Coutumes spéciales aux jeunes filles.

L’allongement des petites lèvres (Ugukuna).

 La jeune fille commence très tôt cette pratique, disons pour fixer les idées, dès le moment où elle suit les autres enfants pour garder le bétail ou pour aller puiser de l’eau. Elle le fait d’abord en cachette, par simple esprit d’imitation. L’on prétend que si elle entamait le gukuna précocement, elle risquerait d’attraper des maux de reins. Les parents qui conseillent à la fille d’entamer cette opération sont les grands-mères ainsi que les tantes maternelles et paternelles ; quant à la mère, elle ne manquera pas de conseiller à son enfant « d’aller cueillir de l’herbe avec ses amies », espérant que celles-ci l’entraîneront au gukuna. Les parents sont favorables à cette pratique dès qu’ils aperçoivent que leur fille approche de la puberté. L’on prétend qu’à ce moment la fille fait ses amayusi (éclosion et durcissement des seins) en trois stades et que ce n’est qu’au troisième que le sein commence à se développer normalement, ce dernier stade coïncide avec la pratique courante du gukuna.

Différentes raisons sont invoquées pour justifier le recours à cette coutume : élargir l’organe, faciliter la besogne des accoucheuses, faire servir les petites lèvres de cache-sexe spécialement après l’accouchement, et augmenter la satisfaction de l’époux. S’apercevant que sa femme n’a pas pratiqué le gukuna, le jeune marié ne manquerait pas de la répudier. La mariée qui ne l’a pas exécuté est intitulée « vide » ; l’apprenant, aucun homme ne voudrait la demander en mariage, sinon il risquerait, croit-on, de mourir prématurément et ses biens disparaîtraient les uns après les autres. Si une femme qui n’a pas suivi cette pratique doit accoucher, sa belle-mère prend une pierre ronde et lisse et la dépose à l’endroit où une autre femme a enfanté, en prononçant ces mots à l’adresse de sa bru : « Détruis ta famille et non celle de ton mari », ou bien elle saupoudre sa belle-fille de cendres du foyer en disant : « Détruis ta famille et non la nôtre ». Les filles aiment le gukuna, car elles y trouvent une jouissance. Il existe des spécialistes ayant une grande réputation parmi le milieu féminin, on préfère d’ailleurs faire appel à une tierce personne plutôt que de se masser soi-même.

C’est au moment où la fille voit ses petites lèvres suffisamment développées qu’elle songe à se vêtir. Les filles qui se font mutuellement le gukuna s’asseoient et s’entrelacent les jambes, elles opèrent en un endroit retiré. Il est strictement interdit d’enjamber cet endroit ; pour annuler les effets néfastes d’un tel geste, il faut le recommencer en sens inverse. Faute d’observer cette obligation, la jeune fille verrait ses organes se rétrécir. En repassant au-dessus de l’endroit on dit : « Ndakurenguye » (s. e. je lève l’interdit). Les garçons exploitent à leur façon ce geste tabou et ne manquent pas d’exiger une récompense pour le rendre nul. Si un jeune homme surprend des filles en pleine manœuvre et qu’il marque son étonnement en criant « ah ! », il doit immédiatement recommencer à pousser un « ah !» annulant les effets du premier qui aurait pour résultat de raccourcir les organes des filles. Pour pratiquer le gukuna, les jeunes filles s’asseoient sur l’herbe, elles doivent obligatoirement redresser celle-ci lors de leur départ, faute de quoi le développement de leurs parties serait ralenti, en disant : « Comme l’herbe pousse du jour au lendemain et devient tendre, qu’il en soit de même de nos petites lèvres et qu’elles grandissent de plus en plus ». Celles qui vont entreprendre l’opération prononcent d’abord les formules suivantes : « Umugabo ntaratanga kuvugiriza ngo ankangire : qu’aucun homme ne siffle devant moi afin de ne pas ralentir mon développement», « Umugore ntambona ngo ankangire : qu’aucune femme ne me voie afin de ne pas ralentir mon développement», « Umwana nawe ntambona ngo ankangire : qu’aucun enfant ne m’aperçoive afin de ne pas ralentir mon développement ». Pendant le gukuna, la jeune fille se touche fréquemment du bout des doigts, aux cuisses, aux épaules et aux seins, afin d’activer l’épanouissement de sa poitrine. On qualifie la jeune fille dont les seins sont développés de « aracukuye » : elle a mis à jour, elle révèle, ou « arahishuye » : elle fait apparaître. A ce moment, des fiançailles peuvent être conclues.

 

La fille qui n’a pas de poitrine, impenebere, était une malédiction, elle était sacrifiée devant le front des troupes en temps de guerre afin d’ensorceler l’ennemi. La sœur cadette ne peut jamais regarder les petites lèvres de son aînée, sinon celles-ci se raccourciraient. Lorsque deux jeunes filles se font mutuellement l’opération, elles doivent se lever en même temps ; si elles n’observaient pas cette obligation, l’une se développerait plus rapidem ent que l’autre. En signe de remercîments, elles arrachent chacune une poignée d’herbe qu’elles s’offrent mutuellement en battant des mains, et en disant: « Umukobwa uzaharenga azangwirize : si une fille passe par ici, qu’elle favorise mon développement », et « Umuhungu uzaharenga nawe azangwirize : que le jeune homme qui passe par ici favorise également mon développement». Durant toute la durée de l’opération, les compagnes peuvent parler de choses et d’autres.

Le gukuna ne se pratique qu’au crépuscule car le soleil empêcherait les petites lèvres de grandir. De nombreux ingrédients concourent à l’opération, ils sont mélangés au premier beurre sorti de la baratte « irora rimwe », les ingrédients provenant de plantes ne sont pas enduits de beurre car ils sont suffisamment doux par eux-mêmes. Au moment de commencer, la jeune fille dit, en imitant les pasteurs qui appellent leurs veaux « ish, ish, ish, viens veau de couleur ruhogo », « ish, ish, ish, viens, et que tous les autres veaux périssent dans le ravin (ruhogo est ici paronyme de rugongo qui signifie clitoris).

