Élevage.

 

  1. Bétail bovin (inka).

Le gros bétail des autochtones du Ruanda-Urundi est représenté par deux types caractéristiques : Sanga et zébu, ce dernier étant quasi inexistant.

Le type Sanga est un pseudozébu longiline, haut sur pattes, à corps étroit et croupe étriquée, à bosse cervicothoracique graisseuse plus ou moins développée, surtout marquée chez le taureau. Les cornes sont habituellement très grandes, en forme de lyre, mais parfois elles sont plus petites ; sur certaines bêtes on constate des cornes branlantes ou leur absence. Ce bétail est fortement dispersé en Afrique, on le retrouve notamment en Abyssinie, dans l’Est africain, chez les Batutsi et Bahima, en Angola et en Afrique du sud. Le zébu à courtes cornes est du type brevi ou médialigne, à bosse thoracique très marquée. Sa taille varie du 1,05 m à 1,20 m. Sa robe est souvent pie, noir-pie, pie-brun, noire, grise. On trouve le bétail zébu en Afrique orientale, et un type s’en rapprochant notamment au Bugesera (Ruanda). Ces deux types Sanga et zébu ont été croisés entre eux au cours des migrations et des conquêtes, il se constitua des types intermédiaires mal fixés, métis rappelant plus ou moins l’un ou l’autre type parental.

Quelle est l’origine des types Sanga et zébu qu’on trouve au Ruanda-Urundi ? Les autochtones sont incapables de nous fournir le moindre éclaircissement à ce sujet et demeurent cantonnés dans le fabuleux. Selon une première version, la vache serait d’origine divine, elle s’appelait Ingizi et fut envoyée par Dieu, sur terre, avec le taureau Rugizi afin d’alimenter les enfants de la foudre, descendus eux-mêmes du ciel : les frères Sabizeze, ancêtre de la monarchie munyiginya du Ruanda, Mututsi et leur sœur Nyampundu. Selon une autre version, ce serait une femme, Nyirarucyaba, sœur du mwami mythique Gihanga, qui aurait domestiqué la vache tandis que Gihanga trouvait le taureau Rutenderi aux cornes branlantes. Enfin, les Batutsi Banyiginya et autres, pour justifier le droit de propriété du mwami sur la quasi-universalité des vaches, prétendent avoir introduit eux-mêmes le bovin au Ruanda et qu’avant leur arrivée les Bahutu n ’en possédaient pas. S’il semble qu’on doive aux pasteurs bahima et batutsi une introduction massive du bétail au Ruanda-Urundi, il apparaît tout aussi incontestable que les agriculteurs bantous l’ont connu avant eux : les vagues d ’immigration au Ruanda-Urundi se composaient des trois éléments : Bahutu, Bahima et Batwa qui forcément amenèrent le bétail dans leurs rangs. Au Congo belge, chez certains Bantous : Bashi et Barega, au Katanga, au Kasaï et en Afrique du sud chez les Bantous Herero et Hottentot, on trouve du bétail à longues cornes identiques à celui du Ruanda-Urundi.

Les hypothèses concernant l’apparition du gros bétail en Afrique sont relativement concordantes. Pour Gillain, le bétail Sanga résulte du croisement du bétail Hamitic, type taurin à dos rectiligne sans bosse et à grandes cornes, détenu par les anciens Égyptiens, avec un rameau du groupe zébu venu d’Asie avant notre ère ; ce zébu était caractérisé par la présence d’une bosse et de grandes cornes généralement latérales dont le bétail Africander d’Afrique du sud serait actuellement, le représentant le plus pur. Quant au zébu à bosse thoracique, il aurait été introduit d ’Asie en Afrique par voie de mer, vers l’an 700 avant notre ère, il est nettement apparenté aux races de zébus des Indes descendant du Bos indiens .

Selon Joleaud, le bœuf a dû être domestiqué sur place dans la Berbérie à l’époque paléolithique, ce qui n’exclut pas l’idée qu’il ait pu l’être aussi ailleurs, de façon indépendante. Dès le début du paléolithique un type de bœuf, très comparable au bœuf domestique actuel de l’Algérie, habitait cette contrée : c’est celui que Sanson dénomme Bos ibericus ; il y vivait concurremment avec une espèce de grande taille (Bos primigenius) qui s’est éteinte, tandis que les petits bœufs de l’espèce Brachyceros se sont perpétués sur place et sont les ancêtres des bœufs actuels de l’Afrique. Les bœufs d ’Afrique proviennent donc du Bos taurus brachyceros qui a donné trois lignées :1° La race de l’Atlas ou zébu sans bosse (Bos ibericus) qui peuple encore la Berbérie atlasique, la Tripolitaine des temps historiques du Sud oranais et du Tibesti ; souvent il est représenté avec les cornes recourbées en avant et vers le bas ;

2) La race de la Sanga (Bos africanus), zébu à grandes cornes répandu au Sahara, au Soudan, en Abyssinie, dans l’Afrique orientale, la Nubie, Madagascar, etc. Il est figuré, comme le précédent, sur beaucoup de gravures rupestres du Sahara, Hoggar Ahenet, Fezzan, etc.

3) Le zébu à cornes courtes de l’Afrique australe et orientale, Égypte comprise.

On peut citer une quatrième forme intermédiaire entre la deuxième et la troisième, avec lesquelles elle cohabite, le bœuf à cornes flottantes, qui a donné lieu dans l’antiquité à des racontars fabuleux, narrés par Agatharchide. Foureau l’a vu au Bornou, ainsi que le bœuf à cornes pointant vers l’avant. Les Peuls lui vouent une estime exceptionnelle. Enfin Adametz fit remarquer que les Égyptiens protohistoriques possédaient déjà le bœuf Hamitic à longues cornes provenant de la domestication sur place du Bos primigenius.

Avec le temps, cette race a envahi l’Afrique du nord-est et du sud, puis l’Espagne méridionale et une partie de l’Angleterre jusqu’en Écosse. Dans la région de l’Éthiopie s’opéra un changement chez le bovin en question provenant d’un croisement avec une race de zébu venue d ’Asie également à longues cornes, les produits de ce croisement se répandirent vers le lac Tchad d’une part et jusqu’aux Grands Lacs d’autre part, ils comprennent notamment le bétail Sanga des Bahima. La race de zébu à bosse venait d’Arabie du sud, elle se répandit d’abord en Somalie et en Éthiopie, son croisement avec le bœuf Hamitic donna à ce dernier une propension vers la bosse thoracique, les zébus se multiplièrent ensuite vers l’Afrique du nord est et l’Afrique du sud.

Le lieu de croisement du bœuf Hamitic à dos longiline avec le zébu à bosse pour donner naissance au bétail Sanga des Batutsi et Bahima, nous est précieux pour assigner un point de départ à ces pasteurs, à savoir l’Éthiopie.

A l’heure actuelle, les bovins au Ruanda-Urundi sont élevés par les trois groupes ethniques bantous : Batutsi-Bahima, Bahutu et certains Batwa acculturés à ceux-ci. Le pays comptait au 31 décembre 1954 : 367.331 bêtes en Urundi et 580.631 au Ruanda, soit un total de 947.962. L’indigène synthétise mal les types bovins qu’il détient, son intelligence analytique opère souvent des classifications se rapportant à des caractéristiques de pur détail. Au Ruanda, on cite les types suivants :

