Lecture des Poèmes: Le Poème N° 71
3° LE POÈME 71
O front foudroyant !
O Front foudroyant !
O Briseur des nuques
Fils de Ndabarasa et de Cyilima,
Digne Héritier du Tambour de Mukobanya
O Modèle que dès longtemps nous vantait Kigeli :
« De ce redoutable Karinga, nous disait-il,
Le futur Héritier n’a d’égal que moi ! »
Je vois qu’il a déjà brisé la vie des peuples,
Alors que sa barbe ne fait que poindre,
Ce Vainqueur des multitudes,
Héros qui déconcerte les « Buffles » : (Buffles »: nom de la Garde-royale de Kimenyi IV Getura, du Gisaka).
Ceux qu’ils menacent ne s’éveillent que pour pousser les gémissements!
Le peuple qu’il terrasse ne ressasie plus sa sagaie,
Ce lancier qui comprime l’adversaire, souche de Mukobanya.
O Héros dont les bras assènent des coups foudroyants !
O Disperseur des sagittaires, souches de l’Archer, conquérant des monts!
O Tonnerre en qui se révèlent les prouesses de Ndabarasa !
Telle la dot payée, telle l’Épouse fiancée en prédestinée :
La vache qu’il solda à Kanyoni, aboutissant au résultat que voici ! (Traduction laborieuse, le texte original se présentant sous une forme typiquement idiomatique. Le sens est celui-ci : « Ton père Ndabarasa a royalement versé la dot, lorsqu’il fiança ta mère, qui se révéla dans la suite une épouse incomparablement douée ; aussi a-t-elle donné le jour à un héros sans pareil ! »Kanyoni : localité située non loin de Nyanza, et considérée comme un domaine patriarcal du clan des Bega, dont était membre la Reine Mère, Nyiramibambwe III Nyiratamba).
Je constate qu’il oblige l’ennemi à ne manger plus que légumes,
Ce Très-Rapide, fils de l’Archer, rejeton de la Souveraine :
Celui qu’il n’a pas encore tué est devenu miséreux !
Frappe-t-il ! pas d’agonie ! inutile le second coup!
Lorsqu’il blesse rien ne peut subsister :
Qui ne se soumet à Musimba est pratiquement pleuré ! (Musimba : l’un des sommets du mont Kigali, alors couronné de la résidence royale de Mibambwe III).
A plus forte raison ce Nsoro, glouton réfugié auprès de son pareil,
Dans le Gihunya, pays de Bazimya ! (Gihunya : l’une des provinces du Gisaka, qui a conservé son rang de grande chefferie, au Territoire actuel de Kibungo. Bazimya : père de Kimenyi IV Getura. Mwendo : l’un des ascendants de Nsoro IV, dont l’époque de règne ne se trouve mentionnée nulle part que l’on sache dans la Chronique de nos Mémorialistes actuels. Il en est de même de cet «interdiction » à laquelle fait allusion l’Aède).
Il est en contravention à une défense traditionnelle
En recevant Mwendo en sa maison.
Souffrant de la diarrhée, il n’assisterait qui se tord de nausées !
Nsoro a fui sans s’être informé,
Aussi le chemin lui devient-il interminable !
Il est réduit à venir exposer où il en est avec la faim,
Dans le Gisaka, pays de Kimenyi,
La famine chez Bazimya commence à le sucer !
Il mendie un taurillon,
Et on lui en donne une moitié ;(Kimenyi IV a laissé la renommée de « grand mangeur de viande », ou plus exactement d’une pièce déterminée dont il était friand. Pour le satisfaire, ses domestiques devaient régulièrement tuer une bête par jour, et réservaient à leur maître le morceau dont il ne pouvait se dispenser. Lorsque le fugitif du Bugesera arriva au Gisaka, on trouva plus économique de lui offrir de la viande de vaches abattues à la Cour de Kimenyi IV, et desquelles le fameux morceau avait été préalablement soustrait. L’information arriva au Rwanda par l’intermédiaire des espions, et voilà comment s’en servit le compositeur du Poême).
Il s’est séparé de ses protecteurs
Pour vivre de rationnement !
Mais, puisqu’ils ont relation de parente,
Que n’essaie-t-il de le faire rentrer dans son pays,
Comme le fit jadis Kigeli, rejeton du Triomphateur des « Buffles »,
Qui sauva l’autre (Kimenyi) réfugié chez Gahundamo ?( Allusion à certains événements du règne de notre Kigeli II Nyamuheshera protecteur de Kimenyi III Rwahashya. Personne n’a pu nous en donner la clef).
