LE RWANDA DANS LES DOULEURS DE L’ENFANTEMENT  

1. a) Introduction : une époque exceptionnellement chargée d’Histoire.

  1. Nous abordons ici les événements d’un passé tout récent, couvrant la courte période des 10 dernières années. Nonobstant cependant le peu de recul et la qualité de « raccourci » imposée à notre travail, il nous a semblé très justifié de scinder la matière en deux chapitres. Le suivant sera consacré à l’époque venant après la date du recouvrement de l’Indépendance. Quant au présent chapitre, il est consacré aux 3 années entre la mort de Mutara III Rudahigwa et la date du recouvrement de l’Indépendance. Cette très, et même trop courte période mérite d’être mise particulièrement en relief, en raison de sa singularité et des principes générateurs de transformations diverses dont elle est chargée pour l’Histoire actuelle et à venir de notre pays.

Une circonstance cependant fait réfléchir à trois fois le pionnier qui médite, sous l’angle de notre plan, de s’atteler à cette tâche : tous les Rwandais actuels autour des 25 ans d’âge ont consciemment vécu dans ce tourbillon ou dans ses retombées et l’immense majorité des adultes y ont joué un rôle, actif ou passif, chacun suivant les conditions concrètes dans lesquelles il était placé. Il se fait ainsi que ces événements, de fraîche date, se présentent encore pratiquement pour nous enchevêtrés d’actualités. C’est cela qui rend délicate et difficile la tâche du pionnier qui s’attèle à la gageure de démêler les faits jugés à ses yeux permanents dans leurs effets, et d’écarter ceux qui relèvent de l’actualité, n’incarnait aucune causalité de progrès ou d’influence dans notre société de l’avenir.

  1. Il est évident que nous sommes des centaines de milliers, sinon plus d’un million de Rwandais à avoir été témoins oculaires de ces événements. Certains seront peut-être désappointés de me voir négliger les informations purement orales et de ne rien avancer d’important qui ne soit étayé par un document soit officiel, soit publié, avec référence à l’appui. A ceux-là je rappellerai que je tente ici d’indiquer uniquement la charpente de l’Histoire.: que, dans la mesure du possible, je dois éviter le rôle des Mémorialistes éventuels qui détailleraient les événements parmi lesquels il me revient de trier ceux dont les effets, — à mon jugement — semblent devoir relier le passé du Rwanda à sa vie nationale de l’avenir.

Cette préoccupation, surtout à la présente époque des premiers linéaments de notre Histoire de l’Indépendance, est une garantie d’objectivité. On doit éviter soigneusement de mettre inutilement en cause les acteurs encore vivants, car personne n’a intérêt à soulever des polémiques. En s’appuyant sur les documents vérifiables, on met tout le monde à l’aise et dans les possibilités de contrôler les jugements de l’auteur, de les redresser au besoin. Quant aux informations purement orales, concernant les faits déterminants, elles prêteraient le flanc à la critique, et elles seraient en soi incontrôlables, sans oublier qu’elles sont subjectivement « gonflables ». Le lecteur retiendra, en conclusion, que dans la rédaction de ce chapitre j’ai constamment fait un grand effort pour me comporter en « spectateur » des événements, tâchant d’en découvrir la ligne directrice à travers les documents qu’il m’a été possible de consulter.

  1. b) La désignation de Kigeli V Ndahindurwa et le rôle des « Abiru »
  1. Tandis qu’on attendait le retour de M. Harroy, Vice-Gouverneur Général, en congé en Belgique, le Résident du Rwanda tenait à plusieurs reprises conseil avec ses fonctionnaires à Nya.nza. Il commit certainement la faute de tenir ces réunions, parfois jusque tard dans la nuit, sans y convoquer, ne fût-ce que par pure forme, quelques-uns des Chefs d’entre les fidèles du défunt. Il n’en fallait pas tant pour accréditer le bruit que la Tutelle avait décidé d’installer un Conseil de Régence sous le couvert duquel elle préparerait la République. Aussi les monarchistes du groupe écarté des délibérations tinrent-ils conseil de leur côté. Les plus en vue d’entre eux étaient les Chefs Michel Kayihura et Alexandre Kayumba. Ils connaissaient le nom de celui vers lequel penchait Mutara III en qualité de candidat à la succession, depuis que, après son retour d’Europe, il avait pratiquement désespéré d’avoir un fils.

Le Rapport de la Mission de Visite du Conseil de Tutelle 1960 dit que ce groupe comprenait des Biru, détenteurs de la Coutume, et un abbé qui prétendait avoir recueilli le testament oral.  Il y a là une double inexactitude : tout d’abord ledit abbé n’a reçu aucun testament, mais une confidence lorsque le Roi, à son retour de Belgique en 1958, lui a recommandé de former Ndahindurwa, du fait que les deux se trouvaient dans la même localité. Il ne pouvait du reste être question de testament sans preuve écrite ou témoins recevables. Les Autorités compétentes ne tentèrent du reste pas d’en apprendre l’existence.

  1. La deuxième inexactitude concerne les fameux Abiru, dont le rôle supposé a été gonflé à souhait. Tous les Rapports que nous avons eus sous les yeux font grand cas de cet épouvantail ; il sera difficile de redresser la méprise, car personne n’admettra volontiers qu’il s’est époumoné contre un fantôme. La vérité était plus simple : les véritables Abiru étaient ceux qui avaient retenu le texte du Code ésotérique de la Dynastie. Comme il n’y avait plus eu de promotion depuis les environs de 1925, il n’y avait, à l’époque qui nous occupe, que des vieillards illettrés. Mais ce titre d’Abiru était chargé d’un prestige envoûtant sur la masse, sur tous ceux dont les politiciens avaient besoin. Mais le Chef M. Kayihura était de la Famille de Ndungutse (no 446), à laquelle revenait la dignité de gardien du Karinga ; de son côté le Chef A. Kayumba était le petit-fils de Gashamura, (no 600) lequel était le plus élevé en dignité parmi ses collègues. Les nécessites Politiques du moment seules firent Abiru ces deux Chefs, en raison de la dignité respective que le Code ésotérique rattachait à leurs Familles. Ils n’étaient Abiru ni de mentalité, ni en raison de la connaissance du Code ésotérique, car ils en ignoraient le premier mot. Quant aux véritables Abiru, hommes intelligents, ils savaient bien qu’ils étaient désarmés dans la lutte qui s’engageait. Aussi se tinrent-ils cois, angoissés, dans l’expectative. Du reste, si j’ai bien été informé, on ne leur aurait révélé la condidature de Ndahindurwa qu’au dernier moment à part quelques exceptions dont les acteurs étaient sûrs ; ils redou-taient les trahisons éventuelles.

Il faut ajouter que le Chef Kayibura, en sa qualité de Vice-Président du Conseil Supérieur du Pays, eût voulu informer le Vice-Gouverneur Général, dès son retour, mais il attendit jusqu’au dernier moment en raison des réunions que le Résident avait organisées à Nyanza et desquelles il avait été écarté. C’était dès lors complot contre complot.

  1. Les monarchistes durent faire face à un ennui : il y avait le notable Rukeba qui se faisait trop haut le porte-parole de l’opinion. Ignorant les conciliabules en cours, car il n’avait aucun titre à être mis au courant, il criait la coutume qui s’oppose à ce que le Roi soit enterré avant la désignation de son successeur. Tous les coutumiers accourus à Nyanza le savaient également : il n’y avait que les Représentants de la Tutelle qui semblaient ne pas le prendre au sérieux — (Rapport de la Commission d’Enquête, e 30, p. 27). Toute cette foule taciturne faisait peur, tandis que les représentants de la Tutelle la jugeaient calme. Pour empêcher donc la transgression de la coutume en question, Rukeba avait avancé sa solution : il avait jadis traversé le « Congo » oriental à pied pour se rendre à Moba, au Katanga, afin de saluer le Roi Yuhi V Musinga exilé. Il prétendait en ce 28 juillet, qu’à l’occasion de sa visite à Yuhi V Musinga, celui-ci lui avait révélé le nom de son fils qui succéderait à Mutant III. L’affirmation était certes incroyable, mais Rukeba, universellement connu comme chicanier et peu scrupuleux, risquait de tout gâter. Aussi les acteurs s’attelèrent-ils à le gagner plutôt qu’à l’irriter. Une fois bien mis au courant, et voyant qu’enfin on tenait compte de lui, il accepta la candidature de Ndahindurwa et se prépara à agir en conséquence.
  1. Nous voici donc au 28 juillet 1959. Après les cérémonies religieuses des obsèques, le cortège funèbre arriva à Mwima où le tombeau avait été préparé. Mr le Vice-Gouverneur Général, J.P. Harroy prononça l’éloge funèbre en des termes émus. Monsieur Harroy, son Collègue le Vice-Gouverneur Général Lafontaine et tous les Officiels étaient entourés d’une foule taciturne, sinistre, armée, qui avait rejoint Mwima par des sentiers détournés, décidée à ne pas laisser enterrer le Roi sans la proclamation de son successeur. Citons ici un passage du Rapport de la Commission d’Enquête 1960, n° 30, p. 26-27 :

« Une foule armée y était assemblée, qui paraissait extrêmement nerveuse. Après une déclaration du Chef Kayihura, suivant laquelle la coutume voulait que le Mwami ne fût pas enterré sans que son successeur fût connu, Mr Rukeba prit la parole et cria à la foule qu’il fallait immédiatement connaître le nom du nouveau mwami. Il fut applaudi par l’assistance qui craignait probablement que le pays restât sans mwami si le successeur de Mutara n’était pas désigné immédiatement. Le délégué des Biru, M. Kayumba, lut ensuite le nom du nouveau mwami, Jean-Baptiste Ndahindurwa, fils de Musinga et demi-frère de Mutara, qui fut immédiatement acclamé par l’assistance ».

Pour être plus précis, M. Kayumba avait l’air d’hésiter, à l’idée peut-être qu’il allait assumer une grosse responsabilité devant le Vice-Gouverneur Général qu’on s’était préparé à braver. C’est au Chef patriarcal de sa Famille que revenait la fonction de proclamer le nom du nouveau Roi, suivant le cérémonial du Code ésotérique. Aussi Mr Rukeba l’apostropha-t-il énergiquement, le sommant de proclamer le nom. Dès que le successeur de Mutara III fut connu, la fièvre de la foule tomba et les Autorités présentes félicitèrent celui qu’on allait appeler du nom dynastique de Kigeli V.

« Une fois connu le nom du nouveau rnwami, dit le même Rapport, p. 27, et après que le futur Kigeli V eût accepté de régner en mwami constitutionnel, le vice-gouverneur général marqua rapidement son accord sur le choix des Biru, choix que l’Administration belge considérait d’ailleurs comme heureux ».

Notons que le rôle de Mr Rukeba à Mwima lui valut, en récompense de sa hardiesse, la Présidence de la Faction des monarchistes, au détriment de Cosma Rebero à qui Mutara III avait destiné cette fonction. Pour son malheur, la Faction monarchiste mettait à sa tête un homme intransigeant et buté, derrière lequel se retirèrent les hommes modérés, tels que Michel Kayihura, et bien d’autres. Mr Rukeba, ancien sous-chef, avait été plus d’une fois emprisonné par les Belges et leur était un adversaire déclaré. Il avait même une fois dénoncé « leurs méfaits» à une Mission de Visite de l’O.N.U., ce qui lui avait valu, dit-on, des ennuis supplémentaires. Les Factions opposées, dans ces circonstances, ne pouvaient en conséquen-ce trouver un meilleur adversaire, car il ne devait pas tarder à compromettre la cause qu’il était chargé de défendre.  

  1. Ce qui devait l’induire en erreur nous a été décrit par le même Rapport auquel nous venons de nous référer :

« Quelle que soit l’opinion, dit-il, p. 28, qu’on puisse avoir sur les circonstances dans lesquelles s’est fait le choix du nouveau mwami, il est certain que les événements du 28 juillet 1959 furent exploités contre l’autorité tutélaire. La population eut l’impression que cette autorité avait été mise devant le fait accompli et qu’elle avait dû s’incliner ce qui n’était pas fait pour renforcer son prestige. Certains considérèrent, — et le bruit ne manqua pas de circuler, — que l’autorité européenne avait subi une défaite »

Il n’y a aucune nuance de doute à exprimer à ce sujet : l’opinion générale l’a pensé ainsi, et je crois que ce fut conforme à la vérité. L’événement a certainement court-circuité le plan de la Tutelle : on ne peut s’imaginer que les Représentants de celle-ci accompagnaient le défunt à sa dernière demeure sans aucun plan pour la marche des affaires du pays, sur la personne ou le groupe de personnes qui allaient occuper sa place. Or ce plan que la Tutelle gardait par-devers soi, ne fut pas celui qui prévalut. La Faction monarchiste avait gagné cette première manche. Ce fut dans cette optique que Mr Rukeba mena sa politique.

Il n’était ni souple, ni de niveau à comprendre que la surprise de Mwima laissait intacte toute la force du côté de la Tutelle. Immédiatement après son élection, Kigeli V, accompagné de Monsieur le Résident du Rwanda, se mit à parcourir le pays pour se montrer aux populations.

Il n’était cependant qu’un désigné, un élu, Ce premier stade avait été accompli à Mwima, mais d’une manière adaptée aux circonstances, car la procédure traditionnelle était conçue différemment. Le deuxième stade, celui qui, aux yeux du Code ésotérique, conférait la dignité royale, devait être accompli ultérieurement. Le cérémonial ainsi appelé Intronisation correspondait au couronnement de la Culture Européenne.

  1. On s’aperçut à cette époque que les Abiru, cette fois-ci les vrais, entraient désormais en scène et entendaient imposer leur point de vue. Il y avait pratiquement deux catégories : les Abiru vieux style, auquel le nouveau Roi venait d’ajouter de nouveaux promus, ces derniers appartenant certes aux Familles des Abiru, mais ne connaissant rien du Code ésotérique. Ces gens-là, surtout les vieux, croyaient fermement à l’efficacité magique des poèmes composant le Code ésotérique.

La deuxième catégorie était formée des Politiciens. Ils ne croyaient certes pas à l’efficacité interne de ces poèmes traditionnels, mais ils entendaient s’en servir. Ils savaient que l’attitude atavique de la population attribuait à l’ Ubwiru (Code ésotérique) une efficacité irrésistible qui fondait le prestige de la royauté.

Ils recoururent à une espèce de technicien, détenant le texte de ces poèmes. Son rôle consistait à faire en sorte que la future intronisation fût purement civile, sans aucun mélange d’éléments appartenant à la Religion traditionnelle. La 2ème  catégorie était de son avis. Aussi fut-il chargé d’épurer le poème d’Intronisation, pour en faire un texte purement civil, expurgé de tout symbolisme magique.

  1. Mais la grosse difficulté surgit au sujet du mode de l’intronisation: le technicien exigeait que toutes les cérémonies se passassent entièrement en public, sur une esplanade bien visible à tout le monde. Les autres objectaient que ce mode dépouillerait le cérémonial de toute sa valeur. Pour eux, l’ésotérisme était nécessaire; le technicien objectait à sen tour que l’ésotérisme était justement l’un des éléments à exclure. Ils proposèrent un compromis : une partie du cérémonial serait célébré à l’intérieur, et à l’extérieur la partie où interviennent les représentants des Familles. Le compromis échoua, car ces gens ne voulaient admettre à l’intérieur que quelques personnages d’entre les invités. Le « technicien » déclara qu’il n’y assisterait pas si tous les invités de marque, Représentants de la Tutelle en tête, n’y assistaient pas. Or il était entendu que sa présence garantissait l’absence de toute cérémonie en désaccord avec la Doctrine de l’Eglise.

Ces discussions eurent même lieu une fois à la Résidence de Kigali, car le programme des fêtes en préparation intéressait la Tutelle. La thèse des Abiru fut soutenue par le Conseil Supérieur du Pays, qui soutint que l’intronisation devait se faire ésotériquement, sans aucun témoin qui ne fût Rwandais. On était ainsi en plein dans un jeu d’une politique qui, pour revaloriser le Code ésotérique, ne voulait rien entendre, ni vis-à-vis des Rwandais émancipés, ni vis-à-vis de l’opinion internationale. Les intéressés faisaient surtout abstraction du fait que le pays n’était pas indépendant, libre d’agir sans tenir compte des Autorités de la Tutelle.

On notera donc, en conclusion, qu’après l’élection de Kigeli V, les Abiru cessèrent d’être ce fantôme dont nous avons parlé plus haut (no 698) et redevinrent réellement l’institution qu’ils étaient avant la prise en mains du pays par les Européens.

  1. c) On s’achemine vers les renversements de la Dynastie.
  1. Au cours des mois d’août et septembre 1959, l’atmosphère s’empoisonne de plus en plus visiblement. La mort de Mutara III attribuée aux Européens alimentait l’opinion. Tous les documents que nous avons sous les yeux parlent de « Partis politiques » en se référant à cette époque. Nous croyons cependant qu’il n’y avait pas encore de « Parti politique » au sens propre du mot. Il y avait plutôt des Factions qui s’étaient érigées en porte-parole des différentes fractions de l’opinion. Nous n’aurons de vrais Partis politiques qu’après les Elections Communales. Pour plus de commodités cependant, j’utiliserai la formule, à ce stade impropre, de « partis politiques ».

Le 3 sept. 1959, les monarchistes se constituèrent officiellement en Parti politique : l’Union Nationale Rwandaise (UNAR), dont M. Rukeba fut désigné comme Président. On lira la doctrine et le Manifetse de l’UNAR dans Rwanda Politique 1958-1960, collection de documents publiée sous le nom de M. Fidèle Nkundabagenzi (p. 92-101). Le 14 du même mois se constituait le Parti dénommé Rassemblement Démocratique Rwandais (RADER), dont le Président était le Chef Prosper Bwanakweli.

Le 9 octobre suivant, fut créé le Parti du Mouvement de l’Emancipation Hutu (PARMEHUTU) qui sera officiellement constitué le 18 à Gitarama, et dont le Président était M. Grégoire Kayibanda. On trouvera le Manifeste-programme, ibid. p. 113-121).

Quant à l’Association pour la Promotion Sociale de la Masse (APROSOMA), son Président M. Gitera l’avait déjà proclamé Parti Politique le 15 fev. 1959, soit quelques mois avant l’ordonnance du 8 mai suivant, qui autorisait pareilles formations, et qui ne devait devenir exécutoire que le 15 juin de la même année. Il y eut d’autres Partis politiques mineurs, parfois radicalement locaux et assez souvent satellites de l’UNAR ou du PARIVIEHUTU, que la Mission de Visite de l’ONU 1960 détaille dans son Rapport, no 265, p. 36. Dans Rudipresse no 184, du 13 août 1960, la liste globale des résultats électoraux en citera d’autres, dont la liste Intercommunale, et même le Parti des Sans-parti, pour faire honneur à l’humour rwandais.

  1. La Tutelle a constamment qualifié de Partis Nationaux l’UNAR, le PARMEHUTU, le RADER et l’APROSOMA. Il était visible cependant que le RADER comparé aux autres était une fiction : il s’agissait, au point de départ, de Commis de l’Administration Belge, que celle-ci entendait opposer à l’UNAR dans le but de diviser les Batutsi monarchistes. La Commission d’Enquête I960,

parlant de la création du RADER, rapporte les faits en ces termes : « Dès le 16 septembre, un tract polycopié, portant le nom de Rukeba, Président de l’UNAR, dénonçait la création d’un nouveau parti mis sur pied au cours d’une réunion nocturne.., à laquelle auraient assisté un missionnaire, des Européens de l’Administration et 10 Banyarwanda nommément désignés. Ce texte accusait le nouveau parti de recevoir de l’argent de l’Administration, et contenait des menaces voilées à l’égard de ses membres. En fait, le RADER joua un rôle peu important dans l’agitation politique qui a précédé les troubles du mois de novembre. (Rapport no 34, p. 36).