1.Inyambo (Ru.) (Ur.) et Im irundi (Ru.). Il s’agit de bêtes constituant la sélection des bigarama et des imirizo, remarquables par la hauteur démesurée de leurs cornes, leur robe d’une couleur uniforme pour un troupeau, le plus souvent brun-rouge, leur sveltesse, leur docilité et leur démarche dandinante. La légende rapporte que les rois du Bunyoro (Uganda) possédaient du beau bétail sélectionné à longues cornes, ils en burent le lait et, coup sur coup, deux d’entre eux moururent. Les devins attribuèrent la cause de leur décès au bétail dont provenait le lait, qui dès lors devint tabou et fut chassé du pays. Ce bétail aurait été adopté par les rois du Nkole mais ici également deux rois moururent pour en avoir bu le lait. Chassé du Nkole, le bétail maudit aurait échoué au Karagwe chez les Banyambo, mais le roi de cette contrée, ayant appris l’histoire de ces bovins, ne voulut pas les garder et les chassa au Ruanda dont le roi décida que jamais, pas plus que ses successeurs, il n ’en boirait le lait. Une autre tradition rapporte que les inyambo remonteraient, au Ruanda, au règne de Cyilima-Rugwe. Celui-ci, pour les avoir, aurait eu recours à la fécondation d’un taurillon provenant du Muhima Shabanyazi. Lorsque les vaches inyambo furent devenues nombreuses, le mwami Yuhi-Mazimpaka lança un ordre interdisant aux Batutsi d’avoir en leur possession des troupeaux de cette race afin que leur possession devint un privilège exclusif de la cour. Depuis, on les a confiées aux gardiens et on leur a réservé des pâturages spéciaux. Elles étaient destinées à être montrées dans les fêtes officielles de la cour du mwami, aucune autre personne ne pouvait s’en servir pour rehausser ses propres cérémonies. Pour conserver cette race nombreuse au Ruanda en la fixant définitivement, les gardiens des inyambo les obtenaient pour eux-mêmes une fois vieilles mais, en contre-partie, ils devaient remettre à leur tour une belle génisse (intore y’inyambo). Le gardien en chef des inyambo en donnait un troupeau à chacun des gardiens subalternes. Les grands chefs, qui avaient reçu des vaches du mwami,, pouvaient posséder des inyambo, quitte à les offrir dans la suite au roi pour en faire définitivement et à proprement parler des inyambo de classe et ce en leur choisissant des pâturages et les dotant de bovins sélectionnés.

Là où passe un troupeau d’inyambo, les habitants ont l’obligation de lui construire des kraals destinés à l’abriter durant la nuit. Ce bétail a droit aux plus beaux pâturages et aux éteules de sorgho qui rejettent. Matin et soir, les gardiens de ce bétail brossent et nettoient les bêtes dont ils enlèvent soigneusement les tiques. Les bovins ordinaires inkuku ne peuvent paître dans les pacages réservés aux inyambo. Les troupeaux royaux d’inyambo sont de véritables monuments historiques constitués à l’occasion d ’un événement important, ils sont présentés au mwami lors des cérémonies officielles. Les bêtes sont alors exhibées dans toute leur beauté : cornes polies au sable, robe luisante car frottée légèrement de beurre, front garni de perles et couronné d’umwishywa, l’extrémité de la queue est ornée d ’une touffe de fibres. Seuls les gardiens peuvent en consommer le lait. Traditionnellement, ces bêtes n’étaient jamais vendues ni abattues ; à leur mort elles étaient enterrées. Lors de leur présentation, le gardien qui ne cesse d ’en chasser les mouches à l’aide d ’une poignée d ’herbe, déclame les mérites de la bête et la raison d ’être du troupeau. Au Ruanda, parmi les inyambo on distingue les bihogo (brunes d’ori­gine locale) et les magaju (brun-marron) provenant de razzias effectuées à l’époque précoloniale, chez les Bahima du Nkole. Un troupeau de nyambo se compose habituellement de quarante-cinq génisses. Il était affilié à un bataillon militaire  dont le chef invitait un aède à composer des poèmes, de plusieurs centaines de vers parfois, que les gardiens de troupeaux apprenaient par cœur au fur et à mesure de leur composition, et dont l’abbé Kagame nous a donné les règles et quelques exemples. Les imirundi sont des vaches détenues par les grands chefs, présentant les caractères physiques des inyambo.

2) Bigarama ou Insanga (Ru.) (de gusanga : trouver — le taureau principal du mwami du Ruanda s’intitule Rusanga). Cette vache aurait été trouvée au Ruanda par Nyirarucyaba, fille du mwami mythique Gihanga, elle fit partie de son troupeau. Ce bétail est haut sur pattes, il possède de grandes cornes à base renflée d’un poids tel que la bête est parfois obligée de pencher la tête sur le côté, il est principalement détenu par les Batutsi de haut lignage qui en consomment le lait de préférence. On fit parfois remarquer que ce bétail présentait une certaine analogie avec celui qui figure sur les bas-reliefs de l’ancienne Égypte, ce fut d ’ailleurs l’un des motifs pour conclure hâtivement que les Batutsi étaient des Égyptiens émigrés, mais il s’agit ici d ’une affirmation gratuite, car les bigarama présentent une bosse à l’échine tandis que le dos du bétail Hamitic est longiline.

3) Nkuku. Vaches de taille plus petite que les bigarama et aux cornes sensiblement plus courtes et plus fines, elles constituent le cheptel de la clientèle et plus spécialement des Bahutu.

4) Imirizo. Vaches des chefs, qu’on peut situer entre les bigarama et les inkuku, et dont on coupe la queue à hauteur du jarret. L’imirizo peut donner naissance par croisement à l’inyambo.

5) Inkungu. Vaches n’ayant pas de corne, elles proviennent soit d’inyambo, de bigarama, à l’imilizo ou de nkuku, il s’agit de bêtes d’un type aberrant et non d’une race spéciale de bétail. Contrairement à une croyance qui fut longtemps accréditée, ce sont les plus mauvaises laitières du pays.

A côté des inkungu, il faut classer les inkungu y ’uburegarege ou ikiregarege (Ru.), indegarege ou intenderi (Ur.), vaches aux cornes tombantes et mobiles formant collier autour de la tête. On rapporte que c’est le mwami mythique Gihanga qui aurait découvert ce type de bovin, en l’occurrence le taureau Rutenderi aux cornes branlantes.

6) Ingweba (ou itamu). Bétail à bosse très prononcée du type zébu qui venait du Nkole ; en fait, il a disparu du Ruanda où on le rencontrait au Rukiga et au Buberuka.

Simons cita des types spéciaux pour l’Urundi : inshirabwiko, inguma, impakarika, intamba, intagare, mais il ajoute que les particularités de ces types ne résident point dans la forme générale, mais dans des détails particuliers : l’inguma a la vulve noire, l’impakarika possède des cornes fines, le taureau intamba montre quatre boutons blancs sur la bourse, l’intagare a de grosses cornes pointant à l’horizontale, les inshirabwiko donnent plus de veaux que les autres.

Il n ’est pas besoin de répéter ici toute l’importance que revêt le bétail, principalement au point de vue social, au Ruanda-Urundi où existe ce dicton : « Ntakiruta inka : rien ne surpasse la vache ». C’est la quantité de bétail possédé qui est un signe de richesse et non sa qualité naturelle. Une bête donne 42 à 45 % de viande et ne pèse en moyenne que 250 kilos, son rendement en lait est ridiculement bas : il oscille autour de 1,5 litre par jour en moyenne, soit 300 à 600 litres par lactation.

Les bêtes paissent dans des pacages naturels et parfois en transhumance, il ne serait jamais venu à l’idée du pasteur de créer des pâturages artificiels. Elles commencent à brouter après la traite du matin, entre 7 h et 9 h. Seules les vaches qui viennent de vêler demeurent dans le kraal attenant à la hutte ; quant aux veaux, ils sont gardés à la maison jusqu’à l’âge de cinq à six mois et n’en sortent qu’à l’heure de la traite, on leur donne une litière et de l’herbe à manger. Chez les riches, les veaux ont souvent leur hutte particulière. Ensuite jusqu’à l’âge d’un an, ils paissent près du kraal et sont enfin incorporés au troupeau. Ce n ’est que vers l’âge de trois ou quatre ans que la génisse est saillie ; la monte étant provoquée en manière telle que la bête mette bas au début de la saison des pluies lorsque les pâturages sont bien fournis d’herbe tendre. On estima qu’il fallait en saison sèche jusqu’à 3 ha de pacage pour nourrir une bête, et 1,5 en saison des pluies.

Entre midi et quatorze heures, les bêtes sont menées à l’abreuvoir (inka zishoka) qui sera ici un marais, là une rivière, un lac, un puits (iriba) ou une auge façonnée en glaise (ibumbiro) dans laquelle on verse de l’eau à l’aide de seaux en bois. Dans certaines régions où l’eau est rare, le bétail n ’est abreuvé que tous les deux ou trois jours. Parfois il est emmené boire de l’eau salée (amashyus za) et bien souvent il lèche des concrétions salines.