Nsoro donne les coups de pieds
Avant de s’être concerté avec les fesses !
Aussi a-t-il provoqué l’incendie de Kibamba (Kibamba: capitale de Nsoro IV, située actuellement au Burundi, Territoire de Muhinga).
Tandis que la faim, en son sein, va s’éterniser !
Prête-moi l’oreille ô Connaisseur, («Connaisseur»: figure synonymique pour « Kimenyi » On va continuellement rencontrer, au cours de la lecture du morceau, la même figure répétée en termes analogues : « interrogateur ; friand de nouvelles ; nouvelliste ; indiscret d’oreille ; bavard ; etc).
Je te dirai que Ndabarasa
N’a pas, comme toi, engendré des dégénérés,
Je te dirai qu’à son père il est en tout égal,
Mibambwe, rejeton de Cyllima, souche du Favorisé :
L’Empoigneur-de-l’arc a passé son Tambour à un héros ! («Empoigneur-de-l’arc » : figure synonymique pour «Ndabarasa » (Kigeli III, père de Mibambwe III). Ndabarasa : littéralement : « Je-tire-sur-eux »).
Il est pareil à ce Souverain, pareil à ce Héros-là,
Qui te chassa de Mukiza et de Rundu,
Et t’obligea à t’accroupir dans la forêt ! (Allusion à l’invasion du Gisaka dirigée par le prince Ruzamba sous Kigeli III Ndabarasa. Kimenyi IV dut se réfugier dans une futaie, d’où il envoya une délégation implorer grâce, tandis que Kigeli III tenait alors sa Cour à Munyaga, à la frontière du Rwanda).
Ainsi devais-tu t’attirer la cause de ta propre mort.
O Curieux-interrogateur, fils de Bazimya :
Avec toi le Gisaka ne possédera rien qui puisse durer !
Ayant appris l’incendie de Kibamba, ô le Friand d’informations,
Comment n’as-tu pas craint de cacher le fuyard, ô Nouvelliste ?
Prête-moi l’oreille, ô Connaisseur,
Je te dirai que Ndabarasa
N’a pas, comme toi, engendré des dégénérés.
Je te dirai qu’il ne s’amuse pas avec l’ennemi,
Lui, Roi supérieur aux autres, souche de l’Invincible,
Rejeton du Tambourineur, race du Pacificateur :
Seul s’attaque à lui qui a envie de trépasser !
Tu es l’unique cause de tes malheurs imminents :
Les Souverains originaires de Rwingwe,
Puisque tu les provoques, ç’en est fait de toi !
Attendons voir si tu as encore quelques jours à vivre,
O l’Avide d’informations, fils de Bazimya,
Tu paraissais devoir accumuler des charbons sur toi !
Mais encore, puisque tu as déjà désespéré d’avoir un héritier,
Le mieux serait qu’en hommage tu livres tes bovidés,
Afin que le Rukurura ne te soit arraché des mains !
Prête-moi l’oreille ô Connaisseur,
Je te dirai que Ndabarasa
N’a pas, comme toi, engendré des dégénérés.
Je te dirai qu’ils ne te peuvent plus supporter avec tes félonies,
Les Rois originaires du Bumbogo, (« Bumbogo » : province du Rwanda primitif, dans laquelle se trouve le cimetière royal de Ruhanga, où fut enterrée Nyirakabogo).
Chez Nyirakabogo et chez Mutabazi,
(Se contentant de) tes supplications à chacun de tes manquements !
J’ai vainement cherché un Roi si magnanime soit-il,
Avec lequel tu lierais une sincère amitié, ô l’Obèse :
Tes provocations ne peuvent se justifier :
C’est ainsi que toujours tu songes à conserver le contenu des jarres
Après que tu as déjà renversé ton lait, ô l’Indiscret d’oreilles :
Une fois ta demeure incendiée
Tu t’amènes avec les présents de soumission !
Trêve de comédie, ne te promets plus, ô le Ventru,
De badiner ici, chez les fils de Kigeli :
Ils détestent les hypocrisies !
