Batutsi et Bahima.

A. Caractéristiques somatiques et culturelles.

Au Ruanda-Urundi, on donne le nom de Batutsi non seulement eu égard à l’origine raciale mais à tous ceux qui participent au commandement du pays ainsi qu’à leur famille. En principe, ils sont de souche muhima ; toutefois beaucoup d’entre eux sont des Bahutu, voire des Batwa anoblis, ayant épousé des femmes batutsi ou bahima. Par anoblissement, un Muhutu, un Mutwa peuvent devenir Batutsi, jamais on ne dira qu’ils sont devenus Bahima, seul ce terme renferme donc un critérium racial. Dès lors, le vocable Mututsi indique plus une situation sociale qu’un caractère racique. Pour rechercher le sens du mot Batutsi, il convient de s’inspirer de la signification de son homologue Balusi employé à l’ouest du Graben par des populations également d’origine muhima chez lesquelles le « t », n’étant pas prononcé, est remplacé par « L » ou « R ». Au Kivu notamment, les Balusi sont les membres de la famille du mwami qui participent au commandement mais qui ne peuvent pas aspirer au titre de roi, ils constituent la classe dirigeante. Balusi est dérivé de kuluga : abonder, kuluza : faire abonder, kulusiza : enrichir. L’abbé KAGAME abonde dans le même sens lorsqu’il écrit au sujet du Ruanda : le roi n’est ni Mututsi, ni Muhutu, ni Mutwa ; il est Umwami . Pour Monseigneur GORJU , les Batutsi tirent leur nom du fait qu’ils auraient habité le Ntusi (Nord- Est du Nkole, en Uganda) ; sous la pression des nilotiques Bakedi, ils émigrèrent au Ruanda-Urundi. Cette explication soulève immé¬diatement une objection : habituellement, ce sont les clans qui donnent leur nom au pays qu’ils habitent et non l’inverse ; ainsi, en Urundi, le Bututsi tire son nom du fait qu’il est occupé par des éleveurs batutsi. Le nom générique doit être Bahima (Bahema, Bahouma, Bahinda, etc.), on retrouve les pasteurs sous cette dénomination dans toute la région comprise entre les lacs Albert, Édouard, Kivu, Tanganika, Victoria, Kiyoga et Kwanya. Ils occupent les pays du Ruanda, de l’Urundi, le Kisiba, l’Uhaya, le Nkole, l’Ufipa, le Bunyamwezi, le Toro, l’Uganda et l’Usoga ; on les retrouve encore chez les Walendu, les Alur, les Banade, et éparpillés au Kivu (Congo belge).

Au Ruanda-Urundi, on les estime à 10 % de la population, soit à environ 400.000 ; mais on ne possède aucun recensement valable à leur sujet, toute discrimination au point de vue racial avec les Bahutu s’avérant la plupart du temps impossible à faire eu égard au métissage qui s’est produit non seulement dans le pays mais encore avant l’immigration.

La moyenne de la taille est de 1,76 m au Ruanda et de 1,75 m en Urundi, tandis que l’indice céphalique est de 74,50 au Ruanda et de 72,88 en Urundi. Les « vrais » Batutsi sont de haute taille : 1,80m et plus, jusqu’à 2,10m parfois. Les femmes batutsi sont plus petites et atteintes de stéatopygie. Ils ont les membres fort allongés, ils sont dolichocéphales avec crâne bien souvent elliptique et occiput proéminent. Les lèvres sont rarement fines, le front est droit, le nez est souvent sémitique, sinon nettement arménoïde. Le teint est rarement clair inzobe ou cuivré ; au contraire, c’est dans la famille régnante des Banyiginya qu’on trouve les individus au teint le plus noir. Ils sont nettement nigritisés : teint noir, cheveux crépus, prognathisme évident et lèvreséversées. Ce métissage ne s’est évidemment pas produit seulement au Ruanda-Urundi, mais en Afrique, tout le long du parcours de leurs migrations au cours de millénaires.

