Naissance et premier âge.

Le but primordial sinon unique du mariage, chez l’indigène du Ruanda-Urundi, est la procréation en vue d’assurer la continuité de la famille et, par là, le culte aux mânes des ancêtres. On pourrait affirmer que durant toute sa période de fécondité, soit depuis l’âge de 15 ans jusqu’à 45 ans, la femme passe sa vie en allaitements, environ deux ans chaque fois, et à attendre famille. Il est donc fréquent de rencontrer dans ce pays des femmes ayant eu 10 à 12 enfants. Malheureusement, par suite du manque d’hygiène et de soins intelligents, la mortalité infantile est considérable, elle varie de 10 à 27 % chez les enfants de moins de trois ans.

Dans certaines régions comme au Mayaga (territoire de Nyanza) 25 % des bébés disparaissent avant d’avoir atteint l’âge d’un an, ailleurs c’est l’époque du sevrage qui est la plus critique.

La stérilité de la femme de même que la mortinatalité répétée constituent des causes de divorce. L’une des raisons essentielles de la polygamie fut le désir d’avoir une forte progéniture. Simons cite le cas du mwami de l’Urundi Mwezi II Gisabo qui eut 21 fils et 51 petits-fils.

Rites en faveur de la conception

 Il faut faire en sorte que l’enfant puisse naître, que la femme soit mise à même de concevoir. Si elle peut communiquer sa puissance fécondante aux semences, celles-ci, mises au contact de la femme, peuvent également lui procurer leur propre pouvoir de multiplication. Dans ce but, au moment de son mariage, la jeune fille portera au cou le noyau du fruit du bananier sauvage (Musa ensete) qui donne un formidable régime. On dépose une cruche d’eau dans la hutte à l’intention de Dieu Imana car c’est lui qui accorde la conception.

Par ailleurs, elle devra se préserver des influences maléfiques et à cet effet, elle devra se ceindre le ventre d’une corde umweko pourvue d’une courgette ubunure, dans laquelle entrent des charmes : morceaux de peau de loutre, des poils de loutre, une perle noire, etc.

Pour avoir des enfants, l’on fera des sacrifices aux mânes des ancêtres ou à Ryangombe afin d’obtenir leur appui ou pour neutraliser leur influence néfaste ; en dernière extrémité, si l’on croit la femme en butte à un mauvais esprit et pour faire disparaître sa stérilité, on l’initiera au culte de Ryangombe et on ira à cette occasion jusqu’à lui exorciser le corps et le vagin à l’aide d’excréments.

Rites de la grossesse ( inda ) .

  1. Pour la femme.

La femme enceinte doit se mettre à l’abri de tout ce qui pourrait causer du tort au fruit qu’elle porte. Aux précautions d’ordre physique, elle en ajoutera une foule d’autres d’ordre purement magique. Il faut faire porter une griffe de léopard à la femme menacée d’avortement et lui donner à boire de l’eau d’inkuri qui est un talisman en forme de petit pain de sucre confectionné à l’aide de kaolin blanc contenant différentes herbes guérissant diverses maladies : pian, syphillis, etc. Très tôt le matin, la femme enceinte après s’être dirigée vers la cour arrière de sa hutte, l’igikari , trempe ce talisman dans de l’eau déposée dans un fond de calebasse, puis la boit, afin de protéger des maladies son futur enfant.

Elle a l’obligation de porter à la fois des amulettes bénéfiques et des charmes défensifs.

Le premier ndibu précité ayant donné les preuves de son pouvoir de fécondité, est délaissé et remplacé à partir du quatrième mois par le giheko des mères porté d’abord au mollet jusqu’au septième mois de la grossesse et ensuite à la ceinture. Son but est d’éliminer les maléfices, d’éviter l’avortement, de faciliter la naissance et même de favoriser la croissance du bébé durant un certain temps. D’autres charmes consistent en :

Un sachet de poils de mouton et de léopard ;

Un morceau de peau de lion, un bout de tige d’ishyoza et d’umurembe ;

Un chalumeau vieux de deux ans ayant servi à boire de l’hydromel ;

Une coquille d’escargot isimbi ;

Une perle rouge isheshe et un bout de roseau urubingo ;

Des pièces trouées de cinq ou de dix centimes.

Quand ces éléments sont rassemblés, la femme coupe d’un seul coup de glaive inkota, une branche d’umuhanga. On invite un jeune garçon isugi (dont les parents sont encore en vie), n’ayant jamais été malade du pian, à couper une tige de Ficus umutabataba qu’il effeuille dans un van neuf et qu’il écorce ensuite. La branche d’umuhanga est réduite en fines lamelles et le tout est placé dans un sachet confectionné à l’aide de l’écorce de ficus, sachet que la femme portera constamment sur elle jusqu’à l’accouchement. La femme et l’enfant isugi s’asseoient dos à dos et le garçon lui passe le charme autour du cou. Cette opération ne peut avoir lieu qu’après que ce charme ait été touché par une bergeronnette, totem des Bagesera. Si la femme doit se débarrasser momentanément de son talisman, elle le déposera obligatoirement sur une chaise. Avec l’âge, la femme pourra le porter soit au bras soit à la jambe. Arrivée à la ménopause, elle le confiera à sa belle-fille. Si malgré le port de ce talisman la femme avortait trop souvent, elle l’abandonnerait. Mais au contraire, si elle a eu beaucoup d’enfants, elle ne manquera pas de le conserver, voire de le placer autour du cou de son dernier-né en attendant la prochaine conception.

La femme enceinte s’interdira de stationner sur le seuil de sa hutte, vraisemblablement pour éviter certaines attaques du « mauvais œil ».

Elle portera des ligatures de vie, notamment une ceinture de perles ou tout simplement d’herbe, autour du ventre, afin d ’éviter que ne s’en aille la vie qui s’y trouve, qu’elle ne soit pas atteinte par les mauvais esprits ou par les maladies des personnes qui l’approchent et que son enfant n ’attrape pas des vers. Elle s’interdira de serrer trop sa ceinture umweko, car l’enfant pourrait naître étouffé par le cordon ombilical.

Elle se rendra fréquemment, avec des cadeaux, en consultation chez le devin-guérisseur umupfumu.

La femme enceinte sommeille souvent, elle est alors considérée comme une malade ; en conséquence, se trouvant au lit, elle ne peut jamais en descendre en passant au-dessus de son mari, car ce dernier contracterait sa « maladie ».

Si, étant assise par terre les jambes étendues, elle a été enjambée, elle obligera la personne responsable de recommencer son geste en sens inverse afin de ne pas mourir lors de l’accouchement.