La sous-alimentation du bétail est chronique dans toutes les régions surpeuplées où la houe repousse visiblement la vache en amenuisant d ’année en année l’étendue des pâturages, aussi les bêtes sont-elles maigres, efflanquées, mauvaises laitières et manquent-elles de précocité. Dans bien des régions, l’overstocking est une cause nettement établie de dégradation du couvert végétal.

Les troupeaux de bovins sont gardés magiquement par le mouton (Nyirabuhoro : gage de paix) dont, sur le plan pratique, l’éleveur ne retire aucun avantage. Il demeure strictement interdit d ’incorporer d ’autres animaux que le mouton aux troupeaux, notamment des chèvres et des porcs.

Certains pasteurs demeurés nomades au nord-ouest et au nord-est du Ruanda, se contentent de suivre leur bétail à la recherche de pacages, parfois même en forêt ; ils édifient un kraal de fortune en épineux et dorment dans des huttes provisoires sinon à la belle étoile. Chez les grands éleveurs batutsi, les gardiens de bétail, abashumba, se divisent en plusieurs catégories selon le travail qui leur est imparti :

1) Abatahira (de gutahira: aller à jours fixes à un endroit déterminé), ce sont les gardiens en chef, ils ne suivent pas le bétail aux pâturages, ils ne donnent pas de soins aux vaches, mais ils dirigent les ababwiriza commis sous leurs ordres en leur donnant des instructions générales quant aux mesures à prendre en matière d ’élevage du bétail : pacages à utiliser, eau à rechercher, soins à donner, etc. Ils ne peuvent boire le lait de la vache indatwa: la plus belle, la reine du troupeau du maître.

Un grand éleveur de bétail ne dispose que d ’un seul mutahira, c’est son intendant pastoral.

2) Ababwiriza (kubwiriza: donner des instructions). Placés directement sous les ordres du mutahira, les babwiriza donnent des instructions précises aux bafatankoni pour mener le bétail aux pâturages, aux abreuvoirs, le soigner, le garder et en pratiquer la traite.

3) Abafatankoni (de gufata: tenir, et d’inkoni: bâton — Ceux qui tiennent le bâton pastoral). Ils gardent le bétail aux pâturages de jour, le ramènent le soir au kraal, le traient ; outre un ou deux bâtons pastoraux, ils tiennent en main une touffe d’herbe inkuyu avec laquelle ils brossent les bovins. Ils mènent le bétail à l’abreuvoir et lui enlèvent les tiques.

4) Abarenza mase (kurenza: jeter, amase: bouses).

Ce sont des Bahutu venus solliciter un peu de lait. Leur rôle ne consiste pas à surveiller le bétail, mais à préparer le feu pastoral igicaniro à l’intérieur du kraal, à enlever les bouses, nettoyer le kraal, couper l’herbe pour la nourriture et la litière des veaux.

Ils ne peuvent toucher au bétail et surtout pas le traire ni se chauffer au feu pastoral sinon les vaches ne vêleraient que des veaux mâles, croit-on.

Il existe une obligation commune à tous les gardiens qui traient le bétail : se laver les mains à l’eau ou à l’urine de vache avant et après la traite : il ne faut pas voir en ceci une mesure de propreté mais une précaution prise en vue de ne pas contaminer la bête de l’une ou l’autre maladie, voire de l’ensorcellement.

Les gardiens ne peuvent commettre d’adultère durant toute la durée de leurs prestations, ce serait exposer le bétail à la stérilité. Même en cas de deuil, les gardiens de bétail ne peuvent se faire raser les cheveux, car les vaches n’engendreraient plus.

Sans aucun prétexte, ils ne peuvent  s’absenter de leur service, même pas pour participer à un procès en qualité de témoin.

On ne peut donner de la bière de banane à boire à un gardien de bétail tandis qu’il rentre des pâturages sans qu’il n’accomplisse préalablement un certain rituel : toucher du doigt le pot à lait icyansi, traire et boire un peu de lait. Ceci est accompli afin d’éviter un mauvais sort au troupeau, attendu que la bière de banane porte le surnom d ’incike (l’improductive). Le même gardien ne peut manger avant d’avoir trait les vaches. S’il consomme de la pâte de sorgho, il ne peut la prendre directement sur la grande spatule de ménage umwuko, les vaches ne vêleraient plus que des veaux mâles.

 

A la nuit tombante, le bétail rentre au kraal, ou à l’enclos, qui a été nettoyé le matin après son départ. La seconde traite a lieu autour d’un feu pastoral igicaniro dont la signification magique est évidente ; on ne peut y prélever des braises. On a cru toutefois mettre en évidence son pseudocaractère pratique en lui assignant comme but de chasser les mouches alors qu’au contraire sa chaleur les attire et favorise l’éclosion de leurs œufs. En règle générale, les vaches sont dociles à la traite sinon on leur entrave les pattes arrière avec des liens en corde tressée (injishi). Il faut souvent mobiliser une équipe d’hommes pour effectuer la traite, l’un d ’eux maintient le veau à l’écart de la mère, l’autre à l’aide d ’un balai de feuilles ibizinzo fouette celle-ci pour en éloigner les mouches, un troisième lui chatouille la vulve afin de l’immobiliser, on a parfois vu pour arriver à cette fin, introduire le bras entier dans le vagin, enfin un quatrième auxiliaire trait la bête. On amène d ’abord le veau qui amorce l’arrivée du lait en donnant de vigoureux coups de tête dans le pis et en commençant à têter à chaque trayon, on l’y laisse deux ou trois minutes puis on le retire. Lorsqu’une certaine quantité de lait a été obtenue, on laisse revenir le veau qui « rappelle » le lait à nouveau durant deux à trois minutes, puis on poursuit la traite, la vache est enfin déliée et le veau achève de têter. Pour les bêtes dont le veau est mort, les indigènes leur font lécher la peau du veau q u ’ils enduisent d ’un peu de sel, ensuite ils la déposent par terre en face de la vache.

A défaut d ’eau, on emploie l’urine de vache pour nettoyer les pots à lait. On ne peut traire la vache en se tenant à sa gauche et on ne peut faire passer le pot à lait entre ses pattes. Il convient de consigner ici que chez les pasteurs, tous les instruments qui concernent le lait doivent être en bois : pots à lait (ibyansi) et barattes. Il est strictement interdit d’utiliser des ustensiles ayant été au contact du feu : qu’ils soient en terre cuite ou en fer. Les vaches étant rentrées dans l’enclos, défense de sortir dans la cour le mortier, la marmite, le gobelet ou la natte. Si quelqu’un le faisait par mégarde, on lui demanderait : « Que portes-tu ? » Il ne peut répondre par le nom de la chose, mais il dira : « Une vieille natte usée ». Puis, pour éviter le mauvais sort, il tournera un bâton dans l’objet défendu et y mettra un charbon incandescent.

Lors de la traite, lorsqu’une impureté quelconque (mouche, fétu de paille etc…) tombe dans le lait, il faut l’enlever avec un bout d ’herbe sèche, mais non fraîche sinon la vache dont provient le lait serait blessée le même jour au pis et aux trayons, elle donnerait du lait ensanglanté, souffrirait, mais parviendrait quand même à guérir après une dizaine de jours et à redonner du lait normal, mais en petites quantités.