La jeune fille arrête l’opération lorsqu’elle constate que ses petites lèvres sont suffisamment développées, c’est-à-dire lorsqu’elles atteignent la seconde articulation du médius. Si elle persévérait, elle serait la risée de ses compagnes. Elle doit interrompre le gukuna lors de l’apparition de ses règles, sinon le flux de sang lui rétrécirait les petites lèvres, elle peut le reprendre après.

En principe, la femme arrête le gukuna dès qu’elle est mariée, à moins qu’elle ne soit suffisamment développée et alors, pour continuer l’opération, elle prendra quelques précautions d’ordre magique : s’asseoir sur une faucille umuhoro ou sur une grande aiguille uruhindu, sinon son mari pourrait mourir.

Il est interdit de rouler l’intosho (pierre à piler les médicaments) ou un coussinet ingata à l’endroit où une jeune fille a pratiqué le gukuna récemment, ce serait la rendre stérile pour toute sa vie.

Si une jeune mariée n’a pas exécuté le gukuna, on mettra sur le compte de cette lacune le fait qu’elle tarde d’enfanter ou qu’elle demeure stérile, que son mari perd des têtes de bétail, que la récolte s’amenuise dans les champs, etc., d’où les mésententes dans le ménage, avec la belle-mère et entre les familles.

Coutumes diverses.

Des coutumes diverses entachées souvent de prohibitions, fausses croyances et vaines pratiques, président à la croissance et à la destinée des enfants, garçons et filles. Ces dernières, surtout seront l’objet d’une surveillance spéciale de la part de la mère.

Elle se préoccupera de leur formation et de leur éducation. Il faut qu’elles soient obéissantes et respectueuses, réservées et avenantes tout de même, laborieuses, propres et coquettes, mais pas trop. L’effrontée « ushira isoni » et la courtisane « icyomanzi » attirent les regards et sont délaissées. Le « bunure », courgette minuscule à petit goulot renflé qui sert de bouton à la ceinture de la mère, pourra témoigner aux yeux des initiés, de sa sollicitude pour la bonne réputation de sa fille nubile : « akamwambara, n’icyo kumumanika» (intraduisible…).

Une jeune fille ne peut s’asseoir sur la terre qu’on laboure, ce serait un mauvais présage pour les cultivateurs en ce sens qu’un mauvais sort les frapperait avant même qu’ils n’aient achevé leur tâche.

La jeune fille qui désire hâter l’apparition de ses seins, se procure un insecte arthropode inyogaruzi qui nage dans les rivières, elle le tue et applique sa dépouille sur des scarifications qu’elle se pratique à la poitrine, ou bien elle prend un couvercle conique umuteremi que l’on met sur les cruches et se le pose sur les seins afin que ceux-ci pointent désormais comme cet objet.

La jeune fille qui ne désire pas avoir une poitrine prématurément développée, la pose sur le siège que vient de quitter son oncle paternel, en disant : « Conserve-moi mes seins, je viendrai te les demander dès que j’en aurai besoin », elle effectue le même manège quand elle veut obtenir une poitrine remarquable, et dit alors à la chaise : « Rends-moi mes seins ».

On croit que si un beau-frère touche l’un des seins de sa belle-sœur, celui-ci grandira au détriment de l’autre. Une jeune fille ne peut jamais prendre en main, pour les jeter, les micuri (entrailles d’un poussin d’aruspicine), elle en deviendrait stérile.

Une jeune fille ne peut jamais boire le lait qui fut trait pour une personne qui entre-temps décéda, de peur que son ventre ne s’obstrue et qu’elle n’ait jamais d’enfants.

Il est strictement interdit de toucher une jeune fille à l’aide du rubingo (Pennisetum benthamii) ou du chardon igitovu (Acanthus), elle en mourrait prématurément, ou ce serait l’envoûter afin qu’elle n’ait jamais d’enfants.

On ne peut tenir une hache suspendue au-dessus de la tête d’une jeune fille : elle mourrait sans postérité. Une jeune fille qui rêve de mariage ne se mariera certainement pas.

Elle ne peut prendre de la farine de sorgho en bouche : ce geste retarderait considérablement ses fiançailles. Elle ne peut porter la ceinture de sa mère avant d’être mariée, si elle le faisait, elle mourrait sans avoir été épousée.

Pour empêcher par ensorcellement une jeune fille de se marier, on lui prend son matériel de tressage, on y joint ses poils de pubis, et on enterre le tout sous l’une des pierres du foyer ménager en disant : « Le jour où cette pierre sera capable de traverser la rivière et de monter la montagne, ce jour-là seulement, les hommes viendront te demander en mariage ».

Pour dénouer la jeune fille de semblable sortilège, on prend une fibre de papyrus urusasanure servant à confectionner la vannerie, on la fend partiellement en deux et on fait passer la jeune fille au milieu ; tandis qu’elle s’y trouve, on brûle les extrémités non fendues de l’urusasanure.

A cet exorcisme on en ajoute souvent un autre ; on apporte une herbe dénommée uburyoherampfizi (litt. celle qui goûte bien au taureau) que l’on saupoudre de sel de cuisine ; on pratique une incision sur la main droite, une autre sur la main gauche et une dernière au front de la fille, on y applique l’herbe précitée en énonçant la formule suivante : « Ceci est l’uburyoherampfizi, toi également tu plairas aux hommes ».

On ne peut lever un bâton en umuno en direction de sa sœur et de son frère, ce serait les exposer sous peu à la mort ; à moins que le bâton n’ait touché d’abord l’une des trois pierres du foyer de ménage ou la pierre à aiguiser.

Lorsqu’une jeune fille de conduite légère craint d’être enceinte, elle confie un peu de son sang menstruel à un homme ou à un jeune garçon de confiance. Celui-ci démanche sa lance et enduit de ce sang la soie du manche, puis il fixe à nouveau le fer. Désormais la fille ne courra aucun risque. En acceptant ce sang, l’homme doit promettre à la jeune fille de lui restituer, lors de son mariage, sa virginité (ubwari : état de l’umwari, jeune fille vierge). A ce moment il enlèvera le fer de sa lance et raclera la soie à l’endroit où le sang fut déposé, il remettra les copeaux à la jeune fille en lui disant : «Reprends ta virginité », faute d’accomplir cette restitution, la jeune fille mourrait stérile.

