Le nom par excellence dont les Banyarwanda se servent pour désigner l’Être suprême, origine de tout, Maître de tout, tout puissant, au dessus de tout, mais personnellement débonnaire, est Imana. A leurs yeux Imana ne se contente pas de donner l’existence et la vie aux hommes, de créer pour eux plantes et animaux. Il ne les abandonne pas à leur sort ; il les accompagne partout, il les assiste en leurs besoins, il leur dispense des biens divers et parfois il les comble, il les défend, les protège et les guérit ; bref, il remplit vis-à-vis d’eux le rôle de Père à l’égard de ses enfants, du Seigneur à l’endroit de ses vassaux, il voit à l’avance le sort des hommes, il lit dans leur destinée, il sait leurs nécessités et y pourvoit pleinement.
Mais que signifie ce nom d’Imana ? Le chanoine DE LACGER écrit qu’il n’a pas de signification particulière en Kinyarwanda et même qu’il n’est pas de la langue (Estimant ce vocable d’origine étrangère, le chanoine DE LACGER ajoute : Il est prononcé comme un vocable du pays à l’autre extrémité de l’Océan Indien, en Papouasie ; là, comme ici, il désigne le Grand Dieu, l’Ancien du jour, le Père Universel, Ce Mana des Papous fut révélé aux milieux savants d’Europe par le R. P. CODRINGTON en 1891. Ce ministre missionnaire le définissait comme « une force diffuse en maint objet divin, absolument distincte de toute force matérielle et toujours conçue sous une forme concrète et personnelle ». Le mot Imana se décompose comme suit :
I = Voyelle euphonique usitée en Kirundi, mais se perdant dans les noms propres ; Imana fait exception. Il en est de même en Kinyarwanda.
N = Préfixe de la troisième classe.
MANA = Racine, qui dérive du verbe kubana. B devient M après N, et N se transforme en M. D’où Imana pour Inbana.
Ce verbe kubana se compose du verbe kuBA et de NA.
NA = avec.
kuba = être, exister, demeurer, habiter : Aba hehe ? Où est-il ? Où demeure-t-il ?
kubana = être avec, habiter avec, vivre ensemble : Turabana = Nous habitons ensemble, nous vivons ensemble.
IMANA peut donc se traduire : Celui qui demeure avec nous, qui vit avec nous. On pourrait également se demander si cette croyance à un Être suprême n’aurait pas été introduite au Rwanda par les conquérants hamites ? Cela paraît inadmissible, car, bien avant leur arrivée, les Bahutu, comme tous les Bantu de l’Afrique, croyaient certainement à son existence. Il en est de même des Batwa, premiers occupants du pays ; ceux qui les ont étudiés de plus près, comme le R. P. SCHUMACHER, n’émettent aucun doute à ce sujet. Il n’est pas certain non plus que ce soient les Hamites qui y aient apporté le nom d’Imana. Mais il peut se faire et il semble même évident qu’ils ajoutèrent à cette croyance certains traits.
On remarque en effet que la plupart des légendes qui concernent Imana ne sont pas populaires ; la grande majorité des Bahutu et des Batwa les ignorent. D’autre part, on constate que dans ces légendes une place privilégiée, le beau rôle, est souvent réservée aux Hamites.

I. L’ÊTRE SUPRÊME

Tout au Rwanda baigne dans une atmosphère religieuse ; tout y est pour ainsi dire religieux :
—Familles et races sont d’origine céleste (d’après les légendes).
—Le roi (umwami) est le représentant le plus authentique de la divinité, Imana, dont il détient son pouvoir et son autorité.
—C’est Imana qui donne la fécondité aux mères et aux champs : Habyarimana = c’est Imana qui engendre, Hahingimana = c’est Imana qui cultive :
Habyarimana, Hahingimana, Hakuzimana et les termes qui suivent : Havugimana, Habalimana, etc., sont des noms donnés aux enfants par leur père environ huit jours après leur naissance. Comme ce sont des noms composés, on pourrait les écrire de plusieurs façons :
Habyarimana — Habyara Imana — Habyar’Imana
Hahingimana — Hahinga Imana — Hahing’Imana
Maniraho — Mana ira ho — Man’ira ho
On les écrira cependant, comme on écrit en français :
Adéodat pour A-Deo-dat
Chrisostome pour Chrisos-stoma, etc.
— C’est lui qui fait grandir hommes et bêtes, qui fait germer le grain, pousser les plantes et les arbres :
Hakuzimana (du verbe hakuza et Imana. Ce verbe signifie : faire grandir, pousser, croître).
—C’est lui qui, par la bouche des devins, ses ministres, parle aux hommes (Havugimana), leur fait connaître ce qui est caché (Habalimana) et augure (Haraguri-mana) (Haragura, du verbe kuragura = deviner, exercer l’art de la divination. C’est Imana en effet qui éclaire ses devins et qui dispose par exemple les jetons de telle ou telle manière).