Premier remède :

Prendre un peu de ce lait sanguinolent et le verser dans une tige creuse et fraîche de ricin, percée à l’une des extrémités seulement afin de former récipient, celui-ci est enfoncé dans le feu pastoral igicaniro. Quand le liquide est chaud, la tige est enlevée pour être plantée dans un tas de bouse icukiro. On croit que la vache guérira et redonnera du lait normal en abondance 2 ou 3 jours après ;

Second remède :

Prendre l’écorce d ’une tige fraîche de papyrus, la tourner de façon à en faire un coussinet (igikondo), prendre des feuilles fraîches de ricin, les faire sécher modérément au feu, les froisser sans les émietter ni trop les abîmer, les mélanger à de l’urusamuro (sève d’intobo de la variété inshucu), puis les poser sur l’igikondo ; tourner ces ingrédients dans la main pour en obtenir une boule qu’on enfonce le soir soi-disant dans la vessie ( inda y a maganga ) de la vache, mais en fait dans la matrice. Il doit y avoir confusion du fait que l’indigène voyant sortir l’urine de la vulve en conclut que son dépôt se trouve à l’intérieur de celle-ci où elle doit rester toute la nuit. On enlève la boule de bon matin, imprégnée de sang et de liquide, on la jette par-dessus le kraal vers l’ouest. Après quoi, la vache est guérie, croit-on. Quand un indigène possède du bétail et qu’il cultive des ignames ibikoro, il doit continuer à les cultiver chaque année, sinon le bétail mourrait s’il cessait de les planter.

Quand un indigène, homme ou femme, est gravement malade, il doit boire du lait pour essayer de se guérir : c’est un remède bénéfique. C’est seulement un essai, car dans l’idée de l’indigène le lait est une sorte de remède qui guérit parfois, c’est pourquoi il essaie souvent d ’en boire avant de chercher un autre antidote, il en attend un effet bienfaisant. Cela ne correspond pas au traitement suivi sur prescription médicale chez les Européens, le lait étant souvent le seul aliment supporté par le malade. Un homme (homo) qui se croit empoisonné, boit beaucoup de lait : 4 à 5 litres jusqu’à ce qu’il ne sache plus l’avaler, de la sorte il s’imaginera pouvoir guérir pourvu qu’il le boive le même jour qu’il a été empoisonné ou le lendemain au plus tard. S’il ne guérit pas, on conclura qu’il a bu le lait trop tard. En somme, cette croyance équivaut à administrer un contrepoison, le lait ayant des propriétés naturelles neutralisant l’effet du poison. Dans le cas spécial de la tuberculose inoculée à un indigène par l’absorption de poumons séchés et pulvérisés d’un homme mort de phtisie et mélangés aux aliments ou à la boisson, il faut lui faire boire du lait en grande quantité le même jour ; la croyance veut que le malade guérira.

Il appartient aux hommes et aux jeunes filles de traire les vaches, cette opération constitue un tabou pour les femmes.

Le soir, à la rentrée des vaches royales, personne ne pouvait traverser le troupeau, hormis le mwami.

Au moment où l’on trayait les vaches, personne ne pouvait pénétrer dans le kraal où s’accomplissait l’opération.

Les trayeurs du mwami devaient être des jeunes gens vierges, n ’ayant jamais de rapports sexuels avec des femmes sous peine de révocation ; personne ne pouvait les regarder traire.

Un mukamyi (trayeur) ne pouvait entrer dans la cuisine.

Un mukevyi (serviteur) ne pouvait toucher l’icyansi (pot à lait).

Les gens de service devaient se courber assez bas pour ne pas dépasser de la tête les pots à lait se trouvant rangés sur une sorte de buffet. Lorsqu’on nettoyait les pots à lait, personne ne pouvait s’en approcher si ce n ’étaient ceux chargés de traire les vaches.

La traite terminée, on procède à la petite cérémonie quotidienne, toute rituelle, de la présentation des verges au maître de céans (Uguhereza inkoni). Le propriétaire est rentré dans la demeure en passant par le vestibule et va s’asseoir à l’endroit dit « mu kirambi », à côté du feu. Près d ’un paravent, se trouvent les verges et les entraves (injishi). Les verges sont en nombre variable : 2, 4, 6, 8, pas davantage, jamais en nombre impair, elles sont minces, longues de 60 centimètres environ, frottées au beurre et à la mousse de lait (urukamiro). Personne ne les emploie dans la journée : elles sont en bois d ’umukore ou d’umubagabaga. Le gardien prend ces verges et ces entraves, sort rapidement, va en toucher l’une ou l’autre bête, puis, revenant vers son maître, lui présente d’abord le pot plein de lait. Se penchant et le tenant des deux mains, il dit : « Akira amata : reçois le lait (de la main à la main) ». Le propriétaire l’accepte et touche le pot des deux mains tendues, sans se lever, il le dépose sur une étagère ou le rend au domestique qui se charge de ce soin. Ensuite ce dernier, cette fois en s’agenouillant, lui tend les verges et les cordelettes bien allongées en disant : « A kir’ inkoni, reçois les verges». Le propriétaire les reçoit dans les paumes croisées et répond : « Cyura amashyo : fais rentrer les troupeaux », le vacher dit encore : « Cyurirwa amagana : qu’il t ’en rentre par centaines », le propriétaire répond : « Uzuza: remplis les pots jusqu’au bord ». Le gardien termine ce dialogue en souhaitant l’abondance à son maître : « Uzirizwa : que les pots te soient remplis jusqu’au bord ». Les verges et les entraves ont glissé des mains du gardien dans celles du maître qui en touche légèrement le feu avant de les rem ettre à leur place habituelle. Il est interdit au gardien de les toucher encore avant le lendemain soir. Ces gestes nous démontrent bien la liaison mystique qui unit le bétail, le feu et le maître du foyer.

 

Noms spéciaux donnés au lait (amata).

 

Liquide visqueux qui sort

du pis avant le vêlage                   Inkanya (Ruanda)           Umuroramabere (Urundi)

Colostrum Umuhondo                 Umuhondo                        umuhondo

Lait qu’on vient de traire             Inshyushyu                        Imfyufyu

Lait qu’on a trait le matin             Amilire                                 Umwurire

Lait trait la veille                              Umubanji                           Umurazw a

Lait qui vient de cailler                  Ikivuriraho

Lait caillé et battu                           Ikivuguto                            Urubu

Lait caillé de 2 ou 3 jours              Amasibire

Lait mélangé à l’eau                       Umwerera                         Umwerera

Eau qui a servi au nettoyage

de la b aratte e t du beurre          Umujago                            Umwoza

Lait d ’une vache saillie               Amasitu                              Amashorerano

Lait de plus ou moins deux

jours et dont on extrait le beurre  Urukoko                        Urubu

Petit lait b attu dont

on a extrait le beurre                    Amacunda                         Amakuyano

L’amasitu est trait mais on le jette et puis on fait laver les pots qui l’ont contenu par une fille isugi : jeune fille vierge non orpheline. Les pots sont lavés sur le dos de la vache et ensuite nettoyés à l’aide de feuilles d ’umuko (érythrine) et d ’umutaba (ficus umuvumu). La jeune vierge prononce alors la phrase rituelle : « Ngukuye amasitu n ’ibimasa: ton lait est ainsi purifié, donne-nous des génisses ».

Si du lait tombe sur le feu, on asperge celui-ci d ’eau afin de rafraîchir la vache dont il provient. Si l’on trouve qu’après un jour et une nuit le lait déposé dans la hutte a acquis une teinte sanguinolente, il faut l’enterrer sous le feu pastoral igicaniro en ayant soin d’y adjoindre le liquide exorciseur isubyo, faute de ce faire, le troupeau entier disparaîtrait. Il est interdit de verser ce lait sur le foyer de cuisine amashyiga et de le laisser boire par une autre personne qu’une femme sinon la vache deviendrait aveugle et ses trayons se boucheraient. Il est interdit de cuire le lait. Aussi là où les Européens passent, les Batutsi ont-ils soin de tenir à leur disposition un pot à lait spécial dont ils ne se servent pas eux-mêmes.

Le beurre est obtenu par barattage de lait vieux de trois à quatre jours, dont on extrait le lactosérum (amenda) à l’aide d ’un chalumeau, et auquel on ajoute un peu d’eau tiède. Le beurre frais (amavuta) n ’est jamais consommé immédiatement.

 

On baratte le lait dans de grandes calebasses ibisabo qui en temps ordinaire sont suspendues dans la hutte grâce à un filet injishi à mailles serrées au Ruanda et inyambo à mailles larges chez les Bahima. Habituellement c’est l’élément féminin qui s’en charge. On s’assied par terre, les jambes étendues, la calebasse est posée sur les genoux, convenablement obturée et cernée d’herbes bénéfiques. On l’agite d’avant en arrière jusqu’à l’obtention de beurre dont les premières particules apparues s’intitulent irora rimwe (celui qui est aperçu pour la première fois). L’éleveur ne peut regarder le beurre fraîchement baratté de ses vaches sinon celles-ci donneraient désormais du lait dépourvu de matière grasse. Aucun étranger ne peut s’approcher du lieu où l’on nettoie les pots à lait, l’on trait ou baratte.

