7° LE POÈME 170
Mes félicitations au Dieu qui a relevé le Rwanda.

Mes félicitations au Dieu qui a relevé le Rwanda,
Le Tambourineur, fils du Conseiller, descendance de Mutabazi,
Au jour où l’Archer s’était mis en chemin.
« Ne craignez rien, peuple du Rwanda, nous dit-il ;
Les Bovins seront régis par un homme incontestable,
Fils du Souverain, rejeton de Nsoro ;
Un Roi qui a hérité du Tambour,
Pour l’orner des hauts faits dans un bref délai. »
Il nous libéra d’un grand danger, lui le Prestige,
Fils de Mutabzi, descendance de l’Aimable :
C’est lui le Dieu visible au Rwanda.
Le voilà qui est toujours attentif aux affaires des frontières
Il nous a tirés d’un gouffre béant !
Remarquant que la pluie était presque tarie,
Il la réanima et la fit tomber dans le pays ;
Il nous a juré qu’il nous servira de parapluie.
Il accomplit des faits mémorables,
Il marche nuit et jour.
Dès qu’il nous voit venir lui faire la cour,
Il nous exhorte à jubiler.
Alors nous contemplons notre Roi, lui le Refuge,
Fils du Libérateur, rejeton de Gisanura,
Investi du Tambour-Emblème, le Kiragutse et le Karinga.
Nous demeurons devant sa face,
Lui l’Héritier des îles, souche du Héros foudroyant !
Sa javeline est bien connue dans le Mazinga : (Ici l’Aède ignore que le Mazinga, — actuellement appelé le Mubàli, — est devenu province du Rwànda et qu’à ce titre elle devrait mériter une mention plus amène )
Elle y fait des coups heureux, appelée qu’elle est «Riche-en-butin ».
0 Toi, Lance forgée par des marteaux choisis dans le Rwanda !
0 Toi, Front qui triomphe de l’étranger !
Tu as cultivé où tombent les pluies saisonnières ;
Tu as incendié l’étranger et ramené un immense butin !
Tu es pareil à ce Tonnerre-là, ton aïeul,
Qui, d’avance, était informé de toutes les stratégies !
Il mettait à l’étroit les pays qu’il avait fait espionner,
Et par quatre fois les ravageait.
Eh bien, Toi aussi indique pâturages aux Bovins
Qu’ils pâturent chez tes alliés.
Lorsque tu rentres dans ta famille,
Ton Rwanda en est radieux !
Que le pays goûte paisiblement l’abondance de lait,
Puisqu’il a brisé les Tambours des pays étrangers.
Le Tambour des initiatives est Kiragutse
Il tient ceux des rivaux dans la mauvaise posture d’antan !
0 Toi le Puissant, Maître du Rwanda, Triomphateur des étrangers,
Voici que tous les pays tournent leurs yeux vers Toi !
0 Toi le Riche auquel nous cueillons nos propriétés !
0 Toi centre de la royauté, entouré d’une cour de grands nobles, Et d’accompagnements des Tambours que Gihanga t’a légués !
CYILIMA I RUGWE
Eh bien, Modèle des Souverains,
0 Mutara, ton Rwanda te connaît
Tu le posséderas de longs jours !
Tu le régis avec compétence, ayant été pour lui un Souverain
Pareil au Roi fils de Bwimba
Qui déjoua les autres Rois par son habileté,
Et éteignit, dans la Maison de Bihembe, la pérennité de la royauté, (Bihembe : nom de famille de Nsoro I, du Bugesera ;- Sa Maison fut en principe privée de sa pérennité, par le fait que Cyilima I parvint à lui enlever Nyanguge, mère de notre Kigeli I Mukobanya, illustre chaînon de la Dynastie du Rwanda).
Tandis que dans celle de Gihanga il fit entrer les succès.
Il nous amena une Mère ;
Il revint conduisant une maman et une épouse
Accumulant chez nous les bénédictions !

