L’Occupation Humaine Du Ruanda-Urundi (Partie IV)
iii) Batutsi et Bahima sont-ils des Égyptiens émigrés ?
Les Batutsi sont-ils des Égyptiens, comme le prétendent certains auteurs locaux ? Remarquons qu’il ne suffit pas en ethnographie et en anthropologie d’un indice ou de quelques indices pour mettre un nom sur l’origine probable d’une race : ressemblance ne signifie pas souche commune, et encore moins identité, les thèses doivent être rigoureusement étayées par un volumineux faisceau de preuves indiscutables. Le fait, dans le cas qui nous occupe, que les anciens Égyptiens possédaient du bétail à longues cornes dès leur entrée dans l’histoire ne prouve nullement en soi que des pasteurs nomades l’aient introduit en Égypte : les Égyptiens ont très bien pu domestiquer eux-mêmes le « Bos primigenius », à moins qu’ils ne soient allés le chercher en Assyrie ou aux alentours où le même type existait. Le bœuf égyptien possédait un dos longiline tandis que celui des Batutsi comporte une bosse cervicale rappelant celle du type zébu.
Le fait que le profil de la tête d ’un Mututsi ressemble parfois à celui d ’une momie égyptienne ne prouve rien en soi, il convient d’envisager la somatique entière. Il ne suffit pas qu’une coutume ou l’autre ressemble de près ou de loin à celles des anciens Égyptiens, il faut une identité de civilisation. Relever des traces de dessins de bovins à longues cornes le long de la vallée du Nil et en déduire que les Batutsi y passèrent, est un argument qui se détruit de lui-même, attendu que la plus stricte interdiction d’exécuter des représentations graphiques pèse sur la race envisagée. La sculpture d’un homme rouge poussant devant lui un bovin aux longues cornes ne permet pas de conclure à quoi que ce soit tant que l’origine et la résidence de cet homme rouge n ’ont pas été élucidées.
On ne retrouve guère de trace de la civilisation des Batutsi-Bahima ni dans la préhistoire ni dans la protohistoire de l’Égypte. Dans ce pays, au Néolithique, la taille des hommes était de 1,665 m, celle des femmes de 1,548 m, l’indice céphalique était de 71,9 chez l’homme et de 71,2 chez la femme ; leur face était courte et étroite tandis que celle des Batutsi-Bahima est toujours fortement allongée : leur indice céphalique moyen est de 74,50 au Ruanda et de 72,88 en Urundi, leur taille oscille vers 1,76 m, ils dépassent parfois 2 m.
SELIGMAN nous confirme que les Égyptiens de l’époque prédynastique appartenaient à un groupe de stature petite, aux cheveux et aux yeux foncés, tels qu’il s’en trouve sur les deux rives de la Méditerranée, leur taille était de 1,63 m ; ils étaient agriculteurs, potiers, élevaient des chèvres et péchaient à l’aide d ’un harpon de cuivre. La population changea à partir de l’époque dynastique et présenta un physique plus massif, un crâne et une face plus larges, des mâchoires plus lourdes. Ce dernier type se retrouve chez les Fellahs d ’aujourd’hui dont la stature est de 1,62 m et l’indice céphalique de 75. Les Beni Amer sont les représentants modernes du type égyptien prédynastique : taille : 1,64 m et indice céphalique : 74.
Le repas constaté par ELIOTT-SMITH dans l’estomac des morts de la Basse-Nubie et du sud de la Haute-Égypte, se composait notamment de poisson Tilapia nilotica et de divers mammifères dont la souris, l’alimentation carnée des Batutsi ne comporte que la viande de vache. Les anciens Égyptiens ignoraient le totémisme, VAN GENNEP n ’en trouva aucune trace, mais il constata en Égypte des pratiques en opposition absolue avec celles du totémisme, par exemple l’endogamie : les rois égyptiens et leurs sujets épousaient fréquemment leur sœur. Cette inexistence de l’organisation totémique chez les Égyptiens nous est confirmée par PIRENNE. L’organisation des Batutsi est totémique.
Les Égyptiens pratiquaient la circoncision : dans une tombe du 3e millénaire, à Saqqarah, l’ancienne Memphis, un bas-relief représentait une scène de circoncision. D ’après HERODOTE, les Phéniciens et les Syriens de Palestine, parmi lesquels il faut compter les Hébreux, auraient reçu des Égyptiens la pratique de la circoncision. L ’existence de ce rite chez les Africains et son absence chez les Assyro-Babyloniens inclinent plusieurs savants à admettre son origine africaine. Les Batutsi ne pratiquent pas la circoncision.
Les anciens Égyptiens, s’ils effectuaient l’élevage du gros bétail, appréciaient par contre les caprins : NARMAR, le premier roi de la 1èredynastie Manéthonienne, rapporta un butin de 1.200.000 chèvres de sa victoire de Narmer sur le Delta. Les Batutsi n ’élèvent pas les chèvres qui ne sont d ’ailleurs jamais admises dans leurs troupeaux.
Dans les tombes néolithiques comme dans les tombes prédynastiques et protodynastiques, le cadavre est constamment placé dans l’attitude dite accroupie ou embryonnaire : bras et jambes repliés comme les membres d ’un fœtus. Le cadavre des Batutsi était ordinairement exposé en plein air où il était dévoré par les hyènes, tandis que ceux du roi et de la reine mère étaient déposés dans une peau de taureau puis dans une hutte où ils étaient desséchés par un feu lent. Chez les Égyptiens, le corps du mort était souvent enseveli dans une peau de chèvre. Les Batutsi ont cet animal en horreur.
Les Égyptiens fabriquaient des charmes destinés à la magie : pendeloques et amulettes ayant des formes géométriques ou d’animaux : lion, hippopotame, singe, vautour, scorpion, poisson, scarabée, mouche, etc. Pareilles représentations n’existent jamais chez les Batutsi.
Enfin, les Égyptiens des époques dynastiques disposaient d’une civilisation nettement supérieure qui ne laisse de faire notre admiration et que n ’atteignent en aucun point les pasteurs qui nous occupent : agriculture, écriture, état-civil, justice, mathématiques, recensement, industrie de l’or, du bronze, du fer, du bois, la construction des monuments, des pyramides et des sphinx, sculpture, statuaire, peinture, marine, calendrier, système décimal, chars de combat, etc.
Il n’est pas possible de trouver l’origine des Batutsi parmi les Égyptiens pré- et protohistoriques. En conclusion, ils ne font pas partie de la race euro-africaine qu’on estimait contemporaine du grand rameau négroïde et brachycéphale de Cro-Magnon à laquelle se rattachent les Chamites septentrionaux, agriculteurs sédentaires. L’on n ’aperçoit même pas ce que les pasteurs nomades d’Afrique, s’ils eussent transité par l’Égypte, auraient bien pu emprunter à la culture de ce pays. En conséquence, il y a lieu de rechercher leur arrivée sur le continent africain, soit dans l’histoire de l’Égypte soit dans des immigrations effectuées, en provenance d’Arabie, au travers de la mer Rouge.