1.  Mariage

Avec le mariage, nous abordons le rituel le plus long, le plus compliqué et le plus im portant de la vie indigène car il doit assurer la pérennité de la famille. Le rituel du mariage comporte :

1) Différents sacrifices propiatoires aux ancêtres ;

2) L’édification de relations sociales entre les familles des conjoints, relations qui seront cimentées d’une part par l’octroi de l’inkwano ou gages matrimoniaux, d’autre part par la dot indongoranyo que la mariée apporte en ménage ;

3) L’incorporation de la fiancée au clan du mari grâce à des rites de communion sociale, à des contacts indirects progressifs d’abord, puis directs entre les fiancés, précédés d’un rite mimétique de copulation chez les parents. Toutes précautions utiles sont prises pour éloigner les mauvais esprits et se protéger du mauvais œil ;

4) Une période de réclusion des époux au cours de laquelle ils resserrent leur union ;

5) Finalement un rite de purification ou de sortie de réclusion accompagné d’un repas en commun et d’un rite mimétique de fécondité agraire chez les cultivateurs.

Ces rites, à l’exception de ceux énumérés en premier lieu, sont accompagnés de toute la publicité désirable afin d’avoir des témoignages irrécusables en cas de contestation.

Rites en faveur du mariage

La jeune fille, outre les recherches de coquetterie, de propreté, les qualités de bonne ménagère et de travailleuse qu’elle affichera, doit porter, dès la puberté, des charmes consistant en deux fruits suspendus à sa ceinture notamment le kinanire (du verbe kunanira : fatiguer, lasser) qui éloignera d’elle tout ce qui pourrait la rendre antipathique et le nkunde (du verbe gukunda : aimer) qui attirera l’amour.

Défense aux jeunes gens et jeunes filles, en Urundi, de faire du bois de chauffage avec le mugago, le ntibuhunwa, le munyara ; ils ne trouveraient pas à se marier.

Au Rukiga de Byumba, beaucoup de jeunes filles portent, fixé au cou, un intamalama , fruit de l’arbuste ulengarutare (de kuleng a : dépasser, et rutare : le rocher) ; ce fruit, qui a la grosseur d ’une cerise, fera jaillir dans le cœur d’un jeune homme, dur et sec comme le rocher, une flamme d ’amour. D’autres filles tâchent de se procurer un os d’icyanira , oiseau de proie, (du verbe gucyana : entretenir le feu, le faire prendre) ; le port de cet os embrasera pour elle le cœur d’un prétendant.

Demande en mariage

L’âge du mariage ayant sonné après la puberté, le fils entretient son père de son désir de se marier, à moins que ce ne soit le père qui, d’initiative, se soit déjà préoccupé de la question.

Jamais une demande en mariage n’émane d’une jeune fille ou de ses parents, à moins que le père soit mwami.

Les parents consultent, par l’intermédiaire du devin umupfumu, le grand esprit (umukurambere) protecteur de la famille en proposant plusieurs candidatures de jeunes filles choisies dans des familles amies avec lesquelles existent déjà soit des liens dus à des mariages antérieurs soit des liens sociaux ou politiques. Théoriquement, le choix est arrêté par l’esprit tutélaire, et en fait, il se limite le plus souvent aux familles amies. L’avis préalable de la jeune fille n’est jamais pris par le jeune homme ni évidemment par le père de celui-ci ; la jeune fille est avisée par son propre père de la décision qu’il aura arrêtée d’office à son sujet.

Comme l’écrit le chef Seruvumba, l’obéissance des enfants envers leurs parents, et plus spécialement en ce qui regarde les filles, n’est pas simple question de respect, mais elle est compliquée de conceptions superstitieuses. Si un père devait maudire (kuvuma) sa fille pour une désobéissance en matière de mariage, cette malédiction s’étendrait sur toute sa vie : ainsi elle n’aurait point d’enfants si son père, en la maudissant, voulait viser et souhaiter cette stérilité ; si telle est la volonté des parents, telle sera celle des esprits.

Le jeune homme cherchera à apercevoir la fille qu’on lui destine, il prendra tous renseignements à son sujet : est-elle jolie, de bonne santé, gentille, propre, travailleuse ; il exprimera éventuellement son désaccord à son père.