On prétend qu’il existe sur la femme enceinte un trait noir remontant parfois du nombril vers le cou en passant entre les seins, et partant parfois vers le bas ; dans le premier cas la femme donnera naissance à un garçon, dans le second à une fille. Les mouvements du foetus s’ils sont perçus à droite présagent la naissance d’un fils, à gauche celle d’une fille.

De peur d’avorter, elle ne peut assister à un accouchement ni même passer à proximité de l’endroit où il a lieu. Si une mouche pénètre sous les habits d’une femme enceinte puis en ressort, c’est signe qu’elle avortera prochainement.

La femme nouvellement enceinte ne peut venir chez ses parents sans avoir accompli la cérémonie du guca mwirembo (litt. passer par l’entrée de l’enclos), qui consiste à entrer solennellement avec son mari en apportant de la bière.

Pour préserver son futur enfant de la cécité, elle s’interdira d’approcher d’un lieu où une chienne vient de mettre bas et dont les chiots ne voient pas encore.

A la vue d’un serpent, elle ne peut ébaucher le moindre sourire, elle ne peut l’écraser, son enfant naîtrait avec la langue pendante.

Si elle se moquait d’un paralytique ou d’un monstre quelconque, elle donnerait naissance à un être identique.

La vue d ’une personne habillée de pied en cap l’oblige à se ceindre d ’un cordon de tissu, sinon son enfant naîtrait complètement recouvert du placenta.

Elle doit éviter de voir des choses extraordinaires : vélo, moto, auto, etc., afin de ne pas accoucher d’un monstre. Pour obvier à cette catastrophe, elle doit toucher l’objet du bout des doigts et se toucher ensuite le ventre. Lorsqu’à Kibuye les femmes enceintes virent pour la première fois un bateau de construction européenne lâchant l’eau chaude de ses radiateurs, elles se mirent à en boire. La vue d’un Européen, l’audition d’un coup de fusil sont autant de « monstruosités » qui risquent fort de lui créer de sérieux désagréments : cela suffirait pour que l’enfant naisse albinos ou qu’il contracte une dermatose amahumane peu après sa naissance. Afin de conjurer le malheur qui s’annonce, il faut que la femme porte sur elle, en guise de talisman, un objet ou un fragment d’objet de provenance européenne : douille de cartouche, pièce de monnaie, bout de papier, tesson de tuile, etc.

L’apparition de l’avion a suscité l’éclosion d’une nouvelle mesure de protection : si en certains endroits, il suffit d’essayer de toucher l’engin, ce qui est déjà bien difficile eu égard aux mesures de précautions dont il est l’objet, ailleurs, il suffit à la femme de se procurer quelques  gouttes d’essence et de la boire.

Si elle se trouve en présence d’une hutte qui brûle, elle doit ramasser quelques brins d’herbe et de corde et les jeter en direction de l’incendie, en disant: «Voici l’herbe et les cordes » (geste symbolique par lequel on promet de participer à la reconstruction), afin que son enfant ne naisse pas avec des taches rouges et des yeux qui louchent. Ce jour-là, il lui sera interdit de coucher avec son mari avant qu’ils n’aient absorbé la purge magique isubyo.

Interdiction à la femme enceinte de s’asseoir dans une pirogue ou sur un récipient à lait igicuba, elle donnerait naissance à un enfant impare dont la verge serait dépourvue d’épiderme.

Elle ne peut jamais se coucher sur le dos, elle doit se reposer sur le flanc droit ou sur le flanc gauche, pour passer d’un côté à l’autre, elle doit le faire sur le ventre ou se lever afin d’éviter que son enfant ne naisse étouffé par le cordon ombilical.

Elle doit éviter de regarder une vache qui éprouve des difficultés à mettre bas, sinon elle accoucherait difficilement. Si par hasard elle se trouve en présence de semblable conjoncture, elle doit arracher une touffe d’herbe, cracher dessus et la jeter sur la bête en disant : « Que tu t’en ailles seule (s. e. que tu souffres seule) ». Si cette vache venait à crever et que la femme devait en manger la viande, elle ne pourrait le faire qu’en s’appliquant un entonnoir sur la bouche.

La femme enceinte ne peut se coucher sur l’herbe qui servit à empaqueter le sorgho mis à fermenter pour faire de la bière.

Elle doit soigneusement se garder d’écraser un poussin, si cet accident arrivait, elle devrait plonger l’animal dans de l’eau et boire celle-ci pour s’exorciser. Elle ne peut voir aucun cadavre quel qu’il soit sinon elle avorterait. Elle ne peut regarder la tombe creusée pour son enfant ou pour son époux défunt, sinon elle accoucherait d’un mort-né ; non enceinte elle s’exposerait à la stérilité. Si par hasard son regard se posait sur une tombe qu’on creuse, elle devrait se moucher dans une feuille d’érythrine et la jeter ensuite dans la fosse.

La cruche contenant de la bière est fréquemment recouverte de feuilles de bananier, pour y boire, il faut trouer ce couvercle afin d’y passer le chalumeau, mais ce procédé est interdit à la femme enceinte de crainte qu’elle accouche d’un enfant mort-né.

Sous aucun prétexte, la femme enceinte ne peut suspendre une corde au plafond de la hutte, l’enfant naîtrait étranglé dans le cordon ombilical. On détache toujours les cordes qui pendent du plafond dès qu’il s’avère que la maîtresse attend un enfant.

Elle ne peut couper les éteules de sorgho et de maïs (ibisigati), ni enjamber l’endroit où eut lieu un accouchement, ni manger de la viande d’une bête crevée.

Chez les Batwa chasseurs, la femme enceinte doit soigneusement s’abstenir de circuler ou de trop parler lorsque son mari est parti à la chasse à l’éléphant ou au buffle, si elle transgressait cette défense, son époux risquerait fort de perdre la vie sous l’attaque de l’animal. Elle ne peut avoir des rapports adultérins sinon elle s’exposerait à mourir en cours de couches. Toutefois ce malheur n’aurait pas lieu si après ces rapports, elle se donnait immédiatement à son mari tout en ayant bu, sur le conseil du devin-guérisseur, le liquide exorciseur isubyo.

Elle doit suivre un certain rituel lorsqu’elle perd son mari : elle absorbe le philtre magique isubyo et porte au poignet, en guise d’amulette, un petit bout de bois d’umunyuwintama (litt. : sel de mouton). Elle accomplira ensuite le kumumalira en opérant un simulacre de relation sexuelle avec un membre de la famille du défunt, le parrain mystique umuse du clan ou un compagnon d’occasion. Cette copulation rituelle de revivification ne peut pas être exécutée dans le lit de la femme mais en un endroit écarté. Si pour un motif quelconque ce rite n’a pu être accompli, la femme demeurera en deuil jusqu’à l’accouchement, et si elle donne le jour à une fille, elle devra procéder à la sortie de deuil (kwera) qui comporte une copulation rituelle ; elle en sera dispensée si elle donne naissance à un garçon.

