Kigeri IV – Rwabugiri (1853-1895).
D ’aucuns prétendent que ce mwami ne serait pas le fils de Mutara II – Rwogera, mais celui de Nkoronko, frère de Rwogera, comme on vient de le relater. Il fut un mwami aventurier et sanguinaire. Assoiffé de gloire et de conquêtes, Rwabugiri ne se sentit jamais rassasié. On peut dire que toute sa vie se passa de campement en campem ent, c’est ainsi qu ’on retrouve des vestiges de ses résidences un peu partout au R uanda et notamment à Gasabo, l’ancienne capitale de ses ancêtres. Il usa et abusa de son droit de vie et de mort sur ses sujets dans toutes les provinces où il passa, tuant un grand nombre de chefs qui avaient eu l’heur de lui, grand nombre de chefs qui avaient eu le malheur de lui déplaire. Il fit tuer ses oncles paternels Rwampembwe et Nkoronko , sa mère Murorunkwere , son frère Bicundamabano, son grand-père maternel Nzirumbanje, il fit crever les yeux de son frère Nyamwasa, il fit tuer trois de ses femmes : Nyambibi, Nyiramaroba et Nyiraburunga (mère de Rutalindwa ). Il fit tuer également six chefs de l’Impara : Mashaza, Nyamwesa, Nzirumbanje (précité), Rwakageyo , Ntizimira et Rwabigw i, et, en chefferie du Biru, le chef Rwata . Rwabugiri était un ivrogne invétéré et les ordres qu’il donnait au cours de son ivresse étaient exécutés comme les autres ; revenu à lui, il s’apitoyait sur le sort des orphelins et il se préoccupait de les faire élever convenablement.

Ce sont les guerres de Rwabugiri qui sont les mieux connues, elles nous donnent une idée précise de l’importance agressive que représentait l’appareil militaire des bami du Ruanda, ainsi que de leur soif jamais satisfaite de conquêtes territoriales et de bétail.

1. — Expédition de Rusokovu au Mulera (territoire de Ruhengeri).

Cette première bataille du règne de Rwabugiri n’avait d’autre raison d’être que la simple fantaisie guerrière traditionnelle des bami, d’après laquelle il fallait faire des cadeaux d’avènement en victimes au tambour : « kurabukira ingoma », ou encore aiguiser les lances : « gukaza amacumu », pour asseoir l’autorité du nouveau roi par l’accomplissement d’actes de cruauté. Cette campagne fut dirigée contre les Bahutu du clan des Bakongoro sous le prétexte que jadis leurs ancêtres avaient tué le mwami Ndahiro-Cyamatare. La formation guerrière Ingangurarugo opéra cette campagne sous le commandement de l’umugaba Nyantaba, père de l’aveugle Kayijuka. Tandis qu’elle se déroulait, Rwagubiri demeura à sa résidence de Mata au Marangara (territoire de Nyanza). La rencontre eut lieu à la colline Rusokovu, quelques Bahutu de l’endroit furent tués et leur bétail fut razzié, soit une quarantaine de têtes. Les huttes furent incendiées et les bananiers coupés.

2. — Bataille de Mirama Rubuga au Ndorwa.

Cette expédition guerrière fut dirigée contre les Bahororo du Ndorwa, habitant la région de Mirama, au Mpororo, qui depuis la mort du mwami Rubunda n’avait plus de souverain, cette région était alors commandée par le nommé Bujuri des Bashambo. L’expédition avait pour but de razzier le bétail que le pays envisagé contenait en abondance. Cette campagne se fit sous les ordres du commandant en chef Rubuga, avec la participation des bataillons : Ingangurarugo, sous le commandement de Nyantaba, Abashakamba sous le commandement de Rwampembwe, Uruyange sous le commandement de Nyamushanja, Inzirabwoba et Abahirika commandés par N koronko, Intaganzwa sous le commandement de Nyirimigabo, Abakwiye sous le commandement de Gacyinya, Inyaruguru dirigé par Nyantaba de la milice Ingangurarugo, Imvejuru sous le commandement de Rutezi, Indara sous le commandement de Karara, les Babito avaient comme chef Rutuganshuro, les Barima avec Ndibyariye, les Barasa avec Kabaka, les Inyakare et Indirira avec Bicundamabano fils de Rwogera et frère de Rwabugiri, les Bashumba avec Ruhezamihigo, les Bakemba étaient commandés par Ndagiyihango. D ’autres groupes de miliciens bahutu et batutsi participèrent à cette expédition, mais ils étaient intégrés dans ces principaux bataillons. Rwabugiri ne participa pas à cette campagne, car il venait d’épouser Nyiraburunga, mère de R utalindwa, du clan des Bakono, et se trouvait à Mwima (Busanza) près de Nyanza.

La bataille se livra à Mirama d’où elle tira son nom. Aucun chef im portant du clan des Bashambo n ’y trouva la mort. Ces derniers se replièrent rapidement, se rendant compte de leur état d ’infériorité, ils trouvèrent leur salut dans la fuite. Les tués furent peu nombreux du côté des Bashambo. Par contre, plusieurs jeunes filles Bashambo furent enlevées et emmenées en esclavage au Ruanda. Le bétail fut razzié en fortes quantités, et les commandants de bataillon se taillèrent une part de lion, si bien qu’à leur retour d’expédition Rwabugiri en prit ombrage et décida de ne plus permettre le partage anticipé du bétail rafflé. Il n’employa cependant pas la violence, mais persuada ses officiers, lors des campagnes postérieures, de lui réserver également une part du butin pour en doter ses diverses résidences. Les Bashambo se soumirent et demandèrent grâce à Rwabugiri. Ils furent divisés entre les commandements de Kabare et de Rwatangabo qui avaient des fiefs à la frontière. Rwabugiri n’occupa pas personnellement cette région et aucune de ses femmes n’y résida.