Il y a lieu de remarquer, à présent, une nette amélioration parmi les indigènes évolués : ceux-ci désirent épouser une jeune fille ayant suivi des cours ménagers dans une institution européenne ; d’autre part, des jeunes filles chrétiennes refusent catégoriquement des prétendants, proposés par leurs parents, au sujet desquels elles ont recueilli de mauvais renseignements. La coutume veut qu’en principe, dans les familles qui comptent plusieurs filles, l’aînée soit mariée la première.

Fiançailles.

Le père, et à son défaut l’oncle paternel, ou l’un des frères du jeune homme, entame les pourparlers avec le père, l’oncle ou le frère de la jeune fille. A cet effet, il apporte chez eux une première cruche de bière et, chez les Bahutu, une houe neuve dite « de demande » (isuka y ’urusabire) garnie d’herbe magique umwishywa. L’acceptation de cette houe sera le seul gage de l’accord intervenu et l’envoyé pourra rentrer annoncer le plein succès de sa mission. Quant à la cruche, elle demeurera chez les parents de la fiancée qui prendront bien soin de ne pas la casser car cet accident signifierait la rupture des pourparlers.

Au Ruanda, pour épouser une fille du clan royal des Basindi-Banyigina, il faut ajouter un isando, grande fourche en bois de 2 m à 2,50 m de hauteur, à 2 ou 4 dents. Cette fourche provient d’une branche d’umucuro (de gucura : forger s. e. les relations sociales) ou du ficus umuvumu dont le surnom magico-liturgique est umutabataba (qu’il ne soit pas s. e. le malheur). On conserve à la cour du mwami, les masando reçus lors du mariage des princesses royales ; certaines de ces fourches sont en fer forgé et comportent alors quatre dents.

Il s’agit ensuite d’assurer le renforcement des relations sociales entre les familles des futurs conjoints ; ces relations seront fusionnées autour d’éléments matériels constituant les gages, matrimoniaux. Vaches chez les riches, petit bétail, houe et argent chez les pauvres formeront la partie stable des gages tandis que de nombreuses cruches de bière serviront à effectuer des libations en commun. Seule la famille du fiancé fera les frais de tous les gages, même de la bière.

Cette soudure des relations sociales ou fiançailles, dure parfois deux ans sinon plus chez les Batutsi. En principe, il est interdit au fiancé de voir sa fiancée et sa future belle-mère et de leur parler. Toutefois une évolution semble se dessiner à présent en ce qui regarde le premier point. La fiancée ne peut rencontrer ni parler à ses beaux-parents. Elle prend une attitude apeurée : kugira isoni (simuler la honte). Le fiancé ne peut jouer avec un couteau. Les futurs ne peuvent franchir une colonne de fourmis rouges. La fiancée ne peut emprunter un sentier suivi habituellement par les vaches, sous peine de devenir stérile. Elle ne peut toucher l’arbre umwange (de kwanga, refuser, interdire), sous peine de faire échouer son mariage. Elle ne peut casser un pot à eau ; si l’accident se produisait, elle devrait se marier le jour même, faute de quoi elle deviendrait stérile. Elle ne peut toucher aux déjections du bétail qui constitue le titre matrimonial.

Pour hâter les noces ( gutebusta) , la famille du fiancé envoie une tête de bétail (inka yo gutebutsa) à son futur beau-père, ou de nouvelles cruches de bière, selon ses moyens.

Dès que la date de la noce est fixée, on effectue les derniers préparatifs (kwitegura) : le jeune homme aidé de ses parents se construit une hutte, rassemble des vivres, des habits pour sa future, de la bière et du bois de chauffage.

Plusieurs jours avant le mariage, le fiancé doit avaler un ndibu, graine du bananier sauvage (Musa ensete), symbole de haute fécondité. Cette graine est ensuite recueillie dans ses selles, puis portée au cou par la jeune femme en guise de charme.

Le père de la fiancée lui prépare son trousseau (ibirongoranywa ).

On choisit les invités qui prennent les noms de basangwa pour le fiancé et de bakwe pour la promise. On prévoit les différents impedimenta nécessaires à la cérémonie du mariage.

La fiancée est rasée de près tout en lui laissant ses houppes amasunzu et, le jour du mariage, elle est complètement beurrée et habillée de neuf. Parmi les sœurs, tantes ou amies de la fiancée, on choisit une femme qui présidera aux cérémonies du mariage : gushyingira (introduire), et deux amies qui l’aideront à s’habituer à son logis (kumumenyereza).