Autrefois, une fille-mère était exilée. Lorsque sa grossesse était visible, on en avisait la cour qui pouvait seule prendre la décision de bannissement. Le mwami faisait appel aux affiliés à la secte religieuse de Ryangombe : imandwa, ibishegu, impara, et aux représentants des familles d’exorciseurs abahoryo et abahenyi. Ces derniers s’amenaient sur place porteurs de fruits d’intobo, de joncs rouges imyisheke, d’un héron blanc garde-bœufs inyange, d’un bananier spontané igihuna, d’un umuhuna, d’un roseau urubingo et d’un chardon igitovu. Pour la circonstance, les prêtres impara se paraient d’une queue d’inkomo (colobe), de grelots, et agitaient des charmes sonores ibinyuguri (petites calebasses emplies de graines uburengo de canna à fleurs rouges). La fille enceinte était exilée en pays étranger, en forêt, ou sur une île déserte du lac Kivu. Au lieu de l’exil, les exorciseurs construisaient une petite hutte où pratiquement la fille devenait la proie des fauves, mais parfois ils usaient de clémence et toléraient qu’elle fût libre à condition qu’elle se rendisse à l’étranger se chercher un mari. Après avoir accouché, son enfant était étranglé et la fille-mère pouvait réintégrer sa famille. L’enfant naturel ikinyandaro était redouté comme portant malheur à la famille de sa mère, l’on croyait que si l’un des membres de celle-ci le voyait, il en mourrait prématurément. Mais il arrivait parfois que l’enfant ne fût pas tué ; dans ce cas, la famille maternelle prenait le breuvage exorciseur isubyo, s’aspergeait d’eau lustrale de kaolin à l’aide d’un goupillon et rendait un culte propitiatoire à l’esprit divinisé de Ryangombe.

Si une jeune fille rêve de son futur mari, les deux fiancés doivent se remettre un cadeau réciproque consistant en un bracelet en cuivre. Faute de ce faire, ils ne contracteraient pas le mariage projeté et mourraient prématurément.

Elle ne peut pénétrer dans une caverne isenga où s’abritent habituellement des animaux sauvages. Elle ne peut jamais uriner dans l’enclos où son frère parque ses vaches durant la nuit, elles risqueraient d’en crever toutes.

Elle ne peut siffler à l’aide d’une flûte intomvu, elle deviendrait légère et stérile.  Il est interdit aux jeunes filles de monter sur une hutte sous peine de ne jamais trouver de mari. Tout comme aux femmes, il est interdit aux jeunes filles de tailler les bananiers avec la serpe urugesho.

Les jeunes filles ne peuvent avoir des rapports sexuels avec leur père, ou leurs oncles maternels et paternels, sinon elles contracteraient la dermatose amahumane. Les rapports avec d’autres hommes ne les condamnent pas à cette maladie immanente.

La fiancée ne peut aller puiser de l’eau, la raison en est qu’elle s’exposerait à casser la cruche et que cet accident aurait pour résultat de devoir précipiter son mariage qui devrait avoir lieu le jour même, sinon mourrait le premier enfant à naître de cette union.

On ne peut simuler le geste de frapper une jeune fille avec une hache : elle ne trouverait jamais de mari.

Coutumes spéciales aux femmes.

La viande et le lait de vache deviennent tabous pour la femme quand elle a ses règles, on dit alors d’elle : « Yavunnye amavi » (litt. elle a plié les genoux — s. e. elle est amoindrie). La mère ne manque pas d’attirer l’a ttention de sa fille sur le fait qu’il convient de l’avertir dès l’apparition du flux sanguin, à ce moment, la mère prescrit à sa fille de se coucher au milieu de la hutte (mu kirambi) et de compter les imbariro (cercles concentriques de roseaux qui renforcent les parois) au troisième, elle doit se lever. Pour effectuer ce dénombrement, la fille lève la jambe en l’air et pointe le gros orteil du pied droit en direction des imbariro. Elle commence le dénombrement par l’imbariro le plus élevé car si elle commençait par celui du bas, ses règles seraient d’autant plus longues. A la fin des menstrues, on lui apporte du lait à boire qu’elle doit consommer dans la hutte, celui qui le lui apporte : père, frère ou ami de la famille, prononce ces mots : « Tu bois le lait des vaches, qu’elles » ne te tuent point, qu’elles ne t’empêchent pas d’enfanter, ne sois pas stérile ». On lui remet ensuite de l’hydromel et du couvain d’abeilles, et si l’on ne peut se procurer ni l’un ni l’autre, on lui fait boire un liquide quelconque à l’aide d’un chalumeau qui servit à consommer de l’hydromel. Cette boisson entre en jeu afin que plus tard la jeune fille ne soit pas cause de l’essaimage prématuré des abeilles. Après l’accomplissement de ces rites, la jeune fille se lève et on lui présente à toucher une courge en disant : « Mets-toi debout et quitte le champ de courges ». Si la vache dont elle a bu le lait donne du sang à la traite, on l’accusera d’en être la cause en précisant qu’elle possède « le mauvais dos ». Si les abeilles dont provient l’hydromel crèvent, on mettra ce malheur également sur le compte du mauvais dos. Il en sera de même si le champ de courges dessèche. Désormais, il est strictement interdit à la jeune fille, lors de ses époques, de traverser un champ de courges, celles-ci pourriraient ; elle ne peut passer dans un champ de patates douces, ces dernières périraient d’agahuzu (maladie bactériologique) ; ni de traverser un champ de sorgho car les épis seraient réduits à l’état sirupeux ibigombyi ; elle ne peut s’approcher d’un champ de haricots, ceux-ci contracteraient l’ibeja (plante qui dessèche sur pied). La fille au mauvais dos est encore intitulée « gahanga » (lit. crâne – s. e. mauvais présage), on se garde bien de l’approcher ; lorsqu’elle a ses règles, elle doit demeurer chez elle en réclusion, non seulement dans l’intérêt d’autrui mais également pour sa propre sécurité car on pourrait l’envoûter.

Lorsqu’une fille au mauvais dos est détectée, on ne lui donne à boire que du lait d’une vache qui ne sera plus saillie. Il n’est pas interdit à une jeune fille de traire les vaches, sauf à l’occasion de sa période menstruelle.