3. — Première expédition d’Idjwi (Kivu).

Cette bataille porte également le titre de Nyirakigeri, car la reine-mère Nyirakigeri y accompagna son fils, le mwami Rwabugiri. Cette campagne fut décidée alors que Rwabugiri se trouvait à sa résidence de Mwima. Elle fut dirigée contre Kabego, mwami d’Idjwi. Cette guerre était entreprise par Rwabugiri dans la seule intention d’annexer Idjwi au Ruanda.
Les mêmes bataillons qui participèrent à la campagne de Mirama entreprirent l’expédition d’Idjwi. Les troupes se trouvaient sous le commandement de leurs chefs respectifs, mais Rwabugiri et Nyirakigeri restèrent à Nyamirundi au Ruanda où ils demeurèrent environ un an. Le combat se livra à Nyakarengo, sur l’île Idjwi. Il y eut des tués parmi les Bashi Bakongoro d’Idjwi, mais le mwami Kabego parvint à prendre la fuite. Le bataillon Abakwiye, sous le commandement de Gacinya, montra beaucoup de bravoure. Aucune occupation définitive n’eut lieu, Rwabugiri, n’ayant pu s’emparer du roi de l’île Idjwi, décida de recommencer plus tard l’expédition. Il rentra au cœur du Ruanda, au Nduga.

4. — Bataille, dite « de l’eau », de Mubiti (Ndorwa).

Cette bataille tire son nom du fait qu’elle fut livrée au cours d ’une saison de pluie particulièrement rigoureuse. Cette campagne fut décidée tandis que Rwabugiri se trouvait à Mayebe (Kabagali). Rwabugiri accompagna ses troupes jusqu’à Kigali (Bwanacyambwe) et s’installa à Nyarubuye. Il confia la direction de l’expédition au commandant en chef Ruvuzacyuma de la milice Ingangurarugo. Cet officier partit avec les mêmes formations guerrières qui participèrent à la campagne de Mirama. L’expédition fut dirigée à nouveau contre les Bashambo du Ndorwa.

Comme toutes les autres campagnes qui furent dirigées contre le Ndorwa, celle-ci fut opérée dans le seul but de razzier du bétail.

La bataille principale eut lieu dans le Rukiga de Kabare, au lieu dit Mubiti. C’était un massif de collines groupées sous cette dénomination. Aucune personnalité mushambo importante n’y trouva la mort, hormis quelques guerriers. Il fut rafflé du bétail, mais en quantités relativement faibles, car l’élevage était alors assez peu développé au Ndorwa. Il y eut de sérieuses pertes dans les rangs des troupes de Rwabugiri, par suite des intempéries et de la faim qui résulta d’un ravitaillement mal assuré. Cette situation hâta le retour des troupes au Ruanda. Rwabugiri occupait alors sa résidence de Gatsibu avec sa femme Nyirandirikirwa. Il n’y eut pas d’occupation proprement dite de la région de Mubiti qui fut annexée au domaine de Gatsibu sous le commandement de Nzigiye. Cependant les chefs Ruvuzacyuma et Nzigiye profitèrent de la situation pour s’y tailler quelques fiefs personnels.

5. — Bataille de Rito en Urundi (Bugesera).
Cette campagne eut lieu en 1873, année qui précéda l’apparition de la comète Koggia III. Elle fut entreprise alors que Rwabugiri se trouvait avec sa femme Kabagwira à sa résidence de Gitovu (Mayaga). Elle fut dirigée par le commandant en chef umugaba Ndibyariye, avec le concours des chefs de bataillon Nyantaba, Nyamushanja, Rwampembwe et Nyilimigabo. Le mwami de l’Urundi était alors Mwezi-Bijoga. Le chef murundi Rugigana, qui commandait la frontière de l’Urundi, faisait des incursions au Mayaga (Ruanda) afin d’y raffler du bétail ; ces rapines finirent par lasser Rwabugiri qui décida d’opérer une expédition punitive contre Rugigana. Les mêmes bataillons qui combattirent à Mirama et à Mubiti participèrent à cette campagne, sous le commandement des mêmes officiers. La bataille principale eut lieu à Rito, en Urundi (Bugesera). Cet endroit, ou mieux cette région, était constitué de marais de papyrus et de collines couvertes de forêt.

Il y eut des morts dans le camp ennemi, mais les Barundi qui se défendaient rudement, utilisèrent à leur profit la topographie spéciale des lieux pour livrer des combats de harcellement, et ainsi se mettre à l’abri au moindre danger.

Rwabugiri ne ramena aucune tête de bétail de l’Urundi. Ses bataillons, qui n ’avaient pu atteindre les Barundi protégés par la savane et les marais de papyrus regagnèrent Gitovu (au Mayaga) où se trouvait le mwami.

Il n’y eut aucune occupation territoriale permanente de Rito de la part de Rwabugiri. Un seul chef de l’Urundi, Cyoya, fit acte de vassalité à son égard durant quelques années ; ce chef lui donna sa sœur en mariage. Par la suite, Rwabugiri se ravisa et, retraversant la Nyabarongo, vint résider à Rwamagana.
6. — Expédition du Bumpaka au Mporo (Uganda).

Cette campagne fut décidée alors que Rwabugiri se trouvait à sa résidence de Rwamaraba (Marangara). Le mwami prit part à cette expédition, mais en nommant Kinani en qualité de commandant d’expédition. Rwabugiri avait décidé cette campagne afin de trouver du bétail pour ravitailler ses diverses résidences ; il fut convenu que tout le butin lui serait attribué. Tous les bataillons qui furent à la campagne de Mirama participèrent à cette expédition avec leurs chefs respectifs sauf en ce qui concerne le Mvejuru qui avait passé sous le commandement de Biyenzi après la mort de Rutezi.
La bataille eut pour principal champ d’opération le lieu dit Kiyanja. Il y eut beaucoup de morts dans les rangs ennemis, mais aucune personnalité de marque ne périt. Un lot important de vaches fut rafflé, et, comme convenu, tout le butin revint à Rwabugiri. Aucun événement important ne marqua cette campagne. Rwabugiri n’occupa pas la région, aucun chef n’y fut nommé, seuls quelques fiefs furent partagés entre les grands feudataires voisins.

