Éducation et savoir-vivre (Ikinyabupfura).

Le Ruanda précolonial connaissait une centralisation, à la cour du mwami, de l’éducation des jeunes gens batutsi de bonne famille, fils de chefs et de notables. C’était l’élite ou intore (de gutora : choisir), pages gravitant autour du roi durant plusieurs années. Ils apprenaient à se familiariser avec les coutumes politiques, juridiques et littéraires du pays, les différents rouages administratifs et militaires ; ils recevaient en outre une éducation morale consistant à acquérir la maîtrise de soi, physique et guerrière : danse, saut en hauteur, tir à l’arc, lancement de la javeline. C’est de leurs rangs que sortirent les notables les plus braves et les plus dévoués de l’ancien régime. L’institution des intore s’est dissoute sous l’occupation européenne, eu égard à la dépravation des mœurs qui y régnait et à l’inutilité d’une éducation militaire. Après l’investiture de Mutara-Rudahigwa, quelques corps de ballet firent leur apparition timidement dans le pays, ne se réunissant qu’à de longs intervalles.

L’éducation des enfants constitue la tâche essentielle de la mère. L’abbé Kagame souligne, à juste titre, la différence d’éducation qui existe entre des enfants élevés par une gouvernante, cas assez courant chez les grands Batutsi, et ceux dont la mère s’est personnellement occupée. Celle-ci leur enseigne les mœurs, les coutumes, le savoir-vivre ; elle veille, avec son sens inné du conservatisme, à l’observance des croyances relatives à la magie, à la superstition et à la divination. Le rôle du père dans cette œuvre d’éducation demeure très effacé, de plus il ne s’occupe pas des filles. Aussi on n’insistera jamais assez, si l’on veut que la société indigène évolue dans le sens de nos idées civilisatrices, sur l’importance déterminante des œuvres d’enseignement scolaires et parascolaires destinées à la formation de la femme autochtone, car elle constitue le pivot de la société indigène. Les parents veillent, et ce plus spécialement chez les Batutsi, à ce que leurs enfants demeurent toujours calmes et conservent la maîtrise d’eux-mêmes dans toutes les circonstances de la vie. Les enfants doivent se tenir propres et se garder de prononcer des paroles déplacées.

On leur apprend à s’occuper des visiteurs avec attention et à faire leur cour. C’est ainsi que tout jeunes, des garçons sont déjà envoyés par leur père chez le patron vacher pour lui tenir compagnie, d’où le dicton : « Inyana ni iya mweru », que nous pourrions traduire par « Tel père, tel fils ».

Une éducation qui se passe en partie dans la servilité n’a pas manqué de laisser son empreinte dans la structure psychologique locale, ainsi est-il d’usage, dans ce pays, de toujours répondre par l’affirmative aux questions posées par celui qui commande, même si l’on est bien décidé à ne pas exécuter ce qu’il ordonne. Il faut voir dans cette attitude paradoxale, la marque héréditaire de l’impossibilité absolue de refuser quoi que ce soit à son maître qui pesait sur le client, sous peine de spoliation des biens. C’est ce qu’on appela l’assentiment de politesse, en faisant remarquer qu’il est rare que le primitif ne cherche à plaire à son interlocuteur en disant comme lui.

Les enfants doivent aider leurs parents. Si son père possède des vaches, le garçon se lèvera de bonne heure afin d’écarter les bois obturant l’entrée de l’enclos où sont enfermées les bêtes, il enlève leurs tiques, les trait et les mène aux pâturages. Si ses parents sont agriculteurs, il se rendra aux champs avec eux. La fille doit se lever très tôt également, mettre de l’ordre à l’intérieur de la hutte, laver les pots à lait et les ustensiles de cuisine, allumer le foyer pastoral dans le kraal, tenir les veaux durant la traite, enlever les bouses de l’enclos, le balayer, enfin elle se lave et tresse des paniers lorsqu’elle n’est pas retenue par sa mère pour l’aider à l’une ou l’autre besogne ménagère, ou au travail des champs.