Sous peine de voir ses règles s’éterniser, la femme en période menstruelle ne peut passer au-dessus d’un endroit où l’on a apprêté des chalumeaux ; comme ceux-ci, elle laisserait passer constamment son flux.

La femme dépourvue de menstrues est qualifiée d’impa. Le chef de colline devait la signaler à la cour du mwami, ce dernier faisait appel aux services des bahennyi, maudisseurs-exorciseurs à son service. Ceux-ci se présentaient à l’entrée de l’enclos de la jeune fille, ornés de fruits jaunes de la solanée épineuse intobotobo portés sur un stolon d’herbe umucaca autour de la tête et du ventre, on y ajoutait une touffe d’umwisheke (jonc donnant une teinture rouge) et des fleurs rouges de l’érythrine umuko, les exorcistes prenaient en main deux charmes : un marteau en fer inyundo et un isando, croc en bois à plusieurs dents. Ensuite ils s’emparaient de la jeune fille et la noyaient dans une grosse rivière (uruzi). Jamais le sol national ne pouvait être souillé du sang de la malheureuse, mais on pouvait l’immoler en pays ennemi afin d’ensorceler celui-ci car l’impa était censée provoquer les pluies diluviennes, la grêle qui abîme les cultures, le soleil qui les dessèche, les maladies, l’apparition de criquets déprédateurs, etc.

 La femme qui a ses règles pour la première fois après son mariage ne peut boire, manger, fumer avec personne d’autre que son mari, faute de quoi elle deviendrait stérile.

La femme en époque menstruelle, se gardera bien de laisser traîner le linge qu’elle employa pour sa toilette intime, elle veillera à ce qu’on ne puisse prélever son sang ou qu’il ne puisse être simplement touché par une tierce personne, de crainte que celle-ci n’aille le jeter dans le ruisseau pour accomplir un sortilège la condamnant à la stérilité.

Toujours dans le même ordre d’idée, la femme qui a ses règles ne peut passer un cours d’eau, ou y lessiver, de crainte que son flux ne connaisse plus d’arrêt comme les eaux du ruisseau.

A ce moment, elle évitera de s’approcher d’une ruche de crainte que les abeilles n’essaiment, l’apiculteur qui apprendrait la chose placerait une branche de madwedwe (arbre au suc laiteux dangereux pour les yeux) dans un cours d’eau violent afin que la femme ne connaisse plus d’arrêt à ses règles. Il agirait de même si la femme avait bu de l’hydromel au moment de sa période menstruelle. Lors de ses époques, la femme ne peut traverser un champ d’arachides, de tabac, ou d’ignames car ces plantes seraient attaquées par la rouille et elles dépériraient. Au cours de ses règles, une femme ne peut se coucher avec ses enfants (x).

Il lui est strictement interdit de révéler son état à une autre femme ; celle-ci risquerait de contracter ce même état à l’instant.

Il lui est encore interdit de s’introduire dans une hutte où se trouve un nouveau-né n’ayant pas encore atteint son huitième jour, l’enfant contracterait l’affection épidermique amahumane. Comme antidote, la mère placerait au cou de son bébé un tubercule de colocase.

A la fin de ses règles, la femme se fait une ablution d’eau propre car l’eau sale empêcherait ses règles de réapparaître et par conséquent elle deviendrait stérile. La femme ne peut imiter le chant du coq : son mari mourrait.

Il lui est interdit de prononcer le nom de son beau-père ou de sa belle-mère ainsi que celui de leurs frères et soeurs. A enfreindre cette règle de convenance, elle risquerait d’être renvoyée et ses parents se verraient obligés de restituer au moins une partie de la dot. Elle désignerait son beau-père dans la conversation en disant « Sogokuru : grand-père » ou le « Vieux : Mukambwe, Mutama ». Seule la mère de jumeaux de même sexe a l’insigne privilège de l’appeler par son nom ou son titre de beau-père ; privilège qui la place parmi les gens les plus respectables de la famille. Parlant de sa belle-mère, ou s’adressant à elle, elle usera du terme : « Umukecuru wanjye : ma vieille » ou « Mawe : mère ». Cette appellation de « Vieux » ou de « Vieille » ne déplaît nullement à nos indigènes. Dites à une mère, relativement jeune encore, « ma vieille », elle s’en montrera extrêmement flattée.

La femme ne peut briser, même par inadvertance, la pierre à moudre (urusyo), son mari mourrait s’il entretenait par la suite des rapports conjugaux avec elle avant qu’elle n’ait eu recours aux exorciseurs. Il en est de même en cas de bris de la pierre à aiguiser (ityazo).

Il appartient aux femmes et aux filles de baratter le lait, on se sert à cet effet, d’une calebasse. Si par malheur la femme la casse, volontairement ou non, elle ne peut plus avoir de rapports conjugaux avec son époux sans avoir été préalablement exorcisée, faute de quoi l’un des conjoints courrait un danger de mort.

Dans le même ordre d’idée, la femme ne peut briser l’arc, la chaise ou la lance de son mari.

En principe, elle ne peut se coucher sur le côté droit. Elle ne peut s’asseoir sur la chaise de son mari.

Il est interdit aux femmes et aux filles pubères de sauter, c’est très mal vu et les filles s’exposeraient à ne pas être sollicitées en mariage.

Il est interdit à la femme de tailler les feuilles de bananier, d’en couper les troncs et les régimes. On emploie à cet effet une serpette spéciale urugesho montée sur un très long manche. Si par malheur au cours de l’opération interdite elle cassait cette serpe, elle devrait immédiatement se rendre chez le forgeron, la faire réparer avant la tombée de la nuit, faute de quoi elle s’exposerait à la mort.

Il est absolument interdit aux femmes et aux jeunes filles de participer à la chasse, même en qualité de spectatrices.

Il leur est tout autant interdit de prendre un bain hors de chez elles que ce soit dans un ruisseau ou dans un lac, le mari n ’approcherait plus sa femme qui aurait transgressé cette interdiction, car elle aurait fait preuve d’une grande légèreté et en l’approchant il deviendrait lui-même contaminé par l’état tabou engendré par la transgression de l’interdit.

Si deux femmes dorment dans le même lit, elles ne peuvent se tourner l’une vers l’autre, mais doivent dormir dos à dos.