Il est interdit à la femme enceinte en Urundi :

De passer dans un champ de maïs ;

De manger des bananes tombées par terre ;

De traverser un marais où il y a beaucoup de papyrus ;

De passer dans un champ d’arachides, devant une vache pleine, au-dessus d’un bois pourri, d’une courge pourrie ou d’un chien crevé ;

De regarder curieusement quelqu’un qui se tient près de la porte ;

De rire en regardant un chat ;

Un visiteur ne peut sortir de la maison d’une femme enceinte sans s’être tourné d’abord complètement.

Il ne faut pas passer devant une femme assise les jambes étendues.

Défense au mari de passer la rivière en pirogue, elle chavirerait ; de creuser la fosse pour un cadavre.

Même défense pour le père d’un petit enfant encore à la mamelle.

Défense de se ceindre d’une ceinture, de frapper la femme d’une baguette ;

De rem ettre un voyage fixé à tel jour.

La femme ne peut passer sur un nid où il y a des œufs.

Elle ne peut entrer dans la hutte avec une charge de bois, sans l’avoir déliée d’abord dans la cour ;

De faire du feu avec du bois avant de l’avoir cassé ;

De se moquer d’un malheureux ;

De regarder un lézard qui sort la langue ; si elle le voit par mégarde, elle doit sortir la langue elle-même, autrement elle m ettrait au monde un enfant sortant la langue.

Défense de tresser quoi que ce soit ;

De m ettre au feu une porte usée ; Si le pot casse sur le feu, la femme ne peut manger la bouillie qui se trouvait dedans ;

Défense de manger de la vache pleine tuée par accident, d’une vache brûlée dans une hutte.

En général, il lui est défendu d’user de choses jumelées sous peine de m ettre au monde des jumeaux, ce qui est considéré comme une calamité ;

Si elle a soif, au lieu de penser à du lait ou à de la bière, elle doit penser à de l’eau.

En rencontrant un serpent endormi, elle ne peut passer avant qu’il n’ait ouvert les yeux ; elle lui jette une pierre, s’il n’ouvre qu’un œil, elle doit l’imiter.

  1. Pour l’homme

 Il s’agit pour lui non seulement d’éviter tout ce qui pourrait nuire directement à l’enfant conçu, mais encore indirectement suite aux croyances basées sur la magie. De plus, il accomplira des rites de nature à renforcer la vie qu’il a créée.

En principe, il lui est interdit d’avoir désormais des rapports sexuels avec sa femme jusqu’au moment du sevrage.

En principe, il ne peut tuer, ni chasser. Si néanmoins il va à la chasse, il doit d’abord abattre l’animal en pensée en décochant dans sa direction une flèche avec un petit arc.

Il doit renforcer sa virilité en enfilant à la ceinture de son vêtement une série de petits anneaux de fer (impigi).

S’il assiste à un enterrement, il portera une ligature autour du corps en guise d’obstacle aux esprits maléfiques.

Il effectuera des sacrifices d’apaisement aux ancêtres en cas de malaise de sa femme (kumalira umugore).

Il exécutera un sacrifice propitiatoire à Ryangombe pour que l’enfant arrive à bon terme.

Il se gardera bien de toucher les liens qui servirent à ligoter un voleur, sinon son épouse mourrait en avortant. En effet, la femme enceinte est intitulée umunyaga (de kunyaga: spolier litt. botte de sorgho qu’on place dans l’eau en vue de la fermentation).  S’il trouve quelqu’un occupé à racler une peau de bête, il doit l’aider dans ce travail s’il désire éviter l’avortement de son épouse.

S’il rencontre un chien crevé, il se gardera bien d’avoir des rapports conjugaux avec sa femme enceinte de crainte qu’elle accouche d’un enfant squelettique qui mourrait bientôt. Il ne peut assister à un enterrement, sa femme donnerait naissance à un enfant mort-né.

Il est interdit à l’homme marié qui n’a pas encore d’enfant ou qui n’en a pas encore perdu un seul, d’avoir des relations sexuelles avec une femme enceinte qui a récemment perdu un enfant et qui n ’a pas encore effectué de copulation rituelle avec son mari ou un compagnon de circonstance ; l’homme en question s’exposerait à ne plus avoir d’enfant.  Si une femme n’enfante que des filles et que son mari désire des garçons, il doit la battre avec des orties.

Le mari qui a assisté à l’incendie d ’une hutte doit en aviser son épouse et s’abstenir de rapports conjugaux jusqu’au jour où il aura absorbé le philtre exorciseur isubyo.

  1. Rites de la naissance.
  2. Pour la mère.

Il faut faire en sorte que l’enfant puisse venir au monde ; à cette fin, l’on fera appel non seulement à l’accoucheuse et au forgeron pour les cas difficiles, mais encore aux moyens magiques.

  1. a) Réclusion de l’accouchée. Celle-ci doit demeurer cachée aux yeux des étrangers car elle est porteuse d’une plaie, elle perd du sang, elle constitue donc un danger de mort pour elle-même et pour autrui ; dans ce cas, dire qu’elle est impure n’est employer qu’un euphémisme. Le bébé est impur par suite de son contact avec sa mère ; d’autre part, étant frêle, il est spécialement susceptible de devenir la proie du mauvais œil, il faut donc le cacher. La mère ne pourra même pas répondre aux personnes qui l’interpelleraient de l’extérieur.
  2. b) Au moment de la naissance, le giheko que la mère portait est déposé dans de l’eau placée au creux d’une chaise, afin qu’il « enfante de concert avec la mère », on y met également la ceinture et son bouton magique ubunure de la mère. En même temps, il conviendra d’effectuer un sacrifice propitiatoire aux mânes des ancêtres ou à l’esprit divinisé de Ryangombe. Dès l’accouchement, la nourriture qui se trouve dans la hutte, devient impure, on ne peut plus y toucher, elle n’est bonne qu’à être jetée.
  3. c) Il conviendra de descendre les objets qui sont suspendus aux cloisons de la hutte, de même, les accoucheuses descendront leurs vêtements : le semblable provoquant le semblable, l’enfant sortira d’autant plus aisément du ventre de sa mère.
  4. d) On allume dans la hutte un feu purificateur de brindilles qui brûlent vite, car brûler du gros bois (imyase) ne pourrait que retarder la naissance. Si la femme a enfanté d’un garçon, on doit brûler une des bûches qui servent à fermer le kraal (imyugariro).
  5. e) La mère et l’enfant doivent être renforcés, il faut les mettre en rapport avec des puissances fortifiantes ; ici, c’est la « terre-mère » qui est choisie à cet effet. La parturiente est étendue à même le sol sur un peu d’herbes (ikiriri), le bébé demeurera durant tout le temps de la réclusion, couché près de sa mère, sur le sol également.
  6. f) On ne peut entrer dans une hutte où une femme a accouché avant de s’être aspergé d ’eau lustrale.
  7. g) Il est interdit de prononcer le nom du sexe d’un nouveau-né avant le huitième jour suivant sa naissance, sinon le ménage n’enfanterait plus que des enfants du même sexe. Il en est d’ailleurs de même en ce qui concerne le gros et le petit bétail, le nom du sexe ne peut être prononcé qu’à l’écart du lieu où la bête a mis bas.