7. — Expédition du Butembo (Kivu-Nord Territoire Masisi ).

Rwabugiri décida cette expédition alors qu’il se trouvait à Rubengera (Bwishaza) où il commençait à se faire construire une résidence. Elle fut dirigée contre le mwami Muvunyi du clan des Bahunde.

C’était un muhinza : chef de paysannerie muhutu. Rwabugiri l’attaqua dans l’intention d’annexer le Butembo à son royaume. Tous les bataillons que nous avons déjà cités participèrent à cette campagne, cependant Nkoronko, décédé, avait été remplacé par NKUNDUKOZERA dans la direction du bataillon des Inzirabwoba ; Rwampembwe fut substitué à Muhamyangabo dans celle des Bashamkaba. Rwabugiri, rompant avec la coutume qui l’empêchait d’être commandant en chef d’une expédition, prit personnellement en mains la direction des opérations.

Cette guerre n’eut pas de champ de bataille précis car Muvunyi, ayant appris l’arrivée de Rwabugiri, avait pris la fuite. Les bataillons de Rwabugiri ne trouvant aucune résistance sur leur passage pillèrent et tuèrent tout ce qu’ils rencontrèrent. Aucune tête de bétail ne fut enlevée pour la bonne raison qu’il n’y en avait pas.

Les souffrances physiques qu’endurèrent les troupes de Rwabugiri, s’ajoutant à la faim et à la soif, ne permirent aucune occupation du Butembo et finalement les troupes se replièrent au Ruanda.

8. — Expédition de Gikore (entre le Bufumbira et le Buberuka) au Ndorwa.

Cette campagne fut dirigée contre le clan des Bahutu Balihira. Le Muhima Mutana, qui était vassal de Rwabugiri, reçut de ce dernier l’autorisation d’annexer à son fief les terres des Balihira qui l’avoisinaient. Bien que ceux-ci ne fussent pas soumis à Rwabugiri, Mutana avait promis de les y rallier. Les Balihira refusèrent de se soumettre et Mutana vint implorer l’aide du mwami qui se trouvait alors à sa résidence de Mabungo (Bufumbira) .

Tous les bataillons du royaume prirent part à cette expédition ; les Nyaruguru étaient passés sous le commandement de Kanigamazi. Chose curieuse, il n ’y eut pas de nomination de commandant en chef et chaque bataillon combattit sous les ordres directs de son chef.

La bataille principale eut lieu à la colline Remera. Il y eut peu de tués dans les rangs ennemis, par contre du bétail fut enlevé, mais en quantités restreintes. Le commandant Nyantaba, qui était tombé en disgrâce, se réconcilia avec le roi qui à cette occasion lui remit une vache de pardon (inka y’umuliro).
Kamanzi, umuhenda, grand-frère de Seruhuga, Ndutiye, umunyiginya-umuhindiro, Runanira, umunyiginya-umuhindiro, grand-père de Ruhanamilindi et père de Sendashonga, y trouvèrent la mort.
En bref, le combat occasionna des pertes cruelles parmi les Banyarwanda ; il donna naissance au dicton : « Ndakaba Umulihira : que je sois Mulihira ! »

Il n’y eut pas de tentative d’occupation. Les grands chefs se rendant compte des vides de plus en plus nombreux qui se faisaient dans leur armée, demandèrent à Rwabugiri qui se trouvait à Mabungo, l’autorisation de rentrer et de venir étudier avec lui une autre tactique d’attaque des Balihira. La campagne prit ainsi fin sans annexion territoriale au profit du Ruanda.

9. — Deuxième expédition d’Idjw i (Kivu-Sud).

Cette campagne eut lieu en 1874, année de l’apparition de la comète Koggia III. Rwabugiri avait mal supporté l’échec qu’il subit lors de la première tentative d’annexion de l’île Idjwi. Aussi décida-t-il de tenir garnison à Nyamirundi en face de la pointe méridionale d’Idjwi, au Ruanda, en attendant de recommencer l’expédition contre le mwami Kabego. Les Bashi de leur côté étaient inquiets de voir Rwabugiri tenir garnison sur l’autre rive ; aussi décidèrent-ils de fomenter un mouvement séditieux chez les Banyakinyaga. Ils leur offrirent des cadeaux en les priant de leur signaler tout ce qui se passerait dans le camp de Rwabugiri afin de savoir si ce dernier entretenait l’intention de les attaquer.