Cérémonies du mariage (Kurongora)

 Lieu. — Il semble qu’en règle générale, la cérémonie ait lieu au domicile de la fiancée. En fait, elle se tiendra dans la famille la plus aisée, la plus apte à recevoir, à pourvoir aux nombreuses libations qui dureront une nuit entière.

  1. Rites à l’arrivée.
  2. a) Le mariage a lieu au domicile du jeune homme. La fiancée sera « arrachée » de son domicile et transportée dans un panier hamac ingobyi, complètement recouverte d’une natte de crainte du mauvais œil, jusqu’à l’habitation de son futur. Au départ, elle et sa suite doivent marcher sur la pierre meulière et la spatule de ménage. La fiancée ne peut regarder en arrière, cela porterait malheur.

Elle est accompagnée de sa servante portée également dans un hamac et recouverte d’une natte. Cette servante brise la baguette fermant symboliquement l’entrée de l’enclos du fiancé, manifestant par là la volonté ferme de s’introduire dans sa famille. Quand la fiancée pénètre dans l’enclos nuptial, on jette sous ses pieds quelques fruits de l’arbuste épineux umutobo qui a la réputation d’écarter les mauvais esprits ; elle doit écraser ces fruits. Les membres de la caravane de la fiancée sont aspergés, par un prêtre de Ryangombe, d’eau lustrale à base de kaolin. Le fiancé prèsente ensuite à la suivante qui les fait toucher du bout des doigts à la dame de cérémonie : une baratte, un arc et une flèche à saigner le bétail (irago), emblèmes du pasteur nomade. A ce moment, un cri de joie (impundu) est poussé par l’assistance. La fiancée pénètre ensuite à l’intérieur de la case, où elle trouve son beau-père assis, un arc à la main, et sa bellemère à ses côtés, tenant la grande courge servant de baratte, un coussinet en herbe est fixé à cet instrument pour le maintenir en équilibre quand on le dépose sur le sol, de plus on y a superposé l’entonnoir pour verser le lait.

Le jeune homme s’assied rapidement sur les genoux de son père et la jeune fille sur ceux de son fiancé, acte dont le symbolisme semble signifier qu’elle fera désormais partie de la famille dans laquelle elle vient d’entrer. Le beau-père passe alors l’arc à son fils pour qu’il le fasse toucher par la fiancée pendant que la belle-mère de son côté lui présente la baratte et ses accessoires. La jeune fille se lève aussitôt et va les ranger à leur place. L’arc est fixé par elle à une espèce de crochet en bois, désigné sous le nom de indendeko (de kudendeka: fixer l’arc). Celui-ci est suspendu au pilier des lances (intagara). Quant à la baratte et ses accessoires, la jeune fille va les suspendre dans le fond (mwinjire) de la case, à l’endroit le moins apparent qui est choisi à dessein en dehors des regards indiscrets, pour ne pas parler d’atteintes plus indiscrètes encore. Ensuite la fiancée, tout ointe de beurre, se réfugie avec sa suivante, sur le lit de la hutte nuptiale. Le père du fiancé qui a souhaité la bienvenue à sa bru dès son entrée dans l’enclos, ouvre maintenant sa maison aux invités abakwe et abasangwa.

  1. b) Le mariage a lieu au domicile de la fiancée.

Le fiancé s’amène avec ses témoins et invités : frères, sœurs et cousins tandis qu’un serviteur apporte à la future des étoffes dissimulées dans une natte. Dans ce cas, il est interdit au père et à la mère du fiancé d’assister au mariage. Cette dernière coutume fut encore observée en 1954 à la cour du Ruanda lorsque Bideri épousa Bakayijojo, sœur du mwami.

Au moment de franchir l’entrée de l’enclos, le fiancé dit : « Muraduha : vous nous donnerez (s. e. la fiancée) » et on lui répond: « Turabaha: nous vous donnerons». Une des sœurs de la fiancée qui s’est tenue jusque là dans la hutte paternelle, la dévêt et l’aide à passer ses vêtements de mariée, dès ce moment, elle a changé de personnalité et certains auteurs considèrent même qu’à cet instant le mariage est validement accompli. Anciennement, après avoir enlevé les vêtements de la fiancée, on lui passait une peau de vache inkanda réservée aux femmes mariées. La jeune femme s’amène à la hutte nuptiale et s’installe, cachée sous une natte, sur le lit.