KIGELI I MUKOBANYA.
Eh bien, Modèle des Souverains,
0 Mutara, ton Rwanda te connaît :
Tu le possèderas de longs jours.
Tu le régis avec compétence, ayant été pour lui un Souverain
Pareil à ce Tonnerre-là, le Tourbillonnant,
Qui balaya le butin de toutes les nations,
Faisant d’elles le domaine d’un unique Roi.
Écoute les coups de ce vigoureux !
Écoute les combats de ce Taureau
Qui lutte sans hésitation !
Ce fils de la Félicité, rejeton de Shyerezo, (« Shyerezo », c.-à-d. «Fin ultime »; autre nom sous lequel certains Mémorialistes désignent Nkuba, père de Kigwa).
Qui dirige les coups aux endroits mortels,
Se plaisant à contempler le fuite éperdue de ses rivaux !
Il a étendu un adversaire et ramené la jeune fille,
Ainsi que le Bovidé de Cyilima qu’il a retenu.

MIBAMBWE I SEKARONGORO I MUTABAZI I.
Eh bien, Modèle des Souverains
0 Mutara, ton Rwanda te connais :
Tu le possèderas de longs jours.
Tu le régis avec compétence, ayant été pour lui un Souverain
Pareil au Sagittaire, rejeton de l’Archer,
Ce Roi qui se rendit à Kibirizi
Et y triompha d’une nuée d’ennemis !
Il revint par le Nduga
Pays de Mashira, fils de Nkuba ;
Il prit ensemble tous ses éclairs (Nkuba signifie « Tonnerre » ou « Foudre » ; l’Aède désigne les Armées de Mashira sous la figure de « Éclairs » par un rapprochement dès lors très compréhensible. Mibambwe I est, du même coup, loué au superlatif, lui qui triompha de « Tonnerre » et mit en déroute les « Éclairs » qui luttaient contre lui).
Et, telle une nuée de mouches, les fit s’envoler.
Ce Tonnerre, descendance du Héros, souche du Tambourineur,
Il parcourut tout le Nduga et le balaya.
Il abreuva ses Bovins dans le Muhanga, (Ici il s’agit du Muhanga-des-Vaches . – Buhanga : région comprise dans la province du Buhanga-Ndara, au Territoire d’Astrida. -Gakoma : localité située dans la même région du Buhanga. – Nkomane : Puits-pastoral situé dans le Nduga, Territoire de Nyanza).
Les fit pacager dans le Buhanga près Gakoma,
Dans le Nkomane purifié il les fit boire avec satisfaction.

YUHI II GAHIMA II.
Eh bien, Modèle des Souverains,
0 Mutara, ton Rwanda te connaît :
Tu le possèderas de longs jours.
Tu le régis avec compétence, ayant été pour lui un Souverain
Pareil au Chef des Armées, fils du Foudroyant,
Ce Roi qui, au palais même de Gihanga, vint siéger.
Il déjoua la favorite de Mutabazi.
Et vengea l’honneur du Roi qui l’avait engendré. (L’honneur du Roi avait été outragé par l’obligation que lui fit Shetsa de contracter avec elle le pacte du sang).

NDAHIRO II CYAMATARE.
Eh bien, Modèle des Souverains,
0 Mutara, ton Rwanda te connaît :
Tu le possèderas de longs jours.
Tu le régis avec compétence, ayant été pour lui un Souverain
Pareil au Marcheur, dans les circonstances comme celles que voici : (Ici l’Aède compare la catastrophique disparition de Ndahiro II avec la déposition de Yuhi V Musinga : dans les deux cas, on croyait que c’était la fin de la Dynastie, et partant de la vie du peuple Rwandais- Le Mpatsibihugu ; de « mpatse » : je suis maître de ; -ibihugu : pays, ou nations. – C’est l’un des trois Tambours-Emblèmes de l’autorité suprême associés au Karinga. Les deux autres sont le Gyimumugizi ; du pronom Ki remplaçant I gihugu (le pays), dont le i devient y devant le radical débutant par une voyelle du verbe kw-ima Kylina que l’orthographe officielle oblige à transformer en Cyilima ; c.-à-d. le pays est régi. -puis de : umugizi : un omnipotent = Le pays est régi par un omnipotent. – L’autre Tambour est le Kiragutse : il (le pays) est très vaste).
Il se livra avec sa jeune noblesse
Voulant que Ndoli trouvât les voies,
Pour être intronisé Roi du Karinga et du Mpatsibihugu !
C’est de la sorte que les Rois se livrent pour le pays,
Ces heureux, originaires de Gasabo et de Gisanze
Se perpétuent à jamais à la tête du Rwanda !