On ne peut briser la courge servant au barattage ; cet accident provoquerait la mort par tympanisme de la meilleure laitière du troupeau. On ne peut baratter le lait à l’obscurité, les vaches deviendraient aveugles.

Interdiction de baratter sur le lit, le propriétaire des bovins pourrait en mourir.

Avant de baratter, il faut lier autour de la baratte un rejet d ’herbe umushyigura (de gishyigura: déplacer, enlever, soulever un objet excessivement lourd) afin d’obtenir beaucoup de beurre du lait, sinon il n ’en donnerait pas du tout.

Si celui qui baratte doit s’absenter un moment ou passer la baratte à une autre personne pour continuer l’opération, il aura soin en partant, de se courber devant l’instrument et de le toucher des poings et du front afin qu’on obtienne des mottes de beurre aussi grosses que des poings ou qu’une tête. En fin d ’opération, il faut se laver les mains.

Lorsque le lait est baratté et qu’on désire le transvaser, il faut placer un jonc noué sur le bord de l’instrument afin d ’y retenir le beurre.

Lorsqu’on baratte et que le taureau rentre au kraal, il faut interrompre l’opération sinon il crèverait.

Dès qu’il y a du beurre, on ne peut siffler sinon le beurre n ’augmenterait plus. De même lorsqu’il y a beaucoup de beurre dans la maison, il est défendu de siffler : les beurriers tomberaient à terre.

On ne peut laisser tomber du beurre dans l’enclos, ce serait un mauvais présage pour le propriétaire de la bête : il n ’aurait jamais de taureau dans son troupeau, et s’il en possède un, il risquerait de le perdre.

On ne peut suspendre la baratte au-dessus du lit : on ferait des rêves agités durant toute la nuit ; ni la suspendre à l’intérieur du kraal, il en résulterait des conséquences funestes pour le troupeau. A la cour, il était strictem ent interdit de pénétrer dans la hutte où se barattait le beurre.

Le beurre rance sert non seulement en cuisine à la préparation de certains aliments, mais on l’emploie encore pour s’oindre le corps, dans ce cas on le parfume souvent en le passant à la fumée de bois odoriférant. Il est le plus souvent conservé dans des poteries en terre cuite.

Noms spéciaux donnés au beurre (amavuta).

Beurre sortant de la b ara tte                    Amaresanyo (Ruanda)                 Amarete (Urundi)

Beurre de 2 mois                                            Amavuta y ’igisore                         Igisore

Beurre rance (à p artir de 6 mois)            Amavuta akuze                               Amavuta akuze

Beurre liquéfié et parfumé                        Amadahano                                      Amadahano

Beurre liquéfié, condensé et

contenant du parfum pour

s’enduire                                                           Imbilibili ou Ik imuli                        Amasigano

 

Il est de coutume, au Ruanda-Urundi, de donner un nom propre aux vaches laitières, toutefois n ’en reçoivent pas : les veaux, génisses, taurillons et taureaux. Exemples : Impakabarasi (celle qui donne beaucoup de lait), Imenerabahizi (celle qui est toujours devant le troupeau), Inka ya Rwiyamira (la vache reçue de Rwiyamira), Inkaragamugabo (la vache qui tue les hommes), Indibori (celle qui a des taches sur la robe), Inyamamare (celle qui est aimée), Indemamare (celle qui a été bien créée), Imbonezamihigo (celle qui est toujours devant les autres).

Les tendons de bœuf constituent d ’excellentes cordes pour les arcs et les instruments de musique, ils trouvent également leur emploi en magie.

La peau de vache sert de jupe (inkanda) à la femme mariée, de couverture pour le lit et est utilisée dans la confection des tambours.

L’urine est employée pour laver les pots à lait. Quant à la bouse, elle reçoit de multiples usages : colmatage des paniers, des ruches, des portes, des vans, des greniers à vivres, des pots à lait fêlés, on l’emploie comme cataplasme sur les plaies ; séchée, elle constitue un combustible utilisé en cuisine, on l’utilise encore pour amender les champs de courges, de haricots et les bananeraies.

Le bœuf n ’a jamais été dressé à l’époque précoloniale en qualité d ’animal de bât ou de trait.

La corne sert d ’olifant, à puiser de l’eau, de marteau pour battre les étoffes de ficus, de réceptacle pour certains charmes offensifs et défensifs, de conduit pour soutirer la sève capiteuse des palmiers.

Coutumes spéciales relatives aux vaches.

On ne fait pas passer une vache pleine au-dessus du bois écorcé.

La vache pleine ne peut passer sur un nid de bergeronnette tombé dans la cour. Défense de se raser là où les vaches passent.

Si la vache passe par dessus un mwungere, oiseau de la famille de la bergeronnette, ses veaux crèveront.

Les restes d ’une étoffe d ’écorce de ficus battue sont soigneusement éloignés pour que les vaches ne passent pas dessus, il leur arriverait malheur. La vache qui aime à se dandiner et à danser (gucuragura: danse d’ensorcellement), risque de mourir sans progéniture.

Lorsqu’une vache après avoir vêlé, tarde à évacuer le placenta ( gufuma), on lui trait du lait qu’on place dans un pot sur une chaise. A ce moment elle fera sortir, croit-on, le placenta ; on lui enlève une puce qu’on lui place dans le vagin, ou bien on fait passer une petite fille en-dessous de son ventre.

Lorsqu’une vache a tué un homme d ’un coup de corne (guhilika), on prétend que ses veaux crèveront en naissant à moins qu’elle ne mette bas à l’endroit où elle tua cet homme.

La vache difficile à traire, est appréciée car on croit qu’elle désire réserver son lait à ses veaux et que dès lors elle sera féconde.

On dit de la vache devenue vieille qui a donné beaucoup de veaux : « Ni umubyeyi : c’est une mère ». En principe on ne l’abat pas, on attend qu’elle crève, et sa chair n’est mangée qu’en famille, on ne la partage pas avec d’autres personnes. Ses cornes sont enterrées avec la baratte qui la concernait, sa peau servira de couverture, si des puces s’y trouvent elles devront être éliminées à l’extérieur du kraal car si elles y tombaient, les veaux crèveraient également.

On ne peut baratter le lait d’une vache qui perd ses poils ( gupfuka), non seulement ce lait ne donnerait pas de beurre, mais en outre la bête perdrait dès lors tous ses poils.

Lorsqu’une vache perd habituellement ses veaux à la naissance (gupfusha) et qu’elle vêle à nouveau, on s’empresse de couper l’oreille du veau en disant : « Que personne n ’achète ce veau » (s. e. parce qu’il est invendable, n’ayant qu’une oreille). Celle-ci n ’est pas jetée, mais séchée afin que si la vache met bas d ’autres veaux, ceux-ci demeurent en vie.

Lorsque les vaches se trouvent en transhumance au loin et qu’elles doivent se rendre à l’abreuvoir, on dépose un chalumeau et un morceau de papyrus dans un entonnoir entre les deux piliers constituant l’entrée de l’enclos, ce talisman empêchera les vaches d’être empoisonnées par l’eau qu’elles boiront. Une autre modalité de protection consiste à ce qu’une fille isugi, vierge non orpheline, enduise de bouse de vache les piliers de l’entrée du kraal, cette bouse sera enlevée lors du retour du bétail.

La vache qui renverse habituellement (gusesa) les bois imyugariro fermant l’entrée du kraal doit être éliminée, car elle constitue un présage de vol.

La vache qui donne des coups de patte avant ( gutera), lorsqu’on la trait, constitue un heureux présage pour les autres, au contraire si elle donne des coups de patte arrière, elle est considérée comme néfaste.