Rite de sacrifice aux mânes de l’ancêtre.

Le père du marié effectue un sacrifice aux mânes de l’ancêtre à la mémoire duquel la fiancée est épousée et sous la protection duquel le jeune couple sera placé, afin qu’il leur assure fécondité et prospérité. A cette fin, il asperge le feu de quelques gouttes de bière à l’aide d’un chalumeau, puis il y jette quelques grains d’éleusine : leur crépitement sera de bon augure. Le père adresse les paroles suivantes à l’esprit invoqué : « L’enfant que je t’ai dédié va prendre la femme que tu désires, protège les afin qu’ensemble ils enfantent, qu’ils triomphent des maléfices qu’on voudrait leur jeter, protège-les contre les entreprises pernicieuses des mauvais esprits, préserveles contre la maladie, les malheurs et la mort ».

Libation en commun.

Les invités sont réunis autour de nombreuses cruches de bière ; ils boivent, dansent et chantent jusqu’au matin. La première gorgée de bière est rituellement crachée par terre en faveur des ancêtres.

 Umwishywa et imbazi.

 (L’Église catholique a interdit ces rites à ses fidèles, eu égard aux superstitions qui s’y rattachent. D’autre part, d’après le gardien du code ésotérique royal Kayijuka, le mwami du Ruanda en se mariant était dispensé des rites de l’umwishywa et de l’imbazi, par contre ses tambours devaient battre tandis qu’il accomplissait l’acte conjugal pour la première fois avec sa femme)

C’est l’acte le plus solennel du mariage, il a lieu vers l’aube. Il faut éviter, lors de l’accomplissement de ce rite, tout contact avec des objets entachés de mort, éloigner les mauvais esprits à l’aide d’herbe fétide umwishywa (Momordica foetida) et employer uniquement des choses pures.

Une jeune fille isugi (vierge non orpheline) a cueilli et tressé une couronne d’herbe fétide umwishywa ; dans un vase isugi (sans fêlure), elle a recueilli le lait d’une vache isugi (qui n ’a pas encore perdu de veau), elle cueille une herbe à feuilles blanches imbazi (symbole de pureté) dont elle réduit les graines en poudre qu’elle incorpore ensuite au lait. Chez ceux qui n’ont pas de bétail, cette poudre est mélangée à de la bière.

Le jeune homme vient vers sa fiancée, guidé par le frère aîné de celle-ci qui la lui indique en la touchant au bras. La suivante découvre la fiancée cachée jusque là sous une natte.

Le jeune homme pose la couronne à l’umwishywa sur la tête de sa fiancée et lui crache le lait ou la bière contenant l’imbazi à la figure, en disant : « Ndakurongoye » (je t’épouse). Dans certaines régions du pays, la fiancée crache également une partie du liquide à la figure de son futur. La couronne d’umwishywa est enlevée et soigneusement conservée car elle doit être envoyée aux parents du mari.

En droit coutumier, le mariage est maintenant valablement contracté, les conjoints sont désormais considérés comme mari et femme.

Rite de l’ostentation des biens.

Les commansaux (abakwe) de la mariée effectuent pendant ce temps l’ostentation des biens apportés pour elle, tandis que d’autre part on fait défiler le bétail imbyukuruke du marié, on le trait ensuite. Chez les riches Batutsi, on remet un taurillon à la suivante de la mariée et une génisse à ses parents.

 Rite de l’isango (recommandation).

 Par ce rite, on resserre les relations familiales. Le délégué du père de la mariée dit à celui du jeune homme : « Tu vois, un tel N… père de la jeune femme, m’a envoyé avec beaucoup d’autres membres de sa famille pour te l’emmener telle une chose cachée, garde-la bien. Si elle fait quelque chose de travers, ne lui fais pas mal, renvoie-la doucement et bien puisque tu l’as reçue telle, le père pourra t’en donner une autre à la place. Nous sommes frères, nous n’aurons jamais de discordes, nous ne nous trahirons jamais, etc… ».

 Kwigera hasi : se coucher.