Les femmes enceintes et celles qui ont leurs règles ne peuvent assister à un accouchement. Si la femme enceinte meurt, il faut lui extraire le fœtus par autopsie pour en connaître le sexe et l’ensevelir à part, sinon les membres de la parenté risqueraient de mourir : les hommes d’occlusion intestinale et les femmes de fausses couches.

  1. b) Pour le père.

Il devra s’interdire d’accomplir certains gestes qui pourraient, selon les conceptions de la magie, faire du tort à la mère ou à l’enfant, c’est ainsi qu’il ne pourra pas traverser une rivière : cela pourrait les refroidir et les rendre malades. Il ne peut assister à l’accouchement proprement dit.

Dans de nombreuses sociétés primitives on pratique le rite de la couvade afin de faire entrer l’enfant dans le clan du père. Il est à se demander si au Ruanda-Urundi, l’on ne se trouve pas devant un résidu de cette coutume dans les faits suivants :

  1. a) Pour activer la naissance de l’enfant, le mari attache la ceinture de sa femme à son gros orteil et la traîne autour de la hutte, en criant : « Vuka, vuka : que tu naisses, que tu naisses » ;
  2. b) Tous les travaux du ménage incombant normalement à la femme, et qui pourraient parfaitement être exécutés durant ces jours par une parente ou une amie, sont dévolus au mari : il ira puiser l’eau, apportera du bois, récoltera les patates douces, moudra le sorgho et cuira les aliments ;
  3. c) De son côté, la femme, pour sortir de la hutte, portera un des instruments strictement réservés, en tout autre temps, au sexe masculin : si elle a accouché d’un garçon, elle s’armera d’une faucille, si elle a donné la vie à une fille, elle prendra un glaive ;
  4. d) Le mari ne peut quitter sa demeure au cours de la réclusion de sept jours suivant l’accouchement de sa femme, il risquerait d’être blessé en cours de route.

Lorsque sa femme vient d’accoucher, le mari évitera d’avoir des rapports adultérins ou avec sa seconde femme, afin que son épouse ne devienne stérile.

Le mari doit récompenser (guhemba) la mère ; à cet effet, il lui apporte, à discrétion : lait, bière, victuailles, en signe tangible de sa paternité légitime, même s’il est séparé de sa femme.

  1. c) Pour l’enfant.
  1. Première purification.

L’enfant est, dès sa naissance, ondoyé à l’aide d’eau préalablement tiédie dans la bouche de l’accoucheuse. Il est oint de beurre immédiatement après.

  1. Rites de première préservation contre les mauvais esprits.

La mère attache au poignet de l’enfant le charme igiheko qu’elle portait depuis le début de sa grossesse, ce sera désormais sa protection contre l’emprise des mauvais sorts ; elle lui fait boire un peu de lait d’une vache isugi (qui n’a pas encore perdu de veau) pour lui conserver ses parents en vie.

Il s’agit ensuite de faire croire aux esprits maléfiques que l’enfant qui vient de naître est absolument indigne de tout intérêt de leur part ; on usera à cet effet d’un procédé identique à celui employé lors de la dation d’un nom rebutant : la mère regarde son bébé avec des yeux furibonds, elle le trouve malfait, vilain et commence à l’insulter ; de mépris, elle crache par terre. Ce rite s’intitule kutukira umwana , il est considéré comme le grand préservatif contre toute influence maléfique. En Urundi, la mère l’insulte à l’aide de noms d’animaux, le traitant notamment d’hyène.

Le cordon ombilical (urureri – uruzogi) ne sera pas coupé avec une lame de fer, mais à l’aide d’un éclat de bambou ou d’un roseau dont on aura enlevé huit lamelles dont l’enfant sera préalablement touché « pour que cela le fortifie et ne lui fasse pas mal ». Le cordon ombilical est conservé desséché (umukungwa). Il sera placé avec les premiers cheveux de l’enfant, dans un goulot de courge (inkondo) suspendu à un collier de bâtonnets que l’enfant portera jusqu’au sevrage afin que cela le fasse grandir : biramukuza.

Le placenta (ingobyi) est soit mis à dessécher sur une paroi de la hutte, soit donné à manger à un chien, du sexe de l’enfant, pour éviter qu’il ne tombe dans des mains étrangères maléfiques, soit enterré. Dans le même ordre d’idées, les feuilles qui ont servi à nettoyer l’enfant, les balayures de la hutte, les cendres du foyer et les excréments de l’enfant seront conservés dans l’habitation jusqu’aux relevailles afin d’éviter qu’ils servent de matière à l’envoûtement.

En Urundi, ces résidus sont ramassés notamment par l’accoucheuse qui les enterre au pied d’un bananier ; désormais, les fruits de ce bananier lui appartiendront de droit. L’enfant est placé dans une peau de mouton apportée par le père.

iii. Rites des relevailles (usohora) ou de reconduction des relations sociales.

A la fin de la période de réclusion de la mère et de l’enfant, on les réintègre dans la société par différents rites d’agrégation. En tout premier lieu, on fait disparaître toutes les traces d’impureté que la mère et l’enfant portaient durant l’isolement, on les purifie. Dans l’antiquité, on plongeait l’enfant tout entier dans de l’eau afin qu’il fût complètement lavé de la substance délétère qui adhérait à lui.

Les rites des relevailles ont lieu au Ruanda-Urundi dès que s’est détaché le reste du cordon ombilical adhérant au bébé. Ils ne pourront s’effectuer qu’un jour pair après l’accouchement, car les jours impairs portent malheur normalement, ils ont lieu le huitième jour.

  1. a) Pour la mère.

Après s’être lavée, la mère se met à l’abri des mauvais sorts en portant différentes ligatures de vie : des anneaux aux jambes (butega: du verbe gutega, tendre un piège), des bracelets, des colliers, une ceinture et enfin une couronne de fécondité (urugore) sur la tête.

Elle ne peut moudre de la farine tant qu’elle a beaucoup de lait. On craint en effet que courbée sur ses pierres meulières, elle laisse tomber quelques gouttes de lait dans la mouture. Le mari ne pourrait consommer la pâte préparée avec cette farine, car il est interdit aux hommes de prendre le sein.

