LES LÉGENDES .

(Il faut savoir que les vrais conteurs de légendes ne sont pas nombreux au Rwanda, et il en est de même de ceux qui ont la réputation d’en savoir plus long sur l’origine d’un clan, certains faits historiques, l’origine de certaines coutumes ancestrales ou d’un culte comme celui de Nyabingi, etc).

La création: Selon une légende rapportée par le R. P. LOUPIAS, Imana créa d’abord deux pays, celui d’en haut avec le soleil, la lune et les étoiles et celui d’en bas que nous habitons, pays de misère, de souffrance, de travail et de révolte.
Avant cette double création, Imana existait seul. Dans celui d’en haut, Imana créa toute espèce de plantes et d’arbres utiles et agréables et de chaque animal le frère et la soeur. La création de l’homme, frère et soeur, fut la dernière. Ils vivaient au ciel dans la familiarité d’Imana et jouissaient sans travail (On verra dans les pages suivantes que les «tombés du ciel » Kigwa, etc., recevaient de leur mère, Nyirakigwa, restée dans le monde d’en haut, du bétail, des céréales et même une houe et une serpette ; ce qui laisse à supposer que les habitants de ce pays d’en haut s’adonnaient aux métiers de pasteurs, de cultivateurs et de forgerons. Selon d’autres légendes, ils pratiquaient également certains modes de divination).
de tout ce qu’Imana avait créé, plantes et bêtes. La souffrance et la maladie leur étaient inconnues.

Origine céleste des Batutsi: Le Créateur avait installé l’humanité primitive et innocente dans un Eden supra-

céleste. Kigwa, l’ancêtre des Batutsi, en fut banni à la suite de l’indiscrétion de sa mère Nyirakigwa, qui révéla, sous l’empire de la boisson, la faveur exceptionnelle dont Imana l’avait favorisée (Selon d’autres légendes la mère de Kigwa s’appelait Gasani et le père SIhyerezo. Ces légendes varient parfois beaucoup non seulement quant à la forme, mais même quant au fond).

Elle eût été la plus heureuse des femmes, si elle n’avait été stérile. Elle recourut à Imana qui exauça sa prière, mais en lui enjoignant de garder secret le procédé employé pour la rendre féconde.
Hélas, Nyirakigwa avait une soeur stérile comme elle qui ne cessait de l’importuner pour savoir son secret. Longtemps elle résista, mais une fois sa soeur l’ayant fait boire avec excès, elle parla. Imana qui sait tout, sévit sans retard. Soudain, la voûte du firmament s’ouvrit, et précipita ses enfants dans le vide. La mère épargnée les vit tomber au Mubari, pays d’en bas.
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Quant à la mort, elle existait dès le commencement des choses, mais Imana la tenait en respect, en la poursuivant sans relâche. Il avait prescrit aux humains de rester dans leurs huttes la nuit, porte close, afin que, serrée de près, elle ne trouvât nulle part de refuge.
Or, voici qu’une vieille, indocile à la consigne, sortit de sa case au petit jour pour cultiver son champ. Soudain, la mort surgit la conjurant de lui donner asile ; elle lui promettait en retour de la cacher, elle, et toute sa descendance. Imana, découragé, renonça à la poursuite et depuis lors tout homme naît marqué du sceau de la mort.
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L’abîme du Kivu, enfer des damnés. Jadis, le pays était superbe et il y paissait une multitude de vaches
condamnées à disparaître, faute de reproducteurs. Un pasteur Mututsi, vassal du roi, s’en alla trouver Imana pour lui exposer la commune détresse. Imana lui promit un taureau, mais à la condition de ne révéler à personne cette faveur exceptionnelle et personnelle.
Les voisins, jaloux et désespérant de rien apprendre auprès du mari, profitèrent du séjour de ce dernier à la Cour pour s’insinuer dans les faveurs de son épouse. L’un d’eux obtint de passer la nuit avec elle. Mais soudain la terre s’ouvrit et toute la région s’effondra dans un gouffre immense. Les eaux voisines jaillirent de toute part et emplirent l’excavation.
Lorsque le noble pasteur rentra chez lui, il ne vit, au lieu et place des pâturages verdoyants, qu’une nappe d’eau. Il comprit. Le roi, ému du désastre, lui rendit un troupeau équivalent.
Il résulte de ces fables qu’Imana n’a pas voulu positivement les misères de la vie, les fléaux, les maladies et la mort. Il est toute humanité et bénignité. S’il est amené parfois à sévir pour châtier des errements, il incline par nature à l’indulgence et au pardon. Il n’est jamais insensible aux supplications des malheureux. Au terme de l’épreuve docilement subie, il accorde le réconfort et la récompense. Les traits suivants éclairent cet aspect d’Imana pitoyable.