La mariée est demeurée sur la couche nuptiale, dissimulée sous sa natte, le mari s’étend sur ce lit tandis que le frère de l’épouse se couche entre eux ( guca hagati). Ce rite ne dure que quelques instants et les choses ne vont pas plus loin pour l’instant, les deux hommes et la jeune femme se mettent debout. En Urundi, le contact indirect a lieu à l’intervention de la sœur et du frère impubères de la mariée ; la bière d’imbazi est échangée ensuite et le mariage peut être consommé immédiatement chez les Bahutu.

 Troisième contact indirect entre les époux.

S’étant levés, le mari, sa femme et son frère s’emparent d’une grande calebasse contenant du lait et commencent à le baratter ensemble, en vue d’obtenir du beurre ; le barattage est achevé par une servante. A l’aide du beurre obtenu, les jeunes mariés s’oignent réciproquement le front, ils boivent un peu de petit lait, tandis que le surplus est laissé à la servante (umuja) s’il en existe une. La baratte en question a été amenée de chez lui par le fiancé en même temps que la vache de gage matrimonial.

 Copulation rituelle des parents. (Kwakira umwishywa ).

Après avoir retiré la couronne d ’umwishywa de la tête de son épouse, le marié la trempe dans de la bière. Celle-ci est envoyée aux parents du jeune homme ; l’ayant bue, ils doivent effectuer entre eux une copulation rituelle mimétique, car, selon la mentalité primitive, seul le semblable peut provoquer le semblable. En conséquence, il est absolument interdit au jeune couple d’entretenir des relations sexuelles tant que ce rite n’est pas accompli, or les parents habitent parfois à plusieurs journées de marche de la hutte nuptiale, il faut que le synchronisme soit parfait. La couronne à l’umwishywa est conservée par la mère de la mariée. Entre-temps, les invités sont rentrés chez eux emportant certains cadeaux.

Consommation du mariage ( Kumara amavuta).

Le jeune homme calcule le temps qu’il faut pour que la bière parvienne à ses parents ; dès qu’il estime qu’elle est arrivée à destination, il rejoint son épouse tandis que son frère et la suivante s’esquivent.

Une lutte rituelle s’opère entre les époux, c’est le kumara amavuta : en finir avec le beurre, la femme rejetant parfois le mari en bas du lit. Comme elle est complètement enduite de beurre, le jeune homme n’a pas la prise facile, aussi il emploie parfois du sable pour parvenir à la saisir aux poignets. L’un de nos informateurs faisait une comparaison entre la femme à ce moment et un mât de cocagne! Si le jeune homme ne parvenait pas à avoir suffisamment de force pour dominer sa partenaire, il n’y aurait pas de mariage ; ce cas rarissime s’est parfois produit. L’expression kumara amavuta est en rapport non seulement avec le beurre dont est enduite la mariée, mais aussi avec l’acte sexuel. Ayant réalisé celui-ci, le marié s’écrie : « Mulampe impundu, ndarongoye : poussez des cris de joie, j’ai épousé ». L’omission de cette publicité, serait une preuve de l’invalidité du mariage.

R ite de réclusion :

(Kuba mu nkinga: rester caché)

(Kuba mu rwali: rester au nid)

(Gutinya : craindre).

Le voyage de noce est inconnu au Ruanda-Urundi ; par contre, une réclusion de quatre à dix jours au minimum, est pratiquée par le couple. Durant cette période, ni le mari ni la femme n’effectuent le moindre travail. (Si le mariage eut lieu chez elle, chaque matin, la mariée quittera la hutte conjugale pour passer le jour chez ses parents.) La femme étant considérée comme impure lorsqu’elle perd du sang, ce rite nous semble, comme la réclusion consécutive à l’accouchement, dicté par une conception identique qui appelle ensuite une purification. Entre-temps, elle tresse des couvercles de vannerie pour sa belle-mère en signe d’obédience.

 Rites de fin de réclusion et de purification.

(Ugutwikurura = faire dévoiler, découvrir la claustration).