  1. b) Pour le père, les assistants et la hutte.

Tout ce qui a été au contact de la mère est considéré comme impur. On fera appel à un exorciseur qui purifiera la hutte et les assistants à l’aide d’eau lustrale à base de kaolin blanc. Les herbes constituant le lit d’accouchement, les cendres, les balayures de la hutte, et les excréments du bébé, sont déposés par la mère qui sort portant son enfant sur le dos, parfois par l’accoucheuse, au pied d’un bananier dont les fruits lui appartiendront jusqu’à la prochaine naissance.

  1. c) Pour l’enfant et la mère
  1. Seconde phase des rites de purification (Kwogosha no guhekesha umwana).

On fortifie d’abord le bébé par le contact du couteau-rasoir qui sera employé en disant : « Ntukalire, ntugatinye icyuma : ne pleure pas, ne crains pas le couteau » (s. e. sois endurant). On lui rase ensuite les cheveux pour la première fois. Comme nous l’avons vu, certains parents placent une mèche de ces cheveux dans un charme inkondo où se trouve un bout du cordon ombilical. Il est maintenant placé durant quelques instants sur le dos de sa mère, retenu dans une peau de mouton (ingobyi).

  1. Rites d’introduction de l’enfant et de la mère dans la vie sociale.

La mère, portant sa couronne de paille de sorgho urugore et habillée d’une jupe inkanda (peau de vache), se place devant la porte où on lui apporte beaucoup de nourriture. Elle s’assied et tient le bébé sur ses genoux. Elle a pris place sur un siège à l’entrée de la hutte. On appelle des enfants du voisinage qui se rendent dans les champs et en rapportent des semences d’isogi, d’éleusine et de courge, trois des quatre plantes sacrées du pays.

S’il ne pleut pas, on jette de l’eau en l’air en disant : « Il pleut, il pleut, il pleut… ». C’est alors que les enfants accourent et trouvent la mère devant la maison. Ce rite signifie : avoir une grande prospérité, de bonnes récoltes et une grande richesse, eu égard au pouvoir fécondant de la pluie.

La mère tient l’enfant sur ses genoux et l’on vient lui imposer quelques objets symbolisant ses attributions futures :

Pour une fille, des fillettes lui présenteront des herbes inshinge avec lesquelles on tresse les nattes, et des branchettes servant à faire des balais ; Pour un fils, le père le touche avec ses arc, flèches et lance.

Des jeunes enfants, remplaçant le bébé, exécutent pour lui une scène purement mimétique de labour et de semailles. Si le bébé est une fille, les enfants effectueront la mimique des différentes besognes qu’une femme de ménage accomplit à l’intérieur de la hutte.

Par la suite, un repas en commun est servi à ces enfants, repas préparé par les parents et dans lequel ils prélèvent une part symbolique pour le nouveau-né. Les enfants donnent ensuite des sobriquets au bébé et c’est sous l’un d’eux qu’il sera appelé plus tard attendu que son vrai nom doit demeurer secret.

Cette cérémonie est publique et les grandes personnes qui y assistent reçoivent de la bière. Les oncles et les tantes du bébé ne peuvent pas assister à ce festin de relevailles.

Par la suite, les parents de la femme apporteront — si cela n’a déjà pas été fait — la véritable dot indongoranyo au mari, dans le but de resserrer les liens familiaux. L’indongoranyo ne sera jamais donnée au mari s’il n’avait versé les gages matrimoniaux inkwano. La mère quitte sa couche ikiriri pour réintégrer le lit conjugal uburiri.

Par ailleurs, il faut la revivifier par l’exécution d’une copulation rituelle (gutera umwana). Pendant la nuit succédant aux relevailles, la mère devra avoir un rappro­chement avec son mari ; l’un de ses beaux-parents, un ami ou un parrain du clan si son mari est absent ou mort. Il s’agit bien d’un rite de revivification profitable à la mère car l’indigène est convaincu que l’omettre l’exposerait à ne plus enfanter. Les parents envoient à leur fille, avec deux ou trois cruches de bière, l’ibyeru (de kubyara: accoucher) qui est un cadeau possédant des qualités magiques, le huitième jour après la naissance de son premier enfant. Il consiste en une assiette de vannerie neuve que l’on enduit de kaolin, on y dépose un petit panier contenant du sorgho, des haricots et des pois, sur ces derniers on place deux poignées de farine de sorgho, dans cette farine on enfonce un bout de tige de sorgho pourvu à son extrémité d ’une feuille d’umuko ; ensuite on enduit de kaolin un tesson de cruche ururama qu’on remplit de bière de sorgho, on y met une touffe d’herbes d’imana yeze (litt. Dieu est favorable), d’urukangaga et d’umwishywa. ‘L’ibyeru est porté par un jeune garçon isugi (dont les parents sont encore en vie) si la jeune maman a donné le jour à un fils, par une jeune fille si la mère a eu une fille. Le garçon, ou la jeune fille, doit marcher en tête de la petite caravane qui apporte la bière. Les parents s’amènent après avoir pris rendez-vous avec leur gendre ; leur fille les attend assise au centre de la hutte. Dès qu’ils entrent, elle se lève et reçoit le cadeau qu’elle dépose en un endroit propre, après quoi hommes et femmes boivent jusqu’à leur soûl. Dès que les visiteurs sont partis, la jeune mère prend la farine de l’ibyeru et en prépare de la pâte qu’elle mange avec son mari tout en buvant la bière contenue dans le tesson de cruche, ensuite les conjoints se couchent et accomplissent une copulation rituelle intitulée « kwakira ibyeru » (litt. accepter l’ibyeru).

La fin des premières règles que la femme connaît après l’accouchement nécessite l’accomplissement d’une copulation rituelle qui s’intitule « gukulikira umwana » (litt suivre l’enfant). La jeune mère prépare un repas qu’elle mange au lit en commun avec son mari. Puis ils pratiquent l’acte conjugal. Entre le moment de l’accouchement et de la copulation rituelle sous examen, le père et la mère ne peuvent manger en compagnie d’étrangers car ceux-ci mourraient s’ils avaient des rapports sexuels avant que le père et la mère n’aient accompli le rite, et ces derniers deviendraient désormais stériles. Si le père est absent au moment opportun, la femme place un peu de son sang menstruel dans un tesson de calebasse absolument neuve qu’elle dépose bien caché dans les herbes, auprès d ’un puits ou d’un cours d’eau, en disant : « Je vous confie mon sang, je viendrai le reprendre ». Lorsqu’apparaît son mari, elle ne peut le saluer, mais elle court reprendre son sang, elle puise un peu d’eau dans le tesson de calebasse, eau qui servira à préparer de la pâte de farine de sorgho qu’elle mangera avec son mari. Après ce repas, ils accomplissent la copulation rituelle.

 iii. Rite de la dation du nom (kwita izina).