Au point de vue matériel et culturel, hormis l’agriculture et les métiers qui manquent, leur civilisation est identique à celle des Bahutu : ils croient à l’existence de Dieu Imana à qui ils ne rendent cependant aucun culte ; par contre, ils vénèrent les esprits de leurs ancêtres et les esprits divinisés. Ils dépendent des Bahutu pour se procurer des armes, des instruments, de la maind’œuvre, des produits vivriers agricoles, la construction de leur hutte, en un mot pour tous les travaux manuels, car ils n ’en exécutent aucun : ainsi que le fait remarquer Baumann, en dehors de l’élevage, les pasteurs se montrèrent stériles pour tout ce qui touche à la civilisation (matérielle). Ils ignorent la circoncision, ils exécutent de légers tatouages de forme semi-lunaire. Ils sont essentiellement pasteurs. Les Batutsi sont sédentaires tandis que les Bahima pratiquent un semi-nomadisme.

Au point de vue culturel, ils affectionnent les aèdes, les troubadours et se complaisent dans les récits historiques, folkloriques et pastoraux qui constituent de véritables chefs-d’œuvre.

Au point de vue caractériel, ils sont intelligents, ambitieux, fiers, distants, mais polis, très maîtres d’eux-mêmes, ils ne se laissent jamais aller à la colère ni à la familiarité. Excessivement diplomates et retors, ils savent adopter une attitude magnanime, mais néanmoins dépourvue de scrupules et de pitié.

La succession est patrilinéaire. Ils étaient dotés d ’une forte organisation militaire. Les pays qu’ils occupent sont organisés politiquement sur la base d ’une monarchie de droit divin dont le chef porte le titre de mwami. La reine-mère possède une grande influence sur toutes les décisions prises par le mwami ; les reines n’en ont aucune.

L’emblème essentiel de la royauté est une série de tambours. A la cour, étaient centralisés l’institution des pages, une garde de bourreaux, une organisation de police secrète, la représentation des commandements du pays : des terres de culture, des terres de pacage et de l’armée, les détenteurs des codes ésotériques, les historiens, et au Ruanda, le chef du culte à l’esprit divinisé de RYANGOMBE. Ils pratiquent exclusivement l’élevage des bovins et celui des moutons à queue grasse ; les caprins et les suidés, exclus de leurs troupeaux, sont les animaux des agriculteurs. Ils méprisent l’agriculture. Les cultivateurs remettaient aux chefs et au mwami des tributs en travail et en vivres actuellement rachetés.

Ils ignorent complètement la représentation d ’êtres animés ou inanimés. Leurs morts principaux ne sont pas enterrés, mais déposés dans une hutte. Le cadavre du mwami reçoit une peau de taureau en guise de linceul puis il est desséché au-dessus d’un feu ; on agit de même à la mort de la reine-mère. Le mwami est censé se réincarner en léopard au Ruanda, en lion en Urundi. Les Bahima sont demeurés de purs pasteurs, tandis que les Batutsi ont pris en main le commandement politique du pays par le truchement de contrats synallagmatiques à base de gros bétail, de la conquête à main armée et, au début, par des mariages conclus avec les familles autochtones bahutu.

B. Nomenclature des clans batutsi.

i) Ruanda

Banyiginya (ils comprenaient le mwami, 276 chefs et sous-chefs en 1950), Batsobe (60), Bega (113), Bagesera-Bazirankende (41), Benengwe, Bagenda, Bagaruka, Babona, Babyibushye, Bashara, Bashambo (52), Bahondogo (50), Bega, Bakono (13), Baha (19), Balehejuru, Bakongori, Basita, Bashigatwa.
Les Banyiginya se subdivisent en de nombreux sous-clans : Basindi, Bakobga, Bagungu, Baturagara, Benemunyiga, Benenyabi karage, Benecyoba (ou cobo), Benemupfumpfu, Benenyamuhanzi, Benemugunga, Beneneza, Benecyambwe, Benerubondo, Benebwimba, Benegitore, Benemibambwe, Benegahindiro, Beneforongo, Banana, Benejuru, Banyabyinshi, Baganzu, Basagisenge, Bacumbi, Barimbi, Baka, Baya, Basigaye, Bareganshuro, Bapfizi, Bashamakokero, Basamanzi, Bakungu, Bahuku, Bashara, Bahana, Basharanbago, Badenge, Bamahe, Bikore, Bazenga, Balinyonza, Banyensina, Bamanuka, Bahebera, Barabyo, Banyamushanya, Bahindiro, Bakusi, Babika, Babamburamanzi, Batijima, Banyirindekwe, Banyamashara, Benerugega, Bogera.