Après une lune pleine, chez les gens de fortune moyenne ; après plusieurs mois chez les riches Batutsi, on pratique l’ugutwikurura. Quelques jours avant la cérémonie, le frère de la mariée vient avertir que le moment est venu de la raser. Lui-même avec l’époux se chargeront de cette opération ou du moins la commenceront et passeront ensuite le rasoir à une personne plus experte. On lui enlève complètement les houppes (amasunzu) de cheveux sauf une petite mèche qu’elle cachera sous sa couronne de perles de jeune femme et plus tard, quand elle sera mère, sous la couronne de fécondité (urugore). La raser entièrement serait souhaiter la mort de ceux qui ont droit à ce qu’elle porte le deuil : « Gusurira ababyeyi gupfa ». En effet, on ne se rase complètement les cheveux et la barbe qu’à l’occasion d’un deuil. Le frère de la mariée emportera les houppes chez leur mère qui les remisera soigneusement sous son oreiller car si par hasard elles tombaient entre des mains ennemies elles pourraient servir d’instrument pour l’ensorcellement.

Préparatifs.

Les parents de la mariée ont préparé de la bière ; ils relancent les invités de la noce et la femme de cérémonie ou bien ils les remplacent par d’autres. Quand tout est prêt, ils organisent une caravane dans l’ordre suivant :

1) Une fillette isugi portant un petit panier de farine de sorgho dans laquelle on a piqué une fleur d’érythrine ;

2) Un petit garçon isugi portant un pot de lait ;

3) Des cruches de bière dites imitwa ;

4) La femme de cérémonie ushyingira ;

5) Enfin les invités des conjoints. Tous se suivent à la file indienne et se dirigent vers la demeure actuelle de la mariée.

b) Pendant le « gutwikurura » :

 

A son arrivée, la petite caravane est reçue cordialement, mais sans cérémonie spéciale. Les libations commencent aussitôt, agrémentées de rires, de danses et de chants. De leur côté, le frère de la mariée et les jeunes époux barattent d’abord du beurre et puis préparent de la bouillie de farine de sorgho. Quand ils auront mangé celle-ci et bu le lait battu, ils pourront se beurrer le corps si le cœur leur en dit, et ce sera fini : « Umugeni aratinyuste, baramutwikuruye : la jeune épouse a cessé de craindre (gutinya), on l’a dévoilée, rendue visible pour tous ».

La jeune femme est mise au contact des pierres du foyer, considérées comme un élément fortifiant.

Effets du gutwikurura.

Désormais parée de bracelets de cuivre, de colliers de perles, de butega (anneaux d’herbe entourant les jambes), habillée de la jupe en peau de vache, la jeune épouse pourra se montrer à découvert en pubiic et se livrer à tous les travaux propres aux ménagères, sa réclusion est terminée.

 

La mariée, alors qualifiée d’umugeni, prend maintenant le nom d’umugore : femme. Elle reçoit les félicitations de ses parents, et celles des invités qui ne l’avaient pas revue depuis la noce, elle entend les compliments qui font la joie de sa belle-mère : « Comme elle a grossi ; comme elle est grasse… ». Car en effet, c’est sa belle-mère qui, pendant tout le temps de sa réclusion paresseuse, a pris soin d’elle. La jeune femme demeure quelques instants avec les invités qui sont venus la saluer, et rentre ensuite chez elle où elle songera d’abord à rendre visite à ses parents : gusubya amaguru.

Kuronda imitwa.

Parfois chez les riches, surtout chez les Bahutu, la beuverie du matin sera complétée par une nouvelle libation le soir et la nuit suivante.

Les parents de la jeune fille envoient d’autres cruches de bière et des pots de lait « ku buntu » (pour faire plaisir) afin de se poser en gens aisés. C’est ce qu’on appelle « kuronda imitwa » (kuronda : suivre une piste s. e. les premières cruches de bières dites imitwa). En Urundi, les parents du mari ne peuvent partager les repas du jeune marié s’ils ne commencent d’abord par faire cuire un régime de bananes dans la maison du jeune homme ; il est défendu au père d ’entrer dans l’habitation de sa fille mariée, à fortiori lui est-il désormais interdit de corriger sa fille.

Rites mimétiques de fécondité.

En Urundi, le couple laboure un petit champ qu’il ensemence de graines d’une remarquable fécondité : sorgho, éleusine et courges. Les produits de ce champ seront réservés à une vieille mère qui eut beaucoup d’enfants et qui vient participer à ce rituel. La cérémonie s’achève par une libation de bière tandis qu’un sacrifice propitiatoire est offert aux esprits des ancêtres.

Rites de protection de mariée.

La mariée, « vase sacré de la conception », est désormais l’objet d’une foule d’interdictions destinées à sauvegarder magiquement sa fécondité, tandis qu’elle est pourvue par son époux d’amulettes, de charmes et de ligatures de vie : anneaux, bracelets, colliers, etc.