Lorsque Kigwa, son frère et sa soeur eurent chuté au Mubari, ils s’y trouvèrent dépourvus de tout.
Exténués par la faim et le froid, pensant mourir, ils s’adressèrent à leur père céleste. Aussitôt la foudre déchira la nue et mit le feu aux herbes sèches. Peu de jours après, le firmament s’entrouvrit et laissa pleuvoir des graines : haricots, petits-pois, sorgho et un fruit, la banane. Puis tombèrent encore d’en haut, une masse de fer, une serpette et une houe. « C’est Imana qui nous envoie tout cela », dirent les exilés, et ils se mirent à cultiver la terre.
Mais déjà végétaient dans la contrée des familles Bahutu, les Basinga, les Bazigaba, outre les Batwa dans la forêt. Tous ces hommes venaient du ciel, d’où leurs ancêtres avaient été chassés pour une grande faute mais, comme ils n’avaient pas demandé pardon, Imana les avait laissés dans l’abandon. Les nouveaux-venus les firent participer à leur abondance.
Cependant il restait un grave souci à ces nouveaux venus, celui de la perpétuation de leur race. Ils se tournèrent vers Imana qui leur dépêcha un Mutabazi, un Sauveur (Mutabazi du verbe gutabara qui signifie secourir, prêter main forte d’où le substantif, Mutabazi -= Libérateur, Sauveur).
« Ne craignez pas, leur dit ce dernier, c’est Imana qui m’envoie vers vous. Si vous Lui demandez ce qui est bon, il vous l’accordera toujours ». C’est- ainsi qu’ils purent entrer en communication avec leur mère désolée, Nyirakigwa, resté au pays d’en haut, et recevoir d’elle : bélier, bouc, taureau et entendre le messager d’Imana accorder une dispense d’inceste : «Frère et soeur; mâle et femelle, multipliez-vous ; Kigwa et sa soeur, unissez-vous ».
Le Mutabazi, des hommes méchants le clouèrent à un arbre avec des tiges de fer ; mais Imana sécha ses plaies, le rappela à la vie et un orage l’enleva au firmament. Quand de grands malheurs s’abattent sur le Rwanda, son esprit vient habiter dans l’un des fils du roi régnant qui devient par là Mutabazi (Libérateur) de son pays, comme Gihanga, Kibogo, etc.

D’où provient l’assujettissement des Bahutu et des Batwa aux nobles Batutsi ?
Imana, après avoir donné l’existence aux frères Gatutsi, Gahutu et Gatwa, résolut de les éprouver pour connaître lequel des trois méritait de commander aux