Les enfants sont éduqués dans le respect des ancêtres et en manière telle qu’ils s’aiment les uns les autres et s’entr’aident constamment. Les parents veillent à ce que les plus jeunes respectent leurs aînés tandis que ceux-ci doivent les surveiller. On enseigne aux enfants à éviter la jalousie, la haine, la calomnie, la gourmandise et l’égoïsme, on les instigue sans cesse à partager ce qu’ils possèdent. Ils doivent respecter les serviteurs de la maison et leur répondre avec déférence lorsqu’ils sont interpellés par eux. Les enfants aident fréquemment leur mère à porter leurs puînés, à les bercer et à les nourrir. Les parents punissent rarement leurs enfants, mais lorsqu’ils le font, ils s’emportent parfois jusqu’à ne plus connaître de bornes, c’est ainsi que durant la famine de 1943-1944, des pères Bahutu brûlèrent jusqu’à l’os les mains et les avant-bras de leurs enfants qui étaient allés marauder quelques patates douces.

Les règles concernant la politesse forment un code des plus touffus, car elles comportent les milliers de rites d’obligation et les gestes interdits régis par les tabous. Étant donné que nous avons étudié ailleurs ces particularités du comportement individuel, nous nous en tiendrons ici plus spécialement à l’examen des marques extérieures de respect et de civilité. Un dicton dit que : « Celui qui n’observe pas les conventions d’usage, risque de blesser ses meilleurs amis» (Utazi indagano y’iminsi yiteranya n’inshuti). Ce sont surtout les Batutsi qui excellent à faire étalage de bonnes manières allant jusqu’à l’obséquiosité et à la flatterie non dissimulées. Certains chefs sont réellement imposants par leurs nobles allures ainsi que par leur maintien excessivement correct et distant, ne tombant jamais dans la familiarité. Les Batutsi demeurent toujours calmes et impassibles, ils ne cèdent ni à l’emportement ni à la colère, ils ne prononcent pas d’insultes et ne supportent pas que des observations d’ordre personnel soient faites en public. Ils continuent à se montrer courtois extérieurement et parfois prévenants avec ceux qu’ils détestent cependant du fond du cœur. On pourrait dire d’eux avec La Bruyère : «Un homme qui sait la cour est maître de ses gestes, de ses yeux, de son visage. Il est profond, impénétrable, il dissimule les mauvais offices, sourit à ses ennemis, contraint son humeur, déguise ses passions, dément son cœur, parle, agit contre son sentiment » et cet auteur ajoute : « Tout ce grand raffinement n’est que le vice que l’on nomme fausseté». Les dames Batutsi montrent autant de politesse que leur mari mais d’une façon tout empreinte de timidité et d’effacement conventionnels. Les Bahutu sont frustes dans leur comportement social, ils sont plus francs et plus directs ; tandis que les Batwa, bien que souvent timides, en arrivent parfois à un degré de familiarité tel qu’ils se montrent arrogants et insultent ouvertement leurs supérieurs. L’insulte est également fréquente chez les Bahutu ainsi que les plaisanteries les plus grossières.

En Urundi, c’est au supérieur qu’il incombe de saluer le premier, on sollicite son salut (gusaba bwakeye) en s’approchant de lui. Toutefois en 1928 déjà, l’on constatait que cette coutume était moins universelle depuis l’arrivée des Européens. Au Ruanda, c’est à l’inférieur qu’il incombe d’adresser le salut le premier.

Entre connaissances, on se salue (kuramukanya) sérieusement, avec une cordialité bien souvent de mise, et avec un accent que l’on voudrait sincère et affectueux. Les salutations ordinaires sont basées sur les faits les plus courants de la vie : kurara : passer la nuit, d ’où « Mwaraye neza, n ’amahoro ? » : « Avez-vous passé une bonne nuit, paisiblement ? » et l’on répond par les mêmes mots, en ajoutant : « Namwe » : « E t vous aussi ? » kuramuka : se lever le matin, voir la lumière du jour, d’où les formules : « Mwaramutse neza, n ’amahoro ? » ; ugucya : faire jour, ce qui donne le salut tant usité en Urundi : « Bwakeye ? « Bonjour » ; kwirirwa : passer l’après-midi après avoir achevé le travail, ce verbe fournit, à partir de midi, l’une des formules suivantes : « Mwiriwe, mwiriweho ? » ; gukoma :être bien portant, fort, donne : « Murakoma neza ? » r « Allez-vous bien ? » ; amahoro : paix, santé, félicité s’ajoute fréquemment au salut, à moins qu’il ne soit em ployé seul : « Iwanyu ou imuhira ni amahoro ? » : « Est-ce que chez vous tout va bien ? » ; kubyuka : se lever : « Wabyutse n’amahoro ? » : « Vous êtes-vous levé en paix ? » Il est fréquent chez les catholiques, de se saluer par les m ots : « Yezu akuzwe » (que Jésus soit béni), à quoi l’on répond « Iteka » (toujours) ou « Amina » (Amen).