Ils convinrent d’un signal pour les avertir de toute tentative de débarquement à Idjwi des troupes du mwami. Chaque fois qu’elles essayeraient de traverser le lac Kivu, les Banyakinyaga brûleraient une hutte afin d’avertir les Bashi du danger. Les choses se passèrent ainsi chaque fois que les Banyarwanda tentèrent un débarquement. Finalement ceux-ci soupçonnèrent qu’ils étaient espionnés ou trahis. Ils firent circuler partout le bruit qu’ils perdaient leur temps et qu’ils allaient lever leur camp. Une partie du bataillon des Ingangurarugo vint prendre congé de Rwabugiri en pur simulacre. En fait, cette partie devait rejoindre Mpembwe au Rusenyi et essayer de prendre les Bashi à revers. Environ 200 guerriers Batutsi et Bahutu des Inganguraguro, de valeur éprouvée, gagnèrent Mpembwe sous le commandement de Ruhinankiko, qui était le chef umugaba de cette expédition. Ils traversèrent de nuit le lac Kivu et, arrivés sur l’autre rive, ils décidèrent de se dissimuler dans un champ de sorgho, en attendant de pouvoir demander du renfort à Rwabugiri. Mais le commandant Bisangwa s’opposa à ce dispositif en leur déclarant : ce champ a un propriétaire, il pourrait venir le visiter, si nous sommes découverts, notre plan sera à recommencer à moins que nous ne périssions tous, il vaut mieux attaquer, advienne que pourra ! Le combat fut décidé et les guerriers de Ruhinankiko attaquèrent avec fureur, en hommes désespérés, convaincus qu’ils n’en réchapperaient pas. Les Bashi furent surpris de l’attaque et les Ingangurarugo effectuèrent un véritable massacre. Après deux ou trois jours, ils commencèrent à souffrir de la faim et ils ne se nourrissaient que de quelques bananes que les Bashi avaient laissées. Ils décidèrent de mettre le feu aux habitations des Bashi afin de faire savoir à Rwabugiri qu’ils avaient traversé le lac victorieusement. Dès l’apparition des fumées, les troupes restées à Nyamirundi surent que leurs compagnons avaient réussi à prendre pied au nord de l’île Idjwi.

De leur côté les Bashi du sud de l’île abandonnèrent leurs habitations et se réfugièrent avec leurs familles dans des barques sur le lac Kivu, afin de couper la voie aux troupes banyarwanda qui tenteraient de venir ravitailler et seconder leurs compagnons ; les Bashi organisèrent un véritable blocus de leur île.
Une barque commandée par Rwabikinga, qui avait été aperçue alors qu’elle tentait de ravitailler les guerriers Banyarwanda, fut coulée, noyant Rwabikinga.
Voyant cela, le Mushi Rumashana qui était vassal de Rwabugiri et qui se trouvait au camp de Nyamirundi, alla trouver le mwami et lui demanda d’être chargé de ravitailler les troupes bloquées dans l’île.

On lui remit 6 cruches de bière pour ces dernières. Il prit le large, mais au lieu d’aller droit sur les Bashi, oscillant dans le lac, il continua en direction du nord, tentant de faire croire qu’il ne voulait pas traverser. Il était accompagné de 7 de ses hommes, tous habiles rameurs. A un certain moment, il décrivit un large cercle et fonça sur les pirogues des Bashi. Dès qu’il parvint à leur hauteur, il en coula une dizaine. Les autres Bashi voyant cela prirent la fuite.

Les troupes de Rwabugiri, qui suivaient la manœuvre de Rumashana de l’autre rive, décidèrent alors de rejoindre les troupes à Nyakarengo dans l’île Idjwi. Rwabugiri commença la traversée avec ses troupes. A son débarquement, le mwami passa en revue ses guerriers qui étaient restés sur l’île.

Ces derniers tinrent conseil et décidèrent pour souhaiter la bienvenue à Rwabugiri, qu’ils attaqueraient le kraal du muhinza Kimero et tueraient tout Mushi q u ’ils rencontreraient. Ils firent cadeau à Rwabugiri des cadavres des gens de Kimero et des cendres de sa résidence.

C’est ainsi que débuta la véritable occupation de l’île Idjwi où Rwabugiri construisit sa résidence à Muyange. Il s’attira l’amitié de Nkundiye, fils de Kabego, mwami d ’Idjwi. A force de cadeaux et de promesses, il lui confia même le commandement de l’île, afin qu’il puisse lui livrer son père qui avait fui et se trouvait sur un ilôt du nom de Gishushu en face de Kalehe. Nkundiye mit des gens pour surveiller son père et dès qu’il sut qu’il était chez lui, il en informa Rwabugiri qui l’attaqua avec ses troupes. La résidence de Kabego fut prise d’assaut et Kagebo fut tué par Rwanyonga.

L’occupation de l’île Idjwi était accomplie. Rwabugiri résida à Muyange avec sa femme Nyirabaziga qui ne devait pas revenir au Ruanda car elle y mourut un peu plus tard. Finalement le mwami transféra sa résidence à Marambo au nord de l’île, abandonnant sa résidence de Muyange au chef Muhigirwa. Rwabugiri fit jeter au lac Kivu le tambour-enseigne de Kabego intitulé Shamandende, puis il rentra au Ruanda, y ramenant le tambour Muratwa de son ancêtre Ndahiro-Cyamatare que détenait Kabego, gardé par des biru du clan des Batege, descendants directs de ceux de Ndahiro. Rwabugiri se rendit ensuite à sa résidence de Gatsibu puis il revint au Kinyaga.

10. — Expédition de Kubuntu Buzindu (Kivu-Sud).

Cette campagne fut décidée par Rwabugiri tandis qu’il se trouvait à Rubengera, elle fut dirigée contre Byaterana, mwami des Banyabungo, du clan des Banyabungo-Banyiginya (la dynastie du Bunyabungo était qualifiée munyiginya, car elle était considérée comme descendant également du mwami Gihanga).
Depuis que Rwabugiri avait conquis l’île Idjwi, il regardait avec convoitise le royaume du Bunyabungo. Il voulait également l’annexer, mais ne trouvait pas de prétexte pour déclencher une guerre. Les Banyabungo lui en offrirent un : ils traversèrent la Ruzizi et attaquèrent les villages de Mururu et de Ruganda au Biru pour enlever du bétail ainsi que des jeunes filles qu’ils emmenaient en esclavage ou les mariaient. C’en était assez pour que Rwabugiri les attaquât à son tour.