Il ne pouvait en réalité jouer un rôle quelconque, puisqu’il ne représentait dans l’opinion que quelques fonctionnaires soucieux de se faire bien voir de ‘l’Administration. La Mission de Visite de l’O.N.U., de son côté, juge ainsi ce Parti « National » « Quant au RADER, il possède certainement un Comité directeur remarquablement capable et actif, mais il ne semble pas qu’il exerce encore une grande influence sur le gros de la population ». (Rapport no 266, p. 36), 

  1. On peut dire qu’au mois d’octobre 1960 le Rwanda était en pleine fermentation. La Commission d’Enquête 1960 nous apprend une comédie supplémentaire qui eut lieu le jour même où fut créé le Parti PARMEHUTU :

«- C’est le 9 octobre qu’après quelques difficultés, le Mwami Kigeli V prêta son serment d’investiture à Kigali en présence du Vice-Gouverneur Général et de 27 membres du Conseil Supérieur du Pays. Il avait exigé au préalable que, dans la formule du serment, il soit fait mention de sa nouvelle qualité de mwami constitutionnel ». (Rapport no 39, p. 38).

Sur ces entrefaites, le Vice-Gouverneur Général décida la mutation disciplinaire contre les Chefs Michel Kayihura, Pierre Mungarulire et Chrysostome Rwangombwa, en raison de leur intervention publique en meetings de l’UNAR, alors qu’ils étaient fonctionnaires de l’Administration. La décision était du 10 octobre. En date du 16 de ce mois, les Chefs répondirent au Vice-Gouverneur Général en se référant à sa propre circulaire e 2210/ 4.950 adressée aux autorités indigènes de l’exécutif et du judiciaire, leur reconnaissant le droit d’être membres de partis politiques. (Le RADER étant de l’Administration, son Président M. Bwana-kweli n’était nullement inquiété).

Il y a évidemment différence entre être membre et prendre la parole en meetings politiques. Les Chefs faisaient savoir qu’ils remettaient leur démission, plutôt que d’obéir au transfert décidé à leur encontre.

Une erreur tactique fut cependant commise de leur part : non seulement le ton de la lettre était trop vif à l’égard d’un Supérieur, surtout aussi élevé, mais encore du même lieu (Nyanza) et à la même date du 16 octobre, ils se firent appuyer par une lettre de Kigeli V qui prenait ouvertement parti pour eux. De l’examen des deux textes (cfr Rwanda Politique p. 101-105) la conclusion devait fatalement en être que Kigeli V ne marchait pas avec la Tutelle et que, au lieu de se placer au-dessus des Partis, il s’était laissé accaparer par l’UNAR. Toutefois, le Vice-Gouverneur Général condescendit à engager des pourparlers en vue de déterminer les Chefs à obéir, — pratiquement à sauvegarder le prestige de son autorité mise en échec, — mais il n’y eut aucun résultat. 

  1. Un événement hautement significatif semble avoir fait déborder la coupe. Vers la fin d’octobre, S.M. le Roi Baudouin I invita les deux Bami du Rwanda et du Burundi à une audience qui devait avoir lieu le 9 novembre, en prévision de la Déclaration Gouvernementale sur la politique à inaugurer dans les deux pays. Les Abiru entichés de leur influence enfin recouvrée, s’opposèrent à tout déplacement du Roi avant qu’ait eu lieu la cérémonie de son intronisation. Ces prétentions furent vainement combattues par ceux qui jugeaient que le fait de récuser l’invitation du Roi des Belges était une faute politique de premier ordre et qu’il ne pouvait y avoir la moindre excuse valable. Le Vice-Gouverneur Général recourut à tous les moyens possibles pour décider Kigeli V à répondre à l’invitation : tout resta sans résultat. Finalement, les troubles ayant éclaté le 1er  Novembre, Kigeli V trouva là un prétexte plausible à la publication du communiqué suivant :

« Le Mwami du Rwanda, Kigeli V Ndahindurwa, vu la situation dans ce pays, estime de son devoir de rester auprès de son peuple et de renoncer à son voyage en Belgique. Il a exprimé par écrit au Roi Baudouin ses regrets, ses excuses et ses remerciements ». (Rudipresse, no 142, 7 novembre 1960, p. 10). 

  1. d) Pour les uns « Troubles » et pour les autres « Révolution »
  1. Au point où nous en sommes arrivés, un problème doit être discuté : les documents dont nous disposons parient tantôt de « Troubles» et tantôt de « Révolution». Ceux qui parlent de « Troubles » se réfèrent au fait que la Belgique détenait encore la Souveraineté sur le Rwanda. Pour qu’il y eût « Révolution », dans le vrai sens du mot, l’insurrection aurait dû se déclencher contre la Tutelle. Les leaders Bahutu, au contraire, ne s’embarrassent pas de ces subtilités juridiques et ils parlent toujours de leur « Révolution ».

Si on laissait de côté l’aspect juridique en question et qu’on examinait uniquement la nature des choses à l’époque, on pourrait conclure que les Leaders Bahutu n’ont pas tort. Tout d’abord, le Rapport de la Commission d’Enquête 1960 reconnait le fait en utilisant le terme « Révolution » J.R. Hubert, Substitut du Procureur du Roi au Rwanda en 1959-1960, dans son livre La Toussaint Rwandaise et sa répression en fait autant, et le Ministre des Affaires Africaines devait en faire de même dans son discours prononcé à Usumbura le 17 octobre 1960, tandis que, dans son rapport, la Mission de Visite de l’O.N.U. 1960 dit pratiquement la même chose en utilisant le terme « insurrection ». Ces Autorités sont donc d’accord avec les Leaders Bahutu, en reconnaissant qu’il s’agissait bien du refus de reconnaître comme légitime le régime antérieur et de la résolution prise de le renverser. 

  1. En considérant ainsi la nature des choses, abstraction faite de l’intention de ces Autorités citées, qui• ne faisaient qu’utiliser les termes ayant leur signification précise dans le Droit international, nous devons en conclure qu’elles avaient dans le subconscient et reconnaissaient implicitement la thèse des Rwandais. A savoir que l’événement de Mwima, — la procédure suivant laquelle Kigeli V avait été désigné, — avait été l’équivalent d’une prise de pouvoir de fait ; que la Tutelle ne détenait plus, du moins en totalité, les attributs de la Souveraineté. La Tutelle de son côté avait implicitement reconnu cette situation énervante, lorsque, pour écarter les usurpateurs, avait renoncé à utiliser sa propre force pour reconquérir ses droits. Elle avait donc implicitement abdiqué de ses attributs de Souveraineté et donnait libre champ à qui voudrait les récupérer. Cet abandon de ses droits, la Tutelle l’avait confirmé en n’empêchant pas un tiers, — alors qu’elle le pouvait, — de recueillir la succession. Il semble donc, en conclusion, que du point de vue des Leaders Bahutu, il ait été légitime de parler de « Révolution », dans la logique des événements survenus au Rwanda depuis le 28 juillet 1959, comme nous l’avons déjà souligné plus haut (no 701).
  1. Pour suivre le déroulement de l’insurrection il faudrait, non pas un chapitre, mais toute une monographie. Notre but étant cependant de signaler les faits qui nous semblent avoir créé l’irréversible, et par conséquent permanents dans leurs effets en l’Histoire du Rwanda, nous nous limiterons au seul fait que cette Révolution a été accompagnée d’incendies, de pillages et de tueries par endroits. Quant à s’engager dans le détail de tout cela, on s’expo-serait à se perdre dans un fouillis d’actualités. Nous nous contenterons d’indiquer les monographies qui, parfois d’office, se sont attelées à cette tâche :

1) Le Rapport de la Commission d’Enquête 1960 (par MM. Peigueux, Malengreau et Frédéricq), en son chap. II, p. 52-89, détaille les événements qu’il divise en trois paragraphes : la Révolution hutu, la Réaction tutsi et l’Intervention militaire.

2 )Le Rapport de la Mission de Visite de l’ONU 1960, T/1551, supplément no 3, p. 26-31. Le Rapport suit le même schéma du document précédent et conclut ainsi :

« Pendant près de deux semaines, le Ruanda fut déchiré par des luttes fratricides d’une grande violence, dont on ne connaîtra sans doute jamais le bilan exact. D’après les renseignements recueillis, il y a eu environ 200 morts. Le chiffre réel est sûrement plus élevé, car la population, quand elle le peut, préfère emporter ses morts et les enterrer en silence. Un communiqué officiel du 23 novembre a déclaré qu’à cette date le nombre de personnes blessées lors des troubles qui avaient été hospitalisées ou soignées dans les hôpitaux s’élevait à 317 ; il est cependant à présumer que de nombreux blessés sont partis sans se faire soigner. Le relevé des destructions qui, outre les cases incendiées comprennent des plantations saccagées, du bétail abattu et des biens mobiliers pillés, est encore en cours d’établissement et ne pourra probablement jamais être déterminé avec précision ». (Rapport, no 223, p. 31).

3) Au stade des poursuites judiciaires, le livre La Toussaint Rwandaise et sa répression, de J.R. Hubert, Substitut du Procureur du Roi, surtout p. 29-109. Cet ouvrage se lit cependant avec un certain point d’interrogation, car on ne peut savoir comment, en quelques-uns de ses passages, l’auteur l’avait initialement rédigé. Lorsqu’il le présenta, en effet, à l’Académie Royale des Sciences d’Outre-Mer, celle-ci en confia l’examen à MM. Harroy et Malengreau.

Ils étaient bien au courant du sujet traité, certes, car le premier était Résident Générai à l’époque des événements, et le second membre de la Commission d’Enquête 1960. Les deux Rapporteurs cependant imposèrent à l’auteur des modifications à apporter au manuscrit sous peine de le voir écarter. Il accepta et l’Académie publia l’ouvrage dans la collection de ses Mémoires. (Cfr Bull. des Séances de l’ARSOM, 1964, 3 p. 448).

4) On y ajoutera subsidiairement le livre « J’étais le Général Janssens » (2è cd. Bruxelles, 1961, p. 123-136). Le Gl Janssens, commandant en chef de la Force Publique, arriva au Rwanda en novembre pour orchestrer l’intervention militaire.

Le Rwanda Politique 1958-1960, collection de documents publiée sous le nom de M. Fidèle Nkundabagenzi, Bruxelles 1961. Une mine inépuisable dont l’Historien de l’époque envisagée ne pourrait se passer.

6) Rudipresse — Bulletin Hebdomadaire d’Information (polycopié), mine également inépuisable, où l’on trouve le détail de tous les faits intéressant le Rwanda et le Burundi, avant, pendant et après les événements résumés en ce chapitre.

  1. Les monographies, en question donnent les grandes lignes des événements. Nous pouvons, en conclusion, nous poser deux questions à leur sujet :

1° Cet affrontement était-il nécessaire ? Oui ! Du moment que les circonstances étaient ce qu’elles étaient devenues, la Tutelle ne s’étant jugée moralement pas dans les possibilités de maintenir ses droits, l’affrontement était inévitable. On se l’expliquera en réfléchissant sur les propos suivants, que de Las Cases rapporte de Napoléon I

« Règle générale : jamais de révolution sociale sans terreur. Toute révolution de cette nature n’est et ne peut être dans le principe qu’une révolte. Le temps et les succès parviennent seuls à l’ennoblir, à la rendre légitime ; mais encore une fois on n’a pu y parvenir que par la terreur. Comment dire à tous ceux qui l’emplissent toutes les administrations, possèdent toutes les charges, jouissent de tolites les fortunes : Allez-vous-en ! Il est clair qu’ils se défendraient : il faut donc les frapper de terreur, les mettre en fuite, et c’est ce qu’ont fait la lanterne et les exécutions populaires ». (Mémorial de Sainte-Hélène, Ed. du Seuil, Paris 1968, p. 460).

.2° Cet affrontement, à ce stade-là, était-il engagé entre Bahutu et Batutsi, c’est-à-dire : initialement ethnique ? Les documents que nous avons sous les yeux l’affirment ainsi, certes soit explici-tement, soit d’une manière implicite, tel le Rapport de la Mission de Visite de l’O.N.U., Mais en même temps ces mêmes documents, parfois sans s’en apercevoir, — dirait-on, — se contredisent et nous affirment qu’il s’agissait de rivalités purement politiques. Lisons un échantillon de la thèse que l’Administration de la Tutelle criait sur tous les toits ; c’est le Général Janssens qui parle :

« Je reçois un message personnel du colonel B.E.M. Logiest, m’annonçant qu’il serait peut-être forcé d’attaquer Nyanza avec un bataillon pour contraindre le Mwami à se rallier à nous et nous débarrasser des milliers de guerriers tutsi et twa qui dé-fendent sa résidence.

Aussi, je décide de partir le lendemain pour le Ruanda, et là commence une de ces nombreuses aventures dont ma vie a été émaillée.

Le lundi 9, en effet, l’émeute est générale au Ruanda. Kigeli V, prenant parti pour les Batutsi, — dont il est — laisse les chefs et les Batwa attaquer les Bahutu et piller leurs biens. Tandis que Kigeli V demande que la Force Publique se retire et affirme qu’alors il pourra rétablir l’ordre avec ses moyens et sous son autorité, l’état « d’opération militaire » est décidé par l’autorité civile pour tout le Rwanda ». (J’étais le Général Janssens, p. 127).

  1. L’auteur de ces lignes n’était pas sur place pour juger ; il s’est exprimé selon la thèse officielle, qui lui avait été inculquée. S’il avait cependant réfléchi un peu, il aurait dû trouver assez curieux que les Batutsi et les Batwa, — ensemble 16% de la population à l’époque, — aient pu constituer un camp redoutable contre tout le pays. Bien plus, il dénie aux Leaders Bahutu l’initiative de l’in-surrection et balaie ainsi d’un trait de plume l’idée de « Révolution », puisqu’il suppose les Batutsi-Batwa assaillants, et s’appitoie sur les Bahutu attaqués, qu’il faut en conséquence défendre. On en finirait pas de citer d’autres textes dans ce sens d’évidente contre-vérité. Le Rapport de la Commission d’Enquête 1960 a jugé différemment sur ce point. Pour les éminents Enquêteurs en effet, il s’agissait d’enregistrer les déclarations de leurs interlocuteurs. Aussi leur objectivité laisse-t-elle par endroits la réalité faire surface, par exemple p. 58 où il est dit : Si le processus général était le même, il y avait des différences de détail, aussi bien dans les réactions hutu envers les Tutsi que dans le caractère des troubles. Alors qu’en d’autres endroits, lorsqu’elle apprit que les incendies auxquels elle avait procédé n’avaient pas été ordonnés par le Mwami, la population hutu admit que les Tutsi sinistrés restent habiter le pays et, dans certains cas, les aida même à reconstruire leurs huttes ; dans le Nord, la population s’opposa à ce que les Tutsi demeurent dans la région

Et en p. 59 le même Rapport note :

« A l’aube du 7 novembre, les incendiaires arrivèrent aux environs de Rubengera où toute la population (Hutu et Tutsi) apprenant leur approche, se replia sur la localité et se prépara à la défense, sous la direction du chef local. Pendant ce temps, les incendiaires de la haute et moyenne altitude continuaient à progresser vers la plaine,.., ils arrivèrent aux barrages derrière lesquels se trouvait la population locale armée et décidée à se défendre et à protéger ses biens. La population attendit les incendiaires, les attaqua, puis se lança à leur poursuite »…

De son côté, la Mission de Visite de l’O.N.U. note en complément de cela :

« Il était certain que les incendiaires étaient presque toujours des gens de mentalité simple, qui commettaient les pires excès salut bien se rendre compte de ce qu’ils faisaient. Ils ont incendié et pillé parce qu’on leur avait dit de le faire et parce que l’opération ne semblait pas comporter de grands dangers et leur permettait de prendre des butins dans les cases des victimes. Beaucoup d’incendiaires croyaient sincèrement avoir agi au nom du Mwami qui, selon les faux bruits qui circulaient, aurait été retenu prisonnier par les Tutsi et aurait donné l’ordre de brûler leurs cases pour les expulser du pays. C’est ainsi que, dans la tournée que le Mwami entreprit dans le pays à la fin des troubles, certains sont allés lui demander un salaire pour le travail qu’ils avaient accompli pour lui. (n° 204, p. 28). 

  1. Les deux derniers textes donneraient lieu à de multiples conclusions dépassant le cadre de la contre-vérité que nous avons en vue de redresser. Qu’il suffise de les compléter par la citation suivante, sous la plume du Substitut J.R. .Hubert :

« Quant aux Hutu qui constituaient la moitié des troupes tutsi en novembre 1959, par la suite ils n’en constituèrent plus que le tiers » (La Toussaint Rwandaise, p. 53).

Le même auteur nous démontre ensuite (ibid. p. 150-151) que parmi les 912 personnes poursuivies pour faits tutsi, 438 (48% étaient des Batutsi, et 412 (45%) étaient des Bahutu et enfin 58 (6,5%) des Batwa.

Enfin, les hérauts de la thèse officielle, s’ils avaient voulu être dans la vérité historique, auraient dû enregistrer le fait patent qu’ils avaient sous les yeux, à savoir que si M. Kayibanda était le Président du PARMEHUTU, son cousin germain M. Michel Rwagasana était Secrétaire Général de l’UNAR.

Nous ne pouvons ne pas citer à Ce propos l’opinion de M. Mason Sears, Président de la Mission de Visite de l’O.N.U. 1960, s’exprimant devant le Conseil de Tutelle :

« Les incidents violents qui se sont produits récemment au Rwanda, dit-il, ne sont pas le fait d’une révolution populaire générale contre l’injustice sociale. La violence qui s’est mainifestée se compare plutôt au début d’une guerre civile, — une lutte pour le pouvoir, — entre deux factions de la population en prévision de l’indépendance », (Cité par M. Feltz dans l’inédit Causes et Conséquences de la guerre civile au Rwanda, p. 326-327)

Nous relevons dans le même sens, l’analyse objective et très juste du problème, dans l’intervention de M. Munyangaju devant la Commission du Conseil de Tutelle :

« Prétendre, dit-il, que la lutte entre Hutu et Tutsi n’est qu’une manifestation de haine tribale prouve que l’on ignore la réalité. Les Ruandais ne constituent qu’un seul peuple : même langue, même culture et même gouvernement. En fait, les Hutu, loin d’en vouloir aux Tutsi, se plaignent seulement d’un régime

d’abus et d’exploitation ; les Tutsi, de leur côté, n’en veulent pas aux Hutu parce qu’ils sont Hutu, mais bien au mouvement de la libération hutu, qui, en émancipant les serfs d’hier, suppri-me un régime de privilèges dont bénéficiait tout le groupe tutsi. La véritable explication de la guerre civile au Ruanda, c’est qu’il y a d’un côté la volonté de rompre avec un ordre politique et social d’inégalité et avec l’exploitation économique par l’économiquement fort, et de l’autre côté le désir à peine déguisé de maintenir les anciens privilèges. La raison profonde de la révolte reste le désir de se libérer d’un féodalisme séculaire et d’assurer par la force la dignité de la classe laborieuse méprisée ». (1066èrne Séance, 29 nov. 1960, p. 410).