Sous aucun prétexte, la femme ne peut passer pardessus son mari, surtout au lit, si elle transgressait cette défense, elle s’aliénerait l’amour de son mari, car on croit qu’elle le rendrait désormais inapte aux travaux incombant à son sexe.

Il est interdit aux mères d’un nourrisson de sexe masculin, de pratiquer le concubinage, même momentanément, sans emmener avec elles leur bébé. Si elles passaient outre cette interdiction, le mari enverrait d’office l’enfant auprès de sa mère et il prendrait soin de lui remettre la corde injishi servant à entraver les pattes arrière du bétail lors de la traite afin que la femme soit magiquement «nouée ».

A partir du jour du décès de son mari, la veuve ne peut plus porter la couronne urugore emblème et signe caractéristique des mères. Mais celle qui contracte une nouvelle union, peut la porter à nouveau dès le jour où de ce mariage elle a accouché d’un enfant. Toutefois elle ne pourra porter l’urugore si c’est un parent direct de son époux défunt qui l’a épousée. La veuve ne peut plus porter la petite gourde ubunure au col de laquelle elle attache sa ceinture.

En principe, la veuve qui demeure avec l’un de ses fils célibataires ne peut se remarier. La croyance populaire craint que si elle le faisait, son nouvel époux pourrait causer la mort de son fils en le touchant de la verge à la tête. Si néanmoins elle le faisait, en arrivant à la demeure de son second mari, elle laisserait son fils à l’extérieur de l’enclos et l’époux se rendrait à sa rencontre en disant «Tiens, un enfant (abandonné), je le prends sous ma tutelle et je l’amène à sa mère ». Pareilles transgressions exposeraient son époux à la mort.

Elle ne peut, en aucun cas, puiser de l’eau pour remplir les abreuvoirs du bétail, son mari pourrait en mourir, les bêtes elles-mêmes mourraient.

Elle ne peut se dévêtir ailleurs que dans la hutte ou la cour arrière (igikari). Pour traverser un fleuve à la nage elle doit conserver ses vêtements.

Chez les Batutsi et chez ceux qui emploient un récipient jouant le rôle de « vas necessarium », on se sert d’une calebasse ou d’un pot. Il est strictement réservé à la femme ; s’il se brise, le mari n’approchera plus son épouse avant qu’elle ait été purifiée par un exorciseur. Si elle s’abstient de la chose, le mari la répudiera.

La bière fabriquée par la femme avec les prémices du sorgho peut être goûtée en premier lieu par elle en l’absence de son époux, mais si jamais elle a des rapports adultérins à ce moment, son mari en mourra.

La femme ne peut participer à la cérémonie du gukura  inka, rite qui doit se dérouler le quatrième jour après qu’une laitière a été saillie, afin de pouvoir à nouveau consommer de son lait. Entre-temps, elle ne peut boire le lait amasitu de cette vache.

En Urundi, la femme ne se sert pas du bois ntibuhunwa pour entretenir le feu, elle ne trouverait pas ce qu’elle désire : « Bamusize ntibuhunwa ».

Elle n’entrera pas dans la maison le bois d’isanzaza (bizanzara: les choses se dissiperaient, se perdraient).

La femme ne pouvait pas planter d’arachides au Kinyaga. Elle ne peut cueillir les bulbes de fougère injugushu, ni planter de bananier. En certaines régions elle ne peut brasser de la bière de banane.

La femme ne peut, en l’absence de son mari, prêter à quiconque le taureau, la hache, la lance, le bouclier appartenant à son époux. Il lui est interdit de faire le simulacre de tirer avec un arc sauf si la grêle menace ses champs, il s’agit ici d’un rite symbolique que justifie l’urgence d’un danger. La femme ne pouvait accompagner son mari à la cour ni à la guerre, elle eût entraîné sa mort. Elle ne peut avoir de la barbe, de peur de ne pas trouver de mari.

La femme qui jusqu’alors n’enfanta que des garçons doit éviter d’allaiter un enfant de sexe féminin, car elle risquerait fort de ne plus donner le jour qu’à des filles. La femme ne peut traverser un groupe d’hommes, elle doit le contourner.

Elle ne peut passer au-dessus de la lance ou de l’arc de son époux, car elle provoquerait par ce geste une rupture de la magie sympathique qui anime ces armes et mettrait ainsi leur propriétaire en danger. Elle ne peut, comme le mari d’ailleurs, enjamber la peau qui sert à porter l’enfant, celui-ci en mourrait.

Lors de l’occupation d’une nouvelle hutte, il appartient à la femme d’y porter elle-même la spatule destinée à la préparation de la bouillie de sorgho.

A la récolte, aucune femme n’est admise à entamer la coupe du sorgho avant qu’un homme n’ait préalablement fauché les premiers épis. La transgression de cette défense exposerait son auteur à déplorer une véritable fonte de la récolte.

La femme ne peut goûter aux prémices de la récolte de sorgho avant que son mari n’en ait consommé. Immédiatement après ce geste, celui-ci doit avoir un commerce sexuel avec son épouse.

La femme ne peut s’asseoir par terre ou sur un siège entre les deux poteaux d’entrée de l’enclos, ce serait exposer son mari au danger et même à la mort.

De même elle ne peut enlever les piliers qui soutiennent la hutte, ni les brûler, exception faite si elle est veuve, sinon elle mourrait.

Coutumes spéciales aux hommes.

Il est interdit de chanter en mangeant, cela risquerait d’ensorceler les frères germains. Lorsqu’on veut citer le nom d’une personne et qu’on se trompe de nom en prononçant celui d’une autre personne, il faut répéter celui-ci aussitôt en disant : « Arakavugwa : qu’il soit cité ». L’omission de cette formalité porterait malheur à la personne porteuse de ce nom.

Il est interdit de jeter le coussinet de charge ingata ou le petit panier icyibo sur quelqu’un, ce serait l’exposer à la stérilité ; s’il parvenait néanmoins à enfanter, il n’aurait que des filles. L’enfant qui aurait reçu ces objets deviendrait rachitique et ne saurait plus grandir. Si par mégarde l’ingata et l’icyibo atteignaient quelqu’un, il faudrait jeter un morceau de bois sur cette personne en lui disant : « Je te souhaite beaucoup d’enfants ». Il en est de même à propos de l’aiguille uruhindu.