Les Bega se subdivisent également en plusieurs sous-clans: Bagaga, Batezintare, Bavu, Bamari, Batana, Bahenda, Baswere, Bakagara, Barigo, Bayereka, Bayange, Bagagi, Bapfumu, Badaha, Bagogwe, Batali, Batale, Benerwamba.

Anoblis : Bazigaba (32), Basinga (32), Bahenyi, Baligira, Bagwabiro, Baskyete (5), Bacyaba (21), BazigabaBaheka, Basinga-banukamishyo, Bazigaba-Barenzi, Basinga-Bagahe, Babanda (5), Bashingo (4), Bongera, Batutsi d’origine étrangère : Bungura, Batsibura, Bashigatwa, Bashi.

ii) URUNDI

Batutsi de descendance royale : Bakundo, Bavubikiro, Baruma, Bavuna, Bataga, Bashoka, Basine, Basenge, Bambutsa, Batare, Bezi. Batutsi banyarugum : Banyakarama, Benengwe, Banyakisaka, Bahondogo, Bahima, Bagwiza, Babanda, Bashoma, Banyarwanda, Basafu, Bega, Bakono, Banyabugufi, Benemagabe, Bagega, Badara, Bahigwa, Baterwa, Batsindagire, Batsinga, Baha, Benerwamba, Banyaryera, Bagani, Bongera, Banyarukiga, Banyacongera, Basamira, Basoro, Bajiji, Baheka.
Bahima : Baramuka, Basambo, Bahinda, Bitira, Bayanza, Basigi, Basaragu, Banyakarama, Barembe ou Baziragihako, Basitacere ou Bokwanurubwakari, Bashingo, Bahenyi, Bartyaba, Basizi, Bagara, Bageshankazi, Badara, Bazigaba, Bavejuru, Bafumfu.

C. Origines éloignées des Batutsi et des Bahima.

i) Gé n é r a l i t é s.

STANLEY écrivait déjà, en 1890, en parlant de Bahima :
« The Wahuma are true descendants of the Semitic tribes, or communities, which emigrated from Asia across the Red Sea and settled on the coast, and in the uplands of Abyssinia, once known as Ethiopia », et il concluait:
« From this great centre more than a third of inhabitants of Inner Africa have had their origin ».

Si l’on remonte vers le nord, en suivant d’abord le rebord du plateau éthiopien, puis en se rapprochant peu à peu du Nil, on circonscrit le domaine des Éthiopiens proprement dits, intermédiaires entre les Blancs et les Nègres. Les Massai forment l’extrême avant-garde des Éthiopiens vers le Sud. Géographiquement et somatiquement, des avant-postes de la race éthiopienne sont de plus constitués à l’est par le groupe des Bahima au milieu des Nègres d’entre les lacs Victoria, Édouard et Kivu, à l’ouest par les îlots des Peuls disséminés du Chari au Sénégal. On retrouve des éléments éthiopiens chez lesCafres, Zoulous et Hottentots.

Le peuple dominant politiquement en Éthiopie, les Abyssins, a plus que ses voisins immédiats, une civilisation qui le sort des cycles nègres. Les langues éthiopiennes sont, les unes sémitiques, les autres chamitiques, c’est-à-dire qu’elles ne sont pas nègres. Enfin, même physiquement, un grand nombre d’Éthiopiens, par leurs traits, se rapprochent plus des Européens que des Nègres. Néanmoins, depuis les Bedjas à l’extrême nord, jusqu’aux Massaï et aux Bahima à l’extrême sud et jusqu’aux Peuls à l’extrême ouest, nous avons affaire à une formation mixte, en un mot négroïdo-europoïde à peau moyennement foncée, cheveux fortement frisés ou crépus mais moins que ceux du Nègre et jamais en grains de poivre, lèvres plus fortes que le Méditerranéen (qui lui les a légèrement plus fortes que les autres Europoïdes occidentaux), léger prognathisme, stature sur-moyenne (autour de 168 cm) et dolichocéphalie (76 cm sur le vivant) ; mais le nez est mésorrhinien ou sténorrhinien (leptorrhinien), la face allongée, les traits affinés au point, n’était la couleur de la peau, de donner souvent l’impression d’individus européens. La race éthiopienne, en Afrique, et la race dravidienne en Asie, paraissent être des produits de métissage du type méridional, moins différencié qu’aujourd’hui, avec des éléments divers du type septentrional. Somatiquement, ceux qu’on nomme les « Chamites » se répartissent entre les deux races éthiopienne et brune. La race brune s’étend des îles Canaries à l’île de Pâques ; elle est formée par les sous-races : ibéro-insulaire, berbère, arabe, indo-afghane, indonésienne, malaise, polynésienne.