De son côté, le 2 déc. 1960, M. Makuza s’exprimait ainsi devant la Commission TV du Conseil de Tutelle :

« C’est contre la féodalité que (le PARMEHUTU) luttait, non contre l’ethnie tutsi en tant que telle ; il a donc accueilli dans ses rangs les Tutsi opprimés ; certains d’entre eux ont été élus sur ses listes ». (1072èrne Séance, no 30, p. 443). 

  1. On aura cependant remarqué l’incise que nous avons constamment mise en évidence : « à ce stade-là ». Son sens doit à peine être davantage explicitée : au stade suivant, la différence ethnique a été exploitée, non pas au départ en tant que raciale, mais davantage comme une arme politique, pour souligner le fait d’une minorité qui exerçait la domination sur une masse majoritaire d’ethnie différente. Cette arme politique était maniée et soulignée du reste par le terme HUTU que nous retrouvons dans la dénomination du PARMEHUTU.

Il eût été incroyable que dans une lutte de domination culturelle étrangère, — dont nous avons longuement décrit les prodromes au cours du chapitre précédent, — on n’eût pas recouru aux armes culturelles, comme il eût été extraordinaire que les Rwandais résistassent indéfiniment à la propagande en ce sens qui leur était massivement injectée. On ne peut résister indéfiniment à une doctrine qui présente un certain intérêt. En proclamant tout haut la différence ethnique comme point de départ des luttes engagées alors au Rwanda, on prétendait faire admettre que l’affrontement était un fait spontané, une bombe dont personne ne soupçonnait la présence et qui. a éclaté à l’improviste. Mais l’Histoire en sourit, car documents en Main, depuis le chapitre précédent, elle nous aide à reconstituer l’acheminement logique des préliminaires. Et nous devons conclure, encore une fois documents en main, qu’au stade initial, c’était Ia lutte déclenchée entre Partis politiques,: les représentants des. trois ethnies étant mêlés de part et d’autre, suivant tel où tel leader. Certes les Batutsi étaient en principe monarchistes, même si quelques membres du RADER criaient alors le contraire par opportunisme. Quant aux Bahutu, ils appartenaient à n’importe quel Parti, bien que de mentalité en général, ataviquement monarchiste. Ceci était si vrai, — les textes cités ci-avant en font foi, que ceux qui s’attaquaient aux Batutsi s’imaginaient exécuter l’ordre de Kigeli V, ou qu’ils lui portaient secours. Il n’aurait pu du reste en être autrement : comment dans le cas de la thèse officielle, les Batutsi eussent-ils jugé politiquement concevable de s’attaquer à la masse sur laquelle ils eussent prétendu s’appuyer, pour la dominer ensuite ?

  1. e) Le Rwanda sous le régime militaire
  1. En date du 9 novembre, le Vice-Gouverneur Général et Kigeli V signèrent en commun un document, dont ce dernier ne pouvait saisir toute la portée : « Le 9 novembre, des décisions prises conjointement par le Vice-_ Gouverneur Général et le Mwami du Rwanda, plaçant toute l’action des Forces de l’Ordre sous un commandement unique, celui du B.E.M. Logiest, et adressaient un solennel appel à la population pour que cessent immédiatement les luttes fratricides endeuillant le pays ». (Budipr. no 143 du 14 nov. 1960).

: On peut se demander en quoi Kigeli V pouvait bien être utile dans l’affaire. En tous les cas, en s’associant à cet acte, s’il avait été de niveau à le comprendre, il eût formellement signé l’arrêt de mort du Parti politique qui le soutenait. Le même jour, en effet, le Vice-Gouverneur signait à Kigali Même l’ordonnance législative n° 081/227 plaçant le Rwanda sous le régime militaire, dont les articles

essentiels (résumés en p. 4-5) ne laissent aucun doute sur l’arrêt prononcé contre l’UNAR. Une autre ordonnance signée .le même jour (no 081/228) mettant en exécution la précédente, plaçait le Rwanda Sous l’état d’exception, -et le Colonel B.E.M. Logiest était nommé Résident militaire, revêtu des attributions et des pou-voirs définis par l’ordonnance législative (ibidem p. 5).

On remarquera, au dire du Général Janssens, que le Vice-Gouverneur Général « a donné les pouvoirs civils aux militaires Sans trop rechercher à appuyer cette décision sur des bases légales », (j’étais le Général JanSsens, p. 128).

Le même auteur nous apprend (ibd.- p. 129) qu’il a passé la journée du 10 novembre à aider M. Harroyz à établir avec ses juristes l’application au Ruanda des textes légaux congolais sur l’état d’exception -et le régime militaire spécial des tribunaux. Ceci explique comment, pour remplacer les ordonnances signées le 9 à Kigali, M. le Vice-Gouverneur Général en signa deux autres, l’une législative (n° 081/225) sur le régime militaire, et l’autre (no 081/226) mettant la ire en exécution et soumettant le. Rwanda au régime militaire tel que défini par la législative. (Budipresse, no 144, du 21 nov. 1960, p. 4). Il faut reconnaître que’ le texte de la 2ème  ordonnance législative est plus pondéré que celui de la première. Les numéros des ordonnances étaient en ordre inversé, si bien que celles prises en premier lieu — et désormais abrogées — semblaient avoir abrogé les deux vraiment dernières qui les avaient remplacées. Aussi l’autorité militaire semblera-t-elle avoir préféré les plus radicales, dont cependant le législateur venait de redresser les anomalies.

  1. f) La Déclaration Gouvernementale et sa mise en exécution.

1) Ce que la Déclaration contenait de neuf

  1. Ce fut le 10 novembre qu’eut lieu la Déclaration Gouvernementale, tant attendue, sur la politique que la Belgique entendait appliquer au Rwanda et au Burundi. Pour le Rwanda, c’est en apparence un simple discours de rhéteur. La Mission de Visite de l’O.N.U. 1960 en parle en ces termes :

« La déclaration gouvernementale du 10 novembre 1959, acceptée partiellement, par les uns, rejetée par les autres, n’avait pas provoqué la détente qu’on en espérait. Beaucoup de Ruandais considéraient qu’ils n’avaient pas été associés à l’élaboration de cette déclaration et des mesures qui allaient en découler, même s’ils avaient eu l’occasion d’exprimer leurs vues au Groupe de travail au cours des mois précédents. De nombreux Ruandais estimaient qu’elle ne constituait pas un compromis acceptable et ne se sentaient nullement engagés par elle. La déclaration donnait d’ailleurs lieu à des interprétations contradictoires… (Rapport, n° 257, p. 35).

On trouvera le texte de la Déclaration dans Rwanda Politique cité, p. 160-167. On y relèvera que le Ruanda-Urundi ne sera plus subordonné au Gouverneur Général du Congo Belge, cette colonie devant recevoir bientôt l’Indépendance. L’ancien Vice-Gouverneur Général deviendra Résident général. Les sous-chefferies agrandies deviendront des Communes, seules entités politiques en dessous du pays. Les Chefferies deviendront des entités purement administratives, et non plus des entités politiques. Le Conseil du Pays, conjointement avec le Mwami, exercera le pouvoir législatif local qui lui sera progressivement attribué. Au-dessus des deux pays existera la Communauté de fait, constituée par le Gouvernement actuel du Territoire, etc. etc.

2) Les autorités « Spéciales » et Intérimaires.

  1. Ce document sera mis en termes juridiques par le Décret intérimaire du 25 décembre 1959. (cfr Rudipresse, n° 152, 16-1-1960, 1-5).

« En vertu de ce Décret…, l’ordonnance n° 221/29 du 12-1-1960 fixe la date à laquelle certaines dispositions.., s’appliqueront à la résidence du Ruanda, déterminant certaines mesures transitoires. — Le Conseil Supérieur du Ruanda, ainsi que sa Députation permanente sont dissous. Jusqu’à la mise en place de nouvelles institutions, les attributions dévolues à ces deux organismes sont exercées par un collège de six conseillers spéciaux, nommés à cet effet par le gouverneur du Ruanda-Urundi. Ce Collège prend le nom de Conseil Spécial provisoire ; pour être valables, ses délibérations sont soumises à des «conditions précises. Les travaux sont préparés et dirigés par le fonctionnaire qui exerce les fonctions de Conseiller du mwarni du Ruanda ». Le Résident du Ruanda et le mwami peuvent assister aux débats du Conseil spécial provisoire. Le mwarni peut s’y faire représenter par un délégué spécial nommé à cet effet. » (ibd. p. 5-6). L’ordonnance n° 221/30 de la même date porte désignation des membres de ce Conseil, qui représentent le RADER, le PARME-HUTU, l’APROSOMA et l’UNAR. D’autre part François Ruzibiza, frère de Kigeli V, est nommé Conseiller spécial du mwami. L’installation du Conseil Spécial eut lieu à Kigali le 4 février, et Kigeli V eut la malencontreuse idée de ne pas y assister. Dans son allocution d’installation, M. Harroy exprima, à juste titre, les regrets de cette absence. (cfr Rudipresse, n° 155, 6-12-1960).

  1. Notons qu’à cette époque, à partir du mois de novembre 1959, et en vertu du texte non encore juridique de la. Déclaration Gouvernementale, le Rwanda était placé sous le régime intérimaire ; toutes les Chefferies et Sous-chefferies ont été distribuées aux membres des Partis APROSOMA, PARMEHUTU et RADER. Tous les membres de l’UNAR qui détenaient presque toutes ces places ont été balayés. La plupart d’entre eux sont en prison, soit déjà condamnés soit en qualité de prévenus. Mr François Rukeba, Président de ce Parti, sera condamné à 6 ans de servitude pénale, le 22-2-1960. Les autres Leaders de l’UNAR sont passés à l’étranger, en Afrique Britannique, et sont condamnés par contumace. Ceux d’entre eux qui n’étaient pas recherchés par la justice sont certes restés dans le pays, et essaient de redonner l’espoir à leurs partisans ; mais leurs moyens sont pratiquement minces. L’avantage qu’avait l’UNAR à ses débuts a passé à ses adversaires ; à savoir ce que la Commission d’Enquête 1960 résumait en ces termes :

« Par divers moyens, l’UNAR tenta rapidement de grouper la totalité des notables. n parvint à s’assurer l’adhésion d’une grande partie des chefs. La quasi-totalité des chefs assistait d’ailleurs au premier meeting UNAR tenu à. Kigali le 13 septembre 1959. Comme beaucoup d’autorités tutsi étaient membres de l’UNAR, ce parti disposait de moyens d’action très efficaces : sa propagande pouvait user des canaux par lesquels s’exprimait l’autorité traditionnelle, ce qui risquait de causer une certaine confusion dans l’esprit des futurs électeurs. Dans son action, il jouissait par le fait même de grandes facilités matérielles (autos des chefs et sous-chefs, machines à écrire et à polycopier des chefferies, etc.) Les ressources ne lui faisaient pas défaut ; elles provenaient de la vente de nombreuses cartes de membres, les responsables régionaux pour la rentrée des fonds étant souvent les chefs locaux eux-mêmes. L’action de l’UNAR put s’exercer ainsi sur une grande échelle». (Rapport, no 32, p. 30). 

  1. g) Le problème des Elections Communales et le suicide de l’UNAR.
  1. Les élections Communales avaient été prévues dans le cadre de la Déclaration Gouvernementale du 10 nov. 1959. Etant donné les événements survenus au Rwanda et l’état d’exception qui limitait ses mouvements, l’UNAR réclamait qu’elles fussent reculées d’au moins trois mois. La Tutelle sembla prendre la chose en considération, mais elle prit finalement la décision de maintenir le mois de juin 1960 qui avait été fixé auparavant. La nouvelle fut annoncée par le Résident Général dans un message adressé aux Rwandais, dont on peut lire le texte clans Rudipresse no 172, du 28 mai 1960, p. 7-8 «, Pour permettre de regagner le temps qui a été perdu dans la préparation des élections lorsque fut discutée l’opportunité de les retarder, disait-il, elles commenceront un peu plus tard que prévu, c’est-à-dire le 27 juin au lieu du 7 comme il avait été annoncé précédemment ». (ibd. p. 7).

Une fois au courant de la décision de la Tutelle, le PARMEHUTU tint un Congrès à Gitarama ; il décida de changer son appellation officielle en celle de MOUVEMENT DEMOCRATIQUE RE-PUBLICAIN (M.D.R.), mais en retenant tout de même la première parce que plus connue et plus à la portée des Rwandais. Dans la réalité, ce sera le contraire qui arrivera : le Parti sera désigné

PARMERUTU, tandis que l’appellation ; inintelligible, restera plus que secondaire. Le Congrès se réjouit de voir les Elections communales maintenues pour le mois de juin 1960. Déjà sûr de sa victoire prochaine, iI proclama à visage découvert l’abolition de la monarchie. (Rudipresse, no 173, du 4 juin 1964). Le même no p. 11-12, publie la liste des Communes provisoires établie par le Conseil spécial.

  1. Puis se produisit un geste que les antimonarchistes ont dû célébrer avec jubilation: le Comité UNAR de l’étranger lança un tract sous la signature de Michel Rwagasana, Secrétaire Général du Parti: Le texte intégral est publié dans le même no p. 12-13. C’est un réquisitoire contre le Gouvernement Belge, lui reprochant de lie pas suivre l’avis de la Mission de Visite de l’O.N.U., qui l’avait invité à postposer lesdites élections et à les rapporter à janvier 1961, à organiser le plus tôt possible une table ronde à Bruxelles, recevoir rapidement des fonctionnaires de l’O.N.U. pour aider la Belgique à redresser la situation, etc. Le Communiqué se termine par l’ordre donné aux membres de I’UNAR de l’intérieur :

1) de se retirer du Conseil spécial s’ils s’y trouvent ou pourraient s’y trouver ;

2) de ne pas participer aux élections confidentielles (sic) et anti-démocratiques prévues pour le 27 juin, élections imposées par l’occupation militaire et destinées à fausser tout le processus de l’indépendance nationale, etc.

3) Déclare exclu du parti au ler juin 1960 tout membre de l’UNAR qui participera aux travaux du Conseil spécial et à ses élections antidémocratiques prévues par le communiqué no 13 du résident militaire du Rwanda. Et l’UNAR de l’intérieur obtempéra, sans plus

On peut dire que cette décision prise de l’extérieur élimina définitivement FUNAR en tant que force politique réelle. I1 est étonnant que les dirigeants de l’intérieur n’aient pas compris que ces élections communales constituaient le tremplin irremplaçable pour le jeu politique de l’avenir. Il a été dit que les Leaders de l’étranger redoutaient de voir surgir des successeurs qui deviedraient sur place les seuls interlocuteurs valables et occuperaient ainsi les premières places dont l’O.N.U. était censée devoir faire cadeau aux défenseurs du Nationalisme intransigeant !

  1. Etant donné pourtant que les membres de ce Parti avaient été entièrement éliminés de tout commandement, la participation à. ces consultations populaires eût été pour eux une solution de rechange. A cette époque-là, en effet, l’UNAR avait des chances de gagner, en certaines régions, la direction de nombreuses Communes. En boycottant les Elections, au contraire, elle se condamnait tout d’abord à. la famine en ne permettant pas à. ses leaders locaux de toucher des rémunérations ; elle perdait le moyen de discuter les décisions à prendre dans les conseils communaux ; elle se privait du prestige que les populations attachent aux représentants de l’autorité. Et pour tout dire, ce Parti s’était délibérément mis « en l’air », sans plus de place où poser solidement le pied sur le sol du Rwanda.

Pour obéir sur toute la ligne à la fameuse décision venant de l’étranger, les représentants de ce Parti au Conseil Spécial provisoire donnèrent leur démission I Ceux-ci, aux inconvénients que nous venons de résumer, ajoutaient une grosse faute : ils permettaient à leurs adversaires de délibérer entre eux, sans plus aucune gêne. lis leur laissaient à eux seuls l’usage des moyens matériels attachés à cette fonction, tout juste aux approches des élections. Il est vrai que, pour son malheur, l’UNAR n’en faisait aucun cas I 

  1. b) Le Colloque de Bruxelles boycotté par l’UNAR
  1. Sur ces entrefaites, le Gouvernement Belge décida que le Colloque suggéré par la Mission de Visite aurait lieu à Bruxelles, du 30 mai au 4 juin. Mais le PARMEHUTU, l’APROSOMA et le RA-DER venaient de se constituer en un Front Commun et de déclarer l’impossibilité qu’il y avait pour eux de collaborer avec Kigeli V. 11 était clair désormais, en effet, que le boycottage des élections par l’UMAR laissait le sort de la monarchie à. leur merci : ils décideraient à leur convenance du sort de Kigeli V. Du moins la démission des membres de l’UNAR provoqua-t-elle une reconsidération sur la nature du Colloque, en vertu du juridisme européen dont nos politiciens, animés du réalisme africain, n’avaient même eu la moindre idée de ménager les formes. Ces membres du Conseil Spécial, en effet, qui écartaient toute collaboration avec Kigeli V, étaient ses Conseillers spéciaux. Pour cette raison, le Gouvernement Belge renonça à organiser un Colloque de couleur politique, et il invita le Conseil Spécial provisoire en tant que tel, abstraction faite des Partis politiques que ses membres représentaient. Alors le Président de l’UNAR à l’intérieur, Mr Rutsindintwarane, trouva une explication supplémentaire pour justifier l’absence des membres de son Parti à ce Colloque : le Ministre Belge avait décidé de la date et du lieu de la rencontre sans consulter l’UNAR. Pour tous ces événements, voir Rudipresse no 172, du 28 mai 1960, p. 8-9. Ainsi le boycottage des Elections Communales était complété par une nouvelle faute grave aux dépens de ces apprentis politiciens : l’organisation future du pays va s’esquisser en leur absence, sans songer que, du moins pour l’Histoire, ils pouvaient incarner dans les textes leur point de vue.

Le Colloque de Bruxelles eut lieu les 2 et 3 et approuva les conclusions le 7 juin. Parmi ces dernières, on relèvera contre l’UNAR, le fait que l’incitation à s’abstenir du vote aux élections prévues, est érigée en infraction. (Rudipresse, ibd. p. 15). Ainsi arrachait-on des mains de l’UNAR, — les absents ont toujours tort, — l’arme qui, dans son plan, devait démontrer sa force dans le pays, celle-ci devant se mesurer à l’abstention massive qui allait être prêchée sur les toits. 

  1. 725. Les Elections Communales commencèrent le 26 au lieu du 27 juin précédemment annoncé. Par une décision significative de l’Administration, Kigeli V fut pratiquement consigné en résidence à Usumbura, en dehors du Rwanda.

Aux approches de ces consultations cependant, il se produisit une série de faits significatifs, chacun dans son ordre. Le Parti -APROSOMA se scinda en deux factions ; motif apparent : son Président M. Joseph Citera, en avait à plusieurs fois changé la dénomination- (no 681). A la’ veille des élections, — cette• fois pour réclamer l’indépendance immédiate; — il dénomma son Parti UHURU l’INDEPENDANCE. Ses lieutenants ne le suivirent pas, car la masse connaissait bien le terme « APROSOMA » et la nouvelle dénomination (du 20 juin, à peine 5 jours avant les élections) devait désorienter les adhérents. (Cfr Rwanda Politique, p. 258-261).

De son côté, le Parti RADER, malgré le peu d’importance de ses effectifs, s’était payé le luxe d’une scission, à cause des rivalités en son bureau directeur, en avril précédent (lbd. p. 256-258). Il semble cependant que ces rivaux s’étaient réconciliés peu après, car nous les voyons agir de concert-aux approches des élections. 