Tous les Banyarwanda, qu’ils soient Batutsi (Hamites), Bahutu (Bantu) ou Batwa (Pygmées) reconnaissent qu’il y a un Dieu, Imana :
Habimana = il y a un Dieu, -Maniraho = Dieu existe.
Imana est l’auteur de tout ce qui existe : Haba Rugira, Haba Rurema, Haba Ruhanga, Habumuremyi : Il y a un Créateur ; Habiyamuremye: il y a celui qui l’a créé (l’ = cet enfant) (Ces trois termes : Rugira, Rurema, Ruhanga sont tirés des verbes : kugira, kurema et guhanga qui sont à peu près synonymes. Le verbe guhanga aurait cependant un sens plus précis et plus fort. Rugira = faire, agir, causer).
Kurema = produire une chose, fabriquer, composer, d’ou créer.
Guhanga = susciter, faire apparaître une chose qui n’existait pas, organiser, créer. Ainsi on dit :
Guhanga iriba = créer une fontaine ;
Guhanga ingabo = créer, organiser une armée
Amasaka arahanga = les grains de sorgho poussent des germes ;
Umuhango = coutumes ancestrales, c’est-à-dire créées par les ancêtres ;
Igihango = poison d’épreuve qui fait connaître le coupable ;
Igihanga = le crâne, siège de l’intelligence ;
Umuhanga = se dit de quelqu’un qui est particulièrement habile, intelligent ;
Gihanga = nom donné au fondateur du Rwanda. On dit de lui : « Ni Gihanga
wahanze Urwanda : C’est Gihanga qui a fait (créer) le Rwanda c’est-à-dire le royaume Hamite des Banyiginya (Clan Mututsi).
Si l’on a donné tous les termes qui dérivent du verbe guhanga, c’est afin que l’on saisisse bien tout ce qu’il renferme de sens.
Il faut faire remarquer que les Banyarwanda n’ont pas la notion d’une création ex nihilo. Créer ne doit donc s’entendre qu’au sens de produire, fabriquer susciter, inventer une chose qui n’existait pas.

Et non content d’avoir tout créé, c’est encore lui qui conserve la vie à toutes choses : Ni yo ibeshaho byose (Ibeshaho du verbe kuba ho = Exister, demeurer ; Ukubaho = existence, vie).
C’est lui qui m’entretient et me fait vivre, en me donnant pour cela tout ce dont j’ai besoin : Niyintunze. Il est d’ailleurs riche de tout : Hatungimana (Niyintunze et Hatunga du même verbe gutunga qui a deux sens : on dit : Kanaka arantunga = Un tel m’entretient, me donne de quoi vivre : nourriture, habillement, logement
« Kanaka atunga byinshi = Un tel possède beaucoup », c’est-à-dire de grands biens, d’ou le mot umutunzi pour désigner un riche).
Quant à lui, il s’est fait lui-même : Yihanze.
Il est le premier par l’existence ; celui du commencement : Habiyambere (Habiyanzbere : Le vrai sens serait peut-être : il est le premier générateur).
Il existe de tout temps : Habiyakare (Habiyakare : Kare signifie tôt, de bonne heure, depuis longtemps).
Il est l’Éternel ; celui qui est depuis toujours et qui n’aura pas de fin (Uhoraho) (Uhoraho : être toujours, être éternel. On dit : « Kanaka ahora atongana = Un tel se dispute toujours, éternellement, continuellement »).
Personne ne l’égale ; il n’a pas de semblable : Ntawuhwana n’Imana, Ntabo bahwanije n’Imana (Ntawuhwana, du verbe guhwana -= être égal, se rencontrer, se rejoindre et nta = particule négative).