Le type central du nord de l’Inde est l’Indo-Afghan. La majorité des auteurs en font une division raciale blanche indépendante, à mettre sur le même pied que l’Alpin ou le Méditérranéen. Il s’agit d’un type à stature élevée, c’est le type le plus grand de l’Inde, mais pas de façon uniforme, certains groupes offrent une moyenne de 175 cm, tandis que d ’autres sont à peine en dessous de la moyenne : 166 cm. D’où vient la haute stature de ce qu’on appela la sous-race indo-afghane de la race brune ? S’agit-il d’un reliquat protonordique, le plus méridional et le plus ancien ? Ou d’un effet de self-domestication ? Car, chez les Indo-afghans, la couleur des yeux et des cheveux n ’est jamais claire. Anthropologiquement et géographiquement, les Indo-afghans sont réunis aux Arabes, aux Berbères et aux Ibéro-insulaires par des flots d’un type qui a été appelé « irano-méditerranéen » et qui est épars entre l’Afghanistan et la Méditerranée. L’indice céphalique est de 72-74 chez l’Indo-afghan (*). On admet généralement que le berceau d ’origine des « Chamites » se trouve en Asie, peut-être dans l’Arabie du sud ou plus à l’est (2). Comme nous le verrons plus loin, nombre d’auteurs n ’admettent pas que les Asiatiques immigrés en Éthiopie furent des « Chamites », mais bien des Sémites ; c’est à leur opinion que nous nous arrêterons.

Comme le fait très justement remarquer DE PEDRALS à propos des pasteurs nomades d’Afrique tels les Massai et les Touaregs d ’une part, et les agriculteurs tels les Égyptiens et les Berbères d ’autre part, on les a réunis sous l’épithète commode, mais inconsistante, de « Chamites ».

La plus belle confusion règne dans l’emploi de ce terme. Pour les uns, tels SELIGMAN et BAUMANN, les pasteurs d’Afrique sont tous des « Chamites » (ou Hamites) ; d’autres les intitulent Sémites. Ces divergences d’opinion proviennent du fait que les termes Chamite et Sémite n’ont pas reçu une définition précise préalablement à leur emploi.

Au point de vue linguistique, SELIGMAN nous avertit que Chamites et Sémites ont, pour lui, une origine commune. Un examen attentif de la carte linguistique d’Afrique dressée par cet auteur nous montre en effet que les langues chamitiques et sémitiques sont imbriquées les unes dans les autres. Les langues chamitiques sont à flexions, les noms ont un genre grammatical selon le sexe, le nombre et le cas étant exprimés par des suffixes ; les verbes sont conjugués au moyen de préfixes et de suffixes et présentent un certain nombre de formes dérivées. Les langues sémitiques ressemblent à tel point aux langues chamitiques qu’il n’y a pas de doute qu’elles sont apparentées de façon proche, mais elles diffèrent en ceci que les sémitiques ont des racines trilittères : la racine d’un verbe consiste normalement en trois consonnes.

Pour l’égyptologue REINISCH, Sémites et Chamites sont également issus d’une souche commune. Pour MONTANDON, le terme Chamite devrait être réservé uniquement au domaine linguistique.

ASIRELLI signale qu’à l’exemple de WOLFEL, on commença à douter de l’opportunité d ’employer le terme chamite, ajoutant que BEGUINOT tient, au point de vue linguistique, le hamitique pour du sémitique corrompu.

BAUMANN estime également que les expressions « Chamite » et « Chamitique » doivent être réservées à la terminologie linguistique.