Au Kinyaga (Shangugu), le détenteur d ’une vache prête à vêler qui cultive des champs de manioc ou de colocase, doit saigner sa bête car ces tubercules sont censés posséder une influence occulte néfaste sur la reproduction du cheptel.

Lorsqu’une vache vêle pour la première fois, on prend de la viande de mouton, de chèvre, de la chair de poisson, des raclures intérieures de peau séchée (inkuru), des champignons et du lait ; le tout est mélangé et cuit pour être consommé par le détenteur de la bête qui voit dans ce procédé une mesure préventive contre les maladies qui pourraient lui survenir lorsqu’il consommera le lait de cette vache ; contrairement à l’interdit habituel, il mangera des petits pois grillés afin que si un étranger boit le lait de sa vache, il ne l’envoûte pas en provoquant son tarissement.

Lorsqu’une génisse vêle pour la première fois et qu’en même temps sa mère met bas, ces bêtes sont placées dans un même pâturage.

Si dans un endroit déterminé plusieurs bêtes vêlaient en même temps, on abattrait celle qui a vêlé la première car on croit que faute de ce faire toutes les autres crèveraient. Lorsque le veau s’est mal présenté à la naissance, on prépare une couronne d’herbe sur laquelle on l’étend puis on l’y fait passer tête première ; de cette façon, dit-on, il est bien né. On dépose ensuite la couronne sur le dos de sa mère afin que celle-ci vêle bien désormais.

Lorsqu’une vache a mis bas des veaux jumeaux, son lait ne peut être bu que par la famille de celui qui la détient ; s’il était bu par des étrangers, ceux-ci pourraient en mourir. Si la vache vient à crever, sa viande ne peut être mangée qu’en famille. On agit d’ailleurs de même lorsqu’une vache a mis bas un veau mâle. Si la vache a vêlé des veaux jumeaux de sexes différents, on tue la femelle car elle est considérée comme improductive. Ce jour-là, en signe de deuil, on n ’enlève pas les bouses du kraal. La vache qui a vêlé des veaux jumeaux est traite dans un pot neuf durant sept jours ; le huitième jour, on cherche des asperges qu’on enterre avec le pot de lait sous le feu pastoral igicaniro qui brûle au milieu du kraal. Faute d’accomplir ce rite, le bétail crèverait et son détenteur mourrait de misère.

Lorsqu’une vache ne vêle que des taurillons et qu’on désire obtenir des génisses, on prend un grain de sorgho urukamba (de gukamba: être aigre) et une coquille d’escargot qu’on moud ensemble tout en les mélangeant à de la farine de sorgho, sur ce mélange on jette un peu de lait de la vache en disant : « Qu’elle vomisse la viande de taurillon comme la coquille éjectait son escargot », on la frappe d ’un coup de bâton en signe d ’interdiction de vêler des taurillons. On assène également un coup de bâton à la place où elle mit bas son dernier veau mâle.

Lorsqu’une vache a vêlé d’un veau mâle, il est interdit de prononcer le nom du sexe du veau à l’endroit où elle a mis bas ; si l’on passait outre cette interdiction, la vache vêlerait constamment de taurillons.

Lorsqu’une vache vêle prématurément d ’un veau mortné , celui-ci ne doit être mangé que par la famille directe de son détenteur, il ne peut être mangé par des étrangers au clan car il en résulterait une malédiction pour les autres vaches qui crèveraient dès lors les unes après les autres.

Lorsqu’une vache soupire (kuganya) continuellement, elle présage du malheur et d’habitude elle demeure stérile, en la conservant, son détenteur perdrait ses autres vaches.

Si une vache est larmoyante (kulira), c’est qu’elle craint le firmament ; au moment de la traite, on aura soin de recouvrir le pot de lait d ’un couvercle afin qu’il ne voie pas le ciel et que la vache cesse de verser des larmes, ce récipient sera désormais utilisé pour elle seule afin d ’éviter la maladie à d’autres bovidés du troupeau.

La vache en continuant à pleurer maigrirait et finirait par crever. La vache qui mange de la pâte de farine de sorgho ou le filet de la baratte ne peut être consommée que par son détenteur et sa famille directe ; mangée par un étranger, tout le troupeau dont elle fait partie crèverait. La vache qui aussitôt rentrée au kraal se couche par terre (kuryama) est censée nuire à la fécondité des autres bovins du troupeau, elle est retirée de celui-ci et cédée à un tiers.

Elle ne vieillira pas chez le même propriétaire, la vache qui broute l’herbe aux alentours de l’abreuvoir aussitôt qu’elle s’y est désaltérée.

Pour deviner le sexe du veau à naître, on secoue dans le creux de la main et sur le dos de la vache la larve d’un lépidoptère de la famille des Pierridae. Si la larve s’enroule, elle annonce une génisse, si elle reste droite ce sera un mâle.

Une vache qui a renversé le crâne d ’un homme mort perdra toute sa descendance et crèvera ; à moins de la ramener au lieu du délit.

Lorsqu’une vache est trouvée morte dans son propre kraal, on ne peut la transporter en dehors sans lui ouvrir au couteau les deux régions axillaires. Cette opération, appelée « gusetsa » : chatouiller, est indispensable pour éloigner le mauvais sort qui menace le troupeau.

On ne peut prélever des branches sur la palissade du kraal avant que les vaches qu’il abrite n ’aient vêlé, ce serait provoquer leur mort.

On ne peut laisser traîner dans le kraal une feuille d’umuseno servant à polir (de gusena : égaliser), les vaches avorteraient.

Si la vache ne parvient pas à mettre bas rapidement, son gardien se déshabille complètement. Ayant laissé tomber ses vêtements, on est convaincu que le veau descendra rapidement.

Pour qu’une vache ne vêle que des génisses, on prélève une feuille d’umugenzanda (litt. marcher avec le ventre, ramper) qu’on pilonne puis une jeune fille isugi en donne le jus à boire à la bête, en prononçant ces mots : « Je te change, désormais tu ne vêleras plus que des veaux femelles ». Ou bien deux jours après la saillie, on prend une branche de ficus umutabataba, une autre d ’érythrine umuko et un peu d ’herbe ivubwe, le tout est placé dans un pot ayant contenu précédemment du lait de la vache en question, la jeune fille lave alors le pot sur le dos de la vache puis elle passe sous celle-ci, de droite à gauche, en disant : « Que tu aies un veau femelle».

Lorsqu’on désire ensorceler une vache afin qu’elle ne vêle que des veaux mâles, on prélève une tige d ’uruhombo qu’on taille convenablement et à laquelle on applique l’empennage (inkarwe) d ’une flèche, la femme du sorcier prend un arc et décoche l’engin en visant l’endroit où s’assit le détenteur de la bête, en disant : « Je te tire des veaux mâles ». Un autre moyen consiste à prélever le cordon ombilical d ’un veau mâle, à le réduire en poudre après l’avoir desséché, et à jeter cette poudre dans l’abreuvoir fréquenté habituellement par la vache envisagée, en disant : « Vous êtes ensorcelée de veaux mâles, vous ne vêlerez plus que des veaux mâles ».

Lorsqu’une vache est atteinte d ’une soif chronique inextinguible, on la frappe sur le ventre à l’aide d’une peau de chèvre, ou bien on lui porte sur les pattes des coups de liane umuhurura, on lui attache aux pattes un stolon d ’herbe umucaca. Lorsqu’une vache broute de l’herbe près de l’abreuvoir après y avoir bu, elle présage son enlèvement prochain de chez son détenteur. La vache qui remue la terre à l’endroit du feu pastoral igicaniro ou qui défait le fagot de bois destiné à entretenir ce feu, constitue un mauvais présage pour les autres bovins du troupeau.

Lorsqu’une vache dort (kuryama) dans l’enclos avec la tête tournée vers la hutte, on prétend qu’elle demeurera chez son détenteur jusqu’à sa mort ; si au contraire elle la tourne vers la sortie de l’enclos, c’est que sous peu elle le quittera. Si une vache se couche sur un terrain en pente en portant sa tête vers le bas, elle présage l’extermination du troupeau. Celle qui au moment de s’étendre, tape le sol de ses cornes, présage la spoliation prochaine de son détenteur.