Le salut dû au mwami du Ruanda et à la reine-mère (umugabe-kazi) ainsi qu’au tambour-enseigne Karinga, est spécial : on claque discrètement les mains trois fois l’une contre l’autre, en employant les formules habituelles mises au pluriel majestatif : « Mwaramutseho, muriho, mwiriweho ? » Le mwami ou la reine-mère répondent en tutoyant leur interlocuteur. On ne salue pas ces hauts personnages durant la nuit en claquant des mains. La femme du roi (umwami-kazi) n’a pas droit au claquement des mains, par contre elle doit ce salut à la reinemère. Le mwami et sa mère, pour se saluer, ne claquent pas des mains, ils s’embrassent à la manière habituelle. Les enfants adultes, les frères, sœurs, oncles, tantes et cousins du mwami ou de la reine-mère, les saluent également en battan t des mains. En présence du mwami, on ne prononce ni son nom personnel ni son titre, en parlant de lui avec des tiers on l’intitule par son titre. Ses enfants étaient soumis aux mêmes règles. Chose curieuse, lorsqu’on est dépêché auprès du mwami pour lui apporter un message ou un cadeau, on le salue en battant des mains à deux reprises : une fois pour soi-même et la seconde pour celui qui commissionne. En déposant plainte en justice chez le mwami, il convient de s’agenouiller, en disant : « Nyagasani ndarengana » (Seigneur, je suis victime d’une injustice). En Urundi, pour saluer le mwami, on frappe également les mains l’une contre l’autre, tout en s’inclinant ou en se prosternant, et on dit : « Ganza umwami w’i Burundi » (domine, roi de l’Urundi).

Le mwami tend la main, si bon lui semble, à celui qui le salue, cette règle est d’ailleurs d’application dans tous les autres cas : l’inférieur en âge ou en rang social salue le premier, tandis que le plus digne juge s’il échet de lui serrer la main.

On ne prononce pas le nom personnel d’un supérieur en le saluant, ce serait une grave incorrection. On se salue souvent par ces mots, notamment chez les grands Batutsi : « Amashyo » : (Je te souhaite) « Des troupeaux de vaches », à quoi l’on répond : « Amashongore » : (Je te souhaite) « Des troupeaux de femelles ». A l’époque précoloniale on se donnait la main, sans la serrer, entre Batutsi, mais non chez les Bahutu et les Batwa. A l’exemple des Européens on se serre maintenant la main dans toutes les couches de la société.

En Urundi, devant les grands chefs, comme Baranyanka, les indigènes posent le genou droit sur le sol au moment de saluer.

Pour renforcer le salut qu’on adresse aux notables, notamment au moment du prononcé d’une sentence favorable, le gagnant les remercie en claquant des mains et en déposant à leurs pieds une touffe d’herbe (ce qui constitue le bien le plus précieux qu’on puisse souhaiter posséder à un pasteur), tout en disant: «Dukuriye ubwatsi umutware wacu » : « Nous offrons de l’herbe à notre chef ». Les quémandeurs aiment à donner des titres emphatiques et flatteurs à leur interlocuteur :

Data wa mukondo : mon père du nombril ;

Uri data, uri mama : tu es mon père, tu es ma mère ;

Shobuja: maître-vacher ;

Mugabo wa mama : homme de ma mère ;

Imana: D ieu ;

Ryangombe yanjye: mon Ryangombe (esprit divinisé) ;

Mugenzi wanjye: mon ami ;

Mukunzi wanjye: mon bien-aimé ;

Muhanyi wanjye : mon seigneur ;

Wampaye inka, isuka: tu m’as donné une vache, une houe ;

Sha (de gushahura: émasculer) constitue une apostrophe assez grossière qu’on n’adresse qu’aux Bahutu de condition vulgaire ;

On ne louera jamais l’enfant qu’une maman porte sur le dos car ce serait, croit-on, attirer le malheur sur lui.