  1. Dès la ire semaine des Elections, le RADER déclara qu’il se retirait du Front Commun. Le motif de la rupture nous est indiqué par deux télégrammes du 6 et du 8 juillet, dont le destinataire n’est -pas indiqué. Ils accusent le PARMEHUTU et l’APROSOMA de causer le terrorisme, de persécuter le RADER, etc. (lbd. p. 269- 270). Le télégramme du 19 dans le même sens est signé par les Comités du RADER, de l’UNAR, et de trois autres Partis mineurs, satellites de l’UNAR, promus à cette occasion eux aussi « nationaux ». Grâce à cé dernier télégramme, nous pouvons conclure que l’Administration avait reconnu l’inefficacité de son RADER et l’avait abandonné à son sort. Le RADER était cependant un haut-parleur utile que l’UNAR se hâta de récupérer. C’était un Parti « National » enregistré comme tel officiellement et donc exploitable devant les instances internationales.

Il faut ajouter cependant que tous les membres du RADER n’adoptèrent pas cette position : les plus prudents restèrent aux côtés du PARMEHUTU. Du moins le RADER converti au royalisme donna-t-il une échappatoire aux adhérents de l’UNAR. Ce dernier Parti ne prenant pas part aux élections, ils voteront RADER, dans le cas où ils n’oseront pas s’abstenir ostensiblement.

Aussi le RADER obtint-il 209 sièges de Conseillers Comminaux. L’APROSOMA, — ses deux tendances ensemble, — se révéla un Parti purement régional : elle obtint 233 sièges (7,4%), dont 223 dans le Territoire d’Astrida (Butare) et 10 dans celui voisin de N3ranza. Les Partis locaux, qu’il est impossible de détailler, obtinrent ensemble 243 sièges (7,9%). Le grand gagnant de la Con-sultation était le PARMEHUTU qui obtenait 2390 sièges (70,4%) sur les 3125 en compétition.

Dans les zones où le RADER ne se présentait pas, ou bien là où sa récente conversion au royalisme n’était pas prise au sérieux, une fraction notable de l’UNAR n’a pas obéi aux consignes du Parti. Ils obtinrent 56 sièges de Conseillers (1,7 %). Voir le tableau détaillé dans Rwanda Politique, p. 272).

Kigeli V à l’étranger ; divergences de vues entre Bruxelles d’une part et Usumbura — Kigali d’autre part.

  1. Kigeli V était donc consigné en résidence à Usumbura à l’époque où les Elections Communales se préparaient et se déroulaient au Rwanda. Il dut s’irriter de cette mesure et il pensa y porter efficacement remède en prenant l’avion pour Léopoldville le 25 juillet, une année jour pour jour après la mort de Mutara III Rudahigwa. Il compliquait ainsi son cas, en allant traiter directement avec Dag Hammarskjôld, Secrétaire Général de l’O.N.U., qui était attendu pour le 28 dans la capitale Congolaise, où résidait déjà M. Ralph Bunche, Secrétaire-Général Adjoint de l’Organisation Internationale (Rudipresse, no 182, du 30 juillet 1960, p. 9). Kigeli V semble avoir été induit en erreur par le fait que les Autorités de l’O.N.U., en. vertu d’une Résolution du Conseil de Sécurité, s’occupaient directement du Congo déjà indépendant pour y ramener l’ordre. Mais le Rwanda n’était pas encore indépendant. Le fût-il même d l’époque qu’il n’avait pas le poids d’un Katanga pour déchaîner les foudres de PO.N.U contre la Belgique.

La démarche de Kigeli V impliquait de soi la non-reconnaissance de la Souveraineté Belge sur le Rwanda, à moins que, — ce qu’il ne pouvait s’imaginer même en songe,  il ne se fût rabaissé au niveau d’un simple pétitionnaire, seul cette dernière qualité pouvant justifier le recours -direct aux instances de PO.N.U. C’est-à-dire encore dans Ce Cas, à la Commission IV du Conseil de Tutelle et non à M. Dag Hammarskjüld, qui avait le rang de Chef d’Etat. Il adressa à ce dernier un mémorandum dans lequel la Belgique était violemment attaquée et qui tendait de soi à couper définitivement les ponts. Il y proposait que l’O.N.U. retirât à la Belgique le mandat qui lui avait été confié et l’exerçât directement en vue de conduire le Rwanda à l’indépendance dans l’ordre et la sécurité ; qu’elle organisât les élections libres et démocratiques, préliminaire nécessaire à la mise en place de nouvelles institutions. (Voir le texte de ce mémorandum dans Rwanda Politique, p. 275-276).

Kigeli V, il faut le reconnaître à la lecture du mémorandum, s’était bien gardé de parler du Burundi; il avait parlé uniquement du Rwanda. Or il s’agissait là d’un sujet de droit inconnu de ses interlocuteurs. Il n’y avait à leur point de vue que le fictif Ruanda-Urundi.

Ce faisant cependant, il avait passé outre à son serment de régner en Roi constitutionnel. C’est per le Conseil Spécial provisoire, en effet, qu’il était obligé de traiter des affaires du pays avec les tiers. Aussi bien, apprenant, par un communiqué de l’Agence Congolaise de Presse (ACP), ce qui s’était passé à Léopoldville, les membres dudit Conseil de Kigali se hâtèrent-ils de désavouer ces actes dont ils n’avaient pas été préalablement informés et qu’ils n’avaient pas approuvés (Rudipresse no 188, du 10 sept. 1960, p. 4). Ce fut une avalanche de télégrammes de protestation que les Partis politiques républicains adressèrent soit au Résident Général, soit à S.M. Baudouin I ; le Résident Général en adressa deux lui-même à son Ministre citant le contenu de ceux des Partis politiques. (Rwanda politique, p. 276-278).

  1. Et, — peut-on l’imaginer ? la thèse de Kigeli V coïncidait, — c’est le moins que l’on puisse dire, — avec l’opinion du Premier Ministre Belge, qui envisageait l’abandon anticipé de la tutelle. Il fallut l’intervention de M. Wigny, Ministre des Affaires Etrangères, pour rappeler que le Régime de Tutelle, et l’Accord de Tutelle passé entre la Belgique et l’O.N.U. ne prévoyaient pas cette procédure. Un passage de cette lettre, adressée à son Collègue M. De Schrijver,- Ministre des Affaires Africaines :

L’Accord donné par la Belgique en 1946, dit-il, par lequel elle a assumé la charge de la tutelle, comporte un délai : celui de l’arrivée à la maturité politique nécessaire du territoire en question (voir article 76 de la Charté et article 3 de l’Accord de Tutelle) ». (Ibd. p. 279-280).

Le destinataire marqua son accord avec son C011ègue. Il semble ‘…Cependant que le point de vue de M. Wingy ne parvint pas à ébranler la thèse qu’il combattait Le Gouvernement envisageait de solliciter auprès de M. Dag Hammarskjiild, non seulement un observateur permanent au Rwanda, mais encore l’intervention de soldats de l’ O.N.U pour collaborer avec les troupes belges au maintien de l’ordre ; l’organisation d’élections législatives devait être écartée ; etc. (lbd. p. 281 ssv).

Pour M. Wigny, l’abandon anticipé allait faire perdre la face un peu plus à la Belgique, dans l’atmosphère d’hostilité qui régnait l’O.N.U. à la suite de l’affaire Congolaise. Ses Collègues, au contraire, estimaient que, pour mieux défendre l’essentiel qu’était le Katanga, il fallait céder sur les points secondaires.

730 Mais ce qui semblait secondaire à Bruxelles était essentiel sur le plan local, au Rwanda. Ici des hommes en chair et en os s’étaient affrontés, on s’y était créé des amis, que l’on considère comme des «protégés » à défendre jusqu’au bout ; on s’y était créé aussi des adversaires qu’il fallait mettre en échec jusqu’au bout. Cette politique de Bruxelles qui donnait la priorité au plan international, risquait de tout remettre en question. Les acteurs impliqués dans les événements du Rwanda, certains sans dominer leur nervosité, décidèrent de conjurer ce malheur. Qu’il suffise de lire un -passage de la lettre que le Colonel Logiest, en date du 29 août 1960, adressa au Ministre des Affaires Africaines. Il regrette amèrement que le Conseil des Ministres n’ait pas voulu l’entendre. Le style manque certes de souplesse, ce qui n’est pas étonnant pour un militaire parachuté dans la politique ; mais ce qu’il rappelle, à part sa répulsion pour la réconciliation entre Bahutu et Batutsi « extrémistes », est parfaitement fondé, depuis les Elections Communales : « Sur le Plan intérieur, dit-il, le Gouvernement s’oppose à l’évolution normale du pays, c’est-à-dire, à la mise sur pied d’un Gouvernement autonome par des élections du 2ème  degré… Je voudrais qu’on sache que le Ruanda, après les dernières élections, est définitivement entre les mains du peuple et qu’il ne dépend plus de nous d’imposer une formule quelconque de compromis entre Hutu et Tutsi extrémistes. Depuis huit mois, les dirigeants Hutu ont fait preuve de leur capacité à diriger le pays et les élections ont montré qu’ils ont la masse du peuple derrière eux ». (Rwanda politique, p. 281).

Le Résident Général a reçu les directives du Conseil des Ministres « pas d’élections législatives, représentation adéquate au sein de l’exécutif de Bahutu et de Batutsi » Peut-être a-t-il pris connaissance de la lettre de son subordonné, dont le ton l’aura fait frissonner. Aussi, le 31 août, écrit-il au Ministre et défend-il la même thèse que le Colonel, mais en ternies plus diplomatiques ; le plan d’action qu’il soumet à. son Supérieur est assorti d’arguments et de propositions propres à faire modifier l’attitude du Gouvernement de Bruxelles. (Lire sa lettre ibd. p. 282-283). Il était évident que rencontrer la thèse de Bruxelles n’était qu’une pure formalité, car après les Elections Communales les jeux avaient été faits. 11 fallait uniquement manoeuvrer de manière à prédisposer Bruxelles à. l’acceptation des Elections législatives.

  1. Si les Elections communales avaient constitué un fait politique aux conséquences irréversibles, il ne restait pas moins vrai que le Gouvernement de Bruxelles pouvait tout remettre en question, par exemple en remplaçant, sur les lieux, le personnel de direction par des fonctionnaires nouveaux, prêts à exécuter fidèlement les ordres reçus.

Cette possibilité est conjurée par la création de la Garde Nationale. Cette décision du 13 sept. 1960 s’imposait, certes, et elle concernait le Rwanda et le Burundi. Mais elle n’a pas la même signification pour les deux pays. Bruxelles, d’autres part, aurait beau poursuive la réalisation de son plan, mais il resterait que la Garde Nationale ne serait pas dissoute et que toute autorité Rwandaise Imposée de l’extérieur devrait compter avec ce fait politique qui consolidait définitivement les positions du PARMEHUTU. Celui-ci disposait désormais d’un instrument contre lequel personne ne pourrait plus rien modifier. La création de la Garde Nationale, en ce qui concerne le Rwanda, doit-elle être considérée formellement dans le cadre de cette lutte entre Bruxelles et l’Administration locale ? Vu la date et les circonstances, on le supposerait d’alitant plus que le premier contingent fut de préférence recruté ans les régions du Nord où aucun métissage entre Bahutu et Ra-test n’avait été opéré. En toute hypothèse contraire, ce serait e coïncidence qui mériterait d’avoir été formellement voulue. Entre-temps, les Affaires Africaines sont dirigées par un nouveau Ministre; le Compte d’Aspremont-Lynden. Peu au courant du fait, accompli qui mettait son plan en échec au Rwanda, Bruxelles continue à planer dans le firmament international. Nous voyons le nouveau Ministre adresser au Résident Général, les 28 et 30 septembre 1960 (Rwanda politique, p. 283-284), deux télégrammes qui démontrent que le Gouvernement pense constamment à son Kigeli V. Le Compte d’Aspremont-Lynden projette de l’aviser officieusement de la date à laquelle il sera à Usumbura, afin qu’ils pussent s’y rencontrer. On voudrait l’arracher à l’O.N.U. pour le  faire rentrer dans le bercail.

  1. j) La question des Réfugiés
  1. La Conunission d’Enquête 1960 (Rapport p. 90) et la Mission de visite de l’O.N.U. 1960 (Rapport p. 31-32) traitent du problème des Réfugiés. Les deux envisagent les sinistré « déplacés de leur zone vers une autre de repeuplement, ou ceux encore parqués S tels postes officiellement établis. L’Administration en camp- alors, quelques 20.000 en date du 19 avril 1960. Il semble n’entraient pas en ligne de compte ceux qui furent entretenus quelque temps dans différents postes de missions, et dont la plupart finirent par réintégrer leurs localités. Un Commissariat aux réfugiés avait été créé pour présider à leur reclassement.

Le qualificatif de « réfugié » est fondé certes, aussi bien pour les déplacés qu’on installa à Nyamata, à Rubago ou ailleurs, que pour ceux qui rentrèrent dans leurs localités. Il faut cependant souligner le cas de ceux qui passèrent la frontière et allèrent s’établir dans les pays limitrophes du Rwanda. Leur recensement dépendait du Haut Commissariat aux Réfugiés, organisme des Nations-Unies. Leur nombre nous sera-t-il jamais connu ? On le disait dans l’ordre de 100.000 à 150.000 hommes. Ils furent assistés par ledit Organisme de l’O.N.U., et dans une certaine mesure par les gouvernements des pays qui les hébergeaient.

La plupart de ceux réfugiés, par exemple au Congo, s’établirent aussitôt se mettant à défricher la forêt. Ils se créèrent rapidement une situation aisée. Dans d’autres pays, après avoir séjourné un certain temps dans des camps à eux réservés, ils furent finalement• répartis en diverses régions et se virent octroyer des propriétés foncières. D’autres, en très petit nombre, rentrèrent dans le pays, après avoir satisfait à la procédure établie à cet effet.

  1. Quant à ceux qui avaient fait des Etudes secondaires et Supérieures, ils se mirent au service des Gouvernements qui les avaient reçus et leur situation ne posa aucun problème. D’une façon générale cependant, ils n’acceptèrent pas de se faire naturaliser, préférant la qualité de techniciens et la nationalité rwandaise. N’étant cependant pas en règle avec le Gouvernement de leur pays, le problème pour eux reste qu’ils ne pouvaient obtenir le passeport et qu’ils demeurent apatrides.

Il reste donc, pour ces Réfugiés de l’étranger, qu’une solution adéquate n’a pas été trouvée. Que ces gens-là puissent ne poser aucun problème pour la sécurité du Rwanda, cela est un fait. Mais ils eu poseront toujours sur le plan humain. Il ne peut être indifférent, en effet, que les membres d’un même foyer et d’une même famille demeurent définitivement séparés, en raison de l’attitude qu’ils avaient adoptée lors des événements que nous décrivons. Nous devons considérer, en effet, que quinconque solliciterait l’autorisation de rentrer, s’engagerait à obéir aux lois du pays et au régime déjà fermement établi.

  1. k) Le Gouvernement Provisoire. Le Colloque de Gisenyi.
  1. Nous ne saurions assez le répéter : après les Elections Communales, dont les résultats venaient d’être consolidés par la création de la Garde Nationale, le Rwanda avait acquis un fait politique irréversible, le Parti UNAR n’ayant plus aucune chance de se remettre en selle, quelles que pussent être les protections dont il pouvait se leurrer. Aussi nos pétitionnaires vont-ils développer à l’O.N.U. une activité remarquable, qui obtiendra des résultats aussi remarquables, mais d’avance réduits à néant. Essayons de résumer les faits.

Le nouveau Ministre des Affaires Africaines, M. le Comte d’Aspromont-Lynden, arriva sur place, au début d’octobre 1960 afin d’’avoir une idée personnelle de la situation au Rwanda et au Burundi. Une série de 17 mémorandum (Rwanda politique, p. 298-311) témoigne du souci qu’il a eu d’entendre l’opinion des diverses catégories. Le premier de ces mémorandum nous vaut un exposé du Résident Spécial du Rwanda, dans 1;fflel est reconnue sans ambages la prémisse des troubles, —/que nous avons longuement analysée au cours du chapitre précédent, — à savoir la réforme étriquée jadis imposée au pays par l’Administration Belge (no 603-611). La plupart de ses interlocuteurs y reviendront du reste, sous une forme ou sous une autre.

Aussi longtemps qu’il se trouvait à Bruxelles, — nous en avons signalé des témoignages, — le Ministre suivait la thèse du Gouvernement. Il en donne maints indices au cours de ses échanges vue avec ses interlocuteurs Rwandais. Mais il a fini par se faire une conviction nouvelle.

  1. Il eût souhaité rencontrer Kigeli V en personne ; celui-ci proposa ensuite de se faire représenter par une délégation ; le Ministre condescendit à accepter la proposition, mais finalement la délégation ne vint pas. Que Kigeli V perdit cette occasion unique, on peut facilement en conjecturer les raisons : son entourage, qui vivait de lui, pouvait redouter que s’il rentrait à Usumbura il n’y fût “tivement retenu. On peut supposer, d’autre part, que le projet de traiter avec le Ministre par une délégation, — tout en signifiant de soi le refus de se reconnaître l’inférieur de ce dernier, — pouvait avoir été imaginé dans l’espoir que le Ministre n’accepterait pas la proposition. C’est-à-dire que ses conseillers avaient choisi irrévocablement l’O.N.U. en direct. Que notre interprétation-ci soit fondée ou non, la nature même du geste n’aurait pu s’interpréter autrement.

La conclusion en fut, en tous les cas, que le Ministre touchait du doigt l’impossibilité de faire entrer Kigeli V dans la ligne que, à son insu, Bruxelles imaginait en sa faveur. Le Ministre en dut être irrité, et on le serait à moins.

Il est évident que le Ministre soumit ses conclusions e ses Collègues de Bruxelles et que ceux-ci approuvèrent la politique qui allait faire l’objet du discours prononcé à Usumbura le 17 octobre, à la fin de son périple informatif. Extrayons-en ces quelques lignes :

« Le pays du Rwanda a connu une crise non seulement politique, mais également sociale. Maintenant que cette révolution s’est accomplie, le Rwanda entre dans une nouvelle phase de son évolution. Dans l’intérêt supérieur du pays, il importe que l’ordre et le calme soient partout rétablis, que la paix règne à nouveau sur les collines.

Des structures d’autonomie interne seront organisées en suite d’élections législatives qui auront lieu dans la seconde quinzaine de janvier 1961, en présence d’observateurs des Nations-Unies…

Quant au problème de l’institution monarchique, il appartient aux populations de décider elles-mêmes, par l’intermédiaire de leurs représentants dans les structures d’autonomie interne qui seront créées en janvier 1961, de la solution qu’il conviendra d’y réserver en fonction de l’intérêt supérieur du pays.

Le Mwami Kigeli V qui a choisi de quitter le pays, en restera écarté jusqu’à cette décision. Les partis politiques sont, en effet, unanimes pour déclarer, que la plus haute autorité du pays ne peut être entraînée dans la lutte politique, sans que la personne du Mwami, et l’institution monarchique elle-même n’en soient affaiblis». (extraits de Rudipresse, n° 194, du 22 octobre 1960 ; tout le discours : p. 1-4).

  1. Sans plus tarder, dès le lendemain 18 octobre, le Résident Général _ publiait l’ordonnance n° 221/275, qui créait au Rwanda un Conseil de 48 membres à nommer, après consultation des principaux partis politiques, par le Résident Général ; et un Gouvernement provisoire, composé d’un Chef de Gouvernement et de Ministres qui peuvent être assistés de Secrétaires d’Etat. La même ordonnance dissout le Conseil Spécial provisoire. (Rudi-presse, n° 194, du 22- 10-1960, p. 11). A la même date du 18 octobre, par l’ordonnance n° 221/276 furent nommés les membres du Conseil du Rwanda (ibd. p. 15), tandis que, par l’ordonnance n° 221/279 du 20 suivant

Grégoire Kayibanda était nommé Chef du Gouvernement provisoire (ibid. p. 12).