RUGANZU II NDOLI.
Eh bien, Modèle des Souverains
0 Mutara, ton Rwanda te connaît :
Tu le posséderas de longs jours.
Tu le régis avec compétence, ayant été pour lui un Souverain
Pareil au Héros des mêlées, ce Roi
Qui promena son bouclier par tous les pays,
A la recherche du ‘Rw6ga fait prisonnier.
Celui-là est le Tenace, armé de flèches,
Voulant s’emparer des dépouilles de Nyiranzira.

MUTARA I SEMUGESHI.
Eh bien, Modèle des Souverains,
0 Mutara, ton Rwanda te connaît:
Tu le possèderas de longs jours :
Tu le régis avec compétence, ayant été pour lui un Souverain
Pareil à cet Éclair qui brilla de Rusatira, ( Rusatira : localité dans le Busanza-Nord, capitale traditionnelle et ancien Camp des Marches des Armées de Ruganzu II, placées sous le commandement de son fils encore simple prince, contre le Royaume du Bungwe. — Shyunga : autre capitale située dans la même province ; à l’époque de Mutara I cette localité était à la frontière du Bungwe. — Ruganda et Rugango : autres localités dans la même province ; Rugango est situé à côté de Gihindamuyaga, non loin d’Astrida. — Rwahi : localité dans la province du Bumbogo, au Territoire de Kigali).
Et ne se reposa qu’après avoir foudroyé au-delà de Shyunga !
Ce fut là un succès qui couvrit toutes les régions !
Il razzia les Bovins à Ruganda, et d’autres à Rugango ;
De tout le Bwenengwe il fit une Province du Rwanda
Et cependant c’était un pays impénétrable dans les temps anciens,
Tandis que maintenant on s’y promène
Comme qui se trouverait à Rwahi, chez l’Archer.

KIGELI II NYAMUHESHERA
Eh bien, Modèle des Souverains,
0 Mutara, ton Rwanda te connaît
Tu le possèderas de longs jours.
Tu le régis avec compétence, ayant été pour lui un Souverain
Pareil au Ravageur de l’étranger,
Rejeton du Conseiller, descendance de Cyilima,
Qui attaqua tous les pays et les ruina.
Il razzia les vaches au Kaziba, et celles du Bukunzi ; (Kaziba : région située de l’autre côté de la Rusizi, au Congo ; le Gishdli, au Congo également).
Les mêlant avec celles du Gishali, il les mit dans le Rwanda.

MIBAMBWE II GISANURA.
Eh bien, Modèle des Souverains,
0 Mutara, ton Rwanda te connaît :
Tu le possèderas de longs jours.
Tu le régis avec compétence, ayant été pour lui un Souverain
Pareil à l’Archer qui brandit un bâton de pasteur
Dont d’un coup il asséna le Lion,
Qui, pour enlever les génisses, était aux aguets.
Il le frappa, telle la Foudre des airs,
Il le fendit, une bonne fois, comme d’une hache le bois
Et répandit à terre les perles de son collier.
Il était bien trempé le bâton de cet Archer !
Il l’en broya comme le marteau fait le minerai,
Et le Porte-crinière fut chassé par le Victorieux !

YUHI III MAZIMPAKA.
Eh bien, Modèle des Souverains,
0 Mutara, ton Rwanda te connaît:
Tu le possèderas de longs jours.
Tu le régis avec compétence, ayant été pour lui un Souverain
Pareil au Roi des batailles,
Souche du Haut-fait, descendance du Foudroyant
Ce Roi qui, de Ntare, détruisit l’habitation !
Écoute comment ce Souverain triompha pour tous,
Comment ce porte-bouclier encercla Ntare
Et lui coupa les pattes sans sortir de son palais ! (La figure de « pattes » est appelée ici par le sens de ‘Ntare qui signifie Lion).