En Urundi, tant chez les Batutsi que chez les Bahutu, on se salue fréquemment en se prenant mutuellement aux avant-bras, l’un en dessous des coudes, l’autre au-dessus : tout en disant : « Isho, isho, isho » : « Troupeau », accompagné d’un souhait : « Gira inka, gira umugabo, gira abana, gira umwami, gira iwanyu » : « Que vous ayez des femmes, un homme, des enfants, un mwami, que tout aille bien chez vous ».

Cette dernière formule est également employée, seule, au Ruanda.

La coiffure était inconnue à l’époque du Ruanda-Urundi précolonial, sauf pour le mwami du Ruanda et sa mère. A l’heure actuelle, le chapeau est fréquemment porté. Lorsque deux personnes coiffées se rencontrent, celle de rang social inférieur se décoiffe tandis que la plus digne demeure coiffée. Si elles sont toutes deux de rang social égal, elles se décoiffent, mais souvent elles demeureront coiffées et se contenteront de se serrer la main. On ne salue pas un supérieur, un chef par exemple, en gardant sur la tête le fardeau qu’on porte, une cruche d’eau, un panier de haricots, un régime de bananes ; il en est qui promptement les déposent à terre, d’autres se contentent de les abaisser un moment à hauteur des épaules, tandis que les cyclistes descendent de leur vélo.

Les formules de salut sont souvent répétées plusieurs fois de suite afin d’insister sur le respect ou la sympathie dont on désire faire preuve. On demande parfois des nouvelles de la femme, des enfants et des vaches.

Lorsqu’on rencontre une personne d’un rang social élevé, un chef par exemple, dans une assemblée, il ne sied pas de saluer comme suit : « Muriho mwese ? » : « Comment allez-vous tous ?» ; il faut dire : « Mwaramutseho mutware, mwaramutseho » : « Bonjour chef, bonjour vous (à l’adresse des autres) ».

Ne pas répondre à un salut serait non seulement une preuve de manque d’éducation mais également un signe de mépris intolérable. Chez les Batutsi, la femme salue son mari en disant : « Amashyo », il répond « Amashongore ». Il n’y a guère longtemps, elle le saluait également comme suit : « Gira abana, gira inka, gira umwami », mais ces formules ont tendance à disparaître.

La femme qui salue son mari, lui tend la main à présent la première ; s’il revient de loin après une longue absence, ils s’embrassent (guhoberana). L’accolade se donne également entre parents et intimes. Pour s’embrasser, après s’être salué puis regardé durant quelques instants, on se prend par les mains aux coudes, aux épaules, au dos, et l’on rapproche les poitrines l’une contre l’autre ainsi que les têtes en juxtaposant la face latérale droite des visages. On se contente parfois de poser réciproquement les mains aux épaules. Seuls les petits enfants interpellent leur père et leur mère par les noms de data et de mama. Vers les quinze ans, c’est-à-dire à l’âge adulte, cette règle cesse, sauf chez quelques évolués qui im itent les Européens. En parlant à des tierces personnes de ses parents, le M ututsi dira data et iwacu ou umukecuru wanjye, jamais mama. C’est honorer une femme que de l’intituler umukecuru (vieille) même si elle est jeune, pourvu qu’elle soit mère. La femme ne peut prononcer le nom de ses beaux-parents.

Il n’est pas convenable pour un enfant impubère de prendre part à la conversation des personnes âgées ; il ne pourra le faire qu’une fois devenu adulte.