L’installation du Conseil du Rwanda et du Gouvernement Provisoire, le tout premier dans l’Histoire de notre Pays, eut lieu le 26 octobre 1960. Parmi les membres du Conseil du Rwanda, et encore moins parmi ceux du Gouvernement, aucun représentant de l’UNAR. Par contre, le RADER ici plus sensible au jeu politique, est représenté dans le Conseil où siège même M. Bwanakweli qui présentera sa candidature, contre celle de M. J. Gitera, pour la -Présidence. Le Directeur des Débats est un Européen, M. Ackerman, lui est en même temps Secrétaire d’Etat à la Justice. Pour le discours d’installation du Résident Général et la réponse de M. Grégoire Kayibanda, (cfr .Rudipresse, no 195, du 29 oct. 1960, 6-9).

En y comptant la Fonction de Chef de Gouvernement, dont le titulaire dirige en même temps le Ministre de l’Education Nationale, il y a en tout 10 Ministères, dont les titulaires respectifs sont assistés chacun d’un Secrétaire d’Etat. On constate que seul le Chef du Gouvernement est assisté d’un Secrétaire d’Etat Rwandais

d l’Education Nationale. Quant aux autres Ministères, chaque fois que le titulaire est Rwandais, son Secrétaire d’Etat est Euro-n ‘et réciproquement. Le RADER ‘occupe 2 Ministères. (cfr. id. p. 9).

Par deux télégrammes, que Rwanda politique p. 322-323), reprit du quotidien Le Courrier d’Afrique, Kigeli V adresse ses protestations au Secrétaire Général de PO.N.U. et à S.M. Baudouin I, au sujet de l’installation de ce Gouvernement provisoire. Mais le meilleures protestations n’empêchent pas un fleuve de suivre imperturbablement son cours.

  1. Une fois le Gouvernement Provisoire installé, on songeait à préparer les Elections législatives et les structures d’autonomie interne. Le Gouvernement Belge décida d’organiser un Colloque où seraient représentés les Partis Politiques et le Gouvernement Provi-soire, d’une part et les Autorités de la Tutelle d’autre part. Le Colloque s’ouvrit à Gisenyi le 7 décembre 1960. Il devait être présidé par M. Van den AbeeIe, Secrétaire Général au Ministère des Affaires Africaines ; comme il était soudainement tombé malade et se trouvait hospitalisé à Usumbura, il fut remplacé par M. Marquet, membre du Conseil Colonial. Monsieur G. Kayibanda, Chef du Gouvernement s’y trouvait en personne avec quelques membres de son Gouvernement. Les Partis Politiques y avaient leurs représentants ; s’y trouvaient, en effet, cette fois-ci deux comparses de l’UNAR.

Un membre proposa que le vote se fît par Parti politique et non par délégué, du fait que le PARM.EHUTU y avait envoyé un nombre élevé de ses représentants. Ce Parti s’y opposa, en raison de son importance démontrée par le résultat des Elections ; on ne pouvait le limiter à une voix ce qui l’eût abaissé à l’importance des Partis insignifiants. Alors le RADER et PLINAR se refusèrent à prendre part au Colloque et quittèrent la salie. Les délibérations se firent en leur absence.

Il fut décidé que le futur Parlement du Rwanda serait unicaméral, dénommé « Assemblée Législative » et composé de 44 Députés. Les circonscriptions électorales seraient formées par les Territoires Administratifs ; chaque Territoire élirait 3 ou 4 Députés, suivant l’importance de sa population, sauf le surpeuplé Astrida (Butare) qui en élirait 8. (Rudipresse, no 201, du 10 décembre 1960, p. 9-10).

On aborda le problème de l’incompatibilité des fonctions Un membre de l’Assemblée Législative exercerait-il d’autres fonctions publiques, telles celles de Ministre, de Secrétaire d’Etat, ou de Bourgmestre ? Ce principe d’incompatibilité ne fut maintenu que pour le Premier Ministre. Entre-temps, les Partis RADER et UNAR avaient repris leur place dans l’Assemblée, tandis que le Chef du Gouvernement Provisoire était en route pour la Belgique où il allait représenter le Rwanda au mariage de SM. Baudouin I avec la princesse Fabiola. On peut lire l’intéressant procès- verbal du Colloque dans Rudipresse no 202, du 17 déc. 1960, p. 5-10, et ses conclusions dans le supplément à pagination distincte p. 1-3 ainsi que les Recommandations p. 4-7).

  1. Les joutes oratoires à l’O.N.U sur le Rwanda

Suivant ce qu’avait déclaré le Ministre des Affaires Africaines ‘dans son discours du -17 octobre précédent, à Usumbura, on se réparait aux Elections Législatives pour le mois de janvier 1961.

Mais entre-temps la Mission de Visite de l’O.N.U. 1960 avait présenté son Rapport au Conseil de Tutelle. A en juger par le communique que cette Mission de Visite avait publié le 31 mars à la veille de son départ, elle n’approuvait pas entièrement l’Administration en ce qui regardait le Rwanda. Aussi son Président, Mason Sears, ne se gêna-t-il pas de dire sa pensée en clair devant le Conseil de Tutelle, où non seulement il parla en termes élogieux de’ l’UNAR, mais encore où il affirma que Kigeli V était la clé de la réconciliation nationale, etc.

Aussi lors de la 15ème Session de l’Assemblée Générale, quand .Commission IV du Conseil de Tutelle aborda le point 45 de son ordre du jour, sur l’avenir du Ruanda-Urundi, l’atmosphère était- elle hostile à l’Administration Belge, peut-être davantage en fonc- .on des événements du Congo. Le Représentant de l’Autorité ‘strante était M. Claeys-Boûtlaert, ancien Gouverneur du Rwanda-Urundi Il ouvrit la 1065è Séance de la Commission W :par une longue Déclaration, le 25 nov. 1960 (texte p. 397-401) concentra ses feux sur le Rwanda, auquel il consacra les paragraphes 1-36 de son exposé, ne réservant à l’entité Ruanda-Urundi que les paragraphes 39-42, entre les deux se trouvant ceux de transition oratoire mentionnant le Congo. Il indiquait ainsi que le Rwanda constituait le point chaud de la bataille qui s’engageait.

  1. Chacun des 4 Partis dits « nationaux » y avait ses représentants, dont le leader principal fit un exposé assez développé, dans lequel il défendait la thèse de sa formation. Les autres représentants ne devaient prendre la parole qu’au cours des discussions ultérieures. Tout juste à la suite de M. Claeys Boétiaert, la parole fut donnée à M. Michel Rwagasana, au nom de l’UNAR dont il était le Secrétaire Général. (ibid. p. 401-403). A la Séance 1066è, du 29 nov., la parole fu&d’abord donnée à M. Makuza, Représentant princi-pal du PARIvIEHUTU (no 12-32, p. 406-409). Les deux pétitionnaires exposèrent brillamment les thèses respectives de leurs Par-tis. Après M. Makuza, à la même Séance, la parole fut donnée à M. Ruterandongozi (qui avait abrégé son nom en Rutera). Sa qualité d’Abbé réfugié lui avait velu le bénéfice d’être considéré comme un Indépendant, et non comme un simple pétitionnaire qu’il était de l’UNAR. Il aborda son sujet en lisant une lettre qui avait été confidentiellement adressée à M. le Ministre de Schrijver, preuve que l’UNAR avait des intelligences au Ministère des Affaires Africaines, car autrement on ne voit pas comment l’intéressé aurait pu en tenir copie. (A propos de l’usage de cette lettre, cfr Rudpresse no 205, du 24 déc. 1960, p. 3). La parole fut, enfin donnée à. MUNYANGUJU Représentant de l’APROSOMA (p. 410-412).
  1. A la 1067ème Séance, du 30 nov. 1960, la parole fut donnée d’abord aux Barundi. A leur suite parlèrent MM. Côme Rebero et Michel Kayihura ; leurs interventions (p. 414-416) complétaient l’exposé principal de M. Michel Rwagasana ; ce qu’ils avancèrent de spécial : le premier laissait entendre que Mutera III Rudahigwa avait été empoisonné par les Belges, et les deux accusaient l’armée Belge d’avoir propagé les troubles et les incendies au Rwanda, ce qu’aucun autre document à. notre connaissance n’avait encore affirmé.

Mais le grand exposé du jour fut celui de M. Prosper Bwanakweli, Président du RADER (p. 416-418). La note spéciale chez lui fut qu’il défendait la monarchie en convertie de récente date et se per-mit de charger son ancien allié, le PARMEHUTU. Aussi M. Makuza lui décochera-t-il plus loin le trait suivant :

« Il est faux de prétendre que le PARMEHUTU soit le seul Parti qui s’oppose au Mwami : le RADER a été le premier à l’attaquer lors du colloque de Bruxelles et à réclamer sa déposition.  Le revirement du RADER s’explique par la peur des représailles au cas où l’Autorité administrante refuserait de déposer le Mwami et au cas où le mwarni régnerait encore lors de la levée de la tutelle. Un tract, distribué le 27 avril 1960 par le RADER .prouve bien que ce parti s’opposait encore alors au retour du Mwami et réclamait sa déchéance, M. Bwanakweli est devenu partisan de la monarchie pour des raisons inavouées »… (1070ème  Séance, 1er  décembre 1960, p. 433).

Après ces exposés généraux, la discussion générale fut ouverte. Elle se développera au cours des Séances suivantes, dont nous n’avons malheureusement sous les yeux que le texte des 5 premières, de la 1068ème à la 1072ème. Une chose est frappante dans cette vaste discussion : les slogans politiques ont déjà cristallisé chez nos pétitionnaires une terminologie stéréotypée respective, que chaque usager estime plus propre à lui ménager de la sympathie dans une fraction de l’assemblée. Ainsi chez M. Makuza revient constamment le terme « féodaux » pour stigmatiser le régime de ses  adversaires. Chez les monarchistes, au contraire, c’est le terme colonialiste », parce qu’ils entendaient gagner la fraction nationaliste de l’Assemblée qu’il s’agissait d’ameuter contre la Belgique.

  1. Il faut souligner que Monsieur le Représentant de l’Autorité Administrante adopta dès l’abord une attitude qui amena l’eau au moulin de ses adversaires. Nous devons insister sur certains incidents, tel que, celui-ci, insignifiants en apparence, mais qui, à notre jugement, semblent avoir eu des répercussions déterminantes dans ce qui allait se passer au Rwanda. Ainsi, à une question posée par le Représentant de la Guinée (n° 25 à 32, p. 423-424), le Représentant

de la Belgique ne voulut pas répondre ; il renvoya plutôt ce délégué, M. Caba, à des documents antérieurs ; lorsque l’autre insista, son Collègue Belge. « réserva le droit de sa délégation d’exposer son opinion, sur ces points comme sur tous les autres problèmes discutés par les pétitionnaires ou les membres de la Commission, plus tard, quand la Commission aura fini d’interroger les pétitionnaires » (1068ème Séance, no 30).

Il s’ensuivit entre les deux une brève discussion sur un ton aigre qui poussa la délégation du Liberia (Mlle Brooks) à suggérer compromis (ibd. no 35), mais le délégué Belge répondit qu’il

« n’a nullement pris l’engagement de répondre à toutes les questions que les délégations pourraient vouloir lui poser. Le représentant de la Guinée a situé exactement le problème en déclarant que sa délégation exposerait, lors de la discussion générale, son opinion et notamment tous les points qui lui paraîtront rester obscurs ». (ibd. no 36).

Ici évidemment, ce qui dut frapper les esprits fut le principe de ne pas vouloir répondre. Quant au projet de M. Caba, comment arriverait-il à rédiger objectivement son document si on ne veut pas lui donner les éclaircissements ? Et puis, ces informations souhaitées ne devaient pas être réservées uniquement à la délégation de la Guinée.

Comme le silence du Représentant Belge privait l’Assemblée d” formations nécessaires, M. Alwan, délégué de l’Irak

« se joint aux représentants du Libéria, de la Guinée et de la Tunisie pour prier le représentant de la Belgique de bien vouloir répondre aux questions que les diverses délégations seront amenées à lui poser au cours du débat » (1068ème Séance, no 51, p. 425).

La réaction dut être négative, car le délégué enchaîne en adressant la question à des pétitionnaires. Aussi les discussions se continuèrent-elles entre les délégations et les pétitionnaires jusqu’à la 1071ème  Séance du 2 décembre 1960. Vint le moment oh M. Rasgotra délégué de l’Inde, estima que pour se faire une idée exacte, il posera la question au représentant de la Belgique. Celui-ci répéta n’il répondra à tout dans une déclaration ultérieure (1071ème Séance, no 32-33, p. 439).

On devine dès lors l’irritation croissante des délégués vis-à-vis du Représentant de l’Autorité administrante. On peut résumer la situation par la pointe de M. Gassou, délégué du Togo, dont la première question devrait, en fait, s’adresser au représentant de la Belgique, mais, comme celui-ci décline de répondre maintenant aux questions qui lui sont posées, M. Gassou s’adressera aux Pétitionnaires » (1071ème Séance, no 54, p. 440).

Nous donnons plus loin (no 748) une interprétation plausible à l’attitude de .M. Claeys Boiniaert.

  1. Grâce au monopole de la parole qui leur était échu, les pétitionnaires en profitèrent pour charger l’Administration Belge locale, tandis que les délégués esquissaient déjà la matière de leurs futures Résolutions. En tous les cas, quiconque lira les discussions de nos compatriotes devant la Commission IV ne manquera pas d’en être er. Les délégués eux-mêmes durent en être frappés, si nous nous référons à la réflexion de M. Rasgotra (Inde) :

« Le représentant de la Belgique pourrait-il expliquer pourquoi un plus grand nombre de postes n’ont pas été confiés à des autochtones ? Cela ne devrait pas être difficile, à en juger par la haute compétence et le grand enthousiasme dont font preuve les pétitionnaires » (1071ème Séance, no 51, p. 440).

J’ai insisté sur cet incident parce qu’il m’a semblé avoir été à l’origine des décisions qui allaient en résulter pour le Rwanda. Lorsque le Représentant de la Belgique déclama finalement sa fameuse “réponse globale, dans laquelle avaient été synthétisées les questions des délégués et réfutées les affirmations, par endroits tendancieuses des pétitionnaires, l’Assemblée la mit, bien entendu, en discussion par pure forme et posa les questions jusqu’à la 1078ème  Séance du 7 déc. 1960. Mais l’on peut conclure sans crainte d’être valablement contredit, que les Résolutions qui vont être proposées et;  approuvé avaient été déjà arrêtées et seront pratiquement l’expression d’une espèce de vengeance.

Aussi la Discussion Générale ouverte le 8 déc. (1079ème Séance et les suivantes) fut-elle dans l’ensemble un réquisitoire ininterrompu, dans lequel l’Autorité administrante est, d’une façon prévalente, accusée d’avoir organisé les troubles au Rwanda.

  1. m) A l’ O.N.U. « Résolutions » ; au Rwanda « Protestations »
  1. En conclusions de toutes ces discussions, l’Assemblée Générale (I5ème Session) vota, le 20 déc. 1960, les Résolutions dont voici les principaux passages que nous transcrivons en partie librement.

LA 1ère  N° 1579 SUR L’AVENIR DU RWANDA-URUNDI.

—Pour assurer une atmosphère de paix et d’harmonie préalable aux élections législatives, l’Assemblée Générale demande instamment à l’Autorité administrante de mettre immédiatement en oeuvre des mesures d’amnistie générale et inconditionnelle, d’abolir l’état d’exception, de façon à permettre aux militants et dirigeants. politiques, exilés ou emprisonnés -clans le Territoire, de reprendre avant les élections une activité politique normale et démocratique

—Recommande qu’une Conférence, où seront pleinement représentés les partis politiques, en présence d’observateurs de l’O.N.U. se tienne au début de 1961 avant les élections législatives, pour concilier les divergences de vues et réaliser l’harmonie nationale

—Demande à l’Autorité administrante de s’abstenir de se servir-du Territoire comme d’une base où elle concentrerait, à des fine internes ou externes, des armes ou des forces armées qui ne sont pas strictement nécessaires pour le maintien de l’ordre. — Recommande que les Elections législatives qui doivent se tenir en janvier 1961 soient renvoyées à une date qui sera fixée lors de la reprise de la 15ème Session de l’Assemblée Générale.

—Décide de créer une Commission de l’O.N.U. pour le Ruanda-Urundi, composée de trois membres, à laquelle seront adjointe les observateurs et les personnel à désigner par le Secrétaire Général — Prie ladite Commission de se rendre immédiatement au Ruanda- Urundi, en vue d’assister, en qualité d’observateurs, à la Conférence politique qui précédera les Elections ; de superviser ces mêmes élections ; d’assister à la Conférence de la « Table Ronde » qui doit être convoquée après les Elections, de donner des avis et prêter son concours selon les besoins ; de rendre compte au Conseil de Tutelle ou à l’Assemblée Générale. Le Président de la Commission soumettra à l’Assemblée Générale, lors de la reprise de sa 15ème  Session, un Rapport intérimaire sur la suite donnée à la ‘.présente Résolution.

La 2ème  RESOLUTION, 1580, CONCERNANT LE CAS E KIGELI V:

L’Assemblée Générale regrette que les pouvoirs de Kigeli V t été arbitrairement suspendus et prie l’Autorité administrante de reporter ces mesures, de le faire rentrer au Rwanda pour lui permettre d’exercer les fonctions de Mwami, en attendant que la population ait exprimé ses voeux à ce sujet.

Elle décide qu’un référendum sera organisé sous la surveillance ‘,cle là Commission pour le Ruanda-Urundi sur l’institution monar-chique et sur la personne du Mwami actuel.

— Elle demande que la Commission citée, après avoir étudié la situation, présente à l’Assemblée Générale des recommandations, tors de la reprise de la I5ème Session, au sujet de la date à laquelle .devra se tenir le référendum. (Cfr Rapport Intérimaire de la Commission pour le Ruanda Urundi, 16 mars 1961, 62).

742 Pour celui qui a lu le texte des discussions devant la Commission IV dit Conseil de Tutelle, aucun doute n’est possible : les deux Résolutions ont suivi ponctuellement la thèse présentée par l’UNAR et le RADER ; certains passages même endossent les accusations formulées contre la Belgique par des pétitionnaires. Sur ce plan donc, l’UNAR avait remporté une victoire indubitable, qui n’était -cependant qu’un coup dans l’eau. Pour qu’elle fût une victoire réelle, il eût fallu déployer la même habileté sur le terrain, au Rwanda même, à l’époque des Elections Communales, en acceptant d’y jouer le jeu que le Parti y pouvait, sans prétendre y jouer uniquement celui qu’il voulait.