Attendons voir si tu sais vraiment t’informer, (C.-à-d. « Si tu es vraiment Kimeny-i » (le Connaisseur). — Au vers suivant « Foudre de l’Automne » : la petite saison des pluies qui commence au mois Lunaire de Nzeli (vers la mi-septembre) est caractérisée par la foudre qui tombe plus qu’en toute autre saison. De là « Inkuba y’ùrugalyi » (foudre de l’automne) pour dire « héros d’une puissance inouïe, déconcertante. »— Trois vers plus loin « rebelle aux incantations » ; allusion à une catégorie de sorciers appelés « abagangahuzi qui pratiquent des exorcismes sur tout homme foudroyé avant de l’enterrer, ou sur tout animal avant de le manger. Leurs cérémonies étaient censées capables d’éloigner les influences nocives de la foudre. — Il existait aussi à la Cour une catégorie de Fonctionnaires appelés Abayege », chargés d’éloigner la Foudre et de lier sa puissance, grâce à des amulettes dont ils avaient seuls le secret).
Dès que tu auras échappé à la Foudre de l’automne,
Descendant du Généreux, souche du Razzieur-redouté
Personne ne l’a jamais offensé impunément !
C’est un éclair sans pluie, rebelle aux incantations
Lorsqu’il brille tout s’évanouit
Et, par myriades, il dénombre le butin.
Prête-moi l’oreille, ô Connaisseur,
Je te dirai que Ndabarasa
N’a pas, comme toi, engendré des dégénérés,
Je te dirai qu’il ne cède rien à qui ne l’a pas secondé à la chasse, (Allusion à la Coutume réglant les droits des chasseurs : l’animal appartient à celui qui l’a blessé le premier, lorsqu’il s’agit de la chasse sans participation de chiens ; il appartient au maître de la meute, qui a donné le signal de la chasse sans qu’il soit possible de faire intervenir les droits de celui qui aura donné le premier coup à l’animal levé. Dans ce dernier cas, le maître de la meute devra donner une patte de l’animal au chasseur qui l’aura blessé le premier ; dans le premier cas — c.-à-d. chasse sans participation de chiens, — la personne à qui appartient l’animal, devra donner une patte à un ou à plusieurs de ses compagnons qui auront achevé la bête blessée par lui).
Lui Perfection des sages, Souche du Secourable, rejeton deCyilima :
L’attitude adoptée récemment par toi dans le Bwilili (Ici l’Aède veut dire à Kimenyi IV que Mibambwe III a chassé dans le Bugesera et qu’il a blessé Nsoro IV, par le fait même qu’il a ébranlé son pouvoir en l’obligeant à la fuite. Kimenyi IV, en donnant l’hospitalité au fuyard, s’arroge un droit au mépris des règles reçues. — Deux vers plus bas : le Bwilili: ancienne province du Gisaka, actuellement englobée dans celle du Gihunya).
Va provoquer l’extinction de la Maison de Ruregeya (Père de Kimenyi)
Comment repousseras-tu l’invasion, quand il te réclamera son blessé,
Puisque, sans avoir achevé le gibier atteint de son arme,
Tu l’as frustré d’un droit que tu n’avais pas mérité ?
Nous verrons bien si tu es vraiment d’opportunes inspirations
Dès que tu auras échappé au Vainqueur de Nyiga ( «Nyiga »: orthographe nyarwanda de « Nyika », nom royal porté au Bunyoro, pays jadis vaincu par notre Mibambwe I Mutabazi. Ici l’Aède prend le nom royal de « Mibambwe » comme « vainqueur » du Bunyoro, abstraction faite des personnes distinctes qui le portent. Remarquons que le Roi du Bunyro, du nom de « Nyika » (Nyika I Omuragwa-ngoma) est certainement postérieur à Mibambwe I (cfr Inganji Karinga, vol. II, p. 71), quoique antérieur au règne de notre Mibambwe III. Cela montre d’une part que les guerres de Kigeli III au Nord avaient établi un contact suivi avec le Bunyoro au point d’en connaître des Rois postérieurs à Cwa, l’envahisseur du Rwanda sous Kigeli I et Mibàmbwe I; d’autre part, que l’Aède a voulu figurer ici la Dynastie du Bunyoro sous l’appellation d’un membre quelconque de ses représentants, sans préoccupation d’historien, rigoureusement attaché à la chronologie des faits racontés par les Mémorialistes).
Souche du Favorisé, rejeton de l’Archer,
S’il ne te terrasse et ne t’enlève le Rukurura !
