le Créateur pour elle. Nous avons donné plus haut l’explication du terme Rugira.

2. Les Banyarwanda donnent également le nom d’Imana à tout ce qui manifeste à leurs yeux d’une manière ou d’une autre sa grandeur, sa puissance, sa bonté :
—Au roi du Rwanda, son image terrestre, qu’il comble comme pas un de ses bienfaits. Imana imanira ku mwami. Imana se montre vraiment Imana (libéral) pour le roi.
—A Kalinga, le tambour symbole du gouvernement ; qui détient ce tambour est reconnu roi.
—A l’Européen tenu en bénédiction pour sa droiture et ses bienfaits.
—A l’arbre séculaire, vestige d’une ancienne résidence royale, et qui, isolé, domine majestueusement ses alentours.
—A l’amulette protectrice, bouclier contre les sortilèges.
—En montrant le taureau, étalon de son troupeau de vaches et principe de sa croissance, le vacher dira : « Voici l’Imana de mon troupeau : Ng’iyi Imana y’ubushyo bwanjye, ».
—A l’oreille du taurillon, du mouton ou du poussin, qu’il va égorger pour consulter les entrailles, l’aruspice dira : « Uri Imana, ube Imana : Tu es Imana, sois Imana », c’est-à-dire : Fais en sorte que tes viscères se montrent propices. Et, si les sorts sont favorables, il ajoutera : « Imana yeze » (Imana est propice).

Ensuite, remettant à son client certaines parties de ces entrailles et certains os, qu’il conservera comme amulettes, il les lui présente en disant : « Enda Imana: Reçois Imana «…» Ng’iyo Imana ; uhorana n’Imana mu Rwanda»: Voici Imana ; demeure toujours avec Imana dans ton Rwanda ».
Les entrailles du mouton sont enfermées dans une grande calebasse neuve qu’on désignera désormais sous le nom de igisabo cy’Imana: la calebasse d’Imana ». Le poussin, lui, est enfermé tout entier (sauf quelques os) dans une branche de ficus fendue en quatre qui
porte le nom de umurishyo w’Imana (la baguette d’Imana). Dans le langage courant imirishyo désignent les baguettes avec lesquelles on frappe le tambou.
On emploie également le terme Manamana, qui signifie choses d’Imana, pour désigner les animaux, les plantes et les objets, dont le devin, ministre d’Imana fait usage dans la divination.
Cependant, remarquons le bien, l’extension de ce terme d’Imana à certains objets ou à certains êtres ne produit d’illusion à personne. On ne confond jamais en fait Imana avec ces objets et ces êtres qui portent son nom.
Quand gronde le tonnerre et que tombe la foudre qu’ils appellent le roi d’en haut, les Banyarwanda ne se gênent nullement pour rappeler à ce roi qu’en somme il n’est qu’une créature d’Imana : « Uri inkuba, nturi Imana. Après tout, tu n’es que la foudre, tu n’es pas Imana ».

Le terme « Imana » a parfois le sens de bonne chance ou de malchance. Ainsi, à l’occasion d’un événement heureux, les Banyarwanda disent indifféremment : « Nagize ihirwe. J’ai eu du bonheur » ou « Nagize Imana. J’ai eu Imana, sous- entendu, pour moi », et cela pour dire qu’ils ont eu de la chance. Mais en français on dit également et facilement : « Grâce à Dieu… ».
Quand, par contre, un malheur leur est survenu, on les entend dire : « Nagize ibyago, amakuba, amagorwa. J’ai eu des malheurs, des ennuis, des tourments ou : Nta mfite Imana / nta Mana mfite. Je n’ai pas eu Imana… pour moi », et même : «Nagize Imana mbi. J’ai eu un mauvais Imana » c’est-à-dire de la malchance.
La semaine rwandaise qui comporte quatre jours se termine par le jour blanc ou propice (Etre blanc se dit kwera. Ce verbe est employé pour dire que les récoltes sont mûres (Imyaka yeze), que les sorts ont été favorables (inzuzi zeze), et pour désigner le jour de liesse qui termine le temps du deuil. C’est pourquoi le blanc est considéré comme une bonne couleur par opposition au noir qui est une mauvaise couleur. Le verbe ukwirabura (être noir) sert à désigner le temps de deuil qui suit la mort d’un parent. Quand les sorts sont néfastes, on dit qu’ils sont noirs) de Gihanga, le Créateur (Icyumweru cya Gihanga). A vrai dire, dans la pensée des Banyarwanda ce n’est pas Imana qui est spécialement évoqué en ce jour, mais plutôt le souvenir de son serviteur Kibogo, fils du roi Ndahiro Cyamatare, qui a été rangé dans la catégorie des Libérateurs (Abatabazi, du verbe gutabara : secourir) et dont voici la légende d’après le R. P. PAGÈS.
Une grande sécheresse s’était abattue sur le Rwanda amenant avec elle la famine. Le roi Ndahiro en était tourmenté comme aussi d’une grave infirmité ; un de ses yeux le faisait horriblement souffrir. Il avait tout essayé en vain : recours aux sorciers, aux devins, aux aruspices, offrandes et sacrifices aux mânes de ses aïeux. Il finit par consulter un devin étranger de très grand renom, qui lui signifia que les mânes de ses ancêtres réclamaient le sacrifice de son propre fils, Kibogo, comme victime de substitution (inshungu) en faveur du pays. Kibogo accepta sans hésiter. Dès le lendemain il se présenta revêtu de ses plus beaux habits et accompagné de sa femme, de ses fils et de nombreux serviteurs portant sur la tête tout ce qui était nécessaire pour un long voyage : vivres, bières, etc. Il se rendit ainsi sur une petite montagne située non loin de Gaseke désignée de nos jours sous le nom de Akakabogo (celle de Kibogo). A peine arrivé là-haut, une nuée les enveloppa tous et les emporta au séjour d’En-Haut (Kigwa, le père des Batutsi, tomba du « firmament» (séjour d’En-Haut) où il vivait en compagnie de son père, le Tonnerre, surnommé le roi du Ciel. Comme on le voit, les Batutsi se disent d’origine céleste). Aussitôt le ciel

apaisé versa sur la terre une pluie abondante. Ndahiro lui-même fut complètement guéri.
Bref, grâce à Kibogo le pays fut sauvé, et c’est pour commémorer cet heureux événement que fut institué « le jour blanc » ou propice de Gihanga.