Après ces débats et l’adoption de ces Résolutions, il eût été in concevable que l’Autorité administrante ne se jugeât pas offensée et humiliée (cfr n° 748). Sur place Usumbura attend les instructions de Bruxelles ; mais en attendant, on esquisse un geste inoffensif de défi vis-à-vis de l’O.N.U., peut-être destiné à rassure’ provisoirement les alliés abasourdis. Le Rudipresse no 204, du 24 déc. 1960, en effet, ne donnant aucune information sur les événements de New York, reprend, en p. 4-5, le texte du Communique n° 25, du Résident Spécial, qui avait été diffusé le 23 novembre précédent, pour rappeler aux populations le grand événement en perspective des Elections législatives. Et le même numéro, en p 13-14, publiait la protestation véhémente attribuée à l’APROSOMA.: contre les deux Résolutions de l’O.N.U., mais au stade de la Com mission, votant le 18 décembre ; la protestation vitupère plus spéciale ment contre la remise des Elections à une date ultérieure, contrer le référendum et contre l’envoie de la Commission de supervision. Le rapprochement des deux textes est donc significatif dans le même numéro, car si l’Administration se tait, ce n’est pas qu’elle ne savait pas. 

  1. n) Le Colloque d’Ostende
  1. Dans le .Rudipresse, n° 204, du 31 déc. 1960, p. 9-10, c’est le Gouvernement Provisoire qui proteste contre les Résolutions, fois-ci déjà votées par l’Assemblée Générale. La comparaison de ce texte avec le précédent laisse voir que les deux furent rédigés en même temps, en collaboration. Ceci expliquerait les prétentions contenues dans celui attribué à l’APROSOMA, qui ne se limite pas à sa propre individualité, mais parle également au nom du Conseil du Rwanda, et au nom du PARMEHUTU. — L’UNAR e le RADER de l’intérieur volèrent au secours de la victoire, en adressant aux Nations Unies un télégramme commun, reprenant le contenu des deux Résolutions votées à New York. Ce document ridicule, — était-ce par dérision ? — fut placé en manchette, en tête dudit n° 204, p.l.

Mais tout cela n’était que jeu d’enfants ! l’essentiel se lit en p. 7, aucune allusion aux Résolutions de PO.N.U ; le Résident  Général communique :

« A dater du 6 janvier 1961 se tiendra en Belgique un Colloque général mettant en présence tous les participants des deux colloques particuliers qui viennent de se tenir pour le Ruanda et pour le Burundi respectivement à Kisenyi et à Kitega.

Ce Colloque général avait été décidé comme devant constituer la suite logique de ces deux réunions, lesquelles avaient été prévues pour tracer les structures de l’autonomie prochaine des ux pays, ainsi que le régime électoral devant y conduire. y a donc lieu maintenant, en un colloque général, de préfigurer sans retard certaines premières structures communautaires provisoires à mettre éventuellement en place dans le cadre de cette prochaine autonomie politique.

A cette nouvelle réunion seront encore, le cas échéant, soulevées d’autres questions d’intérêt général au sujet desquelles il serait utile de connaître l’avis des actuels représentants des populations.

  1. Aucun recul du temps n’était nécessaire pour entrevoir, à travers «ce texte nullement sibyllin, comment le Gouvernement Belge entendait faire payer à l’O.N.U. son manque de courtoisie et les humiliations qu’il en avait subies. Le Colloque que l’O.N.U. avait prévu après les Elections va les précéder, et comme l’amnistie n’était pas encore proclamée, les exilés de l’UNAR qui se pâmaient d’aise à New York n’y auront pas d’accès. De ce Colloque convoqué, d’autre part, — ceci ne devait se montrer que bientôt après, — va sortir une série de mesures qui mettront l’O.N.U. levant des faits politiques irréversibles sur le terrain. Un proverbe rwandais l’avait bien dit : le maître du glaive est celui qui en tient la poignée. Comme la Commission pour le Ruanda-Urundi faisait déjà ses malles, c’était la lutte contre la montre.

On peut parier qu’aucun pétitionnaire, au feu de l’action, n’avait fait attention à la remarque que leur adressa M. Blusztajn, délégué de la Pologne ; il leur disait :

« Il est compréhensible que l’on refuse l’arbitrage de l’Autorité administrante ou celui de la monarchie. Certains ont toutefois parlé d’un arbitrage éventuel de l’O.N.U. ; il est à craindre qu’il n’aient surestimé la compétence et les pouvoirs de l’Organisation internationale ». (1072ème Séance, no 44, p. 444, 2 déc. 1960).

745.L’avantage que la Belgique avait en ce domaine sur l’O.N.U. ne se limitait pas seulement au fait de la présence matérielle sur les lieux ; il y avait également les droits fondés sur les investissements et dépenses de tout ordre. Lorsque le Rudipresse reprit à l’époque un extrait du quotidien Bruxellois La Libre Belgique (no 205, du 7 janv. 1961, p. 4), on devine que l’Administration fait siennes les réflexions de ce journal, qui faisait remarquer, en autres :

« Le journal rappelle qu’ils (Ruanda-Urundi) n’ont jamais rapporté un franc à la Belgique, mais qu’au contraire ils lui coûtent, bon an mal an, un subside de 700 millions de francs ».

Evidemment le journal avance-là une double erreur : il y a d’autres valeurs que celles calculées en francs. Si la Belgique n’y avait trouvé aucun intérêt, ses Gouvernements eussent été tous composés de fous, seuls capables de dépenser chaque année tant de millions en pure perte. L’autre erreur est que le journal calcule trop court, en ne tenant pas compte des investissements privés. En tous les cas, l’important pour l’opinion Belge à l’époque, est ce qui se lit facilement entre les lignes ; l’O.N.U. n’avait pas rivalise avec la Belgique en ce domaine, et elle était trop jeune pour avoir supporté le poids du jour et la grande chaleur, surtout que son prédécesseur, la Société des Nations, n’y regardait pas de si près.

746. Le Colloque qui allait se tenir à Ostende réunissait les délégués de tous les Partis du Rwanda et du Burundi. Cette fois-ci l’UNAR était dignement représentée par son Président de l’intérieur. M Rutsindintwarane, accompagné de M. Afrika, membre du Bureau (Ruclipresse no 205, 7 janv. 1961, p. 11), Le Colloque général s’ouvrit le 7 janvier 1961. A cette occasion Radio Usumbura diffusa une note politique, suivie du discours d’inauguration de M. le Ministre d’Aspremont-Lynden, soulignant la tâche incombant aux délégués. (Rudipresse no 206, du 14 janv. 1961, p. 1-8). Les membres de la Commission pour le Ruanda-Urundi, dont le Président était M. Dorsinville, assistaient au discours inaugural. Il y fut fait allusion aux Résolutions de l’Assemblée Générale, mais avec une discrète restriction soulignée au passage suivant :

« Si, vis-à-vis du Ruanda-Urundi, la Belgique entend assumer pleinement les responsabilités qui découlent du mandat qui lui a été confié, et si elle entend, dans le cadre de ses responsabilités vis-à-vis de son mandat, en rendre fidèlement compte à l’Organisation des Nations Unies, comme elle l’a d’ailleurs fait usqu’ici, il va de soi que la Belgique ne peut qu’examiner avec la plus grande attention les Résolutions que l’Assemblée Générale des Nations Unies estime devoir émettre quant à l’avenir du Ruanda-Urundi.

Face à ces responsabilités vis-à-vis du Ruanda-Urundi et des populations qui l’habitent, la Belgique s’est formellement engagée à rechercher les solutions qui lui paraissent les plus heureu-ses pour favoriser l’épanouissement du pays ». (ibd. p. 4)

  1. Le Colloque ne manqua pas d’incidents significatifs, qui explicitaient en quelque sorte les sous-entendus du scénario. Ainsi, avant l’ouverture de la ire séance du Colloque, M. Dorsinville demanda à être entendu ; le Président du Colloque, M. Van den Abeele, Secrétaire Général au Ministère des Affaires Africaines,

« mit en doute ce droit, interprétant restrictivement le rôle des ‘observateurs ; considérant que puisque le Gouvernement Belge n’avait pas encore annoncé sa position à l’égard des Résolutions de l’Assemblée Générale, il estimait que les membres de .la Commission avaient été invités à assister à la conférence .en tant qu’observateurs individuels, et non en tant que Commission » (Rapport intérimaire, le 71, p. 13)

Comme M. Dorsinville ripostait en menaçant de ne pas prendre aux travaux aussi longtemps que le litige ne serait pas résolu, le Président du Colloque en référa au Ministre des Affaires Etrangères, qui donna certainement satisfaction à la Commission de l’O.N.U., puisque M. Dorsinville prit parole le lendemain au dé-but des travaux, retardés d’un jour par l’incident. (ibd. no 72). Mais les difficultés ne s’arrêtèrent pas là, car le même Rapport poursuit :

« L’attitude de l’Autorité administrante fut expliquée clairement dans l’allocution préliminaire du Président de la conférence. Il déclara que, si les Résolutions de l’Assemblée Générale impliquaient juridiquement des Recommandations, il n’en découlait pas nécessairement l’obligation pour la Belgique de s’y conformer. 11 souligna d’autre part que, bien que la Belgique ait pris position contre ces Résolutions à l’Assemblée Générale, elle avait estimé opportun de réunir la conférence afin de permettre aux représentants des populations d’exprimer librement leurs opinions. Il conclut en précisant qu’une décision serait prise par le Gouvernement Belge sur la base des conclusions de la conférence dans les huit jours qui en suivraient la clôture n. (ibd. no 73, p. 13)

  1. Evidemment, M. Dorsinville se hâta de réfuter ces affirmations, en se référant à la Charte des Nations Unies. Est-ce réellement à M. Van den Abeele que l’on devait l’apprendre ? Il s’agissait là d’incident tellement dans la même ligne que l’attitude du délégué à. la Commission IV du Conseil de Tutelle, qu’on en viendrait plutôt à se demander si ce n’était pas le résultat d’Instructions venant de plus haut. 11 était concevable, en effet, qu’une fois constatée l’impossibilité de sortir honorablement de l’imbroglio créé par les circonstances au Rwanda, on ait recherché des incidents qui justifieraient ensuite des solutions non convenues formellement avec l’Organisation internationale. Or pareilles solutions seraient inintelligibles dans le cas de ceux qui agissent la main dans la main. En écartant cette supposition, on ne s’appliquerait pas rationnellement comment les deux Hauts Fonctionnaires n’auraient pas adopté l’attitude que le premier venu perçoit sans aucun effort.

Quant aux délibérations du Colloque d’Ostende, il serait superflu en résumer les positions. C’était une deuxième de celles défendues décembre devant la Commission IV du Conseil de Tutelle à New York. Ceux que favorisaient les Résolutions de l’Assemblée Générale tenaient à ce qu’elles fussent mises en pratique intégralement, tandis que les autres n’en voulaient rien entendre. Le Colloque se termina le 12 janvier. De toute évidence, il ne fallait pas supposer que les Elections législatives pussent se dérouler en janvier il n’y avait plus de temps pour procéder à leur organisa-on matérielle. Pour des raisons d’ordre international que chacun comprend facilement, d’autre part, le Gouvernement Belge ne pouvait matériellement braver l’Assemblée Générale. Mais il y %rit moyen de contourner très efficacement l’obstacle, en prenant e voie qui n’avait pas été juridiquement barrée.

  1. o) Autonomie Interne et proclamation de la République.
  1. Rentrant le 15 janvier 1961 du Colloque d’Ostende, M. le Résident Général, par l’ordonnance législative no 02/16, accordait au Rwanda l’autonomie interne. (Une autre ordonnance, no 02,18 n faisait autant pour le Burundi). La fiction était balayée, les deux pays étaient devenus deux réalités. La date de l’arrivée du Résident Général à Usumbura, remarquez-le bien, fut celle de la publication des ordonnances. Il est ainsi bien clair qu’elles avaient ‘ mises au point à Bruxelles. On lira ces textes dans Rudipresse, 207, du 21 janvier 1961, p. 2-5.

Pendant ce temps, la Commission de I’O.N.U. pour le Ruanda-Urundi était retenue à Bruxelles pour attendre la déclaration du Gouvernement Belge sur les Résolutions de l’Assemblée Générale. Elle fut informée sur les intentions de la Belgique par la lettre u- Ministre des Affaires Etrangères datée du 25 janv. 1961. (le te dans Rwanda Politique, p. 381-382). 11 convenait que ladite commission, attendue pour le 28 à Usumbura, fût retenue suffisamment longtemps à Bruxelles. Or, par l’ordonnance no 02/17, de ce -même 25 janvier, le Résident Général conférait au Conseil du Rwanda et au Gouvernement Provisoire les pouvoir d’autonomie tels que définis par la législative du 15 précédent.

  1. Le Gouvernement du Rwanda ne perdit pas de temps : M. Rwasibo, Ministre de l’Intérieur, convoqua tous les Bourgmestres et Conseillers Communaux du pays pour le samedi 28 à Gitarama. A l’ordre du jour : maintien de l’ordre et pacification du pays (Ru-dipresse, no 208, du 28 janv. 1961, p. 6). Cette Assemblée extraordinaire, dénommée dans la suite CONGRES NATIONAL, totalisait 2873 Bourgmestres et Conseillers (91,9%) sur les 3126 que comptait le Rwanda.

Le programme de la manifestation avait été mis au point le jeudi 26 à Kigali, sous la présidence de M. le Résident Spécial. Ni lui cependant, ni personne de ses Fonctionnaires Européens, ne devait se montrer sur les lieux de l’Assemblée. Mais pour assurer l’ordre et parer à toute tentative éventuelle de réaction, M. le Résident Spécial établirait son Quartier Général à Gitarama même et la troupe ceinturerait discrètement la localité.

NOTA : La présence du Colonel à Gitarama et la mise au point du programme le 26, sous sa présidence à Kigali, m’ont été confirmées par 5 témoins oculaires ‘d’entre les acteurs. Lorsque le Colonel Logist dit avoir été informé du coup d’Etat seulement le soir du 28 (Rapport Intérimaire, no 126), c’est une restriction mentale : il omet de préciser en quelle localité il avait reçu la délégation. En reconnaissant d’autre part le fait accompli, de son propre chef, sans en référer à ses supérieurs, (ibd.) il trahissait le plan préétabli.

  1. Lorsque tous les camions mis à la disposition des invités furent arrivés au lieu du rendez-vous, la séance fut ouverte en plein air sur le marché de Gitarama. M. Joseph Gitera, Président du Conseil du Rwanda, prit la parole et déclara : « Le Karinga est supprimé et le règne de Kigeli a pris fin ». Il exhiba alors le Drapeau qui devenait le symbole du nouveau Rwanda. A 12h15 il déclara que la forme de gouvernement qui répond le mieux aux aspirations du Peuple Rwandais est la République. Il termina par le cri : « Vive la République », repris par la foule.
  2. Grégoire Kayibanda, Premier Ministre du Rwanda, répéta en Français l’essentiel de ce que M. Gitera venait de proclamer en langue rwandaise ; il déclara que le Mwami Kigeli et sa lignée t- définitivement exclus de leurs fonctions, que les institutions du Karinga et des biru sont abolies définitivement, que le Drapeau… est le symbole du nouveau Rwanda et que le Rwanda sera une République. (Rudipresse no 209, du 4 février 1961, p. 1-2).

On procéda immédiatement à l’élection du Premier Président de a République ; deux candidatures symboliques et deux autres sérieuses : celle de M. Dominique Mbonyumutwa, du PARMEHU-U, qui obtint 2391 voix (83%), et celle de M. Gitera, de PAPROSOMA, qui en obtenait 433 voix (15%). M. D. Mbonyumutwa t -élu.

  1. Ce fut ensuite l’élection des Membres de l’Assemblée Législative ; après le dépouillement des bulletins, on constata que le PARMEHUTU obtenait 40 sièges de Députés, c’est-à-dire la totalité des territoires sauf celui d’Astrida (Butare) où l’APROSOMA obtenait 4 sièges sur 8. Pour le détail des noms et des voix obtenues, cfr Rudipresse no 212, du 25 fev. p. 4. L’Assemblée législative élue e réunit et se donna M. Joseph Gitera comme Président, et M Lazare Mpakaniye du PARMEHUTU, comme Vice-Président.

Le Président Mbonywriutwa chargea aussitôt M. Grégoire Kayibanda de former le Gouvernement. Peu après 19h30, le Premier Ministre désigné annonça la Composition de son équipe

Premier Ministre et Enseignement : M. Grégoire Kayibartda avec Otto Rusingizandekwe comme Secrétaire d’Etat.

Intérieur : M. Jean Baptiste Rwasibo.

Agriculture : M. Balthazar Bicamumpaka

Affaires Sociales et Réfugiés : M. Jacques Hakizumwami.

Affaires Techniques : Théodore Sindikubwabo.

Affaires Economiques : M. Callixte Habamenshi.

Finances : M. Gaspard Cyimana.

Justice : M. Athanase Malcuza

Affaires Extérieures : MM Aloys Munyangaju et Germain Gasingwa.

Défense Nationale : M. Isidore Sebazungu.

Ce fut ensuite la création de la Cour Suprême : Président : M. Isidore Nzeyimana.

Vice-Président : MM. Daniel Shamukiga, Claver Ndahayo, Nar-cisse Sakerere, et François Ackerman.

Notons que M. Ackerman ne fut pas nommé ce jour-là, sinon in petto ; il le sera officiellement quelques jours plus tard.

  1. Le Président Mbonyumutwa proclama ensuite les principes qui guideront le nouvel Etat Rwandais :
  2. Le Rwanda est une République démocratique et souveraine.
  3. La nationalité rwandaise sera définie par la loi.
  4. Le Rwanda est divisé en dix Préfectures divisées en Communes.
  5. Le Rwanda reconnaît les Institutions suivantes :un Président de la République, un Gouvernement, une Assemblée Législative et une Cour Suprême.
  6. Tous les citoyens du Rwanda sont égaux devant la loi, sans distinction de couleur, de race ou de Religion.
  7. Tous les Banyarwanda sans distinction ont accès aux écoles ; mais pourront être fermées ou réquisitionnés les écoles dont le pourcentage de fréquentation ne répondra pas à la répartition ethnique de la population.
  1. Le Rwanda reconnaît la Tutelle provisoire de l’Organisation des Nations Unies et la Belgique comme puissance administrante.
  2. Les décisions concernant l’Indépendance devront être prises et soumises à l’Assemblée Législative et à la Cour Suprême. La Constitution, en 80 articles, datée du 28 janvier (texte dans Rwanda Politique, p. 391-397) devait être promulguée le 1er février (Rudipresse no 210, du 11 févr. p. 4 ; Assemblée Législative Doc. I, 1 févr. 1961, p. 1-7).

Dans cette Déclaration de départ on regrettera la finale de l’article 6 qui pose le principe de discrimination ethnique dans l’enseignement ; le principe posé, en effet, tendrait de soi à priver d’écoles les localités où la répartition naturelle de la population y donnerait prise. Ce principe était ainsi en contradiction avec l’article 5.

  1. Le Président élu, M. Dominique Mbonyumutwa, clôtura la Session extraordinaire du Congrès National en déclarant que ces mesures aient, en vigueur le jour même, 28 janvier 1961, et que cette Ste devenait la Fête Nationale du Rwanda. Pour le détail de tous s événements, dr Rudipreese, no 209, du 4 février 1961 p. 1-3. -En te qui concerne la Fête Nationale, notons que cet honneur sera transféré à la date du 1er juillet, à laquelle sera proclamé le recouvrement de l’Indépendance (cfr no 793) en 1962. Celle du 28 janvier deviendra alors Fête de la Démocratie.

En conclusion donc, au cours de cette journée du 28 janvier 1961, es Autorités du Rwanda posèrent un tournant décisif sans précédent dans notre Histoire. L’événement dépassait en signification le but immédiat que les acteurs avaient en vue. Il importe peu qu’il ait eu des Leaders éclairés et des broussards semi-illettrés, des politiciens passionnés et des froidement calculateurs, qu’ils fussent rwandais ou étrangers, soucieux, en premier, de battre de vitesse mise en exécution des Résolutions de l’Assemblée Générale. e qui importe pour l’Historien, c’est l’événement considéré en -même et dans ses effets, abstraction faite de toutes ces contingences. Comme la suite devait le démontrer, en effet, l’O.N.U. ne usera pas à défaire la situation ainsi créée et le nouvel ordre imposera définitivement. 