Cette expédition fut menée avec le concours de toutes les milices de Rwabugiri ayant à leur tête les commandants des campagnes précédentes. Rwabugiri accompagnait ses troupes qui étaient placées sous les ordres du mugaba Rwanyonga. Les troupes débarquèrent à Shangu et pénétrèrent jusqu’à l’actuel Kabare. L’engagement eut lieu à la colline Kurusozi près de Kubirizi, mais il n’y eut que quelques tués parmi les Banyabungo. Il n’y eut pas de bétail rafflé. A la première rencontre, les Banyarwanda attaquèrent avec vigueur et les Banyabungo ne durent leur salut qu’à la fuite. Ils gagnèrent les hauteurs et se retranchèrent dans la forêt de « Buntu Buzindu ». Rwabugiri n ’était pas satisfait. Il tint conseil avec ses chefs et leur dit : les Banyabungo nous ont trop lassés, ils se sont permis d’attaquer le Biru, il faut absolument les punir sinon ils recommenceront.

Muniganyi, fils de Nyilimigabo, du bataillon Intaganzwa, proposa ce qui suit : « Nous ne pouvons atteindre les Banyabungo sur ces hauteurs où ils se sont réfugiés, restons ici et construisons des huttes, que ceux qui ont des femmes les fassent venir, que ceux qui sont célibataires se marient, nous apporterons du bétail, les chefs recevront des fiefs, les Bahutu commenceront à cultiver la terre. Certains Banyabungo ne manqueront pas de venir nous faire des offres de service, d’autres se lieront d’amitié avec nous. Nous leur donnerons des vaches et ainsi, petit à petit, nous sèmerons la discorde et la haine entre eux et nous finirons bien par les avoir. « Tubatsindishe umuganda » (littéralement: nous les vaincrons avec des pilliers en bois, s. e. en construisant des huttes).

Rwabugiri n’agréa pas cette suggestion. Il demanda de réunir un conseil de grands chefs. Furent invités à cette réunion : le commandant en chef Rwanyonga, Nyilimigabo, fils de Bacondo, Rutsindura, Rutuku, Kamuzinzi fils de Buki. Avant le conseil, Rwabugiri leur fit part de la suggestion de Muniganyi. Rwanyonga déclara qu’il ne pouvait accepter cette solution : Nous ne sommes pas venus pour habiter parmi les Banyabungo, nous sommes venus les combattre. Nous devons les attaquer. Je veux beaucoup de butin, il me faut en outre des « ibishwama by’abantu » (organes génitaux d’hommes) et alors je serai satisfait de mon expédition ».

Rwabugiri se leva et le félicita de sa proposition et tout le monde l’adopta comme étant la meilleure. Rassemblant ses troupes, Rwanyonga donna ordre d’attaquer les Banyabungo. Enthousiasmés par le discours qu’il venait de leur tenir, elles se lancèrent à l’assaut, abandonnant tout ordre tactique. D’aucunes attaquèrent par groupes de 4, 10, 15, rarement de plus de 20 hommes, convaincues de leur supériorité sur les Banyabungo.
Cette guerre constitua une véritable hécatombe pour les armées de Rwabugiri. Ayant divisé leurs forces, le commandant en chef Rwanyonga y trouva la mort, ainsi que Rutsindura, Kinani qui avait été umugaba dans les campagnes du Ndorwa, Kamuzinzi, Bicaho, Rwahunde, tous grands chefs de Rwabugiri.
Les survivants se replièrent et vinrent demander à Rwabugiri de lever le camp, craignant de mourir au Bunyabungo jusqu’au dernier homme.

Rwabugiri ordonna la retraite et ainsi prit fin cette désastreuse campagne du Bunyabungo qui donna naissance au dicton : « Ndakaba Umunyabungo : que je sois Munyabungo », c’est-à-dire le malheur du Munyarwanda.

11. — Troisième campagne d’Idjwi.

Cette campagne fut déclenchée tandis que Rwabugiri se trouvait à sa résidence de Rubengera. Elle était dirigée contre Nkundiye, fils de Kabego et chef d’Idjwi, du clan des Bakongoro.

Cette expédition fut organisée dans les conditions suivantes : Nkundiye se trouvait chez Rwabugiri à Rubengera où il était venu faire sa cour. Un jour, il eut une dispute avec Ntizimira qui était l’un des grands favoris de Rwabugiri et en même temps chef du domaine de Rubengera. Celui-ci lui lança cette injure : « Allez vous en, sale étranger qui faites la cour là où votre père habille le tambour «Kalinga ». (allusion au fait que lors de la seconde campagne d’Idjwi, suite à la trahison de Nkundiye, son père Kabego avait été tué et que depuis lors ses parties génitales ornaient le tambour Kalinga). Nkundiye patienta quelque temps, mais dès qu’il partit, il souleva contre Rwabugiri l’île Idjwi où il avait déjà assis son autorité.

Les milices du royaume au complet participèrent à cette campagne sous le commandement direct de Rwabugiri. Les Ingangurarugo cependant étaient commandés par Bisangwa, les Inyaruguru par Kinigamazi, les Intaganzwa par Bihutu à la place de Nturo encore jeune, les Bashakamba avaient à leur tête Rutishereka et les Bakemba, Nyagashi. Les combats eurent lieu sur l’île après que la traversée eût été effectuée à Nyakarengo.

Il y eut de nombreux tués parmi les Bashi, mais Nkundiye parvint à s’échapper et à gagner l’île Shovu. Il n’y eut pas de raffle de bétail. Nkundiye s’était brouillé avec son fils Gatebera ; celui-ci vint promettre à Rwabugiri de lui livrer son père. Comme il se trouvait à Shovu, Nkundiye voyant arriver les troupes de Rwabugiri, se noya dans le lac Kivu, son cadavre fut repêché, ses organes génitaux tranchés, et le tambour royal les porta pour la première fois à Ngeri (Nyaruguru).