Livre-le donc à temps, avant qu’il ne s’en empare, le Rukurura :
Plutôt que d’être tué en le défendant, fais-en le prix de ton rachat !
Prête-moi l’oreille ô Connaisseur,
Je te dirai que Ndabarasa
N’a pas, comme toi, engendré des dégénérés.
Je te narrerai les premiers exploits de ses javelines :
Qu’ils te les détaillent, les fuyards réfugiés chez toi, là-bas !
Eh bien, le Bavard, fils de Bazimya, rejeton de Ruregeya,
Devant les prochaines invasions, gare à toi avec ce Nsoro !
S’il te raconte ensuite que le trait l’a manqué,
O le Sourd, maître de Gisaka,
Alors nous avouerons notre échec devant vos Barungu ! ( «Barungu » : c’était une Corporation d’Apiculteurs Dynastiques du Gisaka; l’Aède figure, sous cette appellation, les Armées de Kimenyi IV. — Avouons que le vers est difficilement traduisible en français, à cause de sa forme typiquement idiomatique. L’aède veut dire : «Si jamais encore notre Mibàmbwe lance son trait contre Nsoro, et que ce dernier parvienne à l’éviter et se rende chez toi te raconter que le trait avait été mal visé, eh bien !( forme imprécatoire usitée pour faire les serments) je m’engage par serment que nous aurons capitulé devant vos guerriers! » En quelques mots : « Mibâmbwe tuera certainement Nsoro dès leur première rencontre, puisqu’il est impossible que les guerriers du Gisaka puissent recevoir notre capitulation»).
Eh bien, le Lancier de Gihororo,
Tu en es encore aux triomphes (pareils à ceux) sur les Banyoro !
Évidemment Kimenyi est un ennemi
Qui a donné asile à plusieurs autres ennemis,
Dans le Gisàka, domaine de Bazimya :
Lui qui a introduit Nsoro et entretient Gatarabuhura en sa maison (Gatarabuhura : demi-frère de Mibambwe III, et le plus dangereux des compétiteurs au Trône du Rwanda. Voir les notices consacrées aux Poèmes 57 à 63, au Chap. III).
Si tu foules aux pieds et le Ventru et Nsoro…
Oh ! ne t’en inquiète pas, nous les ferons prisonniers !
Eh bien, Source du pays, j’ai fait un rêve !
J’ai vu en songe des myriades de bovidés razziés dans le Gihunya,
Le Purificateur du pays, rejeton du Polisseur des flèches
Lui, souche du Raconteur, n’est nullement médiocre :
Ndabarasa a donné le jour à un héros !
J’ai vu en songe des acclamations triomphales à Rwamiko,
Parce que, disait-on, Mibambwe s’était emparé du Rukurura !
O Front qui sème la mortalité !
O Héros dont les javelines sont encore en pleine jeunesse !
A Nyarubuye on te félicite de tes succès ! ( « Nyarubuye » : l’un des sommets du Mont Kigali .A partir du vers suivants, l’Aède se lance dans le domaine du songe fictif, dont il entend faire une « prophétie » étalant à l’avance le triomphe du Rwanda sur le Gisaka).
La nouvelle que tu as ravagé le Gisaka y a été répandue,
Après ton triomphe sur Kibamba,
Et on te fait dire : « Possède la Karinga à jamais ! »
O Front couronné de prouesse !
Tu as brisé les lances de tes adversaires,
Et la descendance de Gihanga te dit :
« Puisses-tu te perpétuer dans la royauté ! »
Ta hardiesse fut remarquée déjà avant ton intronisation,
Lorsque, luttant contre tes compétiteurs,
Par la corde tu les fis trépasser !
Pour toi je bataillerai par mes bras et te défendrai par ma langue,
Tu as été intronisé Roi des bovidés, ô Virtuose de l’arc, à mon profit !
Quant à ceux qui ne se consolent pas du lait abondant que tu me donnes,
O Lait diluvial, je ne fais pas cas d’eux, je les arrangerai !
A l’habileté d’être un vassal irréprochable qui est ma spécialité,
O Vengeur, rejeton de l’Archer, j’appliquerai toute mon activité !
Ton avènement est à l’honneur des Rois et à celui de ma famille :
Puisque Dieu te destina à cette appellation et te fit désigner,
Que perpétuellement s’attache à toi la bénédiction !