Il est interdit de présenter de l’eau à quelqu’un à l’aide d’une demi-calebasse uruho, ce serait l’exposer à la stérilité.

Si un joueur de cithare inanga désire apprendre son art à un ami, il faut que ce dernier se lave les mains dans les siennes, ainsi tout son savoir sera communiqué par contact.

On ne peut s’arracher un cheveu blanc et le montrer ensuite à une personne : ce serait l’exposer à la cécité, voire à une mort prématurée.

On ne peut présenter un objet à quelqu’un en le lui passant derrière son dos, ce serait provoquer une mésentente

Lorsque deux personnes concluent une vente de vivres, l’acheteur remet au vendeur une poignée de semences en disant : « Que tu cultives et que tu récoltes abondamment ». Lorsqu’un voleur de vache est condamné à remettre au propriétaire une génisse de dommage-intérêts, il procède comme suit pour envoûter cette bête : il va la trouver au pâturage et lui dit : « Oh génisse, tu as donc déjà atteint l’âge d’être saillie ». Il est convaincu que par cette louange à rebours, la bête crèvera sans jamais mettre bas.

Le propriétaire d’une vache foudroyée qui se trouvait en gage chez un tiers, doit demander poliment à ce dernier de le dédommager faute de quoi ce tiers pour ennuyer le propriétaire, jetterait en l’air un os de la bête foudroyée, fait qui provoquerait par la suite la perte par la foudre de toutes les vaches de ce pasteur.

L’assassin qui veut échapper à l’exécution de la vengeance se lave les mains au cours de la nuit, à l’extérieur de la hutte, en disant ces mots : « Que je ne sois pas victime de la vendetta » ; dès lors il lui est interdit de manger du foie et cette interdiction est étendue à tous les membres de sa famille sous peine d’exposer le meurtrier à l’arrestation.

On deviendrait fou si l’on était mordu par un aliéné et l’on mourrait prochainement si l’on subissait la morsure d’un agonisant.

Un fiancé ne peut manger chez ses futurs beaux-parents, il exposerait les pourparlers du mariage à être rompus. Il est interdit de jeter des semences sur une personne, ce serait l’exposer à la cachexie.

Il est interdit à l’homme de se coucher dans le lit au côté gauche ivure réservé à la femme, et à celle-ci au côté droit impera réservé à l’homme, une mort prématurée sanctionnerait cette méconnaissance.

L’homme assis à l’entrée du lit umulere ne peut siffler, sa femme mourrait sous peu.

L’homme ne peut brûler l’herbe isheshe, ce serait un présage qu’il va battre sa femme sous peu.

Un homme ne peut jamais faire lever sa femme assise, elle mourrait sous peu.

L’homme ne peut pas préparer le lit si sa femme est présente, ce serait présager la fin prochaine de cette dernière.

Si le mari brise par inadvertance la courgette ubunure attachée à la ceinture de sa femme, courgette qui contient de multiples charmes, c’est que son épouse mourra sous peu.

Si un homme éprouve des démangeaisons ibicuro à l’anus, il se donne le nom de Sarahumba : celui qui perdra ses enfants, ses femmes, ses champs.

Si une fourmi noire mord un homme à la verge, c’est signe que sa femme mourra prochainement. Des démangeaisons à la verge font présager au père la mort prochaine de ses enfants.

Au lit, l’homme ne peut dormir vêtu d’un cache-sexe urubindo, ni se placer les mains entre les cuisses, sa femme mourrait.

L’homme ne peut, le premier, souhaiter le bonjour à sa femme, il incombe à celle-ci de saluer la première son mari, sinon elle mourrait.

Si un homme se fait raser les houppes de cheveux alors que ses parents sont encore en vie, sa femme en mourra.

Présages de malheur ou de mort pour la ménagère si le mari casse la cruche servant à préparer la pâte de farine de sorgho, maudit par des crachats le bâton de sa femme, casse son beurrier, défait son lit, suspend sa ceinture et lui porte un coup de spatule de ménage.

L’homme qui après avoir effectué ses besoins se frotte le derrière par terre pour se nettoyer (kwikuruza) présage la mort prochaine de sa femme.

L’homme qui a épousé une femme n’ayant pas de poils au pubis et qui désire que sa fortune ne diminue pas à cause de ce présage de malheur, prend une houe à l’apparition du premier croissant de lune et s’en sert pour nettoyer son enclos. Si un homme déjà marié épouse semblable femme et s’il ne veut pas accomplir le rite précité, il répudiera cette femme dès le lendemain du mariage afin de s’éviter tous désagréments.

L’homme ne peut se lever après sa femme, celle-ci n’enfanterait plus que des filles.

Il est interdit d’avoir des rapports conjugaux alors qu’une hutte brûle dans le voisinage, l’enfant conçu naîtrait albinos.

On ne peut grincer des dents, ce bruit provoquerait la stérilité.

Il est formellement interdit de se toucher la tête à l’aide du couteau rasoir, ce serait un présage de mort car ce couteau est employé à la fin du deuil, lors des rites de purification.

Connaîtront la fortune ceux qui, de nuit, ont vu en songe un veau umunyana allant boire seul à l’abreuvoir, ou qui auront vu une graine d’érythrine. Vivront dans l’éternité ceux qui, de nuit, auront vu le soleil retourner d’ouest en est, mais ils se garderont bien d’en parler de peur de mourir sur le champ. On dit de quelqu’un qu’il est « enduit de bouse de vache » s’il est vieux, possède une nombreuse postérité et un cheptel important.

Pour connaître la longévité, on place un peu de farine de sorgho sur la spatule de ménage qu’on tient en main ; si elle tombe en partie, l’on se trouve sous l’empire de mauvais esprits, si elle tient fermement, l’on vivra très vieux.

Après avoir prêté de faux serments, il est de coutume pour s’en délier de boire certains breuvages annulateurs ( incandahiro ).

Les membres de certains clans banyarwanda : Bacyaba, Bungura, sont considérés comme porte-malheur si on les rencontre le matin en se trouvant à jeun. Ils ne peuvent jeter un coup d’œil sur le complexe de fécondité iremo, dans les greniers et sur les champs fraîchement ensemencés : ils en provoqueraient la stérilité.