 

Si une vache a avorté, on ne peut faire passer l’avorton parmi les autres vaches du troupeau : elles en mourraient toutes.

On ne peut saigner (kurasa) une vache sur une termitière sinon elle ne vêlerait plus. Lorsqu’une vache rêve en dormant (kurota), on dit que par ses rêves elle présage une centaine de troupeaux, c’est-à-dire la richesse de son détenteur.

Lorsqu’une vache regarde son détenteur à la dérobée (kurunguruka) dans la hutte, on prétend qu’elle présage sa mort ; dès lors on la vend à l’étranger.

Lorsque les vaches d ’un troupeau se battent (kurwana) constamment, on prétend qu’elles sont ensorcelées par leur gardien, on pratique la saignée d ’une vache et on coagule le sang sur le feu, si après divination on ne parvient pas à détecter l’agent magique cause de l’ensorcellement, on conclut péremptoirement que les disputes sont dues au fait que le gardien a commis un adultère.

Lorsqu’une vache lance des coups de corne (kwica) à son détenteur ou à d ’autres personnes, on n ’en boit plus le lait, de ce fait on déclare qu’elle est devenue ‘ un sujet de vengeance (uruzigo).

Les membres du clan des Basindi ne peuvent s’approcher d’une vache qui a mis bas (kuvuka) un veau tacheté ; s’ils contrevenaient à ce tabou ils seraient frappés de l’affection épidermique amahumane. Le veau qui est né avec trois trayons au lieu de quatre est conservé uniquement par son détenteur originel, car s’il était cédé à un tiers il crèverait.

Lorsqu’une vache donna une génisse et que celle-ci est en âge d ’être montée, on s’arrange pour qu’elles soient saillies (kwima) en même temps toutes les deux, afin qu’elles vêlent de concert. Entre-temps on les fait brouter ensemble, on prend préalablement une feuille de ficus umutabataba et une touffe d ’ivubwe sur lesquelles on trait du lait de la vache qu’on donne à boire à sa génisse, en sorte qu’elles sont unies par un trait commun et par conséquent leur lait peut être traité dans une même baratte.

Lorsqu’une vache a été saillie, une jeune fille isugi, vierge non orpheline, prend une feuille d ’umuko, une autre à’umutabataba, une touffe d ’ivubwge, du kaolin, et un récipient à lait qui a été lavé sur son dos, ainsi munie de ces instruments, elle passe en dessous de la vache afin que celle-ci vêle d ’une génisse. Si cette vache a été saillie tandis qu’elle donnait encore du lait, ce dernier ne peut plus être bu, c’est Yamasitu ; il faut la traire durant quatre jours, au cours du cinquième on fait prendre à la fille une touffe d’ivubwe et le pot à lait fraîchement lavé pour la première fois depuis que la vache a été montée, la fille passe entre les pattes avant et arrière de la bête en disant : « Vous mettrez bas un veau et le placenta » (s. e. sans accident). Après cette cérémonie, le lait peut être bu à nouveau.

Lorsqu’une vache a été saillie en période de disette, ceux qui en boivent le lait sont obligés de faire traverser une rivière à la bête afin qu’elle continue, comme l’eau qui passe, à fournir sa lactation. La vache qui doit être saillie ne peut jamais être frappée, de crainte qu’elle se refuse au taureau.

La vache qui trotte (kwiruka) durant la nuit dans le kraal, est réputée inapte à la reproduction, en conséquence, elle est impitoyablement éliminée du troupeau.

Si une vache à l’habitude de se frotter (kwishima) de bon matin contre les pieux du kraal, elle présage la spoliation ou le vol du troupeau entier de son détenteur, il en est de même si elle se dirige vers la sortie du kraal. Elle présage au contraire l’abondance à son maître si elle prend la direction de l’intérieur de l’enclos.

Si une vache enlève les bois imyugaliro (kugurura) fermant le kraal en les poussant vers l’intérieur, elle présage la rentrée du troupeau ; si au contraire elle les renverse vers l’extérieur c’est que des voleurs approchent.

Le taureau impfizi.

Au Ruanda, les Bajiji se disant de souche munyiginya, avaient pour tâche de choisir, à l’avènement d’un nouveau mwami, le taureau Rusanga symbolisant la virilité royale. Ce taureau était choisi dans le troupeau Insanga qui aurait été confié par le mwami mythique Gihanga à la garde des Bazigaba. Le poil de la bête ne devait être ni noir, ni rouge, ni marron : il ne pouvait être que blanc, gris ou roux. La bête devait avoir une belle carrure et une jolie prestance : cornes régulières en forme de lyre ou de croissants, le bout de la queue devait être intact.

Il figurait à la cour à l’occasion des grandes cérémonies notamment lors des prémices du sorgho et du deuil national de juin. Lorsque le taureau séjournait à la cour, les gardiens présentaient au mwami, chaque soir, les verges au nombre de huit qui servaient à diriger l’animal, ils les remisait ensuite, soigneusement enveloppées d’une natte, dans la hutte destinée à abriter la bête durant la nuit. Lorsque le roi mourait, les Bazigaba livraient le taureau Rusanga aux biru, gardiens du code ésotérique, préposés aux funérailles royales. La peau du taureau servait de linceul et c’est dans cette espèce de sac que son cadavre était boucané à petit feu. La viande de ce taureau n ’était pas mangée attendu qu’il était assimilé au roi, elle était incinérée à petit feu à proximité immédiate de l’endroit où l’on momifiait la dépouille royale. Si Rusanga devenait infirme ou trop vieux, on le tuait après divination. Son corps était brûlé sur un immense brasier et le jour même les Bajiji se mettaient à la recherche d’un remplaçant ; là où ses cendres étaient enterrées, l’on plantait une bouture de ficus umuvumu alias umutabataba qui poussait ensuite telle un monument funéraire.

En Urundi, les taureaux sacrés étaient au nombre de deux : Muhabura (le chef de file) et Semasaka (le père du sorgho), leur robe était noire tachetée de blanc. Ils étaient fournis par le clan muhima des Bacondore et étaient investis dans leurs fonctions (kwimika) par des conservateurs attitrés. Tous deux participaient à l’avènement du mwami: Muhabura ouvrait le cortège accompagné de Semasaka ; en fin de cérémonie, le roi était hissé sur son dos (participation par contact à la virilité du taureau). Muhabura était suivi d’une trentaine de vaches inyambo encore intitulées ingabekazi (litt. les femmes des enseignes). Semasaka était confié aux soins de la vestale Mukakaryenda , vierge consacrant sa vie au tambour enseigne Karyenda. La bête participait avec Mukakaryenda à la fête rituelle annuelle, Umuganuro, des semailles du sorgho. Les vaches d ’escorte de Semasaka étaient au nombre invariable de sept.

Il est interdit d’attacher un bœuf avec l’injishi (corde avec laquelle on entrave les pattes arrière d’une laitière lors de la traite) ; mais si un bœuf mange l’injishi, il peut être proclamé chef du troupeau et avoir droit aux mêmes égards qu’un taureau reproducteur.

Le taureau qui se tient debout (guhagarara) en dessous de l’abreuvoir en y broutant l’herbe, présage la fortune de son propriétaire. Le taureau qui piétine ( gukandagira) et casse l’arc de son gardien, présage la fin imminente de son propriétaire.

Le taureau qui enlève ( gusambura) l’herbe constituant la paroi inférieure de la hutte, augure une courte vie pour sa maîtresse : il doit être abattu de suite sinon la femme mourrait.

Lorsque le propriétaire d’un taureau vient à mourir, il faut abattre ce bovin qui est censé être la cause du décès.

Avant d ’abattre un taureau, il faut lui jeter par dessus la tête un mwanana w’igitoke: cône de couleur amarante poussant à l’extrémité du régime de bananes. Si un taureau portait un coup de corne à son propriétaire, ce dernier l’abattrait, car ce coup présagerait sa mort prochaine.