Le siège du chef de famille, insigne du pouvoir en général, est l’objet d’un véritable respect, la femme ne peut jamais l’utiliser, il en est de même pour les enfants. Le client ne peut s’asseoir sur la chaise de son patron tant qu’il n ’a pas reçu de vache de lui, et encore doit-il solliciter son autorisation. Lorsque le mari vient à mourir on retourne son siège la tête en bas. La place dans la hutte revenant de droit au chef de famille se trouve au centre, à l’endroit dit kirambi, la femme se contente de s’asseoir par terre sur une natte en croisant et allongeant les jambes. Il incombe à la femme, ou à l’un des enfants, de présenter au mari ainsi qu’aux hôtes de passage, l’eau avec laquelle ils se laveront les mains et la bouche avant et après le repas.

Il ne convient pas qu’une jeune fille fume la pipe ; les jeunes femmes qui le font se cachent, tandis que les vieilles femmes fument en public. Il est admis que les fumeurs peuvent cracher partout où ils se trouvent, même dans la maison de leur hôte.

Il faut se tenir à l’écart pour se restaurer ; à fortiori, on ne peut regarder quelqu’un manger ni même jeter un coup d’œil sur ses aliments. Il existe à ce sujet un dicton : « Utaguhereza ntakureba mu kanwa » : « Qui ne vous sert pas, ne peut vous regarder dans la bouche ».

Après avoir bu de la bière, il faut d’abord essuyer le chalumeau du bout des doigts avant de le passer à une autre personne ; on opère de même avec la pipe. Les refuser constituerait la pire des incorrections.

Les convenances veulent, lorsqu’on présente un objet à un supérieur, qu’on le lui avance de la main droite tout en refermant la main gauche sur l’avant-bras droit. L’inférieur reçoit des deux mains tendues ce qu’on lui offre.

Lorsqu’un personnage de haute condition apparaît dans un groupe de personnes assises, celles-ci se lèvent, le saluent et ne s’asseyent que lorsqu’elles en reçoivent l’autorisation.

Lorsqu’une personne respectable laisse tomber un objet qu’elle tenait en main, il est de règle de le ramasser et de le lui présenter.

Il n’est pas convenable de montrer une personne du doigt, surtout s’il s’agit d’un vieillard.

On n’interpelle jamais à distance les personnes d’âge ou de condition sociale élevée, on les pressent par l’envoi d’un messager.

En riant, les Batutsi demeurent discrets, ils ne le font jamais bruyamment et en se tapant les cuisses comme les Bahutu. Avant de bailler, ils portent la main à la bouche. Ils ne s’étirent pas en public et évitent certains bruits malséants. Les femmes, avant de rire, portent la main devant la bouche.

On ne peut tirer la langue, se mettre les doigts dans les oreilles ou dans le nez. Toutefois pour se moucher, il est admis qu’à défaut de mouchoir, on le fasse avec les doigts. Mais ici également il y a des manières de faire qui vont de la discrétion chez les Batutsi à la vulgarité chez les Bahutu et les Batwa qui s’essuient les doigts par après sur leur vêtement ou sur un pan de mur. Il est admis que l’on puisse s’exonérer en public, un peu à l’écart.

Tant au Ruanda qu’en Urundi, il existe des termes choisis pour désigner certains actes ordinaires de la vie que les gens du commun expriment en termes vulgaires. Nous touchons ici à la politesse dans le langage. Pour manger : kurya, on emploiera de préférence gufungura (se restaurer) ; pour parler de la mort du mwami on ne dira pas arapfuye, mais aranyoye : il a bu s. e. le poison (allusion à un suicide) ou aratanze : il a cédé son pouvoir (s. e. son tambour) ; à la place de péter : gusura on dit kuhema: soupirer ou kwitabara: s’aider; pour kunnya: faire ses besoins, on dispose de circonlocutions : kwihagarika : s’arrêter, kwa surwumwe : (aller) chez pas un seul, kwitabara: s’aider, kwiyambura : se déshabiller, kwiyandura: s’enlever une épine, mu gasozi: aller à la colline, mu ishyamba : aller en brousse. Les convenances interdisent de roter avec bruit en public, de prendre de la main gauche le chalumeau qui sert à boire, de tendre à quelqu’un un morceau de viande sans le couper en deux.

Lorsque le mwami éternue, on s’exclame : « Uratsinde abanzi, uraganze amahanga » : « Que tu vainques tes ennemis, que tu t’empares des pays étrangers ». Quand une personne respectée éternue, on lui dit : « Murakire » : «Que vous soyez aisée, guérie», elle répond « Twese»: « Nous tous». On ne peut éternuer derrière une porte fermée ou en présence d’une natte placée debout, ce serait un présage de mort.