On ne peut couper ni brûler l’arbre umurinzi ayant poussé sur une tombe, pas plus que l’arbre solitaire imana, genre de ficus poussant isolément et empreint de force bénéfique.

Si en cours de route l’on butte à l’aller du pied droit contre une pierre, c’est un signe de chance pour les Banyiginya, les Basindi et les Bashambo, de malchance pour les autres clans ; si l’on butte du pied gauche au retour, c’est que la maison aura reçu la visite de voleurs ou qu’on perdra un enfant ; si l’on butte des deux pieds, il y aura bagarre à la maison.

Si en passant près d’un enclos, on sent l’odeur de la nourriture qui s’y prépare, il convient de dire pour éviter l’ensorcellement : « Vous ne m’y prendrez pas avec vos poisons ».

On ne peut porter droit son bâton, il faut l’incliner sur l’épaule, sinon ce serait se présager une mort de chien. Si le bâton tombe dans un trou, l’on est convaincu de trouver bientôt à boire de la bière. Par contre, c’est un présage de malheur si le bâton échappe des mains, il faut alors arracher une poignée d’herbe et la jeter sur le sol en disant : « Je jette la faim et non mon bâton ».

Si par inadvertance, on marche sur un fruit d’intobotobo, il convient, pour s’éviter des malheurs, de le ramasser et de l’envelopper dans une poignée d’herbe d’urutumbwe.

Avant de s’embarquer en pirogue, il convient de se frotter le corps d’un peu de boue puisée sur la berge, de cette manière la pirogue glissera plus vite sur l’eau.

On ne peut stationner en se croisant les jambes devant des indigènes partant à la chasse : ils reviendraient bredouilles.

Lorsque plusieurs personnes partent en caravane à la recherche de vivres, il convient que celle qui se place en tête lors du départ demeure constamment à cette position, faute de quoi l’on croit que l’équipe serait attaquée par des voleurs en cours de route ou qu’elle perdrait ses provisions d ’une manière ou d ’une autre.

Si un passant jetait un coussinet ingata sur l’un des porteurs afin de le nouer à un mauvais sort, ce porteur quitterait ses compagnons afin de ne pas leur communiquer l’envoûtement dont il est frappé. Les charges de vivres doivent être constamment protégées contre les coups du bout inférieur de la lance, celui-ci portant malheur.

Lorsqu’on passe près d’un endroit où une cruche de bière s’est renversée, il convient de le toucher du doigt et de porter ce dernier au front et à la poitrine. La femme enceinte prélèvera un peu de boue qui s’est formée au contact de la bière et la mélangera à de l’eau qu’elle boira ensuite afin que son enfant ne naisse pas atteint de la mycose ise.

Si un père de famille se rend à l’étranger à la recherche de vivres (guhaha) et que sa femme et ses enfants ont les cheveux coupés à ras, ils ne peuvent se les faire couper à nouveau avant son retour car il reviendrait bredouille.

Lorsqu’un homme tombe au milieu de son enclos, il y reste jusqu’à ce qu’on l’aide à se relever en lui promettant un cadeau : « Lève-toi, je te donnerai telle vache, je te donnerai une houe ». Si ce rite ne pouvait être accompli, l’homme abandonnerait son habitation, car la chute qu’il fit prédirait sa fin prochaine.

On ne peut prêter ses habits : ce serait l’origine de la pauvreté et de la misère pour le prêteur.

On ne peut passer entre des frères et sœurs rassemblés car ce geste risquerait de créer une mésentente chronique entre eux.

Si un porteur d’eau doit passer entre deux frères, il laissera tomber quelques gouttes d’eau entre eux afin de ne pas causer leur mort prématurément.

Le père ne peut jamais enjamber son enfant qui ne marche pas encore, il deviendrait rachitique et ne grandirait plus, il ne peut commettre l’adultère s’il a un fils, celui-ci ne grandirait plus.

Si un homme meurt de tuberculose, désormais ses frères et ses enfants ne pourront plus manger du foie (qui est censé être le siège de la maladie), sinon ils contracteraient la dermatose amahumane.

Il est interdit à un homme d’enterrer son enfant sur un banc rocheux, il ne saurait plus procréer. Il ne peut regarder la tombe de sa femme ni celle de ses enfants : les siens dépériraient par la suite.

Sous peine de mourir avec les leurs, l’homme ou la femme qui viennent de briser la pierre à moudre, la pierre à aiguiser ou la baratte, ne peuvent plus avoir de rapports conjugaux avant de s’être exorcisés en buvant la purge magique isubyo.

L’homme ne peut se coucher au milieu (mu kirambi) de la hutte en regardant le plafond, il en mourrait. Il ne peut siffler durant la nuit.

Durant le deuil de son épouse, il est interdit au veuf de consommer l’acte sexuel avec qui que ce soit, sous peine de contracter lui-même ou ses enfants la dermatose amahumane.

Le pacte de sang (Ubunywanyi).

Le pacte de sang (kunywana, litt. se boire) est conclu librement entre hommes seulement et de clans différents. Il est fréquemment pratiqué au nord-ouest du Ruanda, c’est celui que nous décrirons dans les lignes suivantes. Il est curieux de remarquer que si la demande émane directement de l’am ateur en faveur de tel ami déterminé et éprouvé qu’il juge digne de confiance, c’est à son père qu’il incombe d’entrer en relation avec le père du compagnon envisagé qui prend le nom d’umugeni w’amaraso (litt. la mariée de sang). Le père du requérant amène avec une cruche de bière qui est bue en commun, au domicile de l’ami dont le père offre également de la bière.