  1. p) Commission de l’O.N.U. ne s’y reconnaît plus.
  1. Au lieu du 27, la Commission pour le Ruanda-Urundi arriva à Usumbura le 28 janvier, exactement. Elle nous apprend ainsi la don devant laquelle elle se trouva :

Lorsque la Commission arriva à Usumbura le samedi 28 janvier, elle était dans l’ignorance complète des événements politiques postérieurs à la Conférence d’Ostende, qui avaient eu lieu et qui continuaient à se dérouler dans le Territoire. Elle ne les apprit que plus tard par la presse et la radio » (Rapport Intérimaire, no 93, p. 17).

Ce jour-là même, le 28 janvier, le Gouvernement Belge publiait la déclaration par laquelle elle adhérait aux Résolutions de l’Assemblée Générale, à laquelle elle reprochait cependant de n’avoir pas tenu compte de l’aspiration des populations tendant à accéder très rapidement à l’autonomie préparatoire à l’Indépendance. (cfr Rudipresse, no 209, du 4 fév. 1961, p. 5-6).

Le 6 février, l’ordonnance no 02/38 rendue rétroactive au 1er  février, reconnaissait le nouveau régime du Rwanda et transférait à. ses Autorités les pouvoirs d’autonomie prévus par l’ordonnance no 02/16 du 15 janvier. La Commission de l’O.N.U. en fut informée verbalement le lendemain, 7 février. Elle estima qu’elle n’était pas qualifiée pour traiter avec les nouvelles Autorités autochtones et que son rôle devra désormais consister à s’informer au mieux de la situation pour rendre compte à l’Assemblée Générale (Rap-port Intérimaire, no 113-114), p. 20).

La Commission quitta Usurnbura le 13 février 1961, s’arrêta à Bruxelles où elle eut des entrevues avec les Ministres des Affaires Etrangères et des Affaires Africaines. Le Gouvernement Belge, le plus sérieusement du monde, lui prodigua les déclarations les plus formelles sur ses intentions de rencontrer en toutes choses les Résolutions et Recommandations de l’Assemblée Générale. Enfin la Commission rentra à Né’w York pour faire rapport sur sa Mission.

  1. Dans les conclusions de son Rapport la Commission s’exprime ainsi :

« Il est évident que la mise en oeuvre des Résolutions 1579 et 1580 a été rendue infiniment plus difficile par les événements récents au Ruanda-Urundi. Ces derniers ont, en effet, complètement modifié les données politiques et juridiques de la situation telle qu’elle se présentait en décembre à l’Assemblée Générale. Celle-ci est maintenant en présence d’une situation nouvelle de fait qui pose des problèmes d’importance capitale. Il y a, d’une part, les responsabilités de l’Organisation des Nations Unies vis-à-vis des populations du Ruanda-Urundi et les obligations de la Puissance administrante, telles qu’elles sont définies dans les Accords de tutelle. Il y a, d’autre part, la portée et les limites du pouvoir effectif de tutelle exercé dans le Territoire par la Belgique, l’évaluation par l’ONU de la nature et de degré de l’autonomie dont sont dotées les nouvelles institutions autochtones et enfin la nature des contacts éventuels avec ces dernières…

Il est hors de doute que le pouvoir de tutelle ne peut et ne doit s’exercer qu’en tenant compte des aspirations et de la volonté des populations intéressées. 11 n’en reste pas moins que, tant que ces populations n’auront pas été en mesure de s’exprimer librement, avec toutes les garanties susceptibles de satisfaire les Nations Unies, il incombe à la Puissance chargée de l’administration du Territoire d’assumer seule les responsabilités qui découlent de son mandat » (Rapport Intérimaire, n° 216-217, .120, p. 36-37).

Sur le plan où se place la Commission, il n’y avait rien à objecter à condition que toutes les parties intéressées raisonnassent selon a même logique. On avait beau poser le dilemme créé par la nouvelle situation, en effet, mais cela ne supprimait pas le fait accompli. ‘L’O.N.U. pouvait sans doute se fâcher, exiger, mais il lui était absolument impossible d’imposer d’autorité ses volontés aux acteurs qui raisonnaient suivant une logique différente.

  1. 757. Faute d’avoir étudié de près l’historique des faits, la commission , de l’O.N.U. avait été induite en erreur sur un point très important. D’une part, en effet, elle se trouvait devant les déclarations les plus formelles du Gouvernement de Bruxelles. Elle avait constaté, d’autre part, les agissements diamétralement opposés de l’Administration locale. Elle avait trop vite conclu que cette dernière était pratiquement en rébellion contre Bruxelles. Citons donc le passage suivant, uniquement parce qu’il confirme ce que d’autres documents avaient plus haut mis en lumière (no 728-729, 732-733) :

« Tant que l’Administration dans le Territoire n’accepte pas la politique du Gouvernement belge, telle qu’elle serait arrêtée conformément aux recommandations de l’Assemblée Générale, le danger existe que des plans indépendants de l’action soient poursuivis qui compromettraient la mise à exécution de la politique générale arrêtée. La Commission considère qu’une des conditions indispensables à. l’accomplissement de son mandat est que les agents de l’Administration dans le Territoire soient

amenés à suivre, en toute loyauté, et à respecter à tous les échelons toute politique dont les lignes auraient été définies pour permettre la réalisation des objectifs communs de la Belgique et de l’Organisation des Nations Unies tendant à la préparation de l’indépendance du Territoire ». (ibd. No 222, p. 37).

Cette constatation de la Commission, — nous le savons, — était trop tardive. Elle fut vraie un certain temps, mais ne l’était plus à l’époque où elle a été formulée. En ce moment-là, en effet, Bruxelles d’une part et Usumbura-Kigali, d’autre part, marchaient la main dans la main. La Commission aurait dû supposer que des déclarations officielles, à l’usage de l’opinion internationale, peuvent se doubler de directives secrètes orientant l’action politique dans un sens diamétralement opposé.

  1. q) Les nouvelles Institutions devant la Commission IV du Conseil de Tutelle
  1. La Commission présenta son Rapport Intérimaire à In Commission IV du Conseil de Tutelle le 17 mars 1961 (1106ème Séance, no 2-20, p. 39-41). Le Représentant de l’Autorité administrante, M. Moreau de Melen, en réfuta les allégations le 20 mars (1108ème Séance, no 2-55, p. 51-57). Il fit observer, entre autres, que la Commission n’en était pas une, car l’un des membres était absent, ce qui, à ses yeux, enlevait à la Communication sa qualité de Rapport. Il reprochait d’autre part aux deux membres arrivés à destination d’être restés trop peu de temps sur les lieux, de n’avoir pas visité le Rwanda, ce qui infirmait les informations qui se lisaient dans le Rapport. M. Moreau de Melen signifia le refus de son Gouvernement sur un point de la Résolution 1580 :

« II y a un point, dit-il, sur lequel le Gouvernement Belge ne croit pas pouvoir marquer son accord, c’est le retour préalable du Mwami, car il est convaincu que ce retour serait signe de troubles très graves et, comme il est responsable de l’ordre, il désire évidemment, à cet égard, prendre le maximum de précautions. En d’autres termes, les événements récents ont effectivement rendu, comme la Commission le signale très objectivement, phis malaisée l’application des Résolutions. Ils sont le résultat du report des élections et, pour pallier ses effets, le Gouvernement a poussé à la formation des pays dans l’art de se gouverner eux-mêmes et il a tenté d’atténuer ainsi l’amertume ressentie par le peuple du Ruanda-Urundi. Il n’est donc pas possible, ni pour l’Autorité administrante ni pour l’ONU, de décider seules la ligne politique à adopter… Au Rwanda, les leaders ont mis en place, à la suite du coup d’Etat de Gitarama, des autorités qu’on ne peut pas ignorer, que le Gouvernement belge a reconnues de facto parce qu’il estimait que c’était un problème de paix publique » (ibd. no 53, p. 56).

La phrase soulignée l’a été par nous : elle résume le sens historique du fait accompli que nous avons plus d’une fois mis en lumière. Une fois que le Coup d’Etat de Gitarama s’était produit, complétant les Elections Communales et la création de la Garde Nationale, il n’y avait plus moyen, pour n’importe quelle puissance extérieure, de forcer efficacement le Rwanda à revenir à la situation antérieure.

  1. A la 1117ème Séance du 24 mars, la Commission IV donna la Parole à M. Rwagasana (no 33-65, p. 113-117). Il s’attaqua, bien entendu, à. l’Administration beige et aux nouvelles institutions installées au Rwanda. 11 faut en dire autant de la pétition de Kigeli V lue à la même Séance par Rutera dont nous avons déjà parlé (no 737) ; ce texte développe la même thèse et conclut en demandant que les Nations Unies missent fin immédiatement au mandat de Tutelle confié à. la Belgique. Kigeli V, cette fois s’autorisait à parler au nom du Ruanda-Urundi, ce qu’il avait eu soin d’éviter auparavant (ibd. no 66, p. 117-119).

A la 1119ème Séance, du 27 mars, furent admis à prendre la parole les représentants du PARMEHUTU, MM. Calliope Mulindahabi et Fidèle Nkundabagenzi, ceux de l’APROSOMA, MM. Aloys Munyangaju, Théodore Sindikubwabo et Germain Gasingwa. MM. C. Mulindahabi lit une longue déclaration (ibd. no 67-68, p. 143-146). Il s’ensuivit une discussion serrée, qui se prolongera jusqu’à la 1123ème Séance du 29 mars (il y eut deux jours de suite • 2 Séances par jour). Les délégués — c’est très évident et c’était prévisible, — étaient hostiles aux défenseurs du coup d’Etat de Gitarama. Les pétitionnaires tenus sur la sellette n’arrivèrent pas à concilier l’événement de Gitarama avec les obligations découlant de l’Accord de Tutelle et des Résolutions votées par l’Assemblée Générale.

  1. A la 1124ème Séance du 30 mars, deux grands exposés de l’UNAR, le premier de M. Rebero sur le sort des Réfugiés se trouvant à l’étranger, (n0 1-15, p. 179-181) et celui de M. Rutsindintwarane, Président du Parti à l’intérieur (n0 16-110, p. 181-191), qui, d’une manière prévalente, accuse en détail le Gouvernement belge d’avoir organisé lui-même le coup d’Etat de Gitarama. M. Bwanakweli, Président du RADER, parlera dans le même sens à la 1125ème Séance du même 30 mars (n0 1-31, p. 193-197). L’exposé de M. Bwanakweli fut suivi de questions-réponses triangulaires entre délégués, républicains et monarchistes. Ces questions et réponses occuperont les deux Séances (1126ème et 1127è) du 3 avril. Ce sera à la 1132ème Séance du 6 avril que le Représentant de l’Autorité administrante, M. De Ridder, donnera à toutes les allégations des pétitionnaires une réponse condensée.

Nous devons, pour notre part, relever dans son exposé, deux assertions contraires à la vérité : à savoir premièrement le voyage de Kigeli V d’Usumbura à Léopoldville indûment dédoublé pour les besoins de la cause (n0 3 p. 245); l’orateur en arrivait à faire rentrer le Mwami à Usumbura le 25 juillet, date réelle de son unique départ. La deuxième affirmation (n0 9, p. 246) est plutôt une restriction mentale, à savoir qu’aucun membre des forces armées n’a assisté• à. la réunion de Gitararna, le 28 janvier 1961. C’est vrai dans le sens matériel d’assister, ce qui n’exclut pas la présence dans la localité (cfr n° 750.

Comme ladite Déclaration n’abordait pas le fond des problèmes• soulevés, il donna lieu, de la part des délégués, à une série de questions embarrassantes. M. De Ridder promit (n0 52, p. 249) qu’une réponse détaillée serait donnée dans deux jours.

Elle sera présentée par M. Claeys Bdulaert à la 1133ème Séance du 7 avril 1961 (n0 1-68, p. 252-256). Examinée de près, cette réponse ne comporte aucun progrès sur la Déclaration précédente.

Elle ne pouvait aborder de plein fouet les problèmes posés, ni donner  satisfaction à personne, et nous savons pourquoi. Les délégués posèrent des questions-escarmouches qui laissaient entrevoir la direction que prendrait la discussion générale.

  1. Celle-ci s’ouvrit le 10 et se clôtura le 13 avril (1134ème à la 1141ème Séance). C’est une suite de réquisitoires contre l’Autorité administrante, accusée d’avoir organisé le coup d’Etat de Gita-, rama. L’atmosphère ne s’était donc pas améliorée par rapport la première partie de la 15ème Session. Ces textes ne se prêtent pas à être résumés, vu leur ampleur, ni surtout à être transcrits, en raison de leur sévérité excessive. A lire certaines interventions, pli doit s’étonner de voir, en ces assises de la diplomatie internationale, des orateurs verser dans la démesure, poser la Belgique en accusée, et en vilipendée. On pourra avoir une idée de ces virulences à travers la riposte du Gouvernement Belge. Celle-ci a le double avantage de nous laisser comprendre le caractère outré 7 des attaques, et de déclarer en clair les intentions de la Belgique que nous décelions laborieusement à travers les documents à notre portée et que l’on pouvait aisément déduire des agissements de l’Administration locale. Nous avons jugé le texte tellement important à cet égard, que nous nous reprocherions de le mutiler. Le voici donc transcrit entièrement :

« Le représentant de la Belgique à la quatrième Commission a exposé les motifs impérieux qui lui commandaient de se prononcer contre le projet de Résolution. Il entendait ainsi ramener la puissance administrante au rôle d’un pur exécutant, tout en conservant entière sa responsabilité, et ce, au mépris de stipulations de l’Accord de tutelle.

Il est grave d’autre part, que dans l’une de ses recommandations, notre organisation, fondée sur le droit, s’engage dans une déviation particulièrement dangereuse, où une majorité, réunie aujourd’hui, prétend modifier unilatéralement un contrat synallagmatique, à savoir l’accord de tutelle.

Enfin, avec toute la force que nous tirons de la conscience de bien servir ceux que nous avons la charge de guider, nous répéterons que la résolution se place en marge de la charte et de l’accord de tutelle. A aucun moment, en effet, cette résolution ne se soucie des vues des populations du territoire, vues qu’if. importe cependant, au stade présent de leur évolution politique,.- de prendre en considération au premier chef. Je tiens à répéter solennellement ici que notre attitude est dictée uniquement par l’intérêt des populations que mon pays est le mieux placé pour connaître, apprécier et défendre. Nous ne pourrons que renouveler notre vote négatif sur l’ensemble du texte. Au sujet de celui-ci, je répète que nous rejetons comme malveillantes et offensantes les assertions et insinuations contenues:: notamment dans le préambule. Nous les rejetons avec d’autant plus d’indignation que la Belgique, avec un total désintéressement, s’est constamment efforcée de concilier au mieux les exigences d’une bonne administration avec les aspirations des populations et les vues de l’ONU.

Mais il y a plus.

Le projet qui nous est soumis contient une contradiction inter-ne et fondamentale : après avoir reconnu la pleine et exclusive responsabilité de la Belgique, il prétend• substituer l’action direc de l’ONU à celle de la puissance administrante. La Belgique voit et exécute les choses différemment. Uniquement guidée par son attachement aux fins essentielles du régime de tutelle, telles qu’elles sont prescrites par les textes auxquels elle a souscrit, elle accordera au Ruanda-Urundi l’indépendance dans les délais les plus brefs, et fera tout en son pouvoir pour que cet événement puisse se placer dans une atmosphère de paix et de bien-être. En conclusion, je dirai que le gouvernement belge ne peut se défendre de l’impression qu’un certain nombre de délégation  veulent délibérément ignorer le vrai problème, celui de l’accession du Ruanda-Urundi à l’indépendance. C’est la Belgique: qui a proposé, de sa propre initiative, l’octroi de cette indépendance au Ruanda-Urundi, prévue le 1er  semestre 1962. Pour chacun, l’heure est maintenant venue de prendre ses responsabilités » (Rudapresse 220, du 22 janvier 1961, p. 4-5).

  1. Les orateurs qui avaient provoqué cette réponse avaient développé descatilinaires en l’air : il suffisait de laisser l’O.N.U. aux prises avec la série d’obstacles constituant globalement le fait accompli leur contre lequel, sur les lieux, personne ne pouvait pluss rien modifier de fondamental.

La Résolution 1605 du 21 avril 1961 (994ème séance plénière) de cette I5ème Session maintenait les deux antérieures (1579 et 1580) ni n’avaient pas été mises à exécution. Elle comportait évidemment dés ajoutes complémentaires exigées par la nouvelle situation créée si bien au Rwanda qu’au Burundi. On en lira le détail dans Rapport 4/4994 de la Commission pour le Rwanda-Urundi 2-12, p. 1-3.

Nota : C’était la même Commission qui revenait sur les lieux :

nous l’appellerons « Commission Elections-Référendum » pour en distinguer, plus aisément les deux phases. Notre pagination se rapporte à un exemplaire stencilé du Secrétariat Général de l’O.N.U.

  1. r) Elections législatives et le Référendum
  1. A la clôture de la 15ème Session de l’O.N.U., un nouveau Gouvernement venait d’être formé en Belgique et M. Spaak devenait .Ministre des Affaires Etrangères et du Ruanda-Urundi. Avant de venir opérer sur les lieux, la Commission Elections-Référendum arriva à Bruxelles le 30 mai 1961, afin d’arrêter, avec le nouveau Ministre, les modalités d’exécution pour la mise en oeuvre de la Résolution 1605. Les échanges de vues eurent lieu en présence de M. le Résident Général J. P. Harrey. Les membres de la Commission arrivèrent a Usumbura le 8 juin. Le Président de la Commission, M. Dorsinville, fixa son Quartier Général à Usumbura, tandis ne M. Gassou, du Togo, se fixait à Kitega pour le Burundi, et M. Rahneana, de l’Iran, à Kigali pour le Rwanda. Le Secrétariat de la Commission se composait de 17 fonctionnaires tandis que les observateurs à répartir dans tous les Territoires administratifs étaient au nombre de 21. Au total 38 fonctionnaires du Secrétariat Général de l’O.N.U., représentant 23 Etats Membres (cfr Rapport no 27, p. 9-11).
  1. La démarche préalable aux Elections fixée par la Résolution 1605 était que l’on devait suspendre les Autorités issues, non seulement du coup d’Etat de Gitarama, mais encore des diverses ordonnances ayant établi l’autonomie interne. Elles devaient être remplacées par un Gouvernement élargi d’union nationale, dans lequel tous les Partis seraient équitablement représentés.

La procédure devait se révéler irréalisable au Rwanda. L’UNAR et le RADER exigeaient que sur les Ministères existants, on leur. en attribuât au moins trois de grande influence : ceux de l’Intérieur de la Justice et des Affaires sociales et Réfugiés. Le PARMEHUTU ne voulut rien entendre ; il proposait de confier à ces formations des Ministères de périphérie à créer spécialement. Le Résident Spécial proposa, comme solution de compromis, de placer deux. Ministres de tendances différentes à. la tête de chaque département Cela ne pouvait pas marcher non plus. Finalement il fut décidé que l’Administration de tutelle reprendrait en mains les attributions du Gouvernement, tandis que celui-ci serait neutralisé en fut ainsi. La neutralisation n’était cependant qu’une formalité, vide de signification réelle : elle fut appelée mise en vacances, le Ministres conservant leur dignité et les moyens matériels qu’ils avaient auparavant. Lorsque les monarchistes réclamèrent que le Drapeau du coup d’Etat de Gitarama fût amené, l’Administration n’en voulut rien entendre, objectant que cette mesure nuirait à certains Partis politiques. Ce qui, évidemment signifiait que le maintien des couleurs nuisait à certains autres (cfr Rapport no 106-124, p. 34-39).