CYILIMA II RUJUGIRA.
Eh bien Modèle des Souverains
O Mutara, ton Rwanda te connaît :
Tu le posséderas de longs jours.
Tu le régis avec compétence, ayant été pour lui un Souverain
Pareil à cette Foudre qui, de Ntora, lança les éclairs,
Et tout ce qui était à Nkanda en tomba évanoui !
Écoute ce Tonnerre qui ravagea le Buyenzi !
Aussi le Karinga l’a-t-il choisi,
Afin qu’il lui conférât ces dépouilles qu’il désire ardemment.

KIGELI III NDABARASA.
Eh bien, Modèle des Souverains,
O Mutara, ton Rwanda te connaît :
Tu le posséderas de longs jours.
Tu le régis avec compétence, ayant été pour lui un Souverain
Pareil à l’Assaillant des pays étrangers,
Rejeton du Conseiller, souche de Mutara,
Le Roi qui éteignit la Maison de Biyoro.
Il razzia du même coup les Bovins du Bumpaka
Sans que s’élevât une seule voix pour les lui disputer,
Car il avait culbuté définitivement des monarques puissants !

MIBAMBWE III SENTABYO
Eh bien Modèle des Souverains
0 Mutara, ton Rwanda te connaît :
Tu le posséderas de longs jours.
Tu le régis avec compétence, ayant été pour lui un Souverain
Pareil au Tambourineur, descendance du Conquérant,
Le Roi qui fit preuve de hardiesse
Et délogea son rival de derrière Shyara. (Shyara : localité située dans la province du Bugesera, au Territoire de Kigali).

YUHI IV GAHINDIRO.
Eh bien, Modèle des Souverains
O Mutara, ton Rwanda te connaît :
Tu le posséderas de longs jours.
Tu le régis avec compétence, ayant été pour lui un Souverain
Pareil à l’Éclat des abreuvoirs,
Aucun pays étranger auquel il n’ait imposé le deuil !
On exalte comment il lutta pour le Karinga ;
Tous les pays lui ont témoigné le respect.
C’est ainsi qu’il arriva dans le Buzi et le bouleversa.
Il n’y laissa pas même un bébé !
Il se réjouit du fait que le roitelet de cette région
Fut fait ornement du grand Tambour, héritage de Ndahiro

MUTARA II RWOGERA.
Eh bien, Modèle des Souverains,
0 Mutara, ton Rwanda te connaît
Tu le posséderas de longs jours.
Tu le régis avec compétence, ayant été pour lui un Souverain
Pareil au Vengeur ;
Aucun rival dont il n’ait pas éteint le foyer :
On exalte comment il a triomphé de Bazimya, (Bazimya : ancien Roi du Gisaka. Nkingi: localité du Bwilili, dans le voisinage immédiat du Kanigo).
Étendu un adversaire dans le Bwilili
Et batailllé à longueur de journée.
Après ces triomphes, il reçut le prix de bravoure !
Il indiqua aux vaches les pâturages à Nkingi,
Ayant jonché de cadavres le mont Kabirizi :
A ses déclamations des hauts faits, le Karinga retentit.
Il fit paître les bovins, sans nulle crainte,
L’Intelligent, souche de Gahima,
Ce Roi qui détruisit le Kaniga.
Le Rukurura fit place aux Vaches,
Et son domaine devint Province du Rwanda.

KIGELI IV RWABUGILI.
Eh bien Modèle des Souverains
0 Mutara, ton Rwanda te connaît :
Tu le posséderas de longs jours.
Tu le régis avec compétence, ayant été pour lui un Souverain
Pareil à la Splendeur des Tambours, fils du Bien-aimé,
Le Roi qui a ravagé les îles et culbuté les rivalités.
C’est lui l’abreuveur des Vaches
Qui ne s’éloignait pas de la bataille,
Voulant que le Tambour hérité de son père
Fût constamment orné des hauts faits qu’il recherche tant.
Il était un Tonnerre et vivait dans le firmament ;
Il aiguisait toujours ses javelines au cours des expéditions.