Au cours de cette libation, le père du requérant présente la demande formelle : « Consentez-vous à donner votre fils en qualité de mariée de sang au mien ? » Après avoir reçu l’accord, l’on se rassemble sur une natte, au cœur de la hutte (mu kirambi), loin de tous regards indiscrets, afin de procéder aux opérations. Le père du requérant, qui a apporté un petit rasoir spécial (kimwa ou urubaba rw’icumu), pratique une légère incision à la peau du ventre des patients à droite du nombril, en commençant par son fils, et leur donne à avaler de l’un à l’autre une goutte de sang qu’il dépose sur leur langue à l’aide de la pointe du rasoir. Aussitôt après, les contractants boivent de la bière de sorgho. Il est interdit aux patients de cracher ; ce serait rejeter l’igihango (le pacte). Tout en repassant le rasoir d’un mouvement de va et vient sur la paume de sa main gauche, le père du requérant énumère (gutongera) au second contractant les termes de la convention qu’ils concluent ; le père du contractant de seconde part agit de même à l’égard du requérant. Pendant cette opération, les conjurés sont assis nus l’un près de l’autre. Les pères servent ainsi de témoins instrumentaires (abateranyi, de guteranya : réunir, joindre) à leurs fils. Ils se donnent des engagements récuproques.

Le rasoir est maintenant remis au premier contractant afin qu’il jure de se montrer fidèle aux recommandations qu’il vient d’entendre. Retournant plusieurs fois la lame du rasoir dans la paume de sa main gauche comme pour l’aiguiser, il dit : « Si je ne m’acquitte pas de mes devoirs, que je sois tué parce pacte de sang». Il donne ensuite le rasoir à son compagnon qui accomplit le même geste et prononce la même sentence. Cela fait, ils se remettent des cadeaux réciproques : une chèvre ou de l’argent en disant : « Voici ce que je te donne pour que tu quittes la natte » où ils se sont momentanément enroulés en une communion hiérogamique, en signe de leur union étroite. Les conjurés opèrent mutuellement des gestes symboliques tout en énonçant l’acte auquel ils s’engagent. Ils se rasent une touffe de cheveux en signe qu’ils se raseront désormais l’un l’autre ; ils se posent le rasoir sur le front, attestant par là qu’ils se saigneront mutuellement lorsqu’ils auront des maux de tête ; ils se placent le rasoir sur le gros orteil car ils devront s’aider à s’enlever les puces chiques.

Les conjurés après avoir donné dix ou vingt francs à la maîtresse de céans pour qu’elle s’achète un peu de bière en compensation de celle qu’elle leur a offerte, se dirigent vers l’extérieur de la hutte où ils continuent leurs gestes symboliques. Ils s’empoignent à bras le corps, mimant une lutte mais sans se jeter par terre, tout en disant : « Si nous nous disputons, nous nous réconcilierons aussitôt ». Puis ils se portent l’un l’autre sur le dos, en disant : « Le jour où tu seras malade, je t’emmenerai à l’hôpital ». Ils rentrent à nouveau dans la hutte où ils achèvent les cruches de bière avec leur père, ils se quittent finalement en se serrant la main tout en se promettant de veiller à maintenir fermement leurs relations d’amitié.

Le rituel du pacte de sang et le serment qui s’ensuit varient quant à des questions de détail d’une région à l’autre. Ce sont parfois des amis qui sont convoqués en qualité de témoins. On peut pratiquer les incisions avec une flèche irago servant à saigner le gros bétail, après l’avoir aiguisée sur la pierre meulière dormante ingasire, les contractants se saignent mutuellement. Au lieu de boire de la bière de sorgho, au moment d’avaler le sang, ils absorbent un peu de bouillie de farine de sorgho contenue dans une feuille d’érythrine ou d’umurembe enroulée en forme de cornet ; à cette bouillie on ajoute un peu de lait de vache isugi (qui n ’a pas perdu de veau) préalablement trait dans un pot isugi (sans fêlure). Les contractants, tout en aiguisant l’irago sur la paume de la main gauche, se confient réciproquement le serment. Feuilles d’érythrine ou d’umurembe et la flèche à saigner sont désormais conservées précieusement. Les cadeaux que s’offrent les contractants après s’être retirés de la natte (gukura ku kirago) varient selon leur état de fortune : ils consistent en vache, chèvre, houe, etc. Entre Bahutu, on achève les gestes symboliques en prélevant une perche de l’enclos et une poignée d’herbe du toit de la hutte, en signe que même en cas d’absence de son frère de sang, le second contractant pourra user et abuser de sa demeure.

Outre qu’il soit fréquent chez les montagnards du nord-ouest, on retrouve le pacte du sang dans l’initiation au culte des esprits divinisés entre le consécrateur et le nouvel initié, et dans la vallée de la Ruzizi à l’occasion du contrat de bétail (ugushega). Si le pacte accuse un certain caractère de solidarité mutuelle dans le bien, il n ’en demeure pas moins qu’il révèle des aspects amoraux et immoraux : obligation de se céder mutuellement les femmes (il arrive souvent que deux conjurés couchent en même temps avec la femme de l’un), complicité obligatoire dans le crime, dissimulation du coupable aux investigations des Autorités, interdiction de dénonciation de ses agissements délictueux, répercussion des clauses sur le comportement des enfants des conjurés en énonçant des conséquences à leur égard. Rien d ’étonnant, eu égard à la confusion des femmes, qu’il soit interdit aux enfants du conjuré de première part de prendre un conjoint parmi ceux du contractant de seconde part.

En suite du pacte de sang, les deux familles auxquelles appartiennent les conjurés deviennent solidaires. On croit que si l’un des contractants trahissait (gutata) les obligations de la convention, il serait frappé automatiquement de peines immanentes : dermatose amahumane, perte des biens, stérilité, mort ; toutefois ces peines n’atteindraient pas sa famille directement. Le pacte crée entre les deux contractants des liens plus étroits qu’entre deux frères de mêmes père et mère.

Le pacte de sang est à vie et irrévocable, personne pas même les contractants ni le mwami ne peut l’annuler. Un même individu peut réaliser des pactes de sang avec plusieurs personnes.

Lorsque l’un des contractants meurt, sa femme, ses enfants et ses biens suivent les règles du droit coutumier ordinaire, ils ne tombent pas d’office sous la juridiction du contractant survivant. Si la veuve le désire, elle pourra aller cohabiter (guhungura) avec ses enfants chez le contractant survivant, voire se remarier avec lui. Si le défunt ne laisse aucun ascendant ou collatéral, le survivant du pacte devra obligatoirement s’occuper, en qualité de curateur et de tuteur, de sa veuve et de ses orphelins, ceux-ci hériteront des biens de leur père à leur majorité, selon les règles coutumières habituelles.