Cette cérémonie a lieu le lendemain de la purification par la coupe des cheveux. Il est évidemment accompli sans aucun témoin eu égard à l’importance extrême qu’il y a de cacher le nom de l’enfant car le connaître serait posséder un pouvoir certain sur sa vie.

De grand matin, assis sur le seuil de la hutte, le père ou à son défaut, le parrain umuse du clan, prend l’enfant sur ses genoux et, l’élevant en l’air de ses deux mains, d’un geste symbolique, s’écrie : «Grandis, je t’appelle N… » (Kura, nkwise N …). Parfois la mère donne également un nom à l’enfant, mais seul celui octroyé par le père est le nom propre (La dation du nom n’est pas toujours une question aussi simple. Un de nos informateurs nous apprit qu’étant petit, son père lui donna un mauvais nom : enfant sale et stupide, sans valeur, afin d’en détourner les mauvais esprits. Vers l’âge de douze ans, à la puberté, on lui imposa un nouveau nom au cours d’une cérémonie d’initiation à l’esprit divinisé de Kiranga. On lui coupa ses longs cheveux ibisagi; on le purifia, en entier, à l’eau ; on l’enduisit de beurre amalgamé d’ocre rouge agahama et finalement on le déposa sur le dos d’un taureau noir afin qu’il en acquît la virilité. Ses parents, amis et deux initiés ibishegu assistaient à cette cérémonie après laquelle eut lieu une libation en commun, Son nom nouveau fut Baragahorana (litt. qu’ils aient toujours s. e. le bonheur). En outre, ce jeune homme possède plusieurs noms : Semabirizo (tireur à l’arc), qui lui fut donné par son père, vers l’âge de huit ans ; Mpunwamigera (de migera, aiguilles en fer pour confectionner des paniers) fut pris par l’intéressé lui-même en entendant un voisin raconter des récits épiques (ibyivugo) : Kirande (homme rapide, agile en tout ce qu’il fait ; provient du verbe kuranda, ramper rapidement par terre) est un autre nom que notre informateur s’attribua vers l’âge de neuf ans, suite à des récits purement imaginaires déclamés par lui-même. De plus, Baragahorana nous déclara posséder encore une dizaine d’autres noms, surnoms et sobriquets « qui ne sont connus que de ses parents, de ses amis intimes et de lui-même, et qu’il ne pouvait pas nous citer »).

 Le matin, mais seulement chez les Banyiginya et les Bega, et en signe de déférence aux premiers clans d’immigration, on appelle le parrain mystique umuse qui arrive sans avoir pris et fait quoi que ce soit, même la satisfaction de ses besoins naturels. Il impose un nom à l’enfant, puis le père lui en donne un autre. Seul est valable le nom donné par le père, à moins que celui-ci ne l’ait suggéré à l’umuse. Différentes conjonctures guideront le père dans son choix :

  1. a) Il peut donner un nom rappelant un événement ou un personnage : Nyiramashinge (venue au monde dans la brousse où sa mère cultivait), Mubiligi (le Belge), Kanani ou Minani (le huitième enfant) ; pour des jumeaux, l’aîné sera Bukuru (le grand), et le puîné, Butoyi (le petit) ;
  2. b) S’il désire que les mauvais esprits n’approchent pas l’enfant, il lui donnera un nom de nature à les faire reculer : Semabyi (le merdeux), Ntirugirisoni (la mort n’a pas de honte), Sefuku (le porc-épic), Sentare (le lion) ;
  3. c) S’il a peur du retour de mauvais esprits qui ont déjà été la cause de mortalités répétées parmi sa progéniture, il s’abstiendra de donner un nom et intitulera son fils Nzabamwita (je lui donnerai un nom).

Il est évidemment interdit à l’enfant de prononcer son nom propre. Le faisant connaître, ce serait donner barre sur lui et la première conséquence pourrait être qu’on l’utilisât afin de l’empêcher de grandir.

  1. Rites des premières dents (amenyo).

L’apparition des premières dents de l’enfant entraîne toujours une prohibition muziro pour les parents, dont ils se débarrassent par ce qu’ils nomment « kulya amenyo », littéralement « manger les dents », expression détournée pour signifier la relation conjugale qu’exécutent les époux pour ce motif précis. Les dents peuvent se présenter de différentes manières et alors, en plus du tabou habituel, elles entraînent un ishyano ou menace de malheur dont il faudra se débarrasser en consultant l’exorciseur muhanyi et en suivre les ordonnances.

Voici quelques cas :

1) Les incisives poussent d’abord à la mâchoire inférieure : « ni meza » (elles sont bien), c’est normal. Il n’y a qu’à accomplir le rite du kulya amenyo ;

2) Les incisives poussent d’abord à la mâchoire supérieure : « ni ishyano » : signe de malheur. Il faut consulter et suivre l’ordonnance du muhanyi. Celui-ci, contre rétribution en bière, pioche, taurillon selon la fortune du consultant, donne le philtre isubyo qui enlèvera le mauvais sort et il ne restera plus qu’à faire le « kulya amenyo » habituel ;

3) Deux incisives poussent à la mâchoire supérieure et inférieure en même temps. C’est ce qu’on appelle isangane. C’est encore un ishyano, c’est anormal et demande une consultation comme dans le cas précédent ;

4) Les dents poussent « imbura gihe », c’est-à-dire à contre temps, par exemple si une canine ou une molaire apparaît en premier lieu, c’est encore un ishyano. On nomme cette dent « ubganza » : celle qui appauvrit. Les parents n’ont qu’à se résigner à n’être jamais riches. Dans cette conjoncture, on prétend que la dent de la fille « arasa nyina : tire sur la mère (et sa parenté) », la dent du garçon «arasa se : tire sur le père (et les siens) ».

Tant que cette dent n’aura pas été l’objet d’une consultation chez l’exorciseur, la mère ne pourra pas aller saluer ses parents, car emmener l’enfant avec elle équivaudrait à introduire la misère chez eux. Pour semblable dent, il n’y a pas de « kulya amenyo », les parents attendront l’apparition des incisives.

L’exorciseur conseille de recueillir cette dent de l’enfant quand elle tombera et de la conserver dans un bout de roseau creux. Certains prétendent même que dans ce cas, l’enfant fera bien de ne pas épouser plus tard une jeune fille, mais plutôt de « gusumbakaza » prendre une divorcée afin d’éviter les pires malheurs.