BEDRICH donne le Caucase comme origine supposée et commune aux Chamites et aux Sémites. Il réserve la terminologie de Chamite à l’Afrique du Nord et à l’Égypte, tandis qu’il considère les Éthiopiens comme des Sémites débarqués en Afrique par le détroit de Babel-Mandeb et venus de l’Arabie du Sud.
Il semble intéressant d ’essayer de dégager la signification primitive des termes Chamites et Sémites.

ii) Chamites et Sémites.

CHAM, SEM et JAPHET nous sont présentés par la Bible comme étant des fils de NOË. Ils sont frères, partant, si une mutation s’était produite entre le père et l’un des fils au point que celui-ci serait devenu noir, la Bible n ’aurait pas manqué de nous rapporter cet événement extraordinaire. Or, elle ignore les Jaunes et les Nègres. Moïse n’a pas connu la race nègre et n ’a parlé que de la race blanche. L’horizon géographique des écrivains bibliques allait de la mer Noire au nord jusqu’à l’Éthiopie au sud ; de la Médie et de l’Élam à l’est jusqu’à la Grèce à l’ouest. Les peuples vivant en dehors de cette périphérie étaient ignorés.
Les rapports ethnographiques et géographiques réels ou supposés tels, sont représentés, par les écrivains bibliques, de père à fils ; les noms des peuples et des tribus sont devenus ceux de leurs ancêtres. Nous sommes familiarisés, au Ruanda, avec cette façon sémitique de donner des ancêtres éponymes à certaines régions, ancêtres relevant tous d ’un patriarche commun : le mwami mythique Gihanga aurait eu un fils Kanyarwanda créateur du Ruanda, Kanyagisaka créateur du Gisaka, Kagesera pour le Bugesera, Karundi pour l’Urundi, Kanyandorwa pour le Ndorwa, Kanyabungo pour l’Unyabungo, etc.

Chamites.

CHAM, tant pour le prêtre VIGOUROUX que pour le Grand rabbin HERTZ, est le nom de l’Égypte, eu égard au fait que les Égyptiens intitulaient leur pays KEMI: terre noire. C’est d’ailleurs sous le nom de Cham que l’Égypte se trouve désignée dans les Psaumes (LXXVII-51; CIV-23, 27 ; CV-22). Les vrais Chamites, à l’origine, sont donc uniquement les habitants de cette terre noire qu’était l’Égypte. Il est dès lors inutile de trouver dans ce terme une allusion à la couleur du visage et encore moins à la couleur d’autres races. Et CHAINE conclut, plein d’à-propos, que la tradition vulgaire qui fait de CHAM le père de la race noire, n ’est nulle part enseignée dans la Bible.

La Genèse (X) a rattaché à CHAM dans un but de différenciation religieuse, des pays païens, en faisant ses fils non point matériels, mais moraux, il s’agit de :

1° MISRAIM (MISTRAIM) ou MISRI qui était le terme assyrien désignant l’Égypte et qui est encore employé à l’heure actuelle par les Arabes ;

2° KUS (CUSH, KOUCH ou KASH), c’est-à-dire en principe, tous les peuples arabes et l’Éthiopie. KUS donne son nom à tout le sud du foyer primitif de sa race soit le Khuzistan (terre Kush) ou Perse Susiane, l’Inde (d’où les Monts Indo-Kouch). Il convient de noter ici que la Genèse (II, 13), dans sa description du jardin d ’Éden, situe d’abord le pays de Kouch à proximité immédiate du Tigre, c’est-à-dire en Mésopotamie ; plus loin, NEMROD, fils de KUS est censé avoir fondé le pays en question (Gen. X). Certains y ont vu une confusion avec les Cassites ; de fait, ceux-ci dominèrent la Chaldée durant plusieurs siècles, pays occupé à l’origine par un peuple non sémite : les Sumériens. Pour VANDER KERKEN, les Kouchites sont des protosémites.

Pour ASIRELLII, Kus qui nous intéresse tout spécialement en sa qualité d’ancêtre éponyme des Proto-abyssins, se rapporte à Kas ou Kis du dravidien, signifiant feu. On retrouve cette racine en kinyarwanda : tuku (rouge). Kush signifie encore sorgho à présent aux Indes. Pour ASIRELLI, Kus tel qu’il apparaît dans l’ancien testament correspond probablement aux hiéroglyphes des Égyptiens Ko(sh), Ka(sh) ou Ki(sh).