Gatebera aurait dû succéder à Nkundiye, mais la place était enviée par son oncle Mihigo qui le fit passer pour traître et le fit condamner à la peine de mort. Dans ces conditions, Rwabugiri estima qu’il était plus simple de rattacher politiquement Idjwi au Ruanda et y fit construire deux résidences royales : l’une au sud, à Murambo où il installa sa femme Gakunywa, de race muhima, et un chef munyarwanda : Kamaka ; l’autre résidence fut installée au nord à Munyange, puis à Kimenwa, Rwabugiri y plaça également l’une de ses femmes : Nyirabaziga et le chef munyarwanda Mbgana. Ce dernier fut démis par la suite et il eut comme rempla¬çant Muhigirwa, fils de Rwabugiri, qui se fit représenter par Birasinyeri, chef du Biru (Shangugu). L ’île Idjwi était soumise, et les représentants de Rwabugiri y demeurèrent jusqu’à la mort de ce dernier. En 1894, Rwabugiri, après cette expédition, rentra à l’intérieur du Ruanda afin de rencontrer l’explorateur von Gôtzen, puis revint au Bwishaza.

12. — Seconde campagne du Bunyabungo.

Rwabugiri se trouvait à sa résidence de Rubengera (Bwishaza) lorsqu’il décida d’entreprendre cette seconde campagne. Elle tire son appellation de « bataille de Mukannywiriri » du nom du marais de papyrus où l’engagement eut lieu. Cette campagne était dirigée contre Rutubuka fils de Byatera, frère de Rutaganda, qui bien que plus jeune, était mwami du Bunyabungo. Rwabugiri entreprit cette expédition contre les Banyabungo dans l’intention d’annexer leur pays à son royaume, il accompagna ses troupes, mais resta à Ruganda, au Biru.

Toutes les milices du royaume participèrent à cette guerre et furent dirigées par leurs chefs respectifs, à part Nkoronko qui avait été remplacé dans le commandement de l’Inzirabwoba par Nkundukozera et Rwampembwe à la tête des Bashakamba par Rutishereka. Le commandant en chef de cette expédition était l’umugaba Runiga, fils de Serutabura, un Umunyiginya-Umureganshuro.

Le premier contact eut lieu dans le marais de papyrus de Mukannywiriri. Les Banyarwanda savaient que les Banyabungo s’y étaient réfugiés avec leurs femmes et leur bétail. Une partie des troupes : l’Uruyange sous le commandement de Nyamushanja, et l’Intaganzwa sous celui de Nyilimigabo, tenta de forcer le passage. Les Banyabungo se défendirent courageusement devant l’assaut farouche des Banyarwanda. Profi¬tant de leur connaissance des lieux, ils laissèrent une partie de leurs troupes guerroyer face à face avec les Banyarwanda, puis ils commencèrent un mouvement tournant afin d’essayer de prendre les Banyarwanda à revers. De fait leur tactique réussit et bientôt les Banyarwanda furent complètement encerclés et battus.

Le gros des troupes banyarwanda avait tenté de pénétrer dans le Bunyabungo par d ’autres endroits : à Kugisozi, Kukidogoro, Mwihimbi et Kunzinzi. Elles engagèrent le combat, mais bientôt la stupeur se répandit dans leurs rangs en apprenant la mort des grands chefs Nyamushanja et Nyilimigabo. Craignant de subir le même sort, elles battirent en retraite, du reste un message de Rwabugiri leur apporta l’ordre de repli.
Un bruit circulait à la cour de Rwabugiri qu’il existait des personnes possédant des « ruches » cylindriques d’où il sortait du feu et du fer qui tuaient leurs ennemis : les Allemands occupaient alors Usumbura, et il s’agissait de leurs canons. Rwabugiri voulut acquérir quelquesunes de ces armes.

Un certain Serugaba fut envoyé en qualité d ’émissaire. Rwabugiri lui remit de l’ivoire, des peaux de léopard, du miel et du beurre pour en faire cadeau aux Allemands, il le chargea de leur demander du secours militaire. Serugaba partit, mais mit longtemps pour revenir, et ne donna pas de ses nouvelle entre-temps. On commençait à craindre qu’il eût pris la fuite avec les cadeaux. On finit par se lasser et Rwabugiri décida une seconde expédition pour venger la défaite de « Mukannywiriri ».

Le commandement des troupes fut confié au mugaba Zimulinda. Le bataillon Uruyange était commandé par Seragwenyera, fils de Nyamushanja, les Intaganzwa par Bihutu frère de Nturo, on comptait aussi la milice des Basoni sous le commandement du Murundi Cyoya, elle était exclusivement composée de Barundi. Le marais Mukannywiriri, où s’étaient réfugiés les Banyabungo,
fut attaqué. Ces derniers furent massacrés et ceux qui en échappèrent ne le durent qu’à la fuite. Serugaba revint entre-temps avec des cadeaux se composant d ’un âne, d’étoffes et de perles que les Allemands destinaient à Rwabugiri. Ils lui avaient également donné six soldats askaris et un sergent pour lui venir en aide. Le mwami qui séjournait à Ruganda au Biru, les renvoya à Usumbura parce que la campagne du Bunyabungo était terminée. Il conserva l’âne qu’il monta de temps en temps.
Le chef murundi Cyoya, allié de Rwabugiri, et ses guerriers se firent remarquer par leur bravoure et contribuèrent en grande partie à la victoire. En fait, il n’y eut pas d’occupation territoriale du Bunyabungo, bien que Rwabugiri distribuât des fiefs ibikingi à ses grands feudataires. Le chef mushi Kiraba dut se soumettre et accepter de payer tribut.

13. — Expédition du Bushubi.

Dès 1889, Kigeri-Rwabugiri avait envoyé plusieurs formations guerrières : Uryange, Ingangurarugo, Abashakamba, Inzirabwoba et Intaganzwa, sous la direction du commandant en chef Seruzamba au Bushubi (Tanganyika Territory) afin de combattre un nommé Rwabigimba qui voulait supplanter son frère Nsoro, mwami de ce pays. Rwabigimba vaincu s’enfuit en Urundi, mais craignant un retour offensif de sa part, Nsoro obtint de Kigeri une occupation militaire permanente du Bushubi à titre préventif.