  1. Et alors l’UNAR commença à payer la facture de son abstention lors des Elections Communales. Ses pétitionnaires à la Commission IV du Conseil de Tutelle avaient cru que la neutralisation des Autorités existantes et la répartition équitable des Ministère’ s’étendaient jusqu’aux Communes ce qui ne pouvait se concevoir.

Les Bourgmestres, au jugement des délégués à la Commission IV, ‘sont des fonctionnaires de l’Administration  mais sur les lieux, se sont des fonctionnaires politisés. Pour eux être représentants de l’Administration, surtout à l’époque envisagée, était un aspect très secondaire ; ils sont davantage les représentants de leur Parti.

« La Commission a pu constater que, pendant la période qui a suivi la suspension du gouvernement, beaucoup de fonctionnaires locaux et surtout des bourgmestres membres de partis républicains, ont joué un rôle politique actif. La Commission s’est penchée sur ce problème, à la suite d’un grand nombre de plaintes émanant des partis monarchistes et a insisté auprès de l’Administration de tutelle pour que celle-ci prît les mesures possibles pour assurer l’impartialité de ses compétitionnaires.

De ce fait, les Autorités de la Tutelle ont à plusieurs reprises donné des ordres concrets aux agents administratifs de se tenir dehors de toute activité politique, et aux bourgmestres de ne pas abuser de leur autorité. Le problème avait surtout trait aux activités des bourgmestres, puisque d’un côté il était très difficile à la Commission de vérifier les accusations portées contre eux, et que de l’autre, étant en même temps fonctionnaires et représentants politiques, ils étaient inévitablement entraînés dans la politique » (Rapport, no 129, p. 41). — « La Commission s’est néanmoins rendu compte qu’un grand nombre de bourgmestres avaient abusé de leurs pouvoirs et avaient agi plutôt comme agents de leur parti » (ibd. no 129, p. 41).

D’autres ennuis contre l’UNAR par les bourgmestres, ibd no 352, 115.

C’était justement cela dont l’UNAR avait fait abstraction au départ, en boycottant les élections Communales. En abordant ce sujet plus haut, nous l’avons justement intitulé « suicide de UNAR ». Qu’importait la suspension ou neutralisation du Gouvernement ? Le PARMEHUTU était fortement installé dans le pays et pouvait faire la pluie et le beau temps, se moquer impunément de quiconque tenterait de lui disputer l’accession définitive au pouvoir. Tel un organisme vigoureux, sa structure permettait  à ses membres de suppléer automatiquement au fonctionnement: de celui d’entre eux qui viendrait à être paralysé. Quant à l’intervention de l’Administration de Tutelle, nous savons bien de quoi.. il s’agissait. Les proclamations les phis officielles en Français; à l’usage de la Commission, s’accommodent facilement des mots d’ordre en sens opposé. Naïf était celui qui ne s’en rendait pas compte.

  1. La Résolution 1605 avait également repris impérativement la: problème de l’amnistie générale et inconditionnelle. L’ordonnance législative no 01/188 du 31 mai avait été prise quelques jours avant l’arrivée de la Commission. Une Commission de magistrats belges avait été créée afin de déterminer les condamnés pour délits politiques commis entre le lr octobre 1959 ét le lr avril 1961: Une Commission spécial de l’O.N.U. ayant étudié les dossiers proposa une liste complémentaire de 97 personnes exclues par ladite ordonnance. Il s’ensuivit une autre législative, (no 01/244 du 24 juillet) qui étendait l’amnistie aux 97 personnes proposées. Seuls 4 condamnés en furent exclus par l’Administration. En tout pour le Rwanda, 2433 personnes, aussi bien incarcérées que se trouvant en exil à l’étranger, bénéficièrent de l’amnistie. Bien plus l’Autorité administrante aministia 562 personnes dont le cas étai en cours d’instruction, ce qui portait les amnistiés à 3193 personnes (cfr Rapport, no 134-142, p. 43-46).

Seul le retour de Kigeli V au pays avant le référendum se heurta au refus de l’Autorité administrante. Elle admettait qu’il pouvait rentrer en tant que simple particulier, en quel cas il ne bénéficiérait d’aucune mesure de protection. La Commission insista de tout son pouvoir, estimant que le refus de ce retour était une vio-lation flagrante de la Résolution 1605. Le Premier Ministre du Tanganyika (actuellement Tanzanie) transmis même à la Commission de l’O.N.U. un message demandant l’autorisation pour Ki-geli V d’atterrir à Usumbura par un avion anglais affrété à ce effet. L’autorisation fut refusée (ibd. no 148-167, p. 48-53).

767.Un problème grave se posa au sujet du corps électoral et du mode des élections. D’une part, en effet, l’Assemblée Générale avait recommandé que tous les adultes, sans considération de sexe, -fussent appelés aux urnes. Or les ordonnances n° 02/16 et 02/17 (no ‘749)- réservaient ce devoir aux hommes seuls. D’autre part, les mêmes ordonnances maintenaient le système du bulletin, et en conséquence du scribe qui devait aider les Métrés, comme il en avait été pour les Communales. L’Assemblée Générale avait exclu le système,- du fait que le scribe pouvait trahir le choix de 1’illetré. Aussi l’Autorité administrante dut-elle publier 4 nouvelles ordonnances pour corriger ou compléter les précédentes incriminées, et une Sème sur le Référendum qui devait s’effectuer en même temps que les élections législatives (lire le texte de ces nouveaux documents dans Rudipresse no 256 du 12 août 1961, suppléant à pagination distincte pour chaque ordonnance).

Non seulement le devoir électoral s’étendait aux adultes des deux Sexes, mais encore le bulletin à liste (pour l’écriture) était remplacé r de couleur différenciée. C’est-à-dire que, par tirage au sort, chaque Parti avait reçu sa couleur : le rouge pour le PARME-UTU ,; le blanc pour l’UNAR, le vert pour l’APROSOMA, le bleu pour le RADER, et d’autres nuances pour les différents s de moindre importance. Ces derniers recevaient dans certaines zones le vert et le bleu, lorsque l’APROSOMA et le RADER ne se présentaient pas dans la circonscription. Il n’y avait que le, rouge et le blanc qui étaient réservés au PARMEHUTU et à l’,UNAR par tout le pays. Ainsi l’électeur, lettré ou non, entrerait dans l’isoloir avec autant de bulletins qu’il y avait de Partis ayant osé leurs candidatures dans la circonscription. Le bulletin de son choix serait déposé dans l’urne, tandis que les autres seraient jetés dans une fosse creusée dans l’isoloir à. cet effet.

L’enveloppe pour le référendum contenait deux bulletins : un blanc pour le « oui » à la monarchie et à Kigeli V, et un noir pour Je «. non » (lequel serait « oui » à la République). L’électeur déposerait celui de son choix dans l’urne et jetterait l’autre dans ladite fosse. (Rapport no 191-249, p. 60-80 ; no 338-340, p. 111-112).

En ce moment, malheureusement, éclatèrent une nouvelle vague de troubles meurtriers. La Commission Elections-Référendum en attribue le déclenchement au fait que les adhérents des Partis politiques s’étaient mis à porter les écharpes d’étoffes de couleur attribuée à leur formation, comme insignes visibles de leur option politique. Il en aurait résulté des violences soit contre ceux qui ne les portaient pas, soit contre ceux du Parti opposé ; c’est-à-dire entre républicains et monarchistes.

Le détail de ces troubles, en un sens beaucoup plus graves que ceux de novembre 1959 en raison du nombre plus élevé des tués, des huttes incendiées et surtout des sinistrés et des réfugiés, se lit dans le Rapport no 189-190, p. 59-60 ; et no 256-271, p. 82-88. L’atmosphère ainsi créée semblait remettre en question les opérations électorales. Le climat était très mauvais et les inscrits se trouvaient refoulés en très grand nombre de leurs Communes. Le Rapport de la Commission Elections-Référendum décrit ainsi la situation et l’état des réfugiés :

« Le sort de ces réfugiés a constitué un drame dont le caractère poignant semblait souvent échapper aux politiciens engagés dans la fièvre électorale. Dans cette grande masse de sinistrés dont la plupart étaient des vieillards, des femmes e des enfants chassés de leurs demeures souvent privés de toute subsistance ou même de nourriture, vivant dans un état de crainte perpétuelle et croyant avoir tout perdu, la solution immédiate de leurs propres problèmes personnels primait bien entendu dans leur esprit. Un état de désespoir et de résignation les caractérisait en général qui leur donnait un seul désir : celui d’en finir avec leur calvaire et de retrouver la paix et la sécurité d’antan le plus vite possible et à n’importe quel prix ». (no 190, p. 59).

I1 va sans dire que ces réfugiés, chassés de leurs Communes, étaient ceux qui militaient en faveur de la monarchie. Ceci ne peut étonner personne, car le pays était alors en état de troubles révolutionnaires, les leaders politiques se rendant compte qu’il y allait de leur sécurité personnelle, pour le cas où l’adversaire triompherait. On peut ajouter que l’Administration locale raisonnait de la même manière quoique ce fût pour d’autres motifs. Ces événements étaient donc logiques, car ils se déroulaient au sein d’anomalies. Qu’on se réfère à la réflexion citée plus haut no 711) en témoignage indéniable ment fondé.

  1. Pour que l’on puisse mieux saisir l’un des aspects du scrutin, nous devrons signaler que, depuis le mois de février 1961, M. Joseph Gitera avait démissionné de son poste de Président de l’Assemblée Legislative. II avait surgi un grave différend entre lui et le PARMEHUTU, auquel il reprochait la tendance qui le menait progressivement à devenir le Parti unique. 11 avait déclaré ensuite dissout son propre Parti APROSOMA, encore une fois à la veille des Elections (no 723). Il voulait lui imposer la dénomination de APROSOMA-RWANDA-UNION, qui matérialisait une nouvelle orientation. Cette fois-ci ses lieutenants s’y opposèrent énergiquement ; il s’ensuivit une scission dont naquirent deux fractions. M. J. Gitera menait l’APROSOMA-RWANDA-LTNION, tandis que ses anciens collaborateurs maintenaient APROSOMA tout court dr Rudipresse, no 212 du 25 février, et no 216, du 25 mars 1961, p. :7). Le plus clair était que l’APROSOMA, Parti déjà régional. .(no 724)> en sortait affaibli sous ses deux fractions farouchement opposées, du fait qu’elles se disputaient la fidélité des mêmes adhérents dans la même région.

-Après les secousses que nous Venons de résumer, le calme sembla revenu autour du 14 septembre. Les élections se déroulèrent le 25 du même mois. Les Electeurs inscrits étaient 1.337.096 ; les votes valides s’élevèrent à 1.255.896 ; tandis que les votes blancs Ou nuls étaient 22.248.

Suivant le système de représentation proportionnelle, les 44 sièges a pouvoir à l’Assemblée Législative furent distribués ainsi:

  • Le PARMEHUTU obtint 974.239 voix : (77,7%) : 35 sièges.
  • l’UNAR obtint 211.929 voix (16,8)» : 7 sièges.
  • l’APROSOMA obtint 44.830 voix (3,5%) : 2 sièges. le RADER obtint 4.172 voix (0,3%).
  • les 11 formations secondaires et listes locales, y compris l’A- PROSOMA-RWANDA-UNION, totalisèrent 20.636 voix (1,7

(cfr Rapport no 371-373, p. 121-122 ; Rudipresse n° 24 du 4 nov. 1961, supplément p. 1-2).

  1. Nous avons vu plus haut (no 776) que l’Autorité administrante avait catégoriquement refusé le retour de Kigeli V avant le Référendum. Il essaya tout de même de rentrer et il y parvint le 23 septembre, l’avant-veille des consultations populaires. Le Résident Spécial du Rwanda avait paré à toute éventualité en installant des barrages sur toutes les routes par lesquelles le monarque déchu pouvait s’introduire. au Rwanda. Il semble même que l’ordre aurait été donné de l’abattre à vue, dans la supposition sans doute qu’il devait revenir avec une escorte armée qui se prêterait à l’accusation d’assaillants.

Il arriva au contraire très discrètement, en passager parmi les autres à bord d’une vulgaire camionnette. Il traversa de la sorte tous les barrages où les paracommandos belges attendaient de pied ferme un cortège de jeeps et de blindés qu’on s’imaginait. Arrivé à Kigali, il était en principe sauvé ;, le Résident Spécial se vit dans l’obligation de ne le mettre qu’en état d’arrestation. Averti du fait, M. Rahnema, Commissaire de l’O.N.U. intervint, mais il ne réussit pas à fléchir le Résident Spécial. Kigeli V fut ensuite expédié à Usumbura, d’où il sera embarqué pour Dar-es-salaam le 2 octobre 1961 (Rapport no 168-170, p. 53-54)

En ce qui concerne le Référendum, l’électeur devait répondre à une double question : 1) désirez-vous la monarchie ? 2) dans l’affirmative, désirez-vous avoir Kigeli V comme Mwcani ?

Le nombre des inscrits pour le Référendum était légèrement plus élevé que celui des élections législatives : 1.337.342 contre 1.337.096. lre Question : votes valables : 1.260.302 ; votes blancs ou nuls : 14.329.

Réponse : votes affirmatifs : 253.963 ; votes négatifs : 1.006.339 (80%).

2ème Question : votes valables : 1.262.165 ; votes blancs ou nuls : 11.526.

Réponse : votes affirmatifs : 257.510 ; votes négatifs : 1.004.655 (80%).

Ainsi les Républicains avaient gagné* sur les deux tableau et le Rwanda avait rejeté la monarchie pour adopter le régime républicain. cfr Rapport no 375-386, p. 123-126).

L’Assemblée Législative élue le 25 septembre fut installée le 2 octobre suivant. Elle élit un Précepteur (Président) en la personne de M Amandin Rugira, à l’unanimité des 42 Députés prenant part au vote. L’UNAR ayant déclaré qu’elle ne présenterait aucune candidature, l’Assemblée désigna à l’unanimité par acclamation M. Munyangaju, de l’APROSOMA comme son Vice-Précepteur.

Le 4 octobre, l’Assemblée examina la question du régime constitutionnel à choisir pour la nouvelle République : sera-t-il Présidentiel, (le Président de la République cumulant la fonction de Premier Ministre) ? On sera-t-il Parlementaire (le Premier Ministre étant distinct du Président de la République) ? L’UNAR s’abstint de prendre part au vote et les autres Députés votèrent à l’unanimité en faveur du régime Présidentiel.

L’Assemblée législative, — toujours sans I’LTNAR, — adopta la Résolution qui établissait le régime républicain au Rwanda, abolissant le régime monarchique, déclarant Kigeli V Ndahindurwa déchu de ses prérogatives de Roi, et spécifiant que la dénomination officielle du pays sera « République Rwandaise».

La même Résolution établissait que l’Assemblée Législative alors en Session élirait parmi ses membres un Président de la République au scrutin secret à la majorité des 2/3. Que ce Président, à 1a fois Chef du Pays et Chef du Gouvernement, constituerait un Gouvernement qui serait investi par l’Asemblée Législative. La .même Résolution, enfin, datée du 3 octobre, décidait que l’Assem-liée Législative serait érigée en Constituante à partir du 4 octobre 1961.

  1. L’Election du Président de la République se déroula le 26 octobre, et, en présence de M. le Résident Général, M. Grégoire Kayibanda fut élu par 36 voix (soit 34 PARMEHUTU, 2 APROSOMA, la sienne ayant été donnée à M. Gasingwa) et 7 abstentions (UNAR).

Le Président de la République présenta ensuite son équipe ministérielle:

  1. Gaspar Cyimana : Finances, Affaires Economiques et Plan.

Théodore Sindikubwabo : Travaux Publics.

Balthasar Bicamumpaka : Agriculture et Paysannats.

Lazare Mpakaniye : Intérieur et Fonction Publique.

Jean Baptiste Rwasibo : Education Nationale.

Thaddée Bagaragaza. : Affaires Sociales.

Callixte Habamenshi : Information, Postes et Télécommunications-

Anastase Makuza Justice.

Germain Gasingwa : Santé Publique.

Otto Rusingizandekwe : Relations Extérieures.

Calliope Murindahabi : Garde Nationale

L’Assemblée accorda sa confiance au Gouvernement par 37 voix et 7 abstentions de l’UNAR. (cfr Rapport Commission Elections-Référendum, no 406-414, p. 130-133). 

  1. En conclusion de son Rapport, présenté à l’Assemblée Générale (16ème Session) le 30 novembre 1961, la Commission s’exprime ainsi :

« Lorsque l’Assemblée Générale a adopté la Résolution 1605 (XVème Session qui a fixé le nouveau mandat de la Commission des Nations Unies pour le Ruanda-Urundi), il est clair qu’elle l’a fait en pleine connaissance de la situation politique qui régnait dans le Territoire…

Au Rwanda existait une situation politique que la Commission avait qualifiée de « nettement inquiétante ». En effet, le PAR-MEHUTU venait de consolider sa suprématie politique absolue par un coup d’Etat qui, tout en étant l’aboutissement de sa lutte pour le pouvoir commencée en octobre 1959, venait d’éliminer les partis d’opposition de la scène politique et proclamait la fin du régime monarchiste. Ce coup d’Etat dont les circonstances ont été décrites par la Commission dans son Rapport intérimaire et qui constituait bel et bien un défi aux Nations

Unies, avait aussitôt joui du soutien de l’Administration de tutelle qui n’avait pas par ailleurs été tout à fait étrangère à sa réalisation. Dans l’ensemble, la Tutelle se montrait dépassée par les événements qu’elle expliquait en grande partie par la réaction populaire devant ce qu’elle appelait les ingérences des Nations Unies dans les affaires intérieures du Territoire (Rapport no 430, 432, p. 138) Pour mettre en lumière toutes les nuances, il faudrait transcrire tout ce long texte des conclusions, — chose impossible — afin de mieux situer l’avis personnelle suivant de M. Dorsinville :

« L’Ambassadeur Dorsinville, Président de la Commission, estime à titre personnel, qu’une attitude positive à l’égard des élections ne manquerait pas d’apporter, au Burundi et au Rwanda, un élément de stabilité dont la population des deux pays bénéficieraient directement. — Certes, préalablement aux élections, une atmosphère a régné qui n’était pas exactement celle que l’Assemblée Générale des Nations Unies envisageait,… — Toutefois, il (Dorsinville) estime qu’il serait dans l’intérêt supérieur des populations du Burundi et du Rwanda d’accepter le fait de ces élections pour pouvoir donner à ces peuples la légitimité nécessaire pour leur accession à l’indépendance » (ibd. no 467, 469, p. 146).

On ne saurait mieux, en termes à peine voilés, inviter l’O.N.U. à faire contre mauvaise fortune bon coeur, en acceptant le fait accompli que les promoteurs, — indiqués sans ambiguïté, — et les acteurs du coup d’Etat de Gitarama avaient progressivement tissé pour mettre efficacement en échec les intrusions indiscrètes de l’organisation internationale, en laquelle les monarchistes avaient placé toute leur confiance. Le fait politique irréversible se révélait ainsi plus fort que toutes les Nations du monde juridiquement additionnées.