Il peut donc être tenu pour un fait acquis que les Protoabyssins furent des colons de race indo-européenne, venus d ’Asie et non des Égyptiens. Hérodote, dans sa carte datant de 450 avant J.-C., situe les Éthiopiens orientaux chez les Perses, et la mer Érythrée au sud de leur pays. Le même historien, à propos de la description de l’armée de XERXES, distingue déjà les Éthiopiens orientaux qui ont des cheveux droits, des Éthiopiens occidentaux qui ont les cheveux plus crépus que ceux de tous les autres hommes, un métissage s’était déjà opéré entre Kouchites et Nègres autochtones. Les Éthiopiens-Kouchites sont des Sémites pour CHAINE;

3° PUT (ou PHUTH ), c’est le PUNT des Égyptiens, la côte des Somalis où ils recrutaient leurs archers mercenaires. C’est par suite d ’une erreur des Septante et de la Vulgate que PUT a été traduit par Libye. Chez les Égyptiens, dès la fin du 3e millénaire, on employait le substantif Pouna pour désigner les habitants du pays du même nom, d ’où le terme Pount. Les Égyptiens s’y rendaient pour recueillir l’encens et la myrrhe en face d ’Aden. Le roi RASANKHAKA y lança une expédition afin de se procurer ces précieux produits. SALOMON effectua des voyages à Ophir dans le même but. Donc conclut ASIRELLI, les Pouna habitaient en Afrique et en Asie, de part et d ’autre de la mer Rouge qui tient son nom de leur couleur. En effet, le teint des Pouna était rouge, c’est ainsi qu’ils se trouvent représentés d ’ordinaire sur les monuments égyptiens, en hommes rouges: Éru(th)raïoi ;

4° CANAAN, c’est-à-dire la Palestine et la Phénicie, donc des pays sémites. CANAAN et MISRAIM sont donnés comme frères vu leur union politique à certain moment de la XIXe dynastie.

On pourrait en dire autant des Kouchites d ’Afrique et des Pouna qui tout à tour furent dominés par les Égyptiens.
Les Chamites précédèrent les enfants de SEM dans la civilisation. Les plus anciens empires furent fondés par eux : Babylone, Égypte. Ils inventèrent l’écriture, s’adonnèrent au commerce et à l’industrie. Le génie inventif des enfants de CHAM et leurs heureuses aptitudes se manifestèrent partout. On leur doit notamment les monuments d ’Égypte, de Phénicie et de Babylonie.

Ils mettaient leurs forces au service d’une civilisation toute matérielle au sein de laquelle régnait le plus grand désordre moral. Les Chamites seraient donc, au sens de la Bible, des peuples de races différentes : Protosémites Kouchites, Sémites, Pouna et Chamites proprement dits, rassemblés sous une étiquette commune, eu égard d’une part au caractère païen de leur civilisation conjuguant l’idôlatrie, le polythéisme, la perversité et la superstition à un caractère profondément matérialiste, et d’autre part à la vie sédentaire essentiellement agricole qu’ils menaient, enfin eu égard à une certaine unité politique qui exista parfois entre eux.

Créer, dans ces conditions, une race humaine au sens étendu, de « Chamites », apparaît aussi erroné que si l’on avait, quelques siècles plus tard, intitulé une race de « Gentils », terme qui pour les Hébreux désignait les étrangers, et les païens pour les chrétiens.

Sémites.

Selon la Genèse (X, 21-31), les fils de SEM furent les ancêtres éponymes HEBER, ÉLAM, ASSUR, ARPACSCHAD, LUD et ARAM.

1° HEBER est le patriarche des Hébreux ; son nom signifie « au-delà » (s. e. du fleuve Euphrate) et désigne tout le pays de Haran et d ’Ur ;
2° ÉLAM désigne un peuple situé à l’est de la Chaldée mais toutefois non sémitique ;
3° LUD a été identifié à la Lydie non sémitique qui, située sur la voie des caravanes allant vers la mer Égée, entretenait des rapports avec la Chaldée sémitique ;
4° ASSUR, ARAM et ARPACSCHAD sont bien des Sémites asiatiques : Assur est célèbre, Aram représente les Araméens de Syrie et de Haute-Mésopotamie, tandis que Arpacschad, un des ancêtres d ’Abraham, désigne probablement la Chaldée.