Tant que l’enfant n’a pas de dents et ne marche pas, on ne peut le sortir au dehors de l’enclos sans prendre en même temps la peau qui lui sert de berceau (ingobyi). Omettre cette précaution équivaudrait à souhaiter sa mort, car il n’y a que l’enfant mort qu’on enterre qui n’a plus besoin d’ingobyi.

Dès que la mère aperçoit l’apparition des dents de son bébé, elle doit en aviser son mari sans retard. Elle prépare alors un peu de bouillie de farine de sorgho qu’elle mange en compagnie de son époux et dont elle remet une parcelle à grignoter à l’enfant. Ensuite mari et femme pratiquent la copulation rituelle « kulya amenyo ». Si le père est absent, la mère se mettra à sa recherche même si elle est répudiée ou divorcée, car il faut absolument que le rite soit accompli. Si le mari est introuvable, la femme s’adressera à son beau-père, à son beau-frère, à un voisin complaisant ou à l’umuse : parrain mystique du clan du mari. Si le rite a dû être accompli en l’absence du père et celui-ci revenant ensuite auprès de l’enfant, il ne pourra le voir qu’après avoir bu le liquide exorciseur isubyo, sous peine de mourir prématurément. Il est interdit aux parents de manger en compagnie d’étrangers lorsque le bébé a percé sa première dent car on croit qu’il m ourrait prématurément si ces étrangers accomplissaient l’acte sexuel chez eux avant que le père et la mère n’aient accompli la copulation rituelle de leur côté.

  1. Rite du sevrage (gucutsa umwana).

A lieu :

1) Vers l’âge de deux ans normalement. Sa brutalité est cause de l’énorme mortalité infantile que l’on rencontre dans ce pays ;

2) Lorsque la mère est à nouveau enceinte ;

3) Si l’enfant, un garçon, a craché sur la pierre à aiguiser ou sur la chaise de son père, geste inconscient de mépris qui ne peut que porter malheur à ce dernier.

Les parents effectuent une copulation rituelle car « C’est ce qui sèvre l’enfant et pas autre chose : Igicutsa umwana cyose n’icyo ». Du jour au lendemain, la mère cesse de donner le sein à l’enfant. Celui-ci est mis en possession de charmes : collier, bracelets, grelots aux pieds. L’enfant reçoit des cadeaux : une vache chez les Batutsi riches, une houe chez les Bahutu.

Le jour du sevrage de l’enfant, le père et la mère exécutent très tôt le matin la copulation rituelle, puis le mari quitte le lit en disant à son enfant : « Je te sèvre ».

D’autres parents attendent le soir pour effectuer cette copulation et entre-temps le père accorde une vache à son enfant si c’est un garçon ; si c’est une fille, il lui indique les vaches paissant sur la colline en lui disant symboliquement : « Je te donne toutes ces vaches ». Si les époux sont séparés, la mère s’amène chez le père de l’enfant afin qu’il lui remette une vache laitière qui contribuera à assurer l’alimentation du petit. De toute façon, la copulation rituelle doit être accomplie sinon les parents deviendraient stériles.

  1. Rite de la coupe des houppes de cheveux ibisage (Kwogosha ibisage).

Une fois l’enfant sevré, on lui coupe les cheveux en forme de houppes ibisage. A cette occasion, les parents doivent opérer une nouvelle copulation rituelle intitulée « kwakira igisage : recevoir la houppe ».

On se souvient que le jour où la mère se relève, on rase la tête de l’enfant. Durant les premiers mois qui suivent, on continue à le raser souvent pour que les cheveux poussent plus vite. Ensuite on ne rase que le sommet de la tête et on laisse tout autour une couronne de cheveux. Dès qu’ils auront atteint une longueur suffisante, on les enduira de beurre et on les tordra en forme de petites ficelles qui retomberont sur la nuque et sur les joues de l’enfant, ce sont les « ibisagi ». A l’âge de trois ans environ, lorsqu’il peut suivre les autres enfants au pâturage, et même plus tôt s’il a un frère puîné déjà en âge de porter à son tour des bisagi, le père rase la tête de l’enfant et lui dessine les premières masunzu (crêtes de cheveux). Il n’y a parmi les enfants de la même mère que les jumeaux qui peuvent porter en même temps les bisagi, disent certains, tandis que d’autres le nient. Il est prohibé de jeter les cheveux n’importe où comme on le fera pour les coupes suivantes. Il faut les remiser en un endroit caché de l’enclos où à la longue ils s’égareront.

Pour les bisagi, les parents doivent effectuer la copulation rituelle « kwakira ibisagi : recevoir les bisagi ».

Le père fait encore un cadeau à son fils comme lors du sevrage et à sa fille il montrera des vaches qui paissent au loin : « Dore inka tuguhaye : vois les vaches que nous te donnons »… allusion à son rôle futur, quand elle sera placée en mariage, elle ira jouir des vaches d’autrui.

  1. Rite du kumara akanapfu (en finir avec le petit mort).

La mère qui a perdu un jeune enfant doit accomplir la copulation rituelle « kumara akanapfu » sous peine de devenir stérile. A cette fin, elle s’étend sur une vieille natte, au centre de la hutte et y accomplit l’acte sexuel avec son mari ou un remplaçant. Elle dépose des cendres sur cette natte qu’elle jette ensuite dans un trou à ordures ou sur une termitière. L’accomplissement de ces rites doit éviter aux parents de perdre des enfants ultérieurement.

Après avoir accompli le kumara akanapfu, la femme n’a plus de rapports conjugaux avec son mari, elle doit attendre la fin de ses prochaines règles. Celles-ci, dans ce cas, s’intitulent amabi (mauvais sang), si une conception survenait immédiatement après ces règles, l’enfant serait qualifié d’umwana w’amabi : enfant conçu durant une période de deuil, enfant de la mort, il devrait être étranglé dès sa naissance, car sa vie porterait malheur à son grand-père si c’est un garçon, et à sa grand-mère, à ses frères ou à ses sœurs s’il s’agit d’une fille. On l’intitule encore « umwana w’intanga y ’amabi : enfant du m auvais sperme ». Il provoquerait également la mort prématurée de ses parents.

 Pour les raisons qui ont été exposées ci-avant, les parents qui ont perdu un jeune enfant, ne peuvent man­ger en compagnie de personnes étrangères tant qu’ils n’ont pas accompli la copulation rituelle.

Si la femme ne retrouve pas le père pour accomplir ce rite, qu’elle soit divorcée, répudiée ou remariée, elle prend une tige d’ikinetenete, elle enlève soigneusement l’écorce, elle urine dans l’écorce fermée en forme de sac et y replace la tige. Puis elle dépose le tout en un endroit retiré, en disant : « Voici ta femme », dès lors elle pourra avoir, sans crainte, des rapports conjugaux avec son nouveau mari ou amant.