Finalement, Kigeri Rwabugiri ordonna à Kabaka, chef du Gisaka, d ’arrêter Nsoro lui-même et toute sa famille, lesquels furent emmenés à Ruganda (Shangugu) où le mwami les fit exécuter… ainsi que Kabaka. Il renvoya les ossements de Nsoro dans son pays avec ceux de Kabaka afin d’apaiser l’esprit du roitelet défunt. Rwabugiri conserva le tambour-enseigne Muhavura de Nsoro et les lances qui l’accompagnaient.

14. — Troisième campagne du Bunyabungo, dite Mulyamo (peste bovine).

La peste bovine qui apparut au Ruanda en 1890-1891 fit d’énormes ravages parmi les troupeaux dont il convenait, dès lors, de combler les vides. Rwabugiri se trouvait à Nyamasheke (Cyesha) où il faisait construire sa résidence, quand les Banyabungo, sous le commandement de Rutaganda et de sa mère Mugeni, tentèrent de se soulever. Rwabugiri décida d’organiser une expédition punitive.

Toutes les milices du mwami, y compris les Basoni du chef murundi Cyoya, prirent part à cette campagne. L’Uruyange était alors commandé par Kabare et les Barasa par Mugugu. Le commandement suprême des troupes fut confié à Karara, fils de Rwabugiri. La bataille embrassa le Bunyabungo entier.
Le chef Nyabujenji des Mahembe, milice munyabungo, y trouva la mort ainsi que les chefs banyabungo Mutarushwa et Katabirurwa, mari de Mugeni.

Le chef munyabungo Baramba, qui se trouvait là également, fut tué plus tard s’étant réfugié au Ruanda. Peu de bétail fut razzié car il s’agissait essentiellement d’une campagne déclenchée en vue de la répression d’une révolte dans une région se trouvant déjà sous occupation munyarwanda.

Le chef munyabungo Baramba, qui avait demandé la grâce de Rwabugiri, offrit de lui livrer Mugeni. Avec son concours, l’enclos de cette dernière fut encerclé, saccagé, et Mugeni fut faite prisonnière. Rwabugiri résidait à présent à Kabukari au Bunyabungo. On lui amena Mugeni qu’il pria de faire venir son fils Rutaganda. Celle-ci refusa de s’exécuter ; d’ailleurs son fils avait pris la fuite et s’était réfugié au Bubembe, auprès de son père Ryaterana qui y avait fui également. Mugeni fut décapitée et sa tête revint en trophée au Ruanda.
Rwabugiri soumit le pays, y installa des chefs originaires du Ruanda afin d’y prélever le tribut ikoro et se fit construire des résidences un peu partout : à Nzinzi, Bukari, Ruyihi, Kibanda, Rusozo, Gacucu, mais sans y placer de femmes car il voyageait en ce moment suivi de simples concubines incoreke. Il combattit Rutubuka, fils de Byaterana, à Shungwa. Rwabugiri rentra ensuite au Ruanda pour accomplir l’expédition du Nkole.

15. — Expédition du Nkole.
Kigeri effectua cette expédition guerrière contre le roi Ntare des Bahima du Nkole. Vaincus à Shongi, les Banyankole ne se soumirent qu’en apparence. En fait, la conquête n ’eut pas de lendemain et l’occupation de ce pays fut éphémère. Kigeri s’installa à Mbarara, résidence du mwami du Nkole dont il brûla les huttes en pisé, il s’avança jusqu’à la frontière du Bunyoro mais il rebroussa chemin ayant appris qu’un Européen venait au secours de Ntare. Ce dernier attaqua Kigeri à Nyagakoni mais, dit-on, le désastre des Banyankole fut complet bien qu’ils fussent armés de fusils à piston. Dans cette guerre, Kigeri R wabugiri était accompagné de ses femmes et de ses enfants.

16. — Quatrième campagne du Bunyabungo et mort de Rwabugiri (1895).

Rwabugiri se trouvait encore au Nkole tandis qu’une bande armée de fusils, dite « Uturyoko », vraisemblablement à la solde de marchands d’esclaves se trouvant au sud du Kivu, tenta d ’envahir le Bunyabungo. Ces aventuriers furent attaqués par les guerriers de Rwabugiri qui étaient demeurés sur place, et furent tous massacrés. Les Banyabungo, ayant appris que Rwabugiri était occupé à se battre avec Ntare au Nkole, et l’armée de Ntare étant considérée comme invincible, furent convaincus que le mwami avait fort à faire et qu’il ne reviendrait plus chez eux. Ils se soulevèrent et enlevèrent trois troupeaux de vaches appartenant à des chefs banyarwanda du Bunyabungo.

Au Nkole, Rwabugiri fut mis au courant de la situation et il rallia le Bunyabungo à marches forcées. Le mwami entreprit cette campagne de répression avec les mêmes milices qui avaient soumis le Bunyabungo précédemment, le chef Nturo avait, pour la première fois, pris le commandement des Intaganzwa. Rwabugiri était accompagné de ses fils Nhozamihigo, Sharangabo, Rutalindwa et Musinga.

Arrivé à Mururu, Rwabugiri surveilla lui-même le débarquement de ses troupes durant trois jours. Le dernier jour, il tomba malade en cours de route. Il fut forcé de rebrousser chemin, mais mourut durant la traversée du lac Kivu, en face de Nyamirundi, tandis qu’on le dirigeait vers sa résidence de Nyamasheke.