YUHI V MUSINGA.
Eh bien Modèle des Souverains
0 Mutara, ton Rwanda te connaît :
Tu le posséderas de longs jours.
Tu le régis avec compétence, ayant été pour lui un Souverain
Pareil au Passionné des hauts faits, fils du Foudroyant
Qui nous a légué Mutara,
Ce Héros qui a tiré le Rwanda de son étourdissement. (La sobriété de l’Aède est voulue ici ; lorsqu’il composait son morceau, il ne savait pas encore s’il pouvait impunément exalter le Monarque déposé).

MUTARA III RUDAHIGWA.
0 Mutara, tu as relevé ce Rwanda alors consterné !
Tu l’as vu en grand danger et l’as sauvé à son extrémité
Tu lui as rendu le service pour lequel tu en as été investi.
Il a suffi que tu en fus proclamé Souverain unique,
Et l’as aussitôt rassasié de félicité !
Dès ton avènement tu lui as paru merveilleux !
Pour lui tu as été un véritable Aîné,
Et tu l’as guéri de son chagrin !
Tu l’as rendu radieux, tandis qu’il avait le coeur brisé !
Tu l’as descendu de l’endroit où il était suspendu !
Calmant la force, tu l’as retrouvé au-delà de l’horizon !
Pour lui tu as acquis la pluie de Gihanga
Où il l’avait installée dans le Buhânga ; (Buhanga : région incorporée depuis dans la province du Buhoma-Rwankeli, au Territoire de Ruhengeri, et où fut intronisé le Rwoga, premier Tambour-Emblème de la Dynastie).
Aux époques habituelles de l’année,
Le tonnerre ne manque jamais de gronder !
Pour le Rwanda tu as lutté sans réserve ;
Voyant l’Archer en route, tu as serré ta ceinture,
0 Majesté, tu as pénétré dans le palais et la force en fut adoucie ! (C.-à-d. Tu as collaboré avec le Gouvernement Belge et sa force ne fut plus une menace contre les destinées de la Dynastie).
Tu as défendu le Tambour de ton père
Et la propriété des preux,
Le Karinga, à ta vue, se mit à retentir.
Pour les Vaches tu as triomphé des dangers
Elles se couchent en toute tranquillité.
Tu as vaincu les rivaux et es devenu Roi unique des Bovidés !
Que s’évanouissent ceux qui ont été dépités à ton avènement :
Ils ne peuvent se réfugier nulle part,
Tout lieu sûr leur fera défaut !
Leur lait a été renversé par Dieu :
Ils ne peuvent pas le relever par leur bras !
Qu’ils s’en aillent en buvant de l’eau claire :
Dès qu’ils sentiront la mousse dans leurs ventres,
Alors ils viendront te demander pardon !
Comment donc s’en vont-ils avant d’avoir assisté aux solennités,
Dans lesquelles Mutara confère, à Butare, (Butare : nom indigène de la ville d’Astrida. Le morceau fut composé avant que Mutara ne destituât aucun Chef. L’Aède se faisait ici le « prophète », suivant les traditions anciennes dont il avait été témoin sous les deux Rois précédents. Ce passage faisait peur à Sekarama, depuis que des Chefs importants, désormais incapables d’exercer le commandement, furent destitués : il y voyait la « réalisation de ses prophéties » et redoutait d’être, un jour ou l’autre, l’objet de leurs vengeances. )
en veillées avec les Blancs,
A longueur de jours et des nuits,
Aux applaudissements du Tambour-Souverain !
Heureux ceux qui désirent traire des milliers de vaches,
Et passent les veillées avec Mutara !
Butare est devenu une résidence des victoires,
Dirigez-vous tous vers elle, elle est pareille à Maza ! (Maza : localité dans la province du Busanza-Nord, ancienne résidence royale, non loin de Buhimba. Murambi : localité près de Nyanza ; il semble que, sous ce nom, l’Aède ait voulu désigner, par métonymie, la capitale traditionnelle de Mwima, située dans ses environs immédiats, et peut-être même la capitale désormais définitive de Nyanza).