Si le père de l’enfant décédé a répudié la mère et qu’il vit maritalement avec une autre femme qui ne lui a pas encore donné d’enfant, il devra accomplir le rite du kinetenete qu’il jettera dans un trou caché en disant à l’adresse de la mère de son enfant défunt : « Voici ton mari ».

La mère qui a perdu son enfant et qui n’a pas eu l’occasion d’accomplir la copulation rituelle kumara akanapfu avec son mari pour une raison quelconque : absence, divorce, décès, ne peut manger en compagnie de personnes étrangères sans avoir préalablement confectionné une petite boule de boue qu’elle dissimule au bord d’une rivière en disant : « Mfasha ubupjusha : Conserve-moi la mort». Si plus tard elle retrouve son mari ou si elle se remarie, elle ira rechercher sa boule d’argile en disant : « Rends-moi la mort », elle devra alors accomplir la copulation rituelle kumara akanapfu.

  1. Coutumes spéciales aux enfants.

Il est strictement interdit d’enjamber un enfant qui n’a pas encore fait ses premiers pas ; si cela arrivait par inadvertance, l’auteur de cet acte tabou devrait recommencer celui-ci en sens inverse afin de l’annuler, faute de quoi le geste originel paralyserait l’enfant pour toute sa vie.

Il est interdit d’enjamber une peau de mouton servant de berceau hamac ingobyi à un enfant, ou de passer audessus de la natte qui lui sert de lit ; si l’enfant n’a pas encore fait ses premiers pas, il dépérirait.

On ne peut porter sur les épaules un enfant qui n’a pas encore fait ses premières dents. En accomplissant ce geste, il risquerait de ne jamais avoir de dents.

On ne peut placer sur la tête d’un enfant un couvercle umutemeri de panier : l’enfant ne grandirait plus.

Lorsqu’on berce un enfant, on ne peut pas lui dire : « Dors vite », cela risquerait de lui raccourcir la vie.

Ce serait un malheur (ishyano) si le bébé crachait du lait maternel sur la pierre à moudre (urusyo) ; s’il le faisait, il serait sevré du sein maternel jusqu’à l’intervention des exorciseurs.

Les garçons ne peuvent s’asseoir sur le siège paternel.

Un fils ne peut jamais avoir de rapports sexuels avec sa mère, ses sœurs ou avec l’une de ses tantes, maternelles ou paternelles ; comme sanction il serait couvert de dermatoses amahumane.

Une mère ayant un enfant à la mamelle ne peut passer dans un champ de petits pois.

Elle ne peut sortir dans la cour sans le porter sur le dos.

Elle ne peut monter sur l’échelle du grenier à provisions en portant son enfant sur le dos.

Les petits garçons ne peuvent être enterrés dans l’enclos : la mère n’aurait plus jamais de fils.

Un homme ne peut regarder l’enfant de sa fille tant qu’il est petit.

Une mariée en visite chez ses parents ne peut passer par la grande porte si elle n’a pas encore d’enfant. Défense à la mère de chanter une berceuse après le coucher du soleil.

Les enfants allant ensemble faire leurs besoins, exposent leur mère à avoir les seins desséchés.

Les enfants qui osent raconter des histoires avant le coucher du soleil ne grandiront pas. Si un enfant s’oublie sur les haricots, les parents ne peuvent en manger. S’il regarde les grenouilles ou les lézards, sa mère n’aura plus de lait à lui donner.

C’est encore un interdit que de se cracher mutuellement à la figure, si cela arrive par mégarde, l’un dit : « Yongera ayandi : ajoutez encore », sur quoi l’autre s’exécute en disant: «Nagucira inka: je te crache une vache ». On ne porte pas un enfant dans une peau de chèvre ou de mouton crevés de mort naturelle ou par accident, mais tués à cette fin.

Les enfants ne peuvent se croiser les bras au-dessus de la tête ou derrière le dos : cela leur porterait malheur. Avant qu’il ait sa première dent, on ne peut porter un enfant à l’entrée de la cour sans le ngobyi (peau à porter) à la main.

Chez les Batutsi, défense aux enfants de jouer avec les fruits de ntobotobo. Intobotobo ya Rulema, disent-ils : «Ils attireraient Rulema».

Les enfants qui ne marchent pas encore seuls ne peuvent se toucher les pieds. Leurs dents noirciraient s’ils les touchaient avec le maillet à battre l’écorce de ficus. En têtant, un enfant ne peut faire des renvois. Il ne peut s’asseoir sur le grand van, on ne peut le lui poser sur la tête.

L’enfant ne peut frotter la terre du talon, manger du sang coagulé sans beurre, passer par dessus un instrument de musique avant de pouvoir parler : il ne parlerait jamais.

Si la langue est prise dans le trou laissé par une dent tombée, la tante maternelle seule peut la dégager.

L’enfant ne marchant pas encore seul ne peut porter des minoni (bracelets d’herbe), il n’apprendrait jamais à marcher. Défense de s’appuyer contre le grenier de l’oncle paternel.

Les garçons et les filles non mariés ne peuvent entrer chez les petits enfants des sœurs de leur père. Cette défense est absolue, elle s’étend même après la mort de ces dernières personnes, alors que la femme ou le mari auraient contracté une nouvelle union. Il est interdit à un homme de se coucher sur le lit de sa sœur.

Il est interdit à l’oncle de toucher sa nièce umwishwa, ne fût-ce que du bout des doigts, s’il le faisait par inadvertance, il devrait lui remettre un cadeau quelconque : bracelet, etc., sinon il serait atteint d’un tremblement permanent des membres. La nièce ne peut pas couper des feuilles dans la bananeraie de son oncle sinon cette bananeraie s’étiolerait. Il lui est interdit de jeter un regard dans les greniers à vivres de son oncle, ils ne se rempliraient jamais plus. Elle ne peut coucher sur le lit de son oncle, celui-ci en mourrait. Elle ne peut pénétrer dans le kraal de ses veaux, ils crèveraient, à moins qu’elle ait bu préalablement du lait. L’oncle ne peut jamais pénétrer dans la hutte de sa nièce, et celle-ci dans celle de son oncle.

Si l’on mangeait du sang cuit que l’on a reçu de son oncle maternel, les dents seraient immédiatement carbonisées.

Celui qui a la manie de sucer continuellement son pouce provoquera la mort prématurée de son oncle maternel. On ne peut, pour la même raison, manger du sorgho grillé à moins de l’avoir d’abord touché de sa houppe de cheveux.

L’on risque de mourir subitement si l’on rencontre son oncle maternel alors qu’on s’est enduit le corps de beurre des pieds à la tête.

Les relations sexuelles entre un neveu et sa tante paternelle ou maternelle et entre une nièce et son oncle paternel ou maternel sont strictement prohibées.