autres. Un soir, il confia à chacun d’eux un pot de lait en leur disant qu’il viendrait le reprendre le lendemain.
Gatwa, glouton comme le sont encore de nos jours tous les Batwa, ne put résister et vida d’un trait le vase. Gahutu, insouciant, s’endormit et laissa tomber le sien qu’il avait posé sur ses genoux. Ouant à Gatutsi, serviteur fidèle, il put présenter, le lendemain, à son maître un pot intact. Imana proclama Gatutsi le seigneur de ses frères.
Mais le Créateur ne s’en tint pas là. Il fit comparaître l’un après l’autre les trois frères et leur présenta un nouveau-né. Gatutsi, en fin Mututsi, flaira le piège et se déroba. Gahutu fit de même. Quant à Gatwa, il tira son épée sans broncher et fendit en deux le bébé. Le châtiment ne se fit pas attendre : « Maudit sois-tu, tu seras le chien de tes frères ».
Il est évident qu’Imana ne pourrait pas réellement vouloir un acte, même proposé par lui, qui répugnerait au sens de l’humanité. S’il fait une invitation de cette sorte, ce n’est qu’une feinte, une tentation, pour éprouver la droiture native de sa créature qui a le devoir de la décliner.
Voici encore deux légendes pour illustrer ce que nous avons dit sur l’obéissance que l’on doit à Imana et la confiance qu’il faut garder en sa bonne providence dans l’adversité.

1.Une grande famine s’évissait dans le Rwanda . Accompagné de son épouse, un mari se rendit dans la forêt dans l’espoir d’y trouver quelques fruits sauvages. Après avoir erré longtemps, ils découvrirent « par hasard » un carré de courges. Ils élevèrent en cet endroit
un modeste abri. Comme les herbes folles commençaient à envahir la planche, le mari se mit en devoir de les arracher. Sa femme l’en dissuada en lui faisant remarquer qu’Imana n’avait nullement besoin de son travail puisqu’il les avait fait pousser sans lui. Il ne voulut rien entendre. 0 malheur, le jour suivant au matin, ils constatèrent avec stupeur que toutes les courges avaient séché. Il leur fallut donc chercher fortune ailleurs. Arrivés sur les bords d’une grande rivière, ils trouvèrent un grenier rempli de haricots.., nouvelle providence d’Imana toujours enclin à faire miséricorde. Ils s’y fixèrent. Le lendemain notre homme remarqua que le grenier menaçait de tomber et il décida de le consolider par un pieu. « Arrête, lui cria sa femme, car si Imana l’a posé ainsi il ne pourrait chuter ». Mais, lui, fit de nouveau la sourde oreille et enfonça son piquet. Pendant la nuit, la rivière se gonfla, déborda et emporta le grenier.

2. Il y avait une fois une jeune fille, orpheline de mère, que sa marâtre traitait en recluse. Un jour cependant elle parvint à s’échapper et se rendit tout droit chez Imana pour le supplier de lui fabriquer une belle denture semblable à celle dont il avait gratifié ses compagnes. Imana, en bon prince, l’exauça sur-le-champ et mieux lui donna des dents qui surpassaient en beauté celles de ses amies. Mais, afin qu’elle n’en tira pas vaine gloire, il lui enjoignit de ne plus sourire. L’engagement pris, Imana la congédia. La jeune fille tint bon malgré les objurgations de son père et les mauvais traitements de sa marâtre ; mariée, elle résista vaillamment aux tendres sollicitations de son mari et surtout au désespoir de ses enfants. Deux bébés se laissèrent mourir de chagrin ! Et voilà qu’un troisième allait subir le même sort, quand
la jeune maman, à bout de courage, implora la pitié de son auguste mais trop cruel bienfaiteur : « Et quoi, Imana du Rwanda, moi, qui ne t’ai jamais désobéi, ne vas-tu pas sauver mon enfant ? Imana touché et vaincu par les accents poignants de cette mère lui répondit : « Viens, regarde tes enfants, les voilà, je leur ai rendu la vie. Souris maintenant, souris à tes enfants, souris à ton mari, souris à tout le monde. Quant à ta marâtre, qu’elle flambe dans sa case, je te donne tous ses biens ». Sitôt dit, sitôt fait. Puis, se tournant vers le jeune ménage, il ajouta : « Enfantez et multipliez-vous ».