Elle est une habitation favorite, à l’égal de Murambi,
Grâce auquel j’ai patiemment attendu le règne présent.
Le Tambour de tes pères, vit que tu as été engendré irréprochable
Et t’appela le Maître de la Dynastie.
Tu vis le jour en Roi
Tu défendis le Tambour d’une façon inoubliable,
Comparable à celle du grand Blessé,
Qui, pour nous, deux fois triompha du danger.
Ce fut le jour de (la bataille de) Musave, (Musave près Rubungo ; il s’agit ici de Mibambwe I Mutabâzi).
Que le Défenseur du Rwanda, descendance du Bien-aimé.
Rendit à nous, son peuple, la tranquillité !
Tu nous as sauvé du danger dont nous préserva alors le Foudroyant,
Qui engagea le combat avec des rivaux et vous rendit plus élevés !
Sois plus élevé que tes rivaux, ô Toi notre Repos :
Tu nous as rendu la paix!
Eh bien le Bien-aimé, tu as relevé le Rwanda !
Donne-moi une vache ô Triomphateur ! (C’est le début de la péroraison, et de la prière du Poète ; on y remarquera qu’il fit adieu à la composition, selon une coutume immémoriale de la Cour. Quelques vers plus loin : Giseke : capitale traditionnelle dans la province du Busanza-Nord, un peu au Sud de Nyanza).
J’en fais la demande, cela n’est pas défendu ;
Puisque je m’adresse à un Dieu, je suis bien rassuré !
Tu me connais, je fus toujours le bien vu des Rois
Qui régnèrent à Rwoga et à Giseke :
Pour chaque Poème je recevais une vache de leurs mains :
Par eux mes compositions étaient gracieusement récompensées !
Et maintenant tourne-toi enfin vers moi :
Je suis devenu la risée de mes ennemis,
Alors que c’est Toi le Dieu visible au Rwanda !
Fais-moi boire du lait par tes deux mains !
Les voilà tes solennités, ô le Répertoire des beautés,
Descendance de Cyilima, souche de Mutabazi,
O Mutara, je vais m’en aller ! (C.-à-d. Ma mort ne saurait tarder. Les messagers que lui envoient les Rois anciens, ce sont les maladies et les infirmités de la décrépitude ).
C’est consolation pour moi d’avoir assisté à tes solennités !
Ils parleront de moi ceux qui m’ont vu dans cette Maison
De Gahindiro et du père de Kigeli ;
Aucun doute que ma mémoire y sera gardée !
O Mutara, vis longtemps parmi nos Vaches comme le Lancier
Qui étendit un ennemi près de Rugobagoba, (Rugobagoba : localité dans la province du Nduga, capitale traditionnelle formant une agglomération avec celle de Nkingo).
Le jour où il alla camper dans le Muzi près de Kabare !
O Mutara, prolonge tes jours parmi nos Bovidés comme Cyllima,
Au devant duquel s’avancèrent les tambours,
Et qui, aux applaudissements du Karinga, déclama ses hauts faits.
La voilà votre paix, à vous les Rois :
Puisses-tu l’avoir dans ton Rwanda !
Je le laisse en pleine prospérité.
Les voilà mes acclamations, je te les dédie de tout coeur,
O Toi qui m’as donné le nom,
Je me retire pour un voyage lointain !
C’est bientôt une amende qui va m’être imposée:
On m’invite avec grande instance ;
On n’entend plus que je diffère de répondre à cet appel !
Le Très-Généreux me désire ardemment :
« Dépêche-toi de ce pas, » me fait-il dire !
Il savourait mes Poèmes lorsque j’étais de faction.
Je te dis adieu, je n’ai pas fixé racine ici-bas :
C’est après mes loyaux services que je dois me retirer !
Lorsque le serf s’est acquitté de ses devoirs il peut s’en aller.
Donne-moi des provisions de route, ô Souverain :
Je m’en vais faire ma cour auprès des Rois,
Je réponds à l’appel de mes Maîtres,
Sans l’espoir de rebrousser chemin !