Le terme « Sémite » fut employé pour la première fois, sur la base de la liste des peuples de la Genèse, par A. SCHLOZER dans Eichhorns Repertorium (Vol. III, Leipzig, 1781, p. 161), en qualité de nom collectif pour désigner les Hébreux, les Araméens, les Arabes et les Abyssins eu égard à leur affinité linguistique.

Les véritables Sémites dont nous parle la Bible, préou protomosaïques, à l’opposé des Chamites, étaient foncièrement monothéistes, ils connaissaient la vie austère des déserts, ne pratiquaient aucune représentation d’êtres ou de choses, aucun art plastique, ils professaient un véritable mépris à l’égard des agriculteurs et des matérialistes.

Les Sémites essaimèrent dans le monde entier : en Asie ce sont les Juifs, les Hébreux, les Syriens et les Arabes ; en Afrique ce sont les Arabes, les Juifs, les Fallachas (Juifs noirs d ’Éthiopie), les Éthiopiens plus ou moins nigritisés ; on trouve des Juifs installés dans les autres parties du monde. LAKHOVSKY nous montre les Juifs blancs en Europe, jaunes en Chine, noirs en Afrique et en Amérique ; tous se sont assez bien adaptés au type racial de leur patrie d ’adoption.

Conclusion.
Ainsi que nous l’avons déjà fait remarquer au sujet des Chamites, la Bible a commis certaines confusions raciales ; parmi les plus importantes, signalons :
1° CANAAN et KOUCH nous sont présentés comme frères du Chamite Misraim (l’Égypte), alors que la Palestine et l’Éthiopie étaient déjà, racialement parlant, sémitiques ;

2° Des pays, tels que I ’ÉLAM et LUD, sont présentés comme sémitiques alors qu’ils ne l’étaient point

3° D’une part la Genèse (X,7) nous apprend que les pays de l’Arabie du sud désignés sous les noms de Seba et de Havila sont des descendants de Cham ; plus loin (Gen. X, 28), qu’ils sont sémitiques. Cette dernière version est toutefois la plus ancienne, elle provient d ’une source « Y », employant le nom de YAHVE pour désigner Dieu (IX e s. av. J.-C.), tandis que la première version tire son origine de «Priester Codex » (550 ou 450 av. J.-C.) qui considéra vraisemblablement les pays en question comme n ’étant plus sémitiques à l’époque de la rédaction subséquente.

Il semble donc établi que la Bible en désignant certains pays sous des noms de fils de Cham ou de Sem notamment, n’a pas eu en vue de définir ni de consacrer des unités raciales mais plutôt des unités culturelles, voire politiques. A ce point de vue, on ne peut qu’abonder dans le sens du Dr LEFROU pour qui, Chamite et son homologue Sémite sont deux termes d’origine religieuse comportant une distinction d’ordre religieux et se rapportant à une région plus ou moins bien délimitée. Chamites et Sémites se sont métissés entre eux : Abraham eut une femme chamite : l’Égyptienne Agar qui lui donna son fils Ismaël (Gen. XXV, 12). Le royaume de la reine de Seba (appelé plus tard Saba) ne se trouvait pas en Éthiopie à l’origine, mais en Arabie du sud ; cette reine, après sa visite au roi Salomon (I Rois, X) aurait eu un fils, Ménélik , premier roi d ’Éthiopie. Ainsi peut également s’expliquer le fait que les pasteurs sémites nomades se sont nigritisés au fur et à mesure qu’ils pénétraient au cœur du continent africain comme les Arabes le font tous les jours ici sous nos yeux.

Nous retiendrons tout spécialement au profit des Batutsi et des Bahima, qui nous occupent et qui émigrèrent d’Éthiopie vers les grands lacs centro-africains, que les Arabes du sud constituent une couche sémitique ayant reflué de Syrie, qu’ils se partagent à l’heure actuelle en Sabéens, en Minéens et en Éthiopiens, ces derniers ayant émigré d’Arabie méridionale en Abyssinie, et que là ces Sémites se mélangèrent dans une assez grande mesure à la population indigène dont nous avons vu que les immigrants de la première heure étaient des Kouchites asiatiques.