Lors des présentations, c’est la personne de condition inférieure qui est introduite auprès de la plus digne.

Si plusieurs personnes marchent en file indienne, la plus respectée prend la tête de la colonne, parfois elle y est précédée par un éclaireur qui lui indique le chemin à suivre. Si elles marchent de front, la plus digne prend place au milieu. Si deux personnes se rencontrent dans un sentier étroit, la plus respectable a droit au libre passage. De même dans une assemblée, elle détient la priorité de s’asseoir sur un siège. La femme suit son mari quand ils partent ensemble. Il n’aidera pas sa femme à porter sa charge.

Pour demander des nouvelles, on dit : « Muliho » ou « muraho ? » : « Comment allez-vous » ; on répond : « Ndaho » : « Je suis » (s. e. bien) ; « Mumeze mute ? » : « Comment vous portez-vous ? » Pour se quitter, on prononce : « Ku mana ! » : « Adieu » ; « Murabeho » : « Que vous soyez bien » (s. e. que vous demeuriez en bonne santé) ; « Ngusezeyeho »: « Je prends congé de toi»; «Nsubiye inyuma » : «Je retourne sur mes pas » ; « Sigara ukora » : « Reste à ton travail » ; « Urasigareho » : reste-là ; « Muramukeho » : « Levez-vous bien » (s. e. passez une bonne nuit) ;

En Urundi, pour prendre congé, on prononce : « Ibaba, akababa, nakasaga, ibwagare ou ndatashye (je pars), ndagusezeye (je prends congé de toi) ».

On dit à un malade en le quittant :

« Urware ubukira »: Ta maladie guérira.

Un inférieur appelé répondra : « Karame ».

A quelqu’un qui trébuche, on dit : « Mpole » : « Attention » ; « Komera » : « Renforce-toi » ; «Humura »: « N’aie pas peur ».

Le savoir-vivre commande à un homme bien éduqué de rendre visite (gusura), d’une manière plus ou moins fréquente selon son degré d’intimité, à ses supérieurs, son patron vacher, son fermier, ses amis et à ses parents, tout spécialement s’ils sont malades.

Lorsqu’on veut venir saluer quelqu’un chez lui, on se fait annoncer par un émissaire et on attend à l’entrée de l’enclos de pouvoir être reçu. Si la femme s’y trouve seule et qu’un visiteur se présente, elle le reçoit dans le vestibule face à la porte et non à l’intérieur de la case. Le visiteur, de son côté, plante sa lance ou son bâton au dehors pour indiquer qu’il ne s’est pas introduit comme un malandrin.

En s’approchant de l’enclos, le visiteur s’arrête à l’entrée en disant : « Nimugire umwami bene urugo» : « Que vous ayez un mwami gens de l’enclos », ou bien « Nimuduhe umubanji, amilire : Donnez-nous du lait ». De l’enclos, on lui répond « Turagushimiye » : «Soyez le bienvenu »

S’il ne trouve personne dans l’enclos, le visiteur annonce sa présence en toussotant, il ne peut pénétrer dans la maison que s’il y est formellement invité.

Le maître de céans se porte à la rencontre du visiteur ; entre-temps il prescrit à sa femme de veiller aux préparatifs nécessaires à la réception : bière, tabac, repas éventuellement.

Lorsqu’on entre chez quelqu’un on dit : « Nimuduhe » : « Que vous nous donniez » (s. e. à boire) ou «Nimudufungulire » : « Que vous nous donniez à manger ». On répond: «A bandi»: «Les autres» (s. e. ont déjà reçu).