Les troupes débarquées au Kivu, rentrèrent par petits groupes afin de dissimuler aux Banyabungo la mort de Rwabugiri.
Les Banyabungo finirent par le savoir et la révolte devint générale ; ils chassèrent les Banyarwanda de leur pays.
Bientôt les Bashi d ’Idjwi les imitèrent. Les chefs banyarwanda Muhigirwa et Rwidegembya qui y détenaient des possessions plus ou moins assises, tâchèrent de s’y maintenir durant quelque temps, mais finalement ils furent refoulés et l’île Idjwi reconquit son indépendance. Les campagnes du Bunyabungo étaient closes avec la mort de Rwabugiri. De toutes les incursions de Rwabugiri au Kivu, il ne resta que des souvenirs et aucune annexion définitive au Ruanda.

Idjwi demeura sous l’obédience toute nominale du mwami du Ruanda jusqu’en 1912, date à laquelle suite aux travaux de la commission de délimitation belgoallemande, la frontière ayant été définitivement tracée entre le Congo belge et l’Est africain allemand, Idjwi ainsi que d’autres régions formant l’actuel territoire de Rutshuru furent incorporées au Congo belge.

Ce n’est qu’à partir de la seconde moitié du XIX e siècle que remontent les premiers renseignements historiques sur le Ruanda-Urundi.
Si à aucun moment de l’indépendance de ces pays, les Arabes esclavagistes n’en atteignirent le cœur, il n’en demeure pas moins établi que leurs agents noirs en fréquentaient les marchés, offrant en vente des étoffes, des vêtements, des perles, des fils de laiton, des fusils à piston, de la poudre et des amorces. Ils s’en retournaient après avoir troqué leurs marchandises contre de l’ivoire, des peaux de léopard et de loutre, des bovidés et des esclaves.
Au Ruanda, la route commerciale la plus importante venait de Tabora, passait par le Gisaka et aboutissait au marché de Kivumu (nord de Kabgayi). Le Père Blanc Brard pouvait encore écrire vers 1900 :
« C’est, sans exagération, que l’on peut évaluer à plusieurs milliers le nombre des esclaves qui sortent chaque année du Ruanda ».

Un violent mouvement d’opinion se créa en Europe qui devait aboutir à débarrasser l’Afrique de la traite des esclaves.

L’officier anglais Speke aperçoit, du Karagwe, le 26 novembre 1861, la rivière Kagera et, au loin, les volcans du Ruanda. C’est donc à cette époque que remonte la découverte des abords du Ruanda-Urundi par le monde civilisé occidental.

Le 16 janvier 1876, au cours d’une nouvelle expédition, Stanley longe la frontière orientale du Ruanda, voyage sur la Kagera, séjourne chez Rumanika, ainsi que chez les traitants arabes de Kafuro, au Karagwe, et recueille les premières données sur le Ruanda-Urundi qu’il consigne dans son livre : «A travers le continent mystérieux ». Lorsque Stanley, après avoir navigué sur le lac Ihema et atterrit sur son île, voulut aborder à la côte du Mubari, il y fut accueilli par une volée de flèches et dut rebrousser chemin. Le 27 mars 1876, Stanley essaie à nouveau de pénétrer au Ruanda par le Mubari mais il doit renoncer à son entreprise, étant paralysé par la famine en Uswi et par l’hostilité des autochtones.

Par la suite, Léopold II s’installa dans la cuvette centrale africaine ; les Allemands de leur côté prirent pied à l’est. La frontière entre leurs possessions fut décidée par l’Acte général de Berlin (qui reconnut officiellement l’É tat indépendant du Congo et l’Afrique orientale allemande) du 26 février 1885. Elle comportait pour la région qui nous intéresse :
« la crête de partage des eaux du Nil et du Congo ; cette crête de partage jusqu’au point où elle recoupe vers le sud le méridien 30° est de Greenwich ; ce méridien jusqu’au parallèle 1°20 de latitude sud ; une ligne droite menée de cette intersection jusqu’à l’extrémité septentrionale du lac Tanganika, la ligne médiane de ce lac, etc. ».

Cet acte mettait une grosse partie de l’ouest du Ruanda, notamment les territoires actuels de Kisenyi, de Ruhengeri, de Kibuye, de Shangugu et le nord de la plaine de la Ruzizi, sous la dépendance de l’État indépendant du Congo. Mais les cartes qui accompagnaient les différents exemplaires du traité de Berlin comportaient des divergences de tracé qui allaient engendrer de très graves malentendus. L’E. I. C. créa dans cette région les postes de Shangugu et de Nyakagunda.

En 1890, le docteur Schnitzler dit Emin Pacha, après avoir fondé Bukoba, contourne le Ruanda au nord des volcans, mais n’y pénètre pas. Le docteur Oscar Baumann, en voyage d’exploration vers l’Urundi, séjourne au Ruanda du 11 au 15 septembre 1892.
Le 2 mai 1894, le lieutenant comte von Gôtzen accompagné du lieutenant Von Prittwitz, du Dr Kersting et d’une compagnie d’askaris, franchit la Kagera à Rusumu, pénétrant au Ruanda où il rencontra le mwami Rwabugiri à Kageyo (Kingogo) le 30 mai 1894. Le 16 juin 1894, à Kisenyi (Byahi), von Gôtzen dut repousser l’assaut d’une troupe d’ingabo dirigée par Bisangwa et envoyée contre lui par Rwabugiri. Il rentra en Allemagne, via Matadi, en 1894.

En fin 1894, l’Irlandais Stokes trafiquant de marchandises de traite installé au lac Victoria, traverse le Ruanda où il pénétra par Rusumu accompagné de 700 porteurs et soldats banyamwezi pourvus de nombreuses armes, se rendant au secours du chef esclavagiste islamisé Kibonge à la Lindi (Congo belge) poursuivi par le commandant Lothaire. Celui-ci condamna Stokes à la peine capitale, le 14 janvier 1895. En 1895, le lieutenant belge Lange reconnaît la Ruzizi et atteint le lac Kivu.