Rien ne le dépasse : Ntakaruta Imana. Il surpasse tout : Harushimana. On lui attribue parfois le dicton populaire : Inyundo ntisumba uwayicuze, le marteau ne l’emporte pas sur celui qui l’a forgé. Comme on le verra plus loin, Imana est également comparé au potier et au pasteur.
Il commande absolument tout : Hategekimana ; il est le souverain maître ; il ne dépend de personne ; il se commande lui-même : Cyitegetse. N’umwami w’imizimu : il est même le roi de tout ce qui est ombre, c’est-à-dire du monde des esprits (Par ce terme il faut entendre tout le monde invisible, non seulement les bazimu ordinaires mais aussi les bazimu de qualité et de dignité supérieures comme Lyangombe et ses Imandwa, Nyabingi, etc. et d’autres esprits que les Banyarwanda ne savent trop comment définir : les mpaca, etc.
Umwami = le roi. Quelle idée les Banyarwanda se font-ils de leur roi ? A leurs yeux il est le représentant le plus authentique de la divinité, son image terrestre. Le roi est conçu comme le père et le patriarche de son peuple en vertu pour ainsi dire d’un décret nominatif d’Imana. Il est la providence du Rwanda. Dans l’exercice de l’autorité suprême il est impeccable, infaillible ; ses arrêtés sont inattaquables ; ses jugements sont toujours justes. Il est le maître absolu de ses sujets ; il dispose comme il veut de leur vie et de leurs biens, car son pouvoir est sans limite aucune et ne dépend que de ses caprices et de son bon vouloir. Il est en outre l’unique et réel possesseur de la terre en friche et même en rapport, comme aussi des bêtes domestiques et sauvages ; les forêts, les lacs, les fleuves, etc. tout relève de son domaine personnel).
Il est tout puissant : Imana iruta ingabo : Imana est plus fort qu’une armée (Iruta, du verbe kuruta : dépasser et ingabo qui peut signifier guerriers, armée ou bouclier. En conséquence on peut également traduire ce dicton :« Imana protège mieux que le bouclier » et c’est sans doute le sens qu’il convient le mieux de lui attribuer).
Il n’a besoin de rien ni de personne ; il se suffit à lui-même : Ntivunwa (Ntivunwa, du verbe kuvunwa = être aidé, secouru, défendu et la particule négative nta).
Les amulettes ne l’enchaînent pas : Impigi ntihiga, il peut les briser sans inconvénient : Imana imena impigi (Imena, du verbe kumena = briser, casser, crever). Il sait tout : Bizimana. C’est lui qui connaît tout : Niyibizi. Qui sait comme lui ? Sinzinkayo (Sinzinkayo = Je ne sais pas comme lui ; d’où : Qui sait comme lui ?)Ce qui arrivera demain il le sait : iby’ejo bimenywa n’Imana. Il voit tout : Harorimana-Birorimana. Il entend tout. Un jour que l’auteur disait à une païenne : « Ce que tu dis, n’est pas vrai », elle lui répondit spontanément : « Pourtant je te l’ai dit sous les yeux d’Imana » sous entendu: « qui nous voit et nous entend » = «Nyamara nabikubwiye mu maso y’Imana ». Un proverbe ne dit-il pas : «Celui qui se dissimule pour faire le mal est (toujours) vu par quelqu’un qui est debout observant tout » : «Uwububa abonwa n’uhagaze ». Rien n’est caché à Imana : «Ce qui se passera demain, il le voit » : « Iby’ejo, bibona Imana ». «Ce qui est dans le ventre (nous dirions le coeur) d’un Mututsi n’est connu que d’Imana et de l’individu en question»: «A kari mu nda y’Umututsi kamenywa n’Imana na nyirako » ; or, il n’est pas de plus habiles que les Batutsi pour cacher leurs sentiments (A remarquer l’emploi du diminitif (dans Akari) pour signifier, la moindre petite chose, la chose la plus secrète).
Il est partout ; il n’y a pas de lieu où il ne soit pas : Ntaho Imana itahaba. Il se promène sur la terre comme dans l’espace : Nyamugendera hasi no hejuru (Hasi : par terre, sur le sol ; Hejuru = en haut).
Il est impénétrable, insondable : Iruta imanga: Il est plus profond que les précipices, que les gorges les plus sauvages.
Il est invulnérable. Oui en effet pourrait porter atteinte à sa vie ? Nta urogimana: On ne peut envoûter, ensorceler, empoisonner Imana (Le verbe kuroga signifie tout cela ).
Il n’y a que lui qui soit réellement fidèle et qui ne puisse tromper : Niyonzima.
Il est juste ; il ne fait acception de personne : Imana ntiyitorera (Ntiyitorera du verbe kwitorera = se choisir, ramasser pour soi, chercher pour soi).
Il est le maître absolu de la mort comme il l’est de la vie. Il n’y a vraiment que lui qui puisse nous faire mourir : Harogimana. = C’est lui qui ensorcelle, qui envoûte, qui empoisonne ; c’est dire que les artisans de la magie noire sont impuissants de par eux-mêmes.
Imana est le dispensateur de tout bien :Maniragaba, Maniraguha, Hatanga Imana. C’est Imana qui donne (Les verbes kugaba, guha et gutanga signifient donner, distribuer ; mais le premier : kugaba signifie plus particulièrement : donner en cadeau, faire un don gratuit). Il est le donateur par excellence : Rugaba. Ntawiha : On ne se donne rien. Il est libéral et magnanime dans ses dons : Tanga byinshi ntitanga rimwe : Il donne beaucoup et pas une fois seulement. C’est un bienfaiteur généreux : I cyo ihaye n’icyo ibyaye birangana: Ce qu’il a donné équivaut à ce qu’il a engendré (pour dire qu’il ne mesure pas ses bienfaits). « Sache que ce que tu mangeras demain, c’est Imana qui a passé la nuit à te le chercher : Icyo uzarya ejo, Imana irara igushakira ». « Imana est toujours prêt à vous donner du lait : Imana ikunanurira itakweretse icebe » (Seuls les riches Batutsi, propriétaires de troupeaux de vaches, peuvent se payer le luxe de boire du lait tous les jours ; d’où la considération dont jouit le lait au Rwanda). Mais personne ne peut s’approprier ce qu’Imana ne lui a pas octroyé : Ntawiha icyo Imana itamuhaye.