Le visiteur, si son rang social et l’intimité des relations l’y autorisent, pénètre jusqu’à l’intérieur de la maison où est demeurée discrètement l’hôtesse cachée derrière les paravents. Il la salue puis revient, sous le porche d’entrée, s’asseoir à la droite du chef de famille. Celui-ci va lui offrir de la bière que sa femme, un enfant ou un serviteur lui apporte dans une calebasse bien propre. Le domestique, en tendant la boisson à son maître, pose le genou droit à terre. Le maître aspire un peu de bière à l’aide d’un chalumeau, il en crache la première gorgée à terre, il en boit un peu, puis tend, de la main gauche, le chalumeau, convenablement essuyé des doigts, au visiteur qui opérera de même pour ses voisins éventuels. Après avoir bu, on fume. Quant aux serviteurs qui ont accompagné le visiteur, ils demeurent à l’extérieur de l’enclos où ils reçoivent à boire. Si le visiteur doit passer la nuit chez son hôte, on lui fait toucher les pots de lait du bout des doigts, après la traite du soir ; il dit au sujet de la vache laitière : « Irakamwa nk’umwami »: « Elle est aussi abondante que le mwami ». Le maître de maison veille à ce que son visiteur reçoive à boire, à manger, puisse se coucher et accomplir ses soins corporels le lendemain matin.

Après l’entrevue, le maître de céans accompagne (guherekeza) le visiteur aussi loin que possible ; il lui dira au moment de le quitter « Ugende amahoro » : « Partez en paix ». Il convient de chanter le soir en passant près d’un enclos afin de marquer qu’on est dépourvu d’intentions malveillantes.

Lorsqu’on rend visite, on ne vient pas les mains vides, mais on apporte un cadeau consistant le plus souvent en une cruche de boisson indigène, ou fréquemment, à l’heure actuelle, en un casier de bouteilles de bière de fabrication européenne.

Lorsqu’on reçoit un cadeau, il est nécessaire, selon les règles coutumières, d’effectuer en retour un cadeau de valeur pour le moins identique. C’est ainsi que durant sa période de réclusion, la jeune mariée tresse un petit panier de vannerie ou un couvercle de sparterie spiralée pour couvrir un pot à lait, à l’intention de sa belle-mère. Celle-ci lui remettra, par la suite, un objet de valeur, voire une vache si elle en a les moyens, en disant : « Que je sois en vie ou que je meure, ce bovin demeurera toujours ta propriété personnelle ».

Lors du décès d’un chef de famille, l’héritier au droit d’aînesse annonce le malheur au patron du défunt en lui remettant, s’il le peut, une génisse de « faire part », ou autre chose ; en retour le patron lui enverra un cadeau de condoléance.

Les formules de remercîments les plus ordinairement employées sont les suivantes : Urakoze : tu as travaillé ;

Urakoze neza : tu as bien travaillé ;

Waramaze : vous avez (bien) terminé ;

Uragize : vous avez fait ;

Uragize neza : vous avez bien fait ;

Wampaye : vous m’avez donné ;

Urangabuliye : vous m’avez donné de quoi me nourrir ;

Ndashimye : je suis content ;

Urakarama : soyez béni ;

Urakagira Imana : que D ieu soit avec vous ;

Urakabyara : que vous ayez des enfants ;

Uragaheka : que vous portiez des enfants au dos ;

Urakagwira : que vous soyez nombreux (dans la famille).

Le langage indigène est d’une richesse incomparable en jurements et en imprécations. Quant aux imprécations, si les Batutsi s’en abstiennent généralement, par contre les Bahutu des campagnes et plus spécialement du Rukiga, en font un usage quotidien. Elles sont devenues tellement courantes qu’on n’y attache plus l’attention. L’infixe ka apparaît habituellement dans ces insultes.

Uragaswera nyoko : que tu aies des rapports avec ta mère ;

Urakavuna umuheto: que tu brises ton arc, que tu perdes ton soutien (ton fils) ;

Urakabura inka : que tu manques de vache ;

Urakabura : que tu manques (du nécessaire) ;

Urakicwa n’amacinya : que tu meures de dysenterie ;

Urakicwa n’amapfa : que tu meures de faim ;

Uragaterwa icumu : que tu sois atteint de la lance ;

Uragacibwa ibikonjo : qu’on te coupe les poignets;

Urakanira mu cobo: que tu meures dans la fosse;

Uragaterwa abana mu ntege: qu’on te jette tes enfants dans tes jarrets (ceci s’adresse aux femmes et veut dire que ton mari te chasse avec tes enfants) ;

Urakarya ivu : que tu manges la poussière.