Lorsque le taureau principal du troupeau meurt de vieillesse, il ne peut être mangé que par son détenteur et sa famille, aucun étranger ne peut y toucher. Avant de consommer sa viande, il faut l’asperger d ’eau provenant de l’abreuvoir qu’il fréquentait, à l’aide d ’un goupillon d ’herbe du pâturage où il paissait. La viande ne peut être mangée que par un nombre précis de personnes être mangée que par un nombre précis de convives ibishango (de gushanga: se mettre d ’accord). Les os de ce taureau sont incinérés sur le foyer pastoral igicaniro. Le contenu de son estomac est enterré. La femme de l’éleveur revêt la peau du taureau à moins qu’elle serve de couverture pour les jeunes veaux. Parfois, on enterrait le taureau après lui avoir enlevé la peau. Si un taureau crève en s’abreuvant (gushoka), on l’enterre entier à l’abreuvoir même.

Si le taureau saute (gusimbuka) de haut en bas de l’abreuvoir, c’est un présage de spoliation pour son propriétaire. S’il saute en bas d’une pirogue avant d ’y avoir été obligé, c’est qu’il mourra au-delà du cours d ’eau qu’il traverse, en conséquence il faut l’éliminer du troupeau.

Lorsqu’à la rentrée (gutaha) des troupeaux, le taureau se dirige vers un kraal étranger, c’est que bientôt son donateur le reprendra. S’il barre l’entrée du kraal aux autres bêtes, c’est que celles-ci seront bientôt spoliées. Mais s’il ouvre la marche du troupeau ou s’il détruit le feu pastoral igicaniro, ou s’il entre dans la hutte des veaux, ou s’il se repose à l’écart du troupeau, la prospérité est assurée.

Tout le troupeau sera volé si le taureau se couche dans l’enclos en fixant des yeux la sortie. Le taureau qui regarde fixement son détenteur occupé à uriner, présage la mort de celui-ci et de ses enfants.

Lorsqu’un taureau tombe (kugwa) dans un puits servant d’abreuvoir, il convient, avant de l’en retirer, de lui verser de l’eau sur le dos, sinon tout le troupeau tomberait à son tour dans l’eau.

Lorsqu’un taureau se dirige vers l’endroit où la fille de la maison lave les pots à lait, il présage la mort de cette enfant puisque déjà il esquisse le geste de vouloir la remplacer dans l’une de ses occupations. Si le taureau, après s’être introduit dans la hutte, piétine les barattes, c’est un présage de mort pour la maîtresse de céans. Par contre, le taureau est de bon augure lorsqu’il prend la tête du troupeau à la rentrée : il attirera, croit-on, une multitude de vaches à son détenteur. Lorsqu’un taureau s’étend au milieu de ses produits, on ne le déplace jamais, car il présage la multiplication des veaux. Comme la vache, le taureau larmoyant est de mauvais augure pour la vie du chef de famille, de sa femme et de ses enfants.

Si deux taureaux se battent à l’abreuvoir et que l’un d’eux tombe dans l’eau, c’est bon signe : le propriétaire du puits demeurera toujours en possession de celui-ci. Si l’un d’eux succombe, il doit être enterré dans l’abreuvoir même. Le propriétaire de l’abreuvoir fait alors appel à un troubadour indigène umusizi qui, moyennant un taurillon, compose un poème ; ce qui facilite grandement l’exploitation de cet abreuvoir par le propriétaire.

Le taureau malade n’est pas soigné ; s’il se fait une luxation, on ne lui applique pas des pointes de feu, car cela le rendrait à jamais impotent, et l’infirmité retomberait sur son détenteur.

Le taureau qui attaque son propriétaire est abattu à coups de lance, car il présage sa mort prématurée.

Le taureau qui va se coucher dans les pâturages à l’écart du troupeau, multiplie ainsi les emplacements amanama destinés au repos du bétail ; en conséquence il présage à son propriétaire la possession de nouveaux bovins.

Lorsque le taureau attaque la femme de son détenteur, celle-ci doit quitter le toit conjugal, c’est comme si son mari l’en chassait.

Le taureau qui meugle (kwivuga) étant couché, présage la mort prématurée de son maître ; s’il meugle étendu près du feu pastoral igicaniro, cela signifie que son détenteur connaîtra des infirmités et des dermatoses amahumane dont il mourra bientôt.

Le taurillon (ikimasa).

 Le taurillon qui a mangé la corde attachée à la baratte ne peut être ni abattu ni vendu, il demeurera chez son propriétaire jusqu’à ce qu’il devienne taureau. Le taurillon qui boit l’urine de son père doit fatalement en crever.

Le taurillon ne peut jamais être attaché avec la corde injishi servant à entraver les pattes arrière des vaches laitières ; le faire pourrait occasionner leur mort. On ne peut pas frapper les vaches avec cette corde. Il est de tradition, dans le clan des Banyiginya, de détacher immédiatement tout taurillon qu’on rencontre entravé.

La génisse (inyana).

Pour engraisser une génisse, on lui met de l’eau dans la gueule et dans l’anus à l’aide d ’un tube de feuilles de courge ; cette dernière opération provoquera l’évacuation aisée des selles.

Quand une génisse attachée dans la hutte mange la ceinture de sa maîtresse, il faut l’abattre et la manger en famille ; si elle a avalé un bout d’étoffe appartenant à sa maîtresse, c’est un signe de mort prématurée pour celle-ci.

La génisse qui est née avec deux pis ne peut jamais être cédée. A la naissance d’une génisse, on souffle dans ses oreilles et un homme qui possède une forte voix crie dans la gueule de la bête afin que plus tard elle beugle convenablement, enfin on lui coupe la pointe de sabots pour qu’elle ne blesse personne. On appelle inyakamwe la génisse qui naît avec un seul onglon aux pattes avant, elle ne peut demeurer dans le kraal car sa présence occasionnerait la perte des autres bêtes.

Lorsque l’enfant grandit, il commence à faire sa cour (guhakwa) à un patron vacher, afin d’obtenir une ou des génisses. Dès qu’il reçoit la première, il l’emmène chez ses parents, porteur de feuilles d’umucyuro (de gucyura: faire rentrer). Sous aucun prétexte, il ne peut avoir des rapports sexuels en cours de route. Arrivé chez lui, ses parents préparent un feu pastoral igicaniro, au centre de leur enclos, à l’intention de la génisse. Puis la mère prend sur ses genoux une baratte qu’elle munit d’un filet neuf, tandis que le père s’empare d’une flèche et d’un arc dont la corde ne comporte pas de nœud. Le fils introduit sa vache dans l’enclos, et remet à son père les branches d’umucyuro, en dansant et en poussant des cris de joie. Le père entre dans la hutte avec Yumucyuro, l’arc et la flèche qu’il dépose sur la baratte que tient sa femme. Celle-ci, à son tour, dépose tout ce matériel sur le lit conjugal et tous deux pratiquent la copulation rituelle kwakira ou gucyura umunyafu : recevoir la première génisse. Si le fils a reçu une vache laitière, son lait est bu en premier lieu par les parents ; si c’est une génisse, elle sera saignée et son sang sera bu par les parents. Au point de vue du droit coutumier, cette bête tombe désormais sous la juridiction du père.

En voyant son frère rentrer à la maison en compagnie de cette vache, la sœur pousse des cris de joie, il doit lui promettre un cadeau. S’il s’en abstenait, elle lui souhaiterait de ne plus jamais recevoir de vaches de servage pastoral. Si elle est mariée et que son frère ne tient pas sa promesse, elle lui jettera un mauvais sort par l’entremise de sa ceinture umweko.

Un homme marié qui a perdu ses parents et qui reçoit sa première génisse de servage pastoral est l’objet d’une réception enthousiaste de la part de sa femme qui lui remet son arc et une flèche tandis qu’elle dépose la baratte sur ses genoux. L’homme danse muni de son arc et de la flèche, et tous deux poussent des cris de joie. Ils lèvent les bras en l’air et se touchent les mains en dansant. Puis ils rentrent dans la hutte afin d’effectuer la copulation rituelle kwakira umunyafu. Préalablement à ce rite, la femme s’asseoit sur le seuil de la hutte et le mari se pose un moment sur ses genoux. Les époux ne peuvent avoir des rapports adultérins avant d’avoir accompli le kwakira umunyafu, il en résulterait des malheurs pour eux-mêmes et leur partenaire.