Imana reste libre de ses dons : Tangishaka. Il donne parce qu’il le veut et il favorise qui il lui plaît : Ntihabose. Pour signifier à une personne qu’elle a été favorisée d’une manière toute spéciale par Imana, on emploie l’expression : Imana igushize umunyu mu kanwa. Imana t’a mis du sel dans la bouche ; et l’on sait combien les Banyarwanda apprécient le sel (Jadis, pour obtenir un peu de sel, les Banyarwanda n’hésitaient pas à venir demander du travail chez les Européens).

Mieux, Imana donne avec amour, il aime de donner : Tangikunda et ce qu’il donne, il le donne gratuitement : Maniragaba. Il n’attend rien en retour. D’ailleurs que
pourrait-on lui offrir ? Riche de tout, il est au-dessus de tout besoin : Ni umutesi , ni umudagizi. On ne peut donc le payer ; c’est pourquoi, s’il te donne quelque chose, ne cherche pas à le rembourser : Imana iraguha, ntimugura. On ne l’achète pas, on ne le soudoie pas : Ntigurirwa. Celui qui voudrait débattre avec lui le prix de ses bienfaits, il le tromperait : Iyo muguze, iraguhenda. Et il n’est même pas nécessaire d’appeler sa bénédiction (ses dons), puisqu’elle vient d’elle-même : Umugisha w’Imana ntuhamagarwa, urizana.