 Rite de rentrée officielle de la mariée chez ses parents (gusubya amaguru).

 C’est la première visite que fait la jeune épouse à ses parents, quelques jours après la levée de la réclusion.

  1. a) Son époux et ses beaux-parents ont préparé de la bière et apprêtent des pots de lait qu’elle amènera elle-même chez ses parents sans cérémonie ; son époux l’y rejoindra dans la soirée ou le lendemain. Tant que la jeune femme n’a pas effectué cette visite officielle, elle ne peut se rendre chez ses parents car cela leur porterait malheur, même s’ils sont voisins. Si elle voulait leur parler entre-temps, l’entrevue devrait avoir lieu hors de chez eux. Après cette cérémonie protocolaire, la jeune femme sera libre de visiter ses parents quand bon lui plaira, avec ou sans l’agrément de son mari.
  2. b) S’il y a mésentente grave dans le ménage, elle pratiquera le « kwahukana » en délaissant son mari pour revenir habiter chez sa mère. Le mari tentera parfois de la ramener, mais en ayant soin d’apporter de la bière pour arroser le différend. Si les parents ne parviennent pas à réconcilier les conjoints, ils divorceront.

Mariage par rapt ou par ruse.

Le mariage par ruse est basé entièrement sur des conceptions d’ordre magique car réaliser l’un des rites essentiels du mariage et proclamer en même temps que celui-ci est accompli, emportent validité. Les parents entérinent habituellement l’acte posé arbitrairement car ils croient que les esprits ont commandé ce coup forcé ; à présent il suscite des plaintes déposées auprès de l’Administration et de la Justice.

La jeune fille épousée par ruse peut se délier du sort qui pèse sur elle en allant résider momentanément chez le parrain mystique (umuse) de son clan où elle changera mimétiquement de sexe en accomplissant des actes réservés aux hommes : traire les vaches, siffler, monter sur la hutte, prendre des armes en main. Par la suite, elle sera « déliée » et pourra épouser en toute sécurité le prétendant que ses parents lui destinent.

Exemples de mariage par ruse :

S’emparer de force d’une jeune fille à la source ou aux champs, en disant qu’on l’épouse : «Ndakurongoye », et l’emmener, devant témoins, dans la case du jeune homme où un repas et une libation ont été préparés. Jeter sur une jeune fille une couronne d’herbe d’umwishywa ou d’urukangaga, lui cracher de l’eau ou du lait d’imbazi au visage en prononçant la formule sacramentelle : «Je t’épouse» (ndakurongoye) ;

Faire déposer dans la cour de la jeune fille un bracelet en laiton, un panier, une natte ou une cruche appartenant au prétendant, recouverts d’une couronne d’umwishywa, par un complice qui crie : «Mumenya ibintu bya kanaka nsize aho : ayez l’œil aux choses d’un tel que j’ai laissées chez vous » ;

Le jeune homme voyant une jeune fille occupée à moudre de la farine de sorgho qui en tombant prend la forme d’un cône, en tronque le sommet ; or comme nous l’avons vu, il existe un rite lors du mariage selon lequel les fiancés doivent confectionner et manger de la pâte de farine de sorgho. Après ce geste, le jeune homme rentre chez lui mais le soir il sera invité par les parents de la fille à venir passer la nuit avec elle afin d’éviter les représailles d’esprits maléfiques ; ce consentement à l’acte sexuel ne signifie nullement qu’il y aura mariage, mais les parents craignent que le jeune homme commette entre-temps un adultère, ce qui aurait pour conséquence de rendre leur fille stérile jusqu’à la mort du séducteur ;

Devant témoins, jeter au cou de la fille désirée un arc ( kwambika umuheto) et prononcer la formule de mariage, ou bien déposer sur ses pieds du cérumen de taureau ;

Une jeune fille craignant demeurer célibataire quitte (kwijyana) parfois ses parents de sa propre initiative et va s’installer chez un homme qui deviendra son mari car la plupart du temps cette fugue se termine par la conclusion d’un mariage.

En Urundi, le mariage par ruse s’opère parfois par la projection sur le dos d’une jeune fille d’une petite motte de beurre blanc (gutera ameru). Il se réalise encore en jetant dans le kraal de la fille, un gland violet pendant à un régime de bananes.