S’il t’a comblé, souviens-en toi car lui n’oublie pas d’où il t’a tiré : Imana iraguha, ntiyibagirwa aho yagukuye. « Celui à qui Imana a donné du pain de sorgho (en abondance) a vite fait de croire qu’il a surpassé les autres à cultiver : Uwo Imana ihaye irobe agirango arusha abandi guhinga ». «Le bien-être (qui résulte de la possession des biens de ce monde) ne dépend pas de la perspicacité d’un chacun, mais d’Imana : Ntihaba gukanura amaso, haba Imana ikubonera » (Il ne te suffit donc pas d’ouvrir les yeux (gukanura amaso), c’est-à-dire d’être prudent et sage selon l’humaine sagesse, pour voir tes affaires prospérer, mais il faut encore que le bon Dieu ouvre les siens pour toi). L’aide qu’un ami porte à son ami, vient d’Imana : Uwo Imana yarasiye, ni we urasirwa n’inshuti » (C’est Dieu qui nous suggère nos bonnes actions). Bref, l’Auteur de tout bien, c’est Dieu ; aucun bien ne se fait sans lui. Il est bon de se le rappeler, car l’homme n’y pense pas assez. Il est plus sage de reconnaitre que, si Dieu n’était venu à notre secours, nous ne serions pas sortis de cette impasse : Iyitampa, sinari gukira. S’il n’était venu à mon aide, je n’aurais pas été sauvé ».
Surtout, gardons-nous bien d’abuser de ses bienfaits : Imana iraguha, ntuyumanyuze. Il faut savoir au contraire coopérer à l’aide qu’il nous prodigue, car Imana se contente de ne donner qu’un peu de cendre, c’est-à-dire rien du tout, à celui qui assis à ne rien faire à côté de son foyer implore son concours : Wambaliza Imana wicaye kw’ishyiga ikagusiga ivu. Nous disons en français : Aide-toi, le ciel t’aidera.
C’est pourquoi, si même Imana veille sur son troupeau, aie soin de le confier encore à un berger : Uragiriwe n’Imana, ashiraho umwungeri.

Et puis à supposer même qu’un Muhutu (homme du peuple de race bantu et agriculteur) n’ait pas reçu d’Imana l’aide qu’il escomptait, n’a-t-il pas (reçu d’Imana) ses bras pour se tirer d’affaire ? Umuhutu utagira Imana, agira amaboko ye.
Haba Rugira, hakaba umugizi : Il y a celui qui fait tout, Imana, et il y a l’homme d’initiative. Sens : Imana est l’auteur de tout, ce qui ne l’empêche pas de laisser à l’homme qui est libre l’initiative de ses actions.
Habyara Imana, abantu bakarera: Dieu engendre ; c’est lui en effet qui donne aux mères d’enfanter, mais il laisse ensuite aux hommes d’élever les enfants dont il les a gratifiés.

Icyo umuntu ajya agaya, Imana irara ikirema: En une nuit, Imana peut transformer (et rendre agréable) ce qui est méprisable aux yeux des humains. Il est le maître des coeurs, tout lui est possible. A son gré il agit sur notre volonté, transforme nos idées, change nos opinions et nos décisions.

Imana yerekeza umugome aho intorezo ibitse, nawe ngo arayobya uburari : Lorsque Imana indique au méchant l’endroit où la hache a été remisée (hache avec laquelle il le frappera) celui-ci croit volontiers qu’il l’a découverte lui-même. Voici, selon l’abbé BERNARD, qui fut longtemps supérieur de la Mission de Rulindo, le sens de ce dicton : Quand Dieu menace de châtier un coupable, ce dernier aveuglé par ses fautes n’y prête aucune attention, parce qu’il s’imagine qu’il ne s’agit de la part d’Imana que d’une manière de parler. Les fautes finissent par étouffer la voix de la conscience (les remords) qui est aussi la voix de Dieu.

Haragira Imana : Imana est un bon pasteur ; avec quel soin il nous guide comme un vacher ses chères et précieuses bêtes à cornes. Qui ne sait l’attachement des Banyarwanda pour leurs vaches ? (Pasteur : Ce terme doit s’entendre ici d’un pasteur de bovins, grande richesse du Rwanda. On ne confie pas son troupeau de vaches aux premiers venus, mais à des gens de confiance. Le petit bétail, chèvres et moutons, est laissé à la garde des enfants).

Hagenimana-Bugenimana : C’est Imana qui dans le mariage destine une telle pour un tel ; l’heureux avenir de la famille est entre ses mains (Hubakimana) (Hubakimana. Cette expression qui est très belle et pleine de sens peut se traduire comme suit : C’est Imana qui construit ( Kubaka) les cases (sous-entendu, où s’installent les nouveaux ménages) comme le fait un bon père de famille pour ses fils à l’occasion de leur mariage). Je me rends compte que c’est lui qui organise et arrange tout (Mbonigena).
C’est encore lui qui permet les famines, mais en temps de disette il fait connaître aux hommes où ils peuvent se ravitailler (Imanat itera amapfa, ikaranga n’ aho bazahahira).
Cependant, ce qui importe avant tout c’est de s’efforcer à lui plaire, plutôt que de se complaire en soi-même (Aho kwishima, washimwa n’Imana) ou de chercher à plaire aux humains (Aho gushimwa n’ abantu, washimwa n’Imana), car, si tu l’as pour toi, tu n’auras rien à craindre, puisqu’il protège mieux que le bouclier (Imana iruta ingabo). Et, s’il te protège, quel mal pourraient te faire les hommes ? Sont-ils eux Imana ? (Sibo Imana). Lui et lui seul peut se venger vraiment, c’est à dire nous frapper (Hangimana -Nta wanga undi, hanga Nyamunsi). Aussi mieux vaut mille fois courir au précipice avec lui que de marcher en plaine sans lui (Imanga y’ Imana iruta ikigarama cy’ijisho).
L’arbre planté par Imana, si petit soit-il, qui pourrait l’arracher ? (Agati kateretswe n’Imana, ntikahuhwa n’u-muyaga ou ntigahenurwa n’umuyaga).

La hutte construite par ses mains, aucun vent ne parviendra à la renverser (Urwubatswe n’Imana, ntirusenywa n’umuyaga).
De même, ce qu’Imana t’a donné qui pourrait te le ravir ? (Uhawe n’Imana ntiyamburwa n’umuyaga). Littéralement : Celui qui a reçu d’Imana aucun vent ne peut le dépouiller.
C’est pourquoi, aie confiance en lui (Wizeyimana). Il ne t’abandonnera pas (Ntirampeba, littéralement : Il ne m’abandonnera pas) et celui qui est en droit de désespérer de tout, peut encore tout espérer de lui (Ugowe, agora Imana). Pourrions-nous en effet désespérer d’une chose, dont Imana ne désespère pas ? (Ntawutanga Imana guhebura): Personne ne peut perdre espoir avant Imana, c’est-à-dire avant le dénouement final d’un événement parce que, quand tout semble perdu, Imana peut encore intervenir. Rien ne lui est impossible. Il est tout puissant. Aussi abandonne-toi sans crainte entre ses mains. A supposer même que ton ennemi ait déjà creusé le trou pour t’y faire tomber, Imana lui, te ménagera une petite ouverture par laquelle tu pourras t’échapper : Umwanzi agucyukuriye (ou agucukurira) icyobo, Imana igushakira icyanzu.

C’est pourquoi dans toutes tes difficultés, tourne-toi vers Lui pour implorer son assistance : demande à celui qui est toutes oreilles pour t’écouter (Sabiyumva) ; demande à celui qui est toujours favorablement disposé (Sabikunze) ; demande à celui qui est toujours propice (Sabiyeze).
N’est-il pas le Père des hommes (Sebantu) ?
Ne sais-tu pas que celui qu’Imana chérit, il l’aime comme s’il l’avait engendré, c’est-à-dire comme un fils (Imana icyo ikunze, kingana n’icyo ibyaye) ?
Lorsque le Munyarwanda est en difficulté, c’est instinctivement qu’il se tourne vers Imana pour lui crier sa détresse et, lorsqu’il a été exaucé, il sait reconnaître humblement le secours divin et témoigner sa reconnaissance à son insigne bienfaiteur.
Mana du Rwanda, aie pitié de moi, aide-moi, viens à mon aide (Mana y’i Rwanda, ayibambe, umfashe, untabare).
Comment pourrais-je porter ce fardeau sans toi ? (Ndawushoborante).
Délie-moi, je suis impuissant, lié que je suis (Umbohore, ndaboshwe).
Je suis perdu, je n’ai plus que toi, qui puisse me sauver (Ndapfuye, ni wowe gusa mfite).
Je compte sur ton intervention (Ntezimana)
Puis confiant :
Imana me secourera certainement (Nzabonimana).
Je verrai qu’il m’a exaucé (Nzabona impaye).
Je vois Imana (sa main) dans l’événement qui m’est survenu (Ndorimana).
Je vois qu’il veut venir à mon aide (Mbonishaka).
Oui, il me tirera de cette impasse (Mboniyankura).
Il redressera la situation (Mbonigorore).
Il sera généreux pour moi (Mbonizana, Mbonigaba).
Il m’aidera et me sauvera (Mbonimpa, Mbonikize).
Il est le Sauveur (Rukiza), le Secourable (Kavuna),
Celui qui tend la main (Nyamutezi), le Victorieux (Mitsindo).

Enfin, c’est l’abandon et la résignation :
J’attends ce qu’il voudra bien décider (Ntezirayo). C’est lui qui m’a fait comme je suis ; c’est lui qui a voulu la situation où je me trouve (Nikoyangize).
Je ne puis désespérer, car je suis avec lui (Ndikumana).
Je l’ai pour moi, j’ai sa protection (Ngirimana, Bigirimana).
Sans doute un malheur survenu ou simplement en prévision, le Munyarwanda ne manquera pas d’user de
tous les moyens qu’Imana a mis à sa disposition : divination, amulettes, remèdes, etc. mais, quand il a tout essayé en vain, il finit toujours par reconnaître, qu’il n’y a plus qu’Imana qui puisse le ramener à la vie. Maintenant il n’y a plus qu’Imana qui puisse y faire quelque chose. (Hasigaye ah’ Imana). Ce malade, qui se meurt, il n’y a plus que Lui qui puisse le ramener à la vie. (N’ah’ Imana) = Je le donne, je l’abandonne à Imana).
Et quand le Munyarwanda se croit sauvé, que son affaire a pris bonne tournure, que son procès est gagné, que son malade est revenu à la vie, il dira :
J’ai été sauvé par Imana (Nakijijwe n’Imana).
Je l’ai imploré, et il m’a exaucé (Nayisabye, nayisenze,kandi yampaye).
S’il ne m’avait secouru, je n’aurais pas été sauf (Iyitampa, sinari gukira).
C’est vraiment grâce à lui que je suis (Ndikubwimana). Il est venu à mon aide avec amour (Tangikunda, il donne avec amour).
Il s’est complu en moi… dans ma prière… Il a accepté de me venir en aide (Yankundiye).
Il m’a restitué mon bien (Yanshubije ibintu byanjye). Je vois qu’Il dispose vraiment de tout à son gré (Mbonigena).
Il convient d’ajouter ici un proverbe assez curieux, dont l’abbé KAGAME a donné l’explication à l’auteur.
Imana si rutakirwa nk’iyabonye umuntu. Sens : Dieu n’accorde à la prière d’un homme que ce qu’il lui avait prédestiné.
Les Banyarwanda ont également l’habitude d’invoquer Imana dans leurs entreprises ; par exemple lors d’un voyage : « Pars en paix, Imana te conduira au terme de ta randonnée et avec son aide tu nous reviendras sain et sauf ». ( Genda, Imana igusohoza amahoro, kandi ikuzane). Ou encore : « Puisse Imana nous donner le bonheur de te voir revenir parmi nous ». (None twagira Imana izakugarura).
Il n’est pas rare d’entendre les Banyarwanda remercier Imana pour une faveur obtenue. Ainsi, à la naissance d’un garçon vivement souhaité et impatiemment attendu pour perpétuer le clan et le culte des mânes familiaux, son père lui donnera le nom de Nshimiyimana (Je remercie Imana).
S’adressant à son bienfaiteur, l’heureux bénéficiaire de ses largesses dira : Urakagira Imana (Que tu aies la protection d’Imana ; en d’autres mots : Qu’Imana, Auteur de tout bien, te le rende).
* *
Voient-ils le champ particulièrement beau d’un voisin, ils ne pourront s’empêcher de proclamer : « Voilà quelqu’un pour qui Imana a cultivé ». (Imana yamuhingiye).
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Le souhait commun qu’ils s’adressent en se séparant, est notre « adieu » (Ku Mana) et fréquemment ils y ajoutent l’une ou l’autre des expressions suivantes :
« Puisses-tu rester toujours en sa compagnie (Uragahorona n’Imana.
» Demeure avec Imana : Ubane n’Imana.
» Que Dieu te garde et t’aide « Imana ikurinde ikagufasha ».
» Ou’Imana soit ton pasteur : Imana ikuragire ».
Rencontrent-ils une femme qui attend famille, ils lui diront sous forme de souhait : «Qu’Imana te donne d’enfanter heureusement, puis de porter ton enfant (sur le dos) et de le faire grandir » (Imana iguhe kubyara, guheka